Discours de M. Jacques CHIRAC à Rouen (campagne électorale pour l'élection présidentielle)

Discours de M. Jacques CHIRAC à Rouen (campagne électorale pour l'élection présidentielle)

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Rouen, Haute-Normandie, le mercredi 10 avril 2002

Monsieur le Président du Sénat, Cher Christian, merci de votre présence, vous qui êtes si attaché aux libertés locales et si également déterminé à les défendre et à les promouvoir, Monsieur le Maire de Rouen, Cher Pierre ALBERTINI, Monsieur le Président du Conseil général, Cher Charles REVET, Mesdames et Messieurs les élus.

Permettez moi de vous dire combien, je suis sensible à votre présence et combien de vous remercie d'être ici avec nous aujourd'hui.

Je vous remercie d'avoir répondu à mon invitation. J'y suis d'autant plus sensible que, tous, vous êtes chargés de responsabilités et que beaucoup d'entre vous, en ce milieu de semaine, sont venus de loin.

Vous qui chaque jour agissez au service de nos compatriotes dans les régions, les départements, dans les communes de France, je vous ai conviés aujourd'hui pour vous dire mon ambition pour notre démocratie et pour l'avenir de la citoyenneté, une certaine idée de la démocratie locale.

Au fil des années, l'indifférence, la résignation et le fatalisme ont progressé chez nous en même temps que la contestation radicale et parfois l'extrémisme. Les raisons en sont connues.

Les déceptions face aux réalités de l'action, à ses limites, à ses échecs aussi. Les renoncements de l'Etat et, plus encore, le sentiment croissant d'une forme d'impuissance publique.

Je n'accepte pas cette impuissance, que ce soit face à l'insécurité, face à la mondialisation, ou face aux réformes que tout le monde attend et qui ne sont pas venues.

Au cours des deux dernières décennies, dominées, je le rappelle, par quinze ans de gouvernement socialiste, la démocratie a en réalité perdu du terrain. Trop de terrain pour que des mesures ponctuelles aujourd'hui suffisent à le reconquérir.

L'aspiration des Françaises et des Français à participer davantage aux décisions qui les concernent chaque jour, est de plus en plus forte. Ils veulent être consultés, écoutés, entendus. Ils en ont assez de l'étatisme. Ils veulent que le pouvoir central cesse de les traiter en sujets de la République. Ils ne se contentent plus d'être, une fois tous les cinq ou six ans, acteurs de la démocratie, et le reste du temps spectateurs. Ils veulent être pleinement reconnus dans leur liberté, dans leur dignité, dans leur responsabilité de citoyens. Ils attendent plus de proximité, plus de dialogue, une meilleure prise en compte de la diversité des situations et des besoins.

Ils ne demandent qu'à croire de nouveau dans la politique, à condition qu'elle change avec eux et qu'elle se libère de l'emprise excessive que l'étatisme a exercée.

Contrairement à ce que certains croient encore, dans une grande démocratie, la politique ne peut se limiter à la conquête et à l'exercice du pouvoir d'Etat. Une plus grande liberté doit être laissée aux forces agissantes qui sont à l'oeuvre dans les collectivités de la République. Il faut les laisser respirer, cesser de les brider, de les retenir, de les contrarier. Elles sont, en réalité, les énergies vitales de la France de demain. Les choses ont beaucoup changé. Le centralisme, voire à la limite l'étatisme, pouvaient être parfaitement concevables à certaines époques, celles où nous forgions notre nation. Aujourd'hui, les conditions de la vie moderne, les technologies de notre temps font que celles-ci appartiennent au passé et que nous devons nous adapter.

Notre République doit être une vraie démocratie, de la base au sommet, pas une hiérarchie contrôlée par un Etat pyramidal qui prétendrait avoir réponse à tout, décider de tout, tout réglementer, uniformément, d'en haut et de loin. L'Etat doit exercer son autorité, remplir ses missions fondamentales, mobiliser ses moyens au service des initiatives des Français et de leurs collectivités. Mais il doit cesser d'absorber l'essentiel des énergies nationales, quitter ses habits de tuteur, devenir un accompagnateur et un facilitateur de projets.


La question, aujourd'hui, n'est plus celle des pouvoirs publics constitutionnels. La Vème République a donné à notre pays les institutions fortes qui lui avaient si longtemps manqué et qui lui avaient fait cruellement défaut.

Cela ne signifie pas que nos institutions ne doivent pas évoluer pour suivre les mouvements profonds de la vie moderne et pour se mettre toujours davantage au service des Françaises et des Français.

