Discours du Président de la République au Space de Rennes.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au Space de Rennes.1

Rennes, Ille-et-Vilaine, le mardi 11 septembre 2001

Monsieur le Président LEMÉTAYER, Monsieur le Maire, Monsieur le Ministre PATRIAT, Messieurs les Présidents du Conseil régional et général, Messieurs les Ministres nombreux ici et que je salue amicalement, Mesdames et Messieurs les Parlementaires et les Elus, Mesdames, Messieurs,

La visite que je viens de faire, grâce à vous, Monsieur le Président, et les échanges que j'ai eus avec beaucoup d'entre vous, rapides mais denses, m'ont impressionné. J'ai bien senti, comme l'évoquait tout à l'heure le Président, le souffle d'une passion, celle des agriculteurs pour leur métier. Une fois de plus, vous avez réussi à démontrer votre mobilisation pour répondre aux difficultés de l'agriculture et de ses industries de transformation.

Cette édition du SPACE restera comme une vitrine exceptionnelle du secteur agroalimentaire français.

Lorsque vous m'avez invité, Monsieur le Président, à venir l'inaugurer, j'ai naturellement accepté. J'ai accepté en raison de la réputation professionnelle et internationale de ce salon, qui attire plus de cent mille visiteurs. J'ai accepté parce que la Bretagne est une région agricole puissante, où l'agriculture et l'agroalimentaire jouent un rôle économique et social probablement sans équivalent dans d'autres régions de France. Les Bretons ont fait preuve, au cours de ces dernières décennies, d'un dynamisme, d'un esprit d'entreprise et d'une ténacité exemplaires qui ont permis de hisser l'agriculture bretonne au plus haut niveau.

Mais j'ai accepté aussi parce que je voulais vous entendre et parce que je voulais vous parler. Notre politique agricole va au-devant, de rendez-vous importants. L'agriculture est aujourd'hui un enjeu national qui doit mobiliser toute notre attention et celle de l'ensemble des Français.

Au cours des dernières années, les crises se sont succédées. De nouveaux risques sont apparus. De nouvelles hantises aussi, pour vous comme pour les consommateurs. Elles ont pour nom vache folle, fièvre aphteuse, OGM, atteintes à l'environnement et d'autres encore. Eh bien, ne craignons pas d'en parler.

Par la rapidité de leur développement et leurs conséquences sur les équilibres naturels, les nouvelles techniques inquiètent, c'est vrai. Les progrès et les risques se répandent si vite qu'à tout moment ils peuvent nous dépasser.

Il ne s'agit pourtant pas d'arrêter le progrès, gage de nouveaux acquis pour la qualité des produits, pour la santé des consommateurs, pour le niveau de vie de tous. Mais il s'agit d'en rester maîtres.

Désormais, la confiance des consommateurs devra être continuellement conquise et reconquise.

Or, dans le même temps, la concurrence est devenue plus forte sur les marchés internationaux, et les incertitudes augmentent sur les évolutions de la politique agricole commune et les négociations internationales. Le Président LEMÉTAYER l'a parfaitement défini tout à l'heure.

Comment s'étonner dans ces conditions que les paysans, qui n'ont pas vu leurs revenus progresser au même rythme que ceux des autres Français, aient aujourd'hui, en quelque sorte, un peu le tournis ? Ils savent entendre les critiques, mais ils aimeraient aussi être écoutés, aidés, compris, car ils ont consenti des sacrifices importants. Ils ont produit et continuent à produire un effort d'ajustement que peu de secteurs de l'économie peuvent revendiquer. Et ils connaissent d'importantes difficultés, particulièrement depuis les deux dernières années.

C'est dans ce contexte que je veux vous faire part ce matin de mes réflexions sur la place de l'agriculture dans notre pays.

Oui, la politique agricole doit évoluer, comme toutes les politiques. En France, comme au niveau communautaire, de profondes réformes ont déjà été engagées au cours des vingt dernières années. Mais dire qu'il faut réformer ne signifie pas qu'il faudrait cesser d'être fiers de ce qui a été fait. Nous devons au contraire le revendiquer.

