Discours du Président de la République lors de l'ouverture du congrès des familles rurales.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, prononcé lors de l'ouverture du congrès des familles rurales.

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Angers, Maine-et-Loire le samedi 20 octobre 2001

Madame la Présidente, Monsieur le Président du Conseil Régional, Monsieur le Président du Conseil Général, Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames, Messieurs,

J'ai tenu à être parmi vous aujourd'hui dans une période où, je le sais, les préoccupations des familles sont particulièrement vives, qu'il s'agisse de la situation du monde, des incertitudes économiques et sociales ou des inquiétudes que chacun ressent à cause de l'insécurité et aussi des menaces terroristes.

Les institutions de la France sont fortes et vous pouvez compter sur l'engagement solidaire des autorités de l'État pour défendre à l'extérieur les intérêts de notre pays et assurer à l'intérieur sa sécurité.

Et comme toujours dans les moments d'interrogations, les Français se tournent tout naturellement vers la famille, parce qu'elle est un point fixe à une époque où tout est mouvement.

La famille, c'est vrai, Madame la Présidente? vous l'avez dit, est la plus belle des aventures. Elle apporte à notre humanité la dimension de l'amour et de la fraternité, une dimension indispensable à l'épanouissement de toute société. Elle est pour chaque personne la première des sécurités et aussi une source incomparable d'accomplissement personnel.

Les pères fondateurs de notre système de protection sociale l'avaient bien compris : aider les familles c'est le meilleur investissement que puisse faire une nation.

Cependant, au fil des années, la notion même de famille a évolué et les moyens de la politique familiale se sont, hélas, érodés. Cette politique est devenue probablement trop complexe. Aujourd'hui, elle ne répond que très imparfaitement aux difficultés de toutes sortes auxquelles sont confrontées les familles. Les Français attendent que notre politique familiale soit désormais inscrite au coeur de l'action publique.

Madame la Présidente, je suis particulièrement heureux de m'exprimer devant votre mouvement, que je connais bien et que je respecte.

Les Familles rurales sont attachées aux valeurs qui ont façonné le visage de notre pays : l'amour de notre terre de France, le respect et la solidarité entre les générations, le sens du progrès et de l'ambition collective.

Grâce à ses lieux d'accueil de la petite enfance, à ses services d'aide à domicile, à ses centres de vacances ou à ses foyers de jeunes et d'aînés, votre fédération est totalement engagée dans l'action au service des familles.

Vous symbolisez parfaitement ce qui doit inspirer le renouveau de la politique familiale c'est-à-dire la reconnaissance du rôle essentiel de la famille dans une société moderne, la nécessité d'aider toutes les familles à assumer pleinement leurs missions, et cela à tous les âges de l'enfant.


Plus que jamais, notre société a besoin des familles.

La famille est, chacun le sait, le lieu des apprentissages essentiels à la vie en société. Le respect de l'autre et de la collectivité, la prise de conscience des responsabilités de chacun à l'égard de tous, l'éducation à la citoyenneté se font d'abord au sein de la famille. Aucune institution, pas même l'école, ne pourra jamais la remplacer.

Quand la famille est en crise, quand l'autorité parentale est défaillante, quand l'enfant manque d'amour ou de respect, il est privé de repères et de protection et il devient vulnérable aux influences les plus néfastes. C'est alors qu'il risque de basculer dans l'inacceptable ou le drame. C'est alors que surgissent l'intolérance, la violence, ou la drogue.

La famille, c'est aussi le lieu privilégié d'expression de la solidarité face aux difficultés de la vie. Les solidarités collectives sont essentielles mais elles sont anonymes. Bien qu'indispensables elles ne pourront jamais se substituer à la famille. Combien de femmes et d'hommes confrontés au chômage, à la maladie ou à une période de détresse trouvent ou ont trouvé auprès de leur famille le soutien qui leur a permis de s'en sortir ? Combien de personnes âgées ont trouvé auprès de leurs enfants ou petits-enfants l'aide et la chaleur humaine dont ils ont besoin ?

La famille, c'est enfin la meilleure réponse aux questions que beaucoup se posent sur l'avenir de la France, sur notre avenir. Certes, notre taux de fécondité est remonté ces dernières années et la France est le pays où naît le plus grand nombre d'enfants en Europe. J'en suis comme vous très heureux car c'est le signe que les Français aiment la vie et ont confiance dans leur avenir. Cependant, les enquêtes nous montrent qu'un couple sur deux souhaite aujourd'hui avoir un enfant de plus, sans pour autant réaliser son rêve. C'est un extraordinaire gâchis sur le plan affectif et humain. C'est une réalité désolante pour notre pays. La France sera d'autant plus forte, d'autant plus créative, d'autant plus rayonnante dans le monde qu'elle pourra compter sur une jeunesse plus nombreuse. Notre économie y puisera un nouvel élan. Le renouvellement des générations sera assuré. Beaucoup des problèmes qui nous préoccupent, à juste titre, comme celui des retraites, deviendront d'autant moins lourds.

