Discours du Président de la République à l'occasion de la remise de Livre blanc de l'association Croissance Plus.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la remise de Livre blanc de l'association Croissance Plus.

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Palais de l'Élysée, le lundi 26 novembre 2001

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de Croissance Plus, Monsieur l'ex-Président qui m'a fait connaître l'association et qui m'a fait l'apprécier, Mesdames, Messieurs,

J'ai beaucoup de plaisir à vous recevoir ce soir à l'occasion de la remise du Livre blanc que vous venez d'élaborer et dont votre Président vient de retracer à grand trait les principales lignes.

Je connais bien, maintenant, Croissance Plus. Depuis la création de votre association, nous nous sommes rencontrés, à peu près une fois par an ou tous les ans et demi et, chaque fois, nos échanges ont été pour moi très riches d'enseignements.

Certains d'entre vous ont bien voulu m'accompagner à l'étranger lors de visites officielles et j'ai pu apprécier leur dynamisme, leur esprit de conquête et, au-delà, leur engagement pour développer dans notre pays les entreprises dont nous avons besoin pour assurer notre croissance, notre richesse et nos emplois.

Alors soyez donc les bienvenus, ce soir, à l'Élysée.


Je saisis l'occasion de la remise de ce Livre blanc, Monsieur le Président, pour évoquer après vous quelques sujets simples qui me tiennent à coeur et qui sont au centre de nos préoccupations actuelles dans la période un peu sombre que nous traversons.

Je voudrais, d'abord, vous dire combien je souhaite que le rôle de l'entrepreneur, et donc le rôle de l'entreprise, soit davantage reconnu et considéré dans notre pays. Je connais les combats quotidiens que vous menez : la concurrence rude à laquelle vous êtes confrontés, une concurrence qui accélère sans cesse le rythme des changements ; votre obsession aussi du service au client. C'est une des choses que j'ai réalisée lors de notre première rencontre. Je connais vos préoccupations : savoir construire une équipe et la motiver, savoir la récompenser, savoir retenir les meilleurs. Je comprends vos doutes face à un environnement réglementaire et fiscal souvent très lourd. Je pense aux contraintes et aux coûts dont les 35 heures sont assorties. Je pense à la fiscalité personnelle ou à celle de l'outil de travail. Et je sais que vous regrettez souvent que les responsables politiques ne soient pas assez conscients de vos difficultés, peut-être parce qu'ils ne les connaissent pas bien.

Le ralentissement économique mondial que nous observons depuis quelques mois et le retournement des marchés financiers, qui a brusquement accru les difficultés de financement, notamment, des jeunes entreprises, aggravent ces préoccupations et risquent d'accroître le retard de la France dans la diffusion des technologies de l'information. Mais je connais aussi votre dynamisme, votre sens de l'initiative, votre capacité à vous adapter, à trouver de nouvelles réponses dans un environnement moins favorable. Je connais, vous les avez évoqués tout à l'heure, aussi nos atouts qui ne sont pas négligeables quelque soit nos faiblesses. Au total, j'ai confiance en vous.

Votre rôle, en effet, est essentiel. Notre pays doit encourager ses entrepreneurs évidemment. C'est parce que vous innovez, que vous prenez des initiatives, que vous courrez des risques que nos entreprises se développent et créent des emplois.

Vous vous êtes donnés l'objectif ambitieux de constituer le vivier des entreprises françaises de croissance. La plupart d'entre vous ont déjà connu de belles réussites, mais, dans vos secteurs d'activité, rien n'est acquis, vous le savez. Alors, je tenais à vous dire que votre fierté, celle d'être bâtisseur et créateur, est une fierté légitime. Je souhaite que l'aventure qui est la vôtre, soit davantage partagée par toutes celles et tous ceux qui ont le projet de créer une entreprise. Les statistiques ou les sondages disent qu'ils seraient, en France, quelque 1 200 000, vaste vivier. Nous devons les encourager et faciliter la prise de risque que constitue la création d'une entreprise. Parce que naturellement tous, nous souhaitons une France dynamique et décidée, et donc une France qui va de l'avant.

Notre croissance, nos emplois tiennent, pour une large part, à vos succès. Mais vos succès dépendent aussi, c'est vrai, du cadre général de l'activité économique, un cadre qui doit être mis davantage au service de la croissance.