Après la Seconde Guerre mondiale, la France et l'Europe ont dû relever des défis majeurs, comme la sous-alimentation et la dépendance alimentaire. On l'oublie trop souvent, les Français ont alors connu une période de rationnement aussi drastique que pendant l'Occupation. C'est pourquoi une politique agricole destinée à rendre à la France son autonomie alimentaire a été mise en place. Cette politique a été assumée par les paysans de l'époque et a été assumée avec succès dans l'intérêt de tous les Français.

Ayant acquis leur autosuffisance, la France et l'Union européenne sont ensuite devenues des puissances agroalimentaires à l'échelle mondiale. La capacité exportatrice qu'elles ont conquise est essentielle pour le revenu des agriculteurs. Elle confère aussi à l'Europe, et à la France qui demeure le principal pays agricole du continent, une force économique et politique de première importance dans les échanges internationaux.

Cette force est le résultat du travail et de l'engagement des agriculteurs. Elle est le résultat de restructurations souvent douloureuses et de l'effort national qui a accompagné notre révolution verte.

Ces acquis sont considérables. Ils doivent être préservés. C'est le socle sur lequel nous pourrons construire pour défendre l'environnement, garantir la sécurité sanitaire des aliments, corriger les excès de l'industrialisation, et renforcer la fonction d'équilibre que remplit l'agriculture au coeur même de notre société.

Relever tous ces défis, c'est retrouver les voies d'une agriculture de confiance.

Aujourd'hui comme hier, la production agricole est au coeur des intérêts des Français.

Cela est dû d'abord à la place particulière qu'elle tient dans notre identité nationale et à la manière dont elle a façonné les paysages et les traditions de notre pays. Mais il ne s'agit pas seulement de notre héritage historique.

L'agriculture appartient plus que jamais à l'avenir de la France. Elle est l'une des composantes de notre puissance. Elle demeure l'un de nos principaux atouts. Elle occupe d'ailleurs une place croissante dans les préoccupations de chaque Français, qu'il s'agisse de son alimentation, de sa santé, de ses références culturelles, de son cadre de vie, de son environnement.

Chacun connaît mon profond attachement à l'agriculture française et aux paysans français. Cet attachement m'autorise à vous dire ma conviction que la place des agriculteurs dans notre société, qui est et qui restera essentielle, dépendra de plus en plus de leur capacité à relever les défis de l'environnement.

Si les pollutions agricoles se sont incontestablement aggravées, il est clair que c'est d'abord en raison de la pression économique exercée sur les producteurs. La dégradation de l'organisation des marchés et l'engrenage sans fin des baisses de prix portent une grande part de la responsabilité. C'est pourquoi je refuse que l'on jette une quelconque opprobre sur les paysans. Depuis toujours, par culture et aussi par nécessité, ils ont assuré le renouvellement des ressources naturelles.

Mais les réalités sont là. Il faut impérativement restaurer nos équilibres environnementaux. Cela doit se faire avec les professionnels, avec les agriculteurs et non contre eux, dans la concertation, avec l'aide des pouvoirs publics sans laquelle il n'y a pas de solution possible, et je parle de l'aide financière, avec aussi l'engagement de tous les acteurs de la chaîne agro-alimentaire, y compris la grande distribution qui porte aussi sa part de responsabilité par les pressions qu'elle exerce, excessives souvent. C'est un effort indispensable. Il est d'intérêt national.

Nos choix de politique agricole ne sont pas seulement des choix techniques ou économiques, ce sont des choix de société, des choix qui mettent en jeu notre cohésion nationale. Une politique agricole ambitieuse n'est pas seulement nécessaire pour nos agriculteurs ; elle l'est pour la France et pour l'ensemble des Français.

Notre agriculture va devoir franchir une nouvelle étape, de nouveaux obstacles. En contrepartie, de nouvelles garanties devront lui être apportées. Ainsi pourra s'établir un nouveau contrat de confiance entre la Nation et ses paysans.