Mais les familles ne peuvent pas tout faire toutes seules. C'est la raison pour laquelle la politique familiale est essentielle.


La France ne peut pas se résigner à voir les moyens de sa politique familiale se réduire. Nous devons au contraire garantir la progression des ressources de la branche famille et appliquer scrupuleusement le principe fondamental de la Sécurité sociale qui veut que les excédents de la Caisse nationale d'allocations familiales ne puissent pas être préemptés pour le financement de politiques étrangères à la politique familiale, quel qu'en soit le bien-fondé. Nous connaissons tous les besoins des familles. Ils sont importants. Le principe doit être clair : les ressources de la branche, une branche qui est structurellement excédentaire, doivent être exclusivement consacrées à répondre à ces besoins.

Pour se moderniser, notre politique familiale doit être l'affaire de tous. De l'État et du mouvement familial, bien sûr, mais également des entreprises et des partenaires sociaux. Le temps est venu de dépasser le cadre de la seule conférence annuelle de la famille, que j'avais d'ailleurs instaurée en 1996. La modernisation de notre politique familiale a vocation à être aussi l'une des composantes d'un dialogue social renouvelé dans lequel le mouvement familial devra avoir toute sa place.

Notre politique familiale doit élargir ses moyens d'action. Cela passe par le développement des missions de prévention. C'est le cas dans le domaine de la santé où, par exemple, la période de la grossesse doit être un moment privilégié d'information de la mère sur certains risques graves pour l'enfant à naître tels que le tabagisme ou l'abus d'alcool.

Sans s'immiscer dans la vie privée, il convient aussi d'encourager la médiation familiale. Celle-ci n'a pas seulement vocation à agir sur les situations de conflit lors de séparations. Il lui faut tout autant répondre aux attentes des couples qui luttent pour surmonter une période difficile, pour éviter une rupture. La prévention est enfin essentielle dans le domaine de la protection de l'enfance où bien des drames pourraient être évités par une meilleure coordination de tous les acteurs et des réflexes d'alerte plus précoces. La violence faite aux mineurs, les violences sexuelles dont sont victimes des enfants, notamment en milieu scolaire, l'exploitation sexuelle d'enfants au coeur même de nos villes défigurent notre société. Nous devons l'éradiquer et cela est l'affaire de tous. Il faut que notre société prenne davantage conscience de ces drames et en débatte clairement. C'est pourquoi je suis favorable, je l'ai dit, à l'organisation d'états généraux de la protection de l'enfance.


La mobilisation pour la famille doit être aussi au service de besoins nouveaux. Je voudrais prendre un exemple : c'est l'articulation entre la vie familiale et la vie professionnelle.

Notre société a heureusement cessé depuis longtemps d'opposer le modèle de la femme au foyer et celui de la femme engagée dans une activité professionnelle.

C'est la raison pour laquelle, en utilisant les excédents de la branche, nous devons offrir aux familles des prestations adaptées à des besoins à la fois variables et évolutifs, sans privilégier un mode de garde par rapport à un autre et en évitant les solutions définitives, qui enferment au lieu de libérer.

Le moment est venu d'ouvrir, avec le mouvement familial et les partenaires sociaux, le chantier essentiel de la simplification des prestations familiales, notamment celles qui sont liées à la petite enfance, vous l'avez dit à juste titre, Madame la Présidente.

Notre politique familiale sera d'autant plus juste et efficace qu'elle s'appuiera sur des prestations moins nombreuses respectant pleinement le libre choix des familles.

La création de l'allocation unique d'accueil du jeune enfant, que la mère ait un emploi ou non, et quel que soit le mode de garde choisi, doit être un objectif. Je l'appelle avec force de mes voeux.

Encourageons aussi les entreprises à développer des politiques novatrices en faveur de leurs salariés. Je souhaite que partout où se concluront des accords améliorant l'articulation entre vie familiale et vie professionnelle, les entreprises soient aidées par les caisses d'allocations familiales et autorisées à déduire de leur impôt sur les sociétés une partie des sommes engagées. Il s'agirait de mettre en place, en quelque sorte, un "crédit d'impôt famille-entreprise" dont l'effet serait fort tant sur le plan matériel que le plan psychologique.


Mais une politique de la famille ambitieuse et moderne ne saurait se limiter au seul domaine des prestations. Elle doit prendre en compte l'ensemble des aspirations des familles.

La première de ces aspirations, c'est d'avoir réellement la liberté de choisir son lieu de vie. Face aux problèmes professionnels et aux contraintes de toutes sortes : de transport, de garde, d'études, de logement, nombreuses sont encore les familles vivant en zone rurale qui quittent ces régions pour rejoindre les villes. Votre mouvement a développé des services pour répondre à ce phénomène. Dans cette démarche essentielle vous devez être soutenus. La politique d'aménagement du territoire doit prendre en compte notre espace rural en tant que lieu de vie à part entière et non comme un espace résiduel, une sorte de réserve foncière et paysagère au service d'une urbanisation plus ou moins maîtrisée. Cette politique doit aussi favoriser le mouvement en sens inverse, de la ville vers la campagne, un mouvement qui se dessine déjà dans notre société.