C'est pourquoi j'attache une très grande importance aux propositions exprimées par ceux qui savent, qui connaissent et qui ont l'expérience en général aux propositions contenues dans le Livre blanc, en particulier, que vous venez de me remettre aujourd'hui. Je ne commenterai pas les quelques 35 ou 36 propositions que vous avez évoquées et qu'il contient. Je ne surprendrai personne en disant que j'en avais déjà eu connaissance et que dans l'ensemble, j'approuve les principales orientations. Elles témoignent, en effet, de votre implication dans le débat public et je tiens à saluer un travail où je retrouve des principes auxquels, pour ma part, j'adhère pleinement et je dirai auquel le bon sens doit conduire à adhérer. Le sens du travail collectif, ce qui n'est pas toujours aisé, la recherche de solutions concrètes pour ouvrir les verrous qui, ici ou là, entravent notre développement, la capacité de proposer des pistes de réflexion novatrices. Vous êtes allés à l'essentiel en privilégiant des mesures opérationnelles qui s'inscrivent dans une vision globale de l'entreprise.

Cette approche globale est nécessaire. L'entreprise moderne, pour atteindre sa pleine efficacité économique, doit avoir une vision sociale, une vision éthique. Une entreprise ne peut se développer durablement que si elle fonctionne bien, non seulement sous l'angle économique, mais aussi sous l'angle humain. L'instauration d'un climat social fondé sur l'écoute, le dialogue, le contrat est indispensable pour qui veut donner à son entreprise le maximum de chances de réussite dans la durée.

Il ne s'agit pas, bien sûr, d'être naïf. Les conflits sont inhérents à toute communauté d'hommes et de femmes. Ils existent aussi et existeront toujours dans l'entreprise : conflits d'attributions, choc des personnalités, divergences dans le partage des fruits de l'activité. Mais le dialogue, l'adhésion à un projet collectif, une information confiante sur l'évolution des contraintes et des marchés, la définition de valeurs communes, permettent de surmonter ces conflits.

Les Français ont abandonné depuis longtemps la vieille rengaine d'une opposition naturelle et irréductible entre l'entrepreneur et le salarié. Il est temps d'affirmer la réalité d'une communauté solide et solidaire, dont les règles et les valeurs sont clairement définies et dont la réussite pourra être partagée entre le plus grand nombre.

Intégrer le dialogue à tous les niveaux, répondre aux défis sociaux, ouvrir les systèmes de formation, développer la transparence, faire place à l'initiative des salariés dans l'organisation même du travail, les associer davantage aux résultats, les rendre plus responsables, plus autonomes : c'est ainsi, j'en suis sûr, que l'on fortifiera l'entreprise, non seulement auprès de ses propres salariés, mais aussi dans la reconnaissance, dans le respect, dans l'attachement, le mot n'est pas trop fort, que tous les Français pourront ainsi lui porter.

Monsieur le Président, en quatre ans votre association a pris une place importante dans le paysage des entreprises françaises. Grâce à votre dynamisme, à celui des présidents qui vous ont précédé, à celui de vos membres, vous avez agi et vous avez proposé. Vous avez été écouté, c'est vrai, mais, au total, pas tout à fait entendu, c'est vrai aussi. Je souhaite qu'il puisse en être autrement à l'avenir. Cette nouvelle contribution au débat, votre Livre blanc vient au bon moment.

Notre pays connaît en effet un ralentissement économique et l'Union européenne a subi des chocs qui ont ralenti sa croissance. Le développement d'internet marque le pas. Les évolutions sont plus incertaines et les temps sont plus difficiles pour les jeunes entrepreneurs de croissance.

Pourtant, notre économie dispose de beaucoup d'atouts pour faire face à ce ralentissement, vous l'avez dit. On entend parfois dire que les bénéfices de la "nouvelle économie" seraient épuisés. Je ne le pense pas. Le rythme du progrès technologique reste élevé. Il existe, tant aux États-Unis qu'en Europe, un très fort potentiel de croissance de la productivité. Nos systèmes financiers sont mieux armés que par le passé pour faire face aux turbulences, comme en témoignent la solidité et la santé des banques européennes et américaines.

Il y a bien sûr des risques, qu'une pause temporaire de la croissance pourrait exacerber.

Ces risques, il faut les combattre. Pour cela, trois principes, me semble-t-il, devraient nous guider : responsabilité, coopération et volontarisme.