Et cette confiance sera bien placée car, l'histoire et l'expérience le montrent, il n'est pas d'activité qui ait été capable de plus grands changements, de plus grandes modernisations, aussi rapides que l'agriculture.

Les agriculteurs vont devoir répondre à trois attentes essentielles : la sécurité sanitaire, le respect de l'environnement, la sauvegarde de l'équilibre de nos territoires.

Ces objectifs ambitieux peuvent être atteints si nous savons libérer les capacités d'initiative de chaque agriculteur et profiter des prochaines années pour redéfinir une politique européenne qui protégera et améliorera leur revenu, c'est là le point essentiel.

Il ne peut y avoir d'agriculture écologiquement responsable qui ne soit en même temps économiquement forte.




Garantir la sécurité alimentaire pour tous et l'accès aux produits de qualité doit être notre première priorité.

Dans cet esprit, la France, pendant sa présidence de l'Union européenne, a obtenu la création d'une Agence européenne de sécurité alimentaire.

Les crises alimentaires que nous connaissons, et en particulier la crise de la "vache folle", n'ont pas seulement répandu une angoisse compréhensible parmi les consommateurs, elles ont aussi profondément atteint, sur le plan matériel mais également psychologique, les agriculteurs. Fragilisés économiquement et moralement, les éleveurs se retrouvent seuls, en butte à la méfiance, sans toujours rencontrer du côté de l'État la solidarité et les soutiens qu'ils escomptaient à juste titre. Nous ne pouvons laisser durer cette situation. De nouvelles mesures de dégagement du marché, comme l'évoquait tout à l'heure le Président LEMÉTAYER, doivent être mises en oeuvre et très rapidement. Un véritable plan de soutien aux éleveurs est devenu totalement indispensable.

Mais la crise de l'élevage remet aussi en question la quête permanente de prix toujours plus bas à la production.

La sécurité a un coût. Chacun devrait être prêt à le partager. Elle ne peut s'accommoder de marchés agricoles complètement dérégulés.

Sur l'ensemble de la chaîne qui relie le producteur au consommateur, les stratégies commerciales se sont traduites par une pression démesurée sur les prix agricoles. Pour garantir la sécurité des aliments, nous devons arrêter la course à la baisse des prix. C'est une course où il n'y a que des perdants. Ces stratégies doivent changer. Nous pourrons ainsi -car c'est une vocation française- viser l'excellence par une politique de qualité, et nous pourrons nous engager plus fortement dans l'agriculture biologique où nous avons pris du retard.


Dans un même esprit de sécurité, la promotion d'une agriculture "écologiquement responsable" doit être privilégiée.

Les efforts réalisés par les agriculteurs pour mieux répondre aux préoccupations environnementales doivent être reconnus et encouragés, qu'il s'agisse de la protection des eaux et des paysages, de la lutte contre les inondations, de l'entretien de l'espace rural, du bien-être animal ou d'un usage plus raisonné des pesticides et de l'irrigation.

Mais il faut aussi aller plus loin. Des solutions existent aujourd'hui pour remédier aux pollutions d'origine agricole. J'ai pu constater, au cours de ma visite, l'importance des initiatives allant dans ce sens. Dans cette région particulièrement concernée par le problème des nitrates, des dispositifs innovants sont testés et progressivement mis en place. Puisque ces solutions sont efficaces, leur développement doit être accéléré. Je souhaite qu'un programme prioritaire d'action sur cinq ans soit établi, en concertation avec le Conseil régional et les Conseils généraux, pour que ces pollutions puissent être définitivement résorbées à l'horizon de l'année 2006.

Plus globalement, un processus progressif de qualification environnementale et sanitaire de toutes les exploitations agricoles doit être engagé. Je suis convaincu que les agriculteurs y sont prêts et qu'ils préféreront cette approche volontaire à celle d'une accumulation dramatique de réglementations de plus en plus complexes, voire contradictoires et souvent obsolètes. La qualification environnementale et sanitaire devrait être prise en compte pour l'octroi des aides nationales et communautaires.