Au cours de la période récente, des adaptations ont été réalisées. Elles ont renforcé notre démocratie. Le champ du référendum s'est élargi. La place faite aux femmes s'est accrue. Le cumul des mandats a été réduit. Les pouvoirs du Parlement se sont étendus à la sécurité sociale. Les Français ont fait le choix du quinquennat.

Ainsi, par petites touches, nos institutions se modernisent et notre démocratie acquiert une plus grande capacité de renouvellement, une meilleure respiration.

Mais pour l'essentiel, nos institutions sont bonnes. Elles doivent être défendues, elles doivent être respectées. Ce qui, je le note au passage, n'est pas toujours le cas.

La démocratie française a enfin trouvé, on peut le dire je crois, sa Constitution. Je veillerai à ce qu'elle la garde.

La France est une grande démocratie, où le Gouvernement peut appliquer la volonté de la Nation, tel que le suffrage universel l'a exprimée, et pendant tout le temps nécessaire à l'action. Cela n'a l'air de rien, mais nous n'y sommes parvenus qu'après un siècle et demi d'instabilité, d'atermoiements et de régime d'assemblée.

Nos gouvernements ont les moyens de faire respecter l'autorité de l'Etat et de mettre en oeuvre les réformes qu'appelle l'intérêt national, même quand il faut prendre des risques politiques, surmonter les contradictions internes, contrarier des intérêts, affronter des corporatismes. Seuls comptent aujourd'hui le sens de l'Etat, l'esprit de responsabilité et la capacité de résistance aux marchandages. Cela implique de savoir s'affranchir des contraintes partisanes et de renoncer à l'idéologie qui appartient à d'autres temps. Dans un cadre institutionnel aussi favorable, les gouvernements qui se dérobent face aux difficultés n'ont, je le dis, aucune excuse.

Nous pouvons être fiers de nos institutions. Elles ont fait leurs preuves. Elles fonctionnent dans toutes les circonstances.

Parce que c'était le choix des Français, j'ai démocratiquement assumé la période de cohabitation dont nous sortons.

Ce mode de gouvernement est très loin d'être satisfaisant, nous le savons. Mais à ceux qui seraient prêts à tout changer pour éviter de nouvelles cohabitations, je réponds que le rôle de la Constitution n'est pas d'entraver la liberté de choix des Français, mais au contraire de la défendre. La règle d'or de la démocratie, c'est de laisser les Français décider, en les éclairant sur les conséquences de leur choix, mais de les laisser décider.

Pour ma part, si je suis élu, je m'engagerai c'est évident, de toutes mes forces pour qu'aux élections législatives de juin 2002, les Françaises et les Français choisissent une majorité qui soit capable , ce dont je ne doute pas, de mettre en oeuvre les engagements pris lors de l'élection présidentielle.

Nous sortirons alors des confusions. Le débat politique y gagnera en force et aussi en clarté. Une nouvelle méthode d'action pourra être mise en oeuvre, plus démocratique, plus transparente.

Le gouvernement sera comptable de la réalisation des engagements pris devant le Président de la République comme devant le Parlement.

Chaque année, il fera rapport au Parlement. Un débat aura lieu. Il s'expliquera et il engagera sa responsabilité devant l'Assemblée Nationale. Ainsi, les Français seront informés régulièrement. Ils pourront juger. Et grâce à un recours au référendum plus fréquent et surtout dédramatisé, grâce au référendum d'initiative populaire organisé, les grandes décisions leurs seront rendues.


Au-delà de cette nouvelle approche de la politique nationale, la clé du renouveau de notre démocratie, c'est de revoir toute l'architecture des responsabilités publiques pour que les Françaises et les Français participent davantage aux décisions, notamment aux décisions qui les concernent tous les jours, et que celles-ci soient prises au bon niveau.

La France du XXIème siècle va devoir procéder à une vaste redistribution des pouvoirs pour rendre aux citoyens des capacités d'action et une liberté d'initiative qui ont été aujourd'hui confisquées. Elle va devoir rompre avec l'étatisme centralisateur renforcé par une pratique socialiste qui n'a pas su évoluer comme dans le reste de l'Europe. Le renouveau de la citoyenneté est en réalité à ce prix.

Notre démocratie a besoin d'un élan et d'un souffle nouveaux. Elle ne les trouvera que dans la reconnaissance d'une plus grande autonomie de la société civile, dans l'instauration de nouveaux rapports entre l'Etat et l'individu, et dans le plein épanouissement des libertés locales.