Avec les collectivités locales et tous les acteurs de terrain, notamment les associations, l'État doit contribuer à la mise en place de mesures nouvelles favorisant le développement de l'emploi en milieu rural, en aidant notamment au maintien et à la création d'entreprises. Cette politique doit s'accompagner des investissements nécessaires en matière de communication, d'éducation, de culture, de transport ou de maintien des services publics, naturellement. Le monde rural a droit à un véritable projet et à une ambition. Nous avons besoin d'un monde rural vivant.

Les familles aspirent aussi à un environnement juridique et social qui corresponde à leur réalité, à leur diversité.

Je pense, bien sûr, à la prise en compte des effets du divorce et des séparations sur le lien parents-enfant. Certes, plus des trois quarts, nous disent les statistiques, des enfants vivent sous le même toit que leur mère et leur père. Mais un cinquième des enfants dont les parents sont séparés voient leurs pères moins d'une fois par mois et un quart d'entre eux ne le voient jamais. Or l'enfant a besoin de ses deux parents. De sa mère mais aussi de son père dont le rôle n'est pas moins essentiel. Et tout doit être fait pour préserver la qualité du lien parental.

Cela commence évidemment par l'école qui doit observer scrupuleusement le principe de l'exercice partagé de l'autorité parentale. Il n'est pas acceptable que des parents, qui n'ont pas la garde habituelle de leur enfant, découvrent presque par hasard que ceux-ci sont en difficulté ou en situation d'échec scolaire. Notre système d'aides au logement, les conditions d'attribution des prestations familiales ou notre régime fiscal doivent aussi évoluer pour créer les conditions matérielles d'un exercice réellement partagé des responsabilités parentales. Il faut cesser d'ignorer les coûts induits par les séparations sur la prise en charge de l'enfant.

Mais les évolutions de la famille ne sauraient se ramener à cette seule question. Les débats actuels sur le choix du nom de l'enfant, sur les conditions du divorce, sur le droit de connaître ses origines ou sur la nécessité de mieux valoriser le rôle du père sont des débats essentiels. Ils posent la question de la nécessaire adaptation de notre droit aux réalités et aux aspirations nouvelles des familles. Cette évolution est engagée, elle doit être poursuivie.

Je suis, pour ma part, favorable à ce que notre droit soit modernisé. Mais dans le cadre d'une logique d'ensemble, car ce qui est en jeu ce sont des règles qui régissent le coeur même de la vie privée. Une telle réforme devrait reposer, je le crois, sur quatre principes essentiels : la protection du conjoint le plus vulnérable, l'exercice partagé de l'autorité parentale quelles que soient les situations familiales, le respect des droits de l'enfant et la réaffirmation de la responsabilité parentale.

Celle-ci est le pendant des droits des familles que nous devons promouvoir et défendre. En contribuant de manière déterminante à l'éducation de nos enfants, elle est la source de l'équilibre de notre société.

Dans leur immense majorité, les familles assument avec coeur cette mission exigeante, et vous en êtes la démonstration. Mais la montée de la violence des jeunes pose néanmoins la question des cas, heureusement plus rares qu'on ne le dit, où l'absence de bonne volonté des familles est flagrante. Sachons agir avec fermeté pour le bien de tous. Lorsqu'apparaît une carence grave de l'autorité parentale, des procédures d'avertissement familial devraient systématiquement être mises en oeuvre par le juge pour enfant. Les parents auraient alors à souscrire des engagements dont le non-respect donnerait lieu à une amende infligée par le juge. Ce serait de beaucoup préférable à la privation administrative des allocations familiales, procédure aveugle et qui peut aggraver les dérives. La présence des parents devrait également être rendue obligatoire en cas de convocation d'un adolescent par les services de police, par la justice ou même par les autorités municipales.

Ainsi le renouveau de notre politique familiale s'inscrira dans la ligne des principes sur lesquels elle a été fondée : la reconnaissance des droits et des responsabilités éminentes des familles.


Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs,

Régulièrement on croit la famille démodée, on prévoit sa disparition, on annonce que le lien entre les générations va se rompre. Et, bien sûr, régulièrement on se trompe. Malgré les difficultés et l'évolution des aspirations individuelles, la famille reste au coeur de l'équilibre de chacun et au coeur de la cohésion de notre société tout entière. Elle est la clé de voûte, le miroir de notre société, le creuset de son avenir. Elle doit être reconnue, valorisée, respectée, aidée.

C'est, je le sais, tout le sens de votre action. Que ce soit dans le débat public ou par les services que vous rendez chaque jour aux familles, vous êtes porteurs de ce qui est tout à la fois une aspiration au bonheur et une grande ambition pour la France. Cette vision, c'est également la mienne. Et sachez que je suis à vos côtés.

Je vous remercie.





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