Je crois utile aussi que nous révisions nos procédures d'aménagement foncier. Sans tomber dans le travers de certaines critiques très exagérées, nous pouvons envisager des modes d'aménagement foncier moins radicaux et substituer au remembrement tel qu'il fonctionne aujourd'hui des procédures d'aménagement moins lourdes et, de ce fait, mieux acceptées, par tous.

Enfin, la contribution de l'agriculture à la protection de l'environnement devra se manifester grâce aux biocarburants.

"Énergie cultivable" et de ce fait renouvelable, les biocarburants doivent devenir d'un usage banal. Techniquement, plus rien ne s'y oppose. La loi sur l'air de 1996 a prévu l'obligation d'incorporer des bio-carburants à l'essence et au gasoil. Trop longtemps différée, cette obligation doit être appliquée. Une fiscalité incitatrice et des réseaux de distribution adaptés permettront aussi de progresser plus rapidement dans le développement des carburants verts. C'est essentiel pour notre environnement, pour notre agriculture et pour diminuer notre dépendance énergétique.


Au-delà des enjeux sanitaires et écologiques, faire des choix de politique agricole, c'est aussi agir directement sur les paysages de notre pays et sur la qualité de l'espace dans lequel vivent les Français, qu'ils habitent à la ville ou à la campagne. C'est imprimer des orientations riches de conséquences pour plus de la moitié de notre territoire et en particulier pour des régions au patrimoine culturel et touristique exceptionnel, notamment en montagne ou sur le littoral. Aucune autre politique ne présente un tel enjeu à la fois social, territorial et environnemental.

Nous devons reconnaître pleinement le rôle de l'agriculture pour la mise en valeur du territoire et assurer sa viabilité économique. Il serait vain d'orienter les producteurs vers des activités connexes dont la pérennité dépendrait d'aides qui ne seraient pas naturellement durablement garanties. Le revenu des agriculteurs doit d'abord être le résultat de leur production et de leur présence sur des marchés solvables. L'avenir n'est pas à une agriculture paysagère. Elle ne correspondrait pas à la réalité agricole de notre pays. Paysagère aujourd'hui, notre agriculture serait contemplative demain et notre espace agricole deviendrait de plus en plus stérile.

Peut-on dire que les contrats territoriaux d'exploitation, mis en place en 2000 constituent un instrument durable de politique agricole alors que moins de dix pour cent de l'objectif annoncé a été atteint ? C'est une question que l'on doit se poser.

À l'avenir, je souhaite que l'on recherche des solutions collectives à long terme plutôt que des solutions individuelles temporaires pour conforter le revenu des agriculteurs et favoriser le développement rural. Dans le même esprit, il faudra revoir les modalités de la modulation dite "à la française", qui a agi comme un véritable prélèvement sans que son caractère redistributif joue réellement.

Les contrats territoriaux d'exploitation n'ont pas non plus apporté de solution aux tensions nouvelles qui apparaissent autour de l'usage du sol. Les relations entre les propriétaires de l'espace agricole ou forestier et les usagers de cet espace -touristes, randonneurs, chasseurs, pêcheurs- sont parfois conflictuelles. Elles doivent être clarifiées et apaisées, dans le respect de tous ceux qui ont des droits à faire valoir. Il faut le faire avec le souci de préserver les équilibres économiques, sociaux et territoriaux du monde rural. Celui-ci doit rester un espace vivant, respectant les modes de vie de ceux qui l'habitent toute l'année.




Sécurité alimentaire, lutte contre les pollutions, mise en valeur de notre territoire : ces exigences formeront le premier volet du pacte de confiance, la première partie du contrat. Pour la remplir, les agriculteurs doivent se voir proposer des contreparties adaptées.

Il s'agit d'abord de libérer et d'encourager leurs capacités d'initiative, individuelles ou collectives. Cela passe par une remise en cause des contraintes administratives, d'une lourdeur très excessive, auxquelles les agriculteurs sont soumis. Une simplification s'impose d'urgence. Et elle doit profiter à toutes les exploitations.