L'évolution profonde que j'appelle de mes voeux devra respecter deux exigences fondamentales : l'exigence d'unité et l'exigence d'humanisme.

A une époque où, même en Europe, l'esprit de division malmène les démocraties et affaiblit l'autorité de l'Etat, notre unité est une force incomparable. Elle exprime l'identité profonde de la nation française, qui n'est pas et n'a jamais été une juxtaposition de communautés.

L'unité, ce sont les mêmes droits, les mêmes devoirs pour tous les Français, sur l'ensemble du territoire national. Personne, chez nous, ne comprendrait que ce qui est délit à Strasbourg, ne soit pas puni de la même façon à Nantes, Ajaccio ou Lille. Personne n'accepterait que les règles du mariage, de la famille, de la propriété varient d'une région à l'autre. Personne ne tolérerait qu'en matière sociale, les droits des plus démunis dépendent du lieu où ils vivent.

Notre force vient aussi d'une langue que chacun de nous a reçue en partage. Cette acquisition essentielle n'est pas si ancienne puisque les deux tiers de nos compatriotes ne parlaient pas couramment le français quand l'école publique a été créée. D'une certaine façon, le français est un don de la République. Nous aimons notre langue. Nous devons veiller à ce qu'elle retrouve dans l'enseignement la place primordiale qui doit être la sienne.

Dans l'apprentissage parfois forcé du français, il y a eu certes des excès. Les langues régionales ont été trop souvent niées ou refoulées. Mais aujourd'hui, les langues régionales ont heureusement repris droit de cité. Nous en reconnaissons la valeur. Notre Constitution permet de les cultiver dans un cadre républicain. Et, c'est bien ainsi.

Pensons aussi aux services publics. Il sont une expression essentielle de l'unité nationale. Leur présence sur tout notre territoire est de plus en plus menacée en zone rurale et souvent très insuffisante dans les quartiers périphériques des grandes villes, qui souffrent d'une véritable sous-administration. Les restructurations hospitalières, la carte des grands services publics, notamment la justice, la police , la gendarmerie, les écarts entre régions dans le développement de nouvelles technologies de communication dessinent de nouvelles inégalités entre Français. L'égal accès de tous aux services essentiels doit, plus que jamais, rester un principe fondamental de notre République.


Notre histoire est aussi celle d'un humanisme auquel nous nous devons d'être fidèles.

La France de 1789 a proclamé un même attachement à la liberté qu'à l'égalité. L'une ne va pas sans l'autre.

Le respect du principe d'égalité fait partie des exigences qui s'imposeront à la relance des libertés locales. C'est un principe incontournable. Chacun admet que l'égalité ne doit pas entraîner le refoulement de notre diversité. Elle n'implique pas de toujours donner la préférence à l'uniformité sur l'initiative, ni de continuer à manier plus que de raison la contrainte réglementaire. Elle empêche seulement que les citoyens français aient des droits différents d'une région à l'autre. C'est la raison pour laquelle, gardien de la Constitution et de l'unité nationale, j'ai dû fixer des bornes aux réformes envisagées en Corse par le gouvernement socialiste. Je suis heureux que la loi sur la Corse ait finalement été rendue conforme aux exigences de la Constitution.




Nécessaire aux temps fondateurs de la Nation, la centralisation est devenue aujourd'hui un handicap pour la France. L'esprit d'initiative et les libertés locales ont trop longtemps été étouffés. Aucun des grands pays d'Europe n'est affecté du même mal.

Nous ne pouvons nous obstiner à maintenir un modèle rigide d'organisation qu'aucun autre pays n'a fait sien, et dont tous ont plus que jamais tendance à s'éloigner. Il nous faut imaginer un nouveau modèle français et engager résolument une évolution profonde de notre vie démocratique.

Nous avions su la commencer il y a 30 ans en créant les régions, puis lorsqu'ont été adoptées les grandes lois de décentralisation de 1982 et 1983. La Nation doit maintenant aller plus loin, beaucoup plus loin, en prenant cette fois des garanties contre tout retour en arrière. Dans la période récente, la décentralisation a en effet constamment été contrariée par le gouvernement socialiste.

Et moi, je veux donner à notre démocratie le souffle de l'initiative, l'élan de la liberté et l'efficacité de la proximité. Entre l'étatisme jacobin et un fédéralisme importé, plaqué sur nos réalités, contraire à notre histoire comme à notre exigence d'égalité, une voie nouvelle doit être inventée.

Si la France veut rester une grande démocratie, elle doit lancer la révolution de la démocratie locale et construire la République des proximités.