Responsabilité en particulier dans le domaine budgétaire et fiscal. D'abord en étant attentifs à ne pas compromettre la consolidation réalisée, fruit des efforts consentis au cours des années, et de ce point de vue, merci à l'Europe. Au-delà, en faisant opiniâtrement d'une baisse des prélèvements de toute nature un impératif absolu et une exigence continue pour que, dans l'économie ouverte que nous connaissons, les Français puissent se battre à égalité avec les autres dans la compétition internationale.

Pour être certaine et durable, la baisse des prélèvements aura besoin de prendre appui sur une véritable rationalisation de la dépense publique.

Principe de coopération, car la période récente a montré que les économies du monde sont plus interdépendantes encore que nous le pensions. Il est donc plus nécessaire que jamais de coordonner nos actions au niveau européen et aussi au niveau mondial.

Volontarisme enfin. Il dépend de notre action que les cycles économiques se révèlent plus ou moins amples, avec des conséquences plus ou moins négatives sur le bien être de nos concitoyens et sur leur emploi. Il dépend de nous aussi de savoir dépasser l'horizon immédiat du ralentissement économique en prenant les bonnes décisions, dans les entreprises comme au niveau des politiques publiques.

Pour cela, nous devons compter davantage sur nos propres forces et avoir confiance en nous-mêmes. Notre croissance, nos emplois de demain dépendent de notre dynamisme et de l'attractivité globale de notre pays.

C'est pourquoi, le dialogue entre responsables publics et responsables économiques et sociaux doit être nourri et intense. En France, il ne l'est pas assez. Il doit être fondé sur le respect mutuel et sur l'écoute. Pour mieux anticiper les évolutions, pour que la France gagne dans un environnement mouvant et instable, nous devons explorer les voies qui permettent à notre pays de créer davantage de richesses et d'activité.

Amplifions nos efforts de recherche. Soutenons l'innovation. Sachons encourager les dynamiques de créations d'emplois. Évitons les mesures apparemment protectrices, mais qui risquent de se traduire en réalité par moins d'embauches et plus de travail précaire, quand elles ne mettent pas en péril l'avenir d'une activité. Les entreprises ont des devoirs à l'égard des salariés. Elles ont des devoirs à l'égard de la collectivité. Toutes les alternatives au licenciement économique doivent être sincèrement et activement recherchées avant d'en venir à des suppressions d'emploi. Il faut un dialogue social riche de contenu et au niveau qui s'impose, c'est-à-dire le plus près possible des intéressés. Les plans sociaux doivent être dignes de ce nom. Mais il faut se garder en même temps des approches qui reposeraient sur un postulat de méfiance, voire de suspicion, à l'égard de la généralité des entrepreneurs.

Votre implication dans la réflexion sur les meilleures façons de "faire face", pour reprendre le thème de votre Livre blanc, est importante car les chefs d'entreprise sont les principaux décideurs de notre avenir économique. De vos décisions dépendent la vie professionnelle de milliers et de milliers de salariés, vos collaborateurs. Vous exercez une responsabilité sociale autant qu'économique. Alors, au moment où la conjoncture fléchit, je vous demande aussi, et je sais que vous y êtes sensibles, de regarder au-delà des difficultés de l'heure présente. Les réserves de croissance de la France et de l'Europe sont grandes. Il est essentiel, dans la période d'incertitude actuelle, de préserver vos capacités à saisir rapidement les opportunités de développement à venir. Cela suppose notamment que vous parveniez à maintenir au niveau le plus élevé possible la force de travail de vos entreprises.


Monsieur le Président,

Vous avez choisi de placer votre rapport sous le signe du bambou, le bambou symbole en Orient de la longévité, de la constance et de la fidélité. Les sept sages légendaires ne sont-ils pas toujours, depuis le troisième siècle, représentés comme se réunissant au milieu d'une forêt de bambous ? Pour développer toutes ses qualités, le bambou a besoin de s'enraciner dans un terrain favorable. Travaillons ensemble pour donner à notre pays les moyens de fortifier sa croissance afin que chaque Française et chaque Français puisse trouver un emploi à sa mesure. C'est bien l'objectif ou l'ambition. Et beaucoup dépendra, nous le savons tous, de la place que nous saurons donner aux entreprises et surtout de la reconnaissance, par tout le monde, de leur rôle.

Voilà pourquoi je suis heureux, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, de vous recevoir ce soir et de recueillir ainsi le fruit de vos travaux qui, je l'espère, nourriront le débat économique à un moment où ce débat est nécessaire. Un débat dont nous avons besoin aujourd'hui comme notre pays a besoin de vous et de votre action.

Je vous remercie.





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