Respecter la capacité d'initiative des agriculteurs, c'est aussi veiller à ce que l'introduction de normes sanitaires ou environnementales nouvelles s'accompagne de la suppression d'autres réglementations dont l'utilité n'est plus avérée. Je pense, en particulier, à certains éléments de la politique des structures qui apparaissent très décalés, voire contradictoires, avec les nouvelles réalités.

Il est devenu indispensable de construire un véritable droit économique de l'entreprise agricole grâce à la création de la notion juridique de "fonds agricole", sur le modèle du "fonds de commerce". Ainsi, la valeur des entreprises agricoles correspondra à leur réalité économique et leur transmission en sera naturellement facilitée.

Ces orientations devront être largement débattues avec la profession parce qu'elles remettent en cause un ordre et des habitudes établis depuis très longtemps.

Une question méritera un débat particulier, c'est celle de l'installation des jeunes. Au cours des dix dernières années, nous avons perdu 40 % de nos agriculteurs. En Bretagne, cette baisse atteint 50 %.

Ce phénomène s'explique en partie par la diminution d'un tiers du nombre des installations depuis 1998. Il est dû aussi au départ de nombreux agriculteurs âgés, ce qui nous renvoie au problème difficile des retraites agricoles, dont le niveau reste encore aujourd'hui en deçà des objectifs annoncés. Les promesses qui ont été faites devront être tenues. La parité avec les autres secteurs d'activité doit être assurée. Le plus tôt sera le mieux pour répondre aux demandes des deux millions de retraités agricoles qui attendent la reconnaissance de leur travail passé.

Sur un autre plan, le départ de nombreux exploitants âgés conduit à un rajeunissement de la population agricole, renforçant le dynamisme de notre agriculture et aussi sa capacité d'adaptation. En diminuant fortement le nombre des agriculteurs, il a permis d'éviter des baisses importantes du revenu individuel au cours des dernières années. Mais désormais, ce facteur, chacun le voit, jouera beaucoup moins.

L'évolution du revenu de la "ferme France" devra donc être surveillée beaucoup plus attentivement que par le passé : c'est la clé de la relance d'une politique d'installation dont le principal moteur doit demeurer la capacité des jeunes agriculteurs à dégager un revenu de leur activité sur des marchés qui rémunèrent équitablement leur travail.

Les jeunes agriculteurs et vous-même, Monsieur LEMÉTAYER, avez à juste titre alerté les responsables politiques sur ce point crucial.

Au-delà de la dynamique que peut créer cette relance de la politique d'installation, le développement de la filière agricole nécessite aussi qu'elle puisse bénéficier du travail de nos chercheurs.

S'agissant des organismes génétiquement modifiés dont on parle beaucoup aujourd'hui, Il est normal, il est nécessaire que des recherches soient poursuivies. Ces recherches sont porteuses de nombreux espoirs sur les plans alimentaire, notamment pour ceux qui ont faim dans le monde, thérapeutique, voire écologique. Mais ces recherches, parce qu'elles sont aussi source d'inquiétude, doivent être conduites en toute transparence et selon des règles de précaution éthiques et scientifiques admises par tous.

Les expérimentations sont déjà réglementées. Les ministres compétents autorisent les essais après l'avis d'une Commission scientifique qui évalue les risques. Je pense cependant qu'il faut aller plus loin pour rassurer ceux qui ont besoin de l'être, en s'inspirant des règles applicables à l'expérimentation et à la mise sur le marché des médicaments.

Mais je tiens à dire que les actions de destruction sauvage conduites ces dernières semaines ne sont pas admissibles et doivent être fermement condamnées. Nous sommes dans un état de droit. Rien ne peut justifier que quelques-uns s'arrogent le droit de saccager la propriété des autres pour faire valoir leurs arguments. On ne peut accepter de tels comportements. Ils doivent être poursuivis et sanctionnés.


Dans le même temps, nous devons conforter une politique européenne de long terme garantissant le revenu des agriculteurs et l'équilibre économique de leur activité.

L'agriculture restera toujours soumise à de fortes variations parce qu'elle mobilise des capitaux importants, parce qu'elle repose sur les cycles du vivant et parce qu'elle est exposée aux aléas climatiques. Sans régulation, les marchés agricoles ne peuvent assurer un équilibre harmonieux entre l'offre et la demande. C'est impossible.