C'est une exigence démocratique.

C'est un impératif européen.

Et c'est une nécessité économique et sociale.


L'exigence démocratique, vous la connaissez, mieux que personne. La démocratie prend naissance dans des communautés d'hommes et de femmes liés par des conditions de vie et d'activité communes, soudés par l'attachement à un même terroir, à une même ville, à un même quartier, et réunis par des problèmes à résoudre ensemble, en dépassant les contradictions entre les intérêts particuliers.

Qu'il s'agisse de sécurité, d'éducation, d'emploi, de solidarité, ou encore d'infrastructures ou de services publics locaux, c'est en prenant les décisions là où s'expriment les besoins, dans un dialogue permanent avec les citoyens, que les bonnes solutions seront trouvées et appliquées. Et c'est ainsi que toutes les énergies se mobiliseront pour en assurer le succès.

Nous vivons aujourd'hui encore dans une République suspicieuse à l'égard des citoyens, méfiante dans l'initiative de leurs collectivités.

Faire dépendre plus de la moitié des ressources des collectivités locales de dotations de l'Etat, les subordonner au vote annuel du Parlement et vouloir encore aggraver la situation en privant les collectivités du produit de la taxe d'habitation, c'est la négation même de toute responsabilité démocratique et de toute liberté locale. Ce n'est pas en remplaçant le contribuable local par le contribuable national que l'on défendra la démocratie de proximité. Et, bien sûr, ce n'est pas non plus ainsi que l'on diminuera les impôts.

Subordonner comme on le fait aujourd'hui les décisions des élus à des réglementations surabondantes, parfois contradictoires, rendues chaque année plus complexes, c'est stériliser le dynamisme et les initiatives des collectivités.

Rendre impossible tout investissement local de quelque ampleur sans la mise en jeu de subventions d'autres collectivités et de l'Etat, c'est diviser pour mieux régner en empêchant l'épanouissement d'une démocratie locale pleinement autonome. La confusion naît de l'excès de financements croisés. Demain, des collectivités "chefs de file" devront être désignées.

Nous devons faire le pari de la confiance. C'est le seul moyen de faire émerger des solutions efficaces aux problèmes des Françaises et des Français, et de leur redonner le goût de participer à la vie de la cité. La République ne saurait donner le sentiment qu'elle se méfie en quelque sorte de la démocratie.


L'impératif européen impose lui aussi un nouveau partage des pouvoirs.

Au moment même où notre continent achève et approfondit son unité, une nouvelle compétition s'engage. Ce n'est plus seulement celle des Etats et des Nations. C'est la compétition des territoires. Les régions françaises doivent pouvoir relever ce défi en rivalisant avec leurs concurrentes. C'est l'intérêt de la France autant que l'intérêt de ses régions.

Dans l'Europe libre et ouverte que nous bâtissons, les capitaux, l'activité et l'emploi vont là où ils veulent aujourd'hui. Le choix d'investir en France plutôt qu'ailleurs est un choix de liberté et de raison, de la part des Français comme des étrangers. Nous devons donner envie à chacun de choisir la France, ses territoires, ses régions et leur qualité de vie. C'est déjà l'affaire de l'Etat. Ce sera désormais aussi, et de plus en plus, celle des régions. Il ne s'agit pas de faire de nos régions des sujets de l'Europe et encore moins de créer l'Europe des régions, mais de leur donner les moyens économiques de relever les défis de la concurrence européenne.

Elles doivent être mises en situation de mieux faire valoir leurs atouts. Pour cela, elles ont besoin de pouvoirs et de libertés, elles ont besoin de s'unir le cas échéant . Nos voisins l'ont déjà compris. Soyez certains que ni la Catalogne, ni le Piémont, ni la Rhénanie ne nous attendront.


En renforçant la démocratie locale, nous tirerons aussi les conséquences de l'évolution du rôle de l'Etat dans l'activité économique et sociale.

Depuis 1986, la France a résolument fait le choix d'une économie de liberté dans une société solidaire. Elle a abrogé toutes sortes de réglementations, elle a rejeté les illusions de l'économie administrée.

Le renforcement de la compétitivité française appelle aujourd'hui davantage de démocratie locale que d'Etat car les collectivités territoriales, en liaison avec les acteurs économiques et sociaux, sont évidemment les mieux placées pour agir sur la performance des services publics, sur la qualité des infrastructures de base, sur la maîtrise des coûts publics.


La nouvelle distribution des pouvoirs et responsabilités entre les collectivités de la République exigera une importante révision de la Constitution.