Les conditions de l'activité agricole justifient donc une politique particulière, permettant aux exploitants de dégager un niveau de revenu suffisant et stable. Ce n'est pas seulement une protection pour les producteurs, c'est aussi une assurance pour les consommateurs.

C'est à cette difficulté que, depuis maintenant quarante ans, la politique agricole commune apporte une réponse. Une réponse souple et adaptée, qui a évolué dans le temps, qui a eu des hauts et des bas, du bon et du mauvais, mais qu'il est vital de préserver.

Nous ne pourrions accepter que la poursuite de la construction européenne néglige la politique agricole véritablement communautaire, la seule politique véritablement communautaire, que l'Europe ait su définir jusqu'à ce jour.

Il ne faut pas aller trop loin dans les directions ouvertes en 1992, au risque de déstabiliser les fondements de la politique agricole commune.

La préférence communautaire est et doit rester au coeur de l'Europe agricole. C'est l'intérêt et l'existence même de la politique agricole commune qui sont ici en jeu. Ou bien celle-ci continue son évolution vers davantage de dérégulation, ou bien nous nous attachons à défendre sans complexe une véritable politique européenne, parce que nous considérons que nous avons de bonnes raisons de le faire.

Mon choix, c'est celui de la cohérence, de la cohésion, de l'identité et du projet européens. C'est une ambition pour l'agriculture, mais aussi pour l'Europe.

Je regrette que cette ambition ne soit pas davantage partagée au niveau européen et que la politique agricole soit si souvent malmenée, au risque de lâcher la proie pour l'ombre, dans des débats internes mal posés ou dans des négociations internationales mal maîtrisées.

L'hypothèse d'une réforme anticipée, qu'évoquait tout à l'heure le Président LEMÉTAYER, de la politique agricole commune ayant été avancée, je voudrais ici rappeler la position française car c'est un point capital pour l'avenir de notre économie agricole.

Les accords de Berlin ont fixé le régime en vigueur jusqu'en 2006. Il faut l'appliquer. D'ici là, des adaptations de la politique agricole commune sont possibles pour améliorer la sécurité alimentaire et favoriser le développement rural, mais dans le cadre de ce compromis de Berlin, et dans ce cadre uniquement. Évidemment utiles et souhaitables, les réflexions préparatoires sur l'après-2006 peuvent et doivent commencer, mais à condition qu'aucune ambiguïté ne subsiste sur ce point.

Cette position est motivée par plusieurs raisons que chacun doit comprendre :

- Comme tous les entrepreneurs, les agriculteurs ont besoin de stabilité. Les règles de Berlin ont été fixées pour six ans. Il ne saurait pas être acceptable de les remettre en cause avant 2006.

- Nul par ailleurs on ne voit se dessiner de projet alternatif sérieux car les pays qui plaident pour une réforme radicale de la politique agricole commune ont des objectifs totalement contradictoires : libéralisme accru pour les uns, " tout biologique " pour les autres. Mais surtout volonté clairement affirmée de payer moins pour la plupart.

- De même, une réforme anticipée de la politique agricole commune en 2003 retarderait -et nous devons le dire- le processus d'élargissement. Comment pourrait-on définir l'acquis communautaire et le faire reprendre par les pays candidats si nous ne savons pas quel est cet acquis parce que nous le redéfinirions vers 2003.

- Un débat interne prématuré à l'Europe placerait celle-ci en situation de faiblesse dans les prochaines négociations commerciales internationales. Nous devons dire clairement qu'il ne peut pas y avoir de préalable agricole au début des négociations. Nous serions naturellement en position de faiblesse si nous étions en pleine remise en cause de notre politique agricole commune européenne.

- Enfin, il y a la réalité américaine. La nouvelle administration américaine a annoncé solennellement que fin 2002 serait adoptée la nouvelle loi pour favoriser l'agriculture qui commencera donc à avoir ses effets en 2003 et dont nous ne connaissons pas les modalités, mais dont il est évident qu'elles se traduiront pas une nouvelle aide directe considérable aux fermiers américains. Comment pourrait-on, nous, modifier notre système européen de politique agricole commune si nous ne savons pas quelles seront les conditions d'exploitation et d'exportation de notre principal partenaire ? Tout cela n'est pas raisonnable.