Certes, la Constitution ne s'est jamais désintéressée des libertés locales. L'une des raisons d'être du Sénat, Cher Président, qui représente, notamment et brillamment, les collectivités territoriales de la République, est de garantir précisément ces libertés. Le Conseil Constitutionnel veille pour sa part au respect du principe de la libre administration.

Mais ces dispositions ne sont pas à la mesure des exigences d'une citoyenneté adaptée à notre siècle. Je veux apporter à nos libertés territoriales les garanties qui leur font encore défaut. La réforme constitutionnelle permettra à notre démocratie de franchir un nouveau cap.

Je souhaite que soient traitées au moins cinq questions essentielles : la participation des citoyens ; l'identité des régions ; l'autonomie financière des collectivités locales ; le droit à l'expérimentation ; et enfin le rôle du Sénat.

Je n'évoquerai pas ici les propositions que j'ai déjà faites pour donner à la France d'outre-mer le droit de faire évoluer ses institutions. Elles trouveront naturellement leur place dans cet ensemble.


La Constitution doit renforcer le rôle des citoyens en prévoyant l'institution du référendum local.

Il est normal et souhaitable que les citoyens, à l'initiative de leurs élus, puissent faire directement eux-mêmes les grands choix qui commandent l'évolution de leur cadre de vie, les infrastructures, les aménagements et les politiques locales.

Je sais qu'il faudra faire en sorte que tout ceci ne risque pas de paralyser l'action des municipalités, bien entendu, mais il faut redonner un souffle également à tout ce qui vient des citoyennes et des citoyens, d'une commune ou d'un région ou d'un département.

Il faut le faire dans le respect de notre pacte républicain.

Modifier la Constitution pour pouvoir interroger les Français sur leur appartenance à la République ou pour leur permettre de donner à des assemblées régionales le pouvoir de modifier les lois qui ont été votées par le Parlement, serait évidemment un acte extrêmement grave. Pas plus que la forme républicaine de nos institutions, l'unité de la République ne saurait être mise en cause. La loi doit rester la même pour tous les Français partout en France. Je ne comprends pas cette forme d'entêtement qu'ont aujourd'hui les socialistes à vouloir modifier les fondations mêmes de la République, avec une improvisation et une irresponsabilité qui sont tout à fait condamnables.


A la différence de la commune et du département, la région n'a pas encore fait son entrée dans la Constitution, comme si, trente années après sa création à l'initiative de Georges Pompidou, elle continuait à n'occuper qu'une place expérimentale dans notre République.

Pourtant, nous voyons bien que l'avenir économique de la France en Europe dépend, je l'ai dit tout à l'heure, en grande partie de la vitalité de ses régions. Il est temps de consacrer leur existence en leur faisant aussi une place dans notre loi fondamentale à côté des départements et des communes. Il est temps de consolider leur mission au service du développement économique.

Ce statut constitutionnel les garantira contre tout retour d'hégémonisme de l'Etat. Les régions ne pourront faire la loi, bien sûr ; mais la loi ne pourra plus défaire les régions, pas plus que les départements ou les communes.

Se posera aussi la question de la dimension des régions. C'est une question difficile, car l'identité régionale a eu le temps de s'affirmer sur la base du découpage actuel.

Certains regroupements seraient probablement utiles pour atteindre la taille européenne. Comme en matière intercommunale, je suis pour ma part convaincu qu'il vaut mieux procéder sur la base du volontariat et de l'incitation que par la voie de la contrainte. Encore le législateur devra-t-il créer un cadre attractif pour que ces regroupements se fassent effectivement, à chaque fois qu'ils seront voulus et utiles.

Enfin, le mode de scrutin régional devra évoluer pour sortir de la confusion actuelle, permettre à une véritable volonté régionale de s'exprimer et donner une assise territoriale à chaque élu régional.


Tout aussi essentielle est la garantie de l'autonomie financière des collectivités locales. Il faut l'inscrire dans notre Constitution.

Faute qu'elle ait été affirmée de façon suffisamment nette, l'Etat a laissé progressivement se tarir une part croissante de la fiscalité locale, qu'il n'a pas su réformer.

Certains veulent encore aggraver la situation.

Pour ma part, je ne peux me résoudre à voir les finances locales dépendre toujours davantage de l'Etat, au fil des législations et des lois de finances. Cela doit cesser.


A condition de lever toute ambiguïté sur son contenu, il est temps également d'ouvrir à nos collectivités un droit à l'expérimentation.

Il s'agit de pouvoir faire l'expérience de réformes en grandeur nature, dans des collectivités volontaires, avant de les généraliser à l'ensemble du territoire.

Il s'agit aussi de permettre aux collectivités territoriales de conclure entre elles des accords de délégation ou de mise en commun de leurs moyens, afin d'adapter l'organisation de l'action publique aux réalités locales.

Pourquoi ne pas imaginer par exemple que ce qui relève du département en zone rurale puisse relever d'un conseil d'agglomération en zone urbaine, si cela permet une gestion plus efficace ? Et pour quelle raison faudrait-il empêcher qu'une région, par accord, délègue certaines compétences aux départements qui la composent, si cela doit apporter un "plus" dans le service de nos concitoyens ?

Partout, nous devons rechercher le meilleur échelon pour l'efficacité de la démocratie. Il n'est écrit nulle part qu'une répartition uniforme des compétences et des responsabilités sur tout le territoire national soit la meilleure garantie d'une gestion publique performante, l'expérience prouve même le contraire.

C'est à tout cela que peut servir le droit à l'expérimentation, à condition toutefois de ne pas, là encore, se tromper sur ce qu'il doit être.

Cela signifie que doit être refusée toute forme d'expérimentation qui permettrait à une assemblée locale, par exemple, de faire obstacle à la loi votée par le Parlement en lui substituant une loi locale. Je l'ai dit et je le répète : en France, la loi doit être la même pour tous sur tout le territoire.


Nous devons enfin conforter le rôle du Sénat dans la représentation des collectivités territoriales.

Les Français sont très attachés au Sénat, beaucoup plus que les socialistes ne le croient. A trop vouloir rapprocher sa composition de celle de l'Assemblée Nationale, l'équilibre qui le caractérise entre le principe territorial et le principe démocratique, finirait par se rompre. Ne portons surtout pas atteinte à la raison d'être du Sénat, c'est-à-dire à la représentation équilibrée des collectivités territoriales. Soyons au contraire ouverts aux améliorations qui permettraient de renforcer la place des départements et des régions à côté de celle des communes.

Je souhaite que le Sénat puisse jouer un rôle particulier pour garantir l'autonomie financière des collectivités territoriales et pour évaluer les expériences conduites par celles-ci au titre du droit à l'expérimentation. Plus que jamais, il devra être le protecteur des libertés locales.




Forte de ce nouvel ancrage constitutionnel, notre démocratie locale pourra évoluer vers un plus grand dynamisme.


L'affirmation d'une démocratie des territoires, démocratie de proximité, d'engagement et d'action, constitue une chance historique de faire accomplir par l'Etat l'effort de transformation radicale de ses structures et de ses méthodes qui créera les conditions d'une bonne gouvernance pour le XXIème siècle. Affirmation du pouvoir territorial et modernisation de l'Etat sont en effet deux composantes d'une même volonté de faire évoluer le service public dans l'intérêt de nos concitoyens.

La récente réforme de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances, qui introduit dans la gestion publique les notions d'objectif chiffré et d'évaluation des résultats, y contribuera également.

Les attributions régaliennes de l'Etat, et notamment la sécurité, ne sont pas en cause, bien sûr, pas plus que ses missions de solidarité et ses compétences pour la conduite des grands services publics, comme l'éducation ou les hôpitaux. Ces prérogatives essentielles mises à part, il convient, au sein de la sphère publique, de réserver à chaque collectivité les fonctions qu'elle peut le mieux assumer. Il revient à l'Etat de borner son propre rôle à ce qu'il est le seul à pouvoir accomplir. Cela n'implique certes pas un Etat faible, mais bien au contraire un Etat réorganisé qui pourra affirmer avec plus de force une véritable autorité. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

L'Etat restera le garant du respect du droit par toutes les autorités locales et le garant de l'impartialité des politiques publiques.

Il assurera l'égalité par une juste et raisonnable péréquation des ressources entre collectivités riches et pauvres, afin qu'il n'y ait pas en France de territoires délaissés et de citoyens privés de services essentiels.

Il sera un lien et un facteur d'unité entre collectivités publiques. Mais il devra désormais pleinement respecter les compétences de chacun, accepter d'inscrire son action dans des logiques de dialogue, de conseil et de contrat et respecter sa parole.

A l'issue des transferts de compétences auxquels il procédera, les administrations centrales devront n'avoir conservé que des tâches de conception, d'impulsion, de coordination et d'évaluation.