Je constate aussi que le thème du cofinancement, rejeté, non sans mal, lors du compromis de Berlin, revient insidieusement dans les débats. Plus que l'agriculture, la question budgétaire demeure en effet la préoccupation majeure de la plupart de nos partenaires, avec en arrière-plan la remise en cause de la solidarité financière. Aujourd'hui, comme hier à Berlin, je refuse le cofinancement, parce que ce sont les principes de la politique agricole commune qui sont en cause et qu'on ne peut pas vouloir progresser dans la construction d'une Europe unie et commencer par renationaliser des politiques qui avaient le bénéfice et le mérite d'avoir été mis en place ensemble et en commun.

L'Europe forme un tout dans lequel les intérêts de chacun doivent être compris et respectés. L'agriculture est pour la France un témoin essentiel de la solidarité européenne.

En revanche, je crois que les politiques agricoles, française ou communautaire, doivent laisser une plus grande place à l'action des régions.

Plus diverse, plus hétérogène, l'Europe de l'élargissement ne se satisfera pas d'un modèle uniforme. Les réalités régionales devront être mieux prises en compte. Cette régionalisation évitera d'ailleurs les dérives bureaucratiques liées à toute centralisation excessive.

La France a intérêt à progresser rapidement dans ce sens. Parmi les cinq pays les plus peuplés de l'Union européenne, elle est la seule où les régions ont aussi peu de poids. En agriculture comme dans de nombreux autres domaines, nous devons donner du pouvoir aux régions. J'aurais l'occasion d'en reparler de façon plus générale.

Ayant évoqué l'Organisation mondiale du commerce, à quelques semaines du rendez-vous de Doha, je voudrais dire au Président LEMÉTAYER, que je souhaite aussi dire solennellement que si nous sommes prêts pour l'ouverture d'un nouveau cycle de négociation -un cycle large comme nous le souhaitions- nous n'accepterons aucune concession agricole qui serait un préalable à l'ouverture des discussions.

L'agriculture reste une pierre d'achoppement dans les négociations commerciales et l'on peut déjà prévoir une politique agricole commune qui sera une nouvelle fois mise en cause par ceux-là mêmes qui, sans aucun scrupule, ont multiplié par trois au cours de ces dernières années leurs aides directes agricoles, et ceci au risque d'entretenir artificiellement des prix bas sur le marché mondial. L'Union européenne et ses négociateurs ne devront pas rentrer dans le piège d'une négociation où notre politique agricole serait en quelque sorte prise en otage. Nous défendrons notre politique contre toutes les forces qui poussent vers la dérégulation, parce qu'il y va d'une agriculture de qualité, d'une agriculture de confiance et de sécurité pour le consommateur. Parce que c'est notre identité, parce que c'est le choix européen qui sont en jeu. Et parce que nous n'avons pas à payer d'acompte pour lancer une négociation.




Telles sont, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, les quelques réflexions un peu longues et je vous demande de m'excuser dont je souhaitais vous faire part. Nous sommes face à la nécessité de choix importants pour notre agriculture.

J'ai confiance dans la capacité des agriculteurs à répondre aux demandes de la société. Des efforts importants ont déjà été faits, ils doivent être poursuivis. Tous les progrès que nous ferons, nous ne pourrons les faire qu'avec les agriculteurs.

Je le sais, vous êtes prêts à vous faire les alliés du combat pour l'environnement. C'est particulièrement vrai chez les jeunes. Je souhaite que ce combat soit animé par une nouvelle conception de l'écologie, une écologie humaniste soucieuse de créer les conditions d'un progrès durable.

Nous pouvons relever le défi d'une agriculture écologiquement responsable, respectueuse des consommateurs et économiquement forte. C'est pourquoi j'ai confiance et c'est pourquoi je vous fais confiance.





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