Chaque ministre sera personnellement responsable de la définition et de la mise en oeuvre sur cinq ans du plan de réforme de ses services. Ce plan devra avoir été approuvé par le Parlement dans l'année qui suivra la formation du nouveau gouvernement après avoir été discuté avec les personnels et les représentants des usagers, dans un dialogue social renouvelé. Les crédits de fonctionnement de chaque ministère en dépendront.

Par ailleurs, l'Etat devra apprendre à déléguer à des collectivités élues l'exécution de politiques dont il entend conserver la responsabilité.

Nous sommes habitués à raisonner en fonction de catégories anciennes, avec d'un côté la décentralisation, pour tout ce dont l'Etat accepte de se dessaisir, et de l'autre la déconcentration, pour les missions dont il entend garder la maîtrise mais qu'il admet devoir exercer au plus près des réalités.

Il est temps de raisonner autrement.

Le principe de délégation est particulièrement adapté à notre temps. Il ne s'agit pas de déléguer des politiques mais seulement leur mise en oeuvre, pour introduire une gestion de proximité plus adaptée aux besoins et aux réalités, plus souple dans ses moyens, plus efficace, plus économe des deniers publics, et sans doute aussi plus facile à évaluer.

L'un des bons exemples de délégation nécessaire serait celle de la gestion des fonds européens. Dans les mains de l'Etat, le système actuel ne permet pas d'utiliser les crédits disponibles et conduit à rendre à Bruxelles des centaines de millions d'euros inutilisés.

La délégation est bien préférable à la déconcentration qui conduit l'Etat à entretenir à chaque échelon local des services qui doublonnent ceux des collectivités territoriales, comme c'est le cas par exemple en matière sociale ou pour la formation professionnelle.

Naturellement, cela suppose aussi une délégation de ressources. C'est un véritable contrat qui devra être conclu et là encore l'Etat devra respecter sa signature, ce qu'il ne fait pas toujours.

Ainsi se fera progressivement l'apprentissage d'une nouvelle gouvernance pour notre siècle.


On a souvent dénoncé l'enchevêtrement des collectivités locales, leur empilement et leur nombre excessif. 36 000 communes là où quelques milliers suffisent à nos grands voisins, 100 départements, 22 régions métropolitaines, dont aucune n'atteindrait la masse critique des autres régions européennes, plus nos collectivités d'outre-mer, sans compter bien sûr la multiplication de structures intercommunales à vocation de plus en plus générale.

Il y a quelque raison à voir ce phénomène de manière critique : bien des collectivités se plaignent de ne pas avoir les moyens de répondre aux besoins de la population. Leur interdépendance s'est traduite, notamment du fait des financements croisés, par l'apparition de tutelles qui ne disent pas leur nom. On ne sait plus qui est responsable de quoi, au risque de faire reculer la transparence dont toute démocratie a besoin.

Pourtant, fruit d'une longue histoire, notre système a aussi ses vertus. Réformons notre système, mais préservons ses vertus ! Et, croyez moi elles sont grandes pour ne pas dire immenses. Méfions-nous des excès d'un esprit cartésien qui nous a parfois joué de bien mauvais tours. Soyons raisonnables et pragmatiques.

Demandons-nous si, dans un pays profondément marqué par cette forme insidieuse d'absolutisme républicain qu'est la centralisation, il n'y a pas aussi quelque avantage à compter par centaines de milliers les élus locaux, directement au contact avec nos concitoyens, disponibles pour jouer leur rôle de médiateurs, intermédiaires entre les Français et les pouvoirs, acteurs engagés dans la vie associative, prêts à donner l'alerte des difficultés et des mécontentements et exercés à rechercher des solutions pratiques.

Au moment où chacun s'accorde à vanter les avantages d'une démocratie de proximité, pourquoi faudrait-il parce qu'on le ferait ailleurs affaiblir cette démocratie en faisant disparaître les communes au profit de leurs communautés et les départements au profit des régions ? C'est absurde et déraisonnable.

Cette arrière-pensée s'inscrit en réalité dans le prolongement d'une pratique étatiste. Elle est dans la logique du programme socialiste. Je la combats et, avec moi, je vous demande de lui faire échec avec détermination.

La commune demeure la première école du " vivre ensemble " et de la démocratie. Les départements se sont imposés comme une collectivité de proximité incontournable, irremplaçable, notamment en matière d'aide sociale, d'infrastructures routières ou d'enseignement secondaire. Je veux défendre leur vocation propre.

Il y a des problèmes, c'est certain, mais il faut les résoudre autrement.

Nous savons bien que beaucoup de nos communes sont trop petites pour assumer des responsabilités qui ne cessent de croître, tandis que leurs regroupements peuvent éloigner de nos concitoyens les décisions qui les concernent. Nos départements peinent à définir leur place dans les grandes agglomérations, qui constituent un bon échelon de gestion des services publics et des prestations sociales, et les régions, qui jouent un rôle croissant dans l'animation économique ont besoin également d'être renforcées.

Un besoin de clarification se fait sentir. Il faut donner à chacun, pour les décennies à venir, le rôle le plus utile au service de l'intérêt général.

Je propose que soient définis deux nouveaux pôles d'action formés, sur une base volontaire : l'alliance des communes et de leurs groupements d'une part, l'alliance des départements et des régions d'autre part naturellement sur une base strictement volontaire. C'est à mes yeux, dans le respect de l'identité, de l'égalité et de l'autonomie de chaque collectivité, une voie qu'il faut explorer pour l'avenir.

Trois principes simples devront nous guider et inspirer les accords entre collectivités.

Toute collectivité devra bénéficier de ressources fiscales propres, et il devra en aller ainsi en particulier des agglomérations et des régions.

En second lieu, les compétences devront toujours être exercées à l'échelon de la plus forte proximité possible. Le principe de subsidiarité doit toujours s'appliquer.

Enfin, entre collectivités qui sont toutes d'égale dignité et d'égale légitimité, je tiens à insister sur la nécessité du contrat. Les nouveaux pôles ne devront en aucun cas reconstituer en leur sein des rapports de tutelle. A défaut d'accord, la loi continuera à fixer la répartition des compétences, comme elle le fait aujourd'hui.


Pour être pleinement efficace, ce renforcement de la démocratie locale exigera que soit enfin adopté le statut de l'élu que chacun attend depuis des décennies : la limitation du cumul doit avoir pour contreparties une rémunération, des droits sociaux et des garanties professionnelles à la hauteur des exigences que fait peser sur les élus le poids croissant de leurs responsabilités.




Mes Chers amis,

Un peuple comme le peuple français, qui porte aujourd'hui près de 70 % de ses enfants au baccalauréat, dont les entreprises remportent chaque jour de nouveaux succès sur les marchés internationaux, et qui aspire à se situer aux avant-postes des technologies de l'information, un peuple chargé d'histoire et de culture, dont les traditions démocratiques sont parmi les plus solidement établies au monde, ce peuple-là doit refuser les excès de l'étatisme et organiser un meilleur partenariat entre les pouvoirs.

Il doit affirmer son exigence d'autonomie, de dialogue et de participation. Il doit exiger que sa capacité d'initiative et son esprit d'innovation soient pleinement reconnus. Et il doit faire toute leur place aux libertés régionales et locales. C'est le pari de la confiance. C'est le pari de l'intelligence.

Et c'est la condition d'un meilleur service rendu aux Français, mieux adapté à leurs besoins, tenant mieux compte de leurs idées, plus ouvert à leurs propositions et à leurs initiatives. Car la force d'une démocratie, ce ne sont pas seulement les libertés et le suffrage universel, c'est aussi la capacité à apporter des réponses efficaces aux attentes multiples des citoyens, et d'agir utilement pour le bien commun. Pour retrouver cette puissance d'efficacité de la démocratie, je veux revenir aux sources de la République en rapprochant de leur lieu de vie toutes les décisions qui concernent la vie quotidienne de nos concitoyens.

C'est dans cette voie que je propose aux Français de s'engager avec vous. Non pas comme le fait frileusement le candidat du parti socialiste par quelques mesures de décentralisation et de déconcentration. Mais en repensant hardiment l'architecture des pouvoirs dans un projet global et cohérent, par la modification du Titre XII de la Constitution.

Les Français devront naturellement être consultés par référendum sur cette réforme essentielle. C'est de l'avenir de leur démocratie qu'il s'agit.

J'ai la conviction que là où ils habitent, ils sont prêts à prendre de nouvelles responsabilités pour améliorer leurs conditions de vie et exercer pleinement leur citoyenneté. Je suis sûr qu'ils y aspirent. Le nécessaire renouveau de notre démocratie passe par leur engagement.

Mes Chers Amis, j'ai été heureux de pouvoir vous donner ma vision des choses pour l'avenir, dans ce domaine essentiel qu'est l'Administration de notre territoire dans une France à la fois modernisée et affirmée, rassurée, assurée elle-même de son avenir et de sa puissance dans le monde de demain.

Je vous remercie d'être venus nombreuses et nombreux et je vous sais gré d'être là et de m'apporter votre soutien.

Vive la République ! Vive la France !





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