Discours à l'occasion du congrès des maires de France.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du congrès des maires de France.

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Paris, le mardi 20 novembre 2001

Monsieur le Président, Monsieur le Président du Sénat, Mesdames et Messieurs les Maires, Mesdames, Messieurs,

Je voudrais tout d'abord, Monsieur le Président, vous remercier de votre accueil et vous dire que j'ai, naturellement, été très attentif aux propos que vous venez de tenir. J'y retrouve tout à la fois votre expérience et votre humanisme.

J'approuve nombre de vos propositions, et j'ai confiance, moi aussi, dans l'avenir de la commune.

Les Français lui sont profondément attachés. Elle fait partie de leur identité. Elle est souvent indissociable de leur famille et de leur histoire personnelle. Les lieux où ils aiment vivre, les paysages qu'ils ont dans la mémoire et dans le coeur, portent son nom. Et la commune est aussi à la racine d'une certaine conception française de la citoyenneté.

Je tiens, Mesdames et Messieurs les maires, à vous dire, au nom des Français, la reconnaissance de la République.

Chaque jour, et plus encore quand les temps sont difficiles, nos compatriotes peuvent vérifier votre disponibilité, votre efficacité et l'esprit de service qui vous anime. Être maire, c'est un honneur, mais c'est aussi une exigence et une servitude. Vous les assumez, parce que vous avez choisi de vous mettre au service de la collectivité. C'est la noblesse de tout engagement public. La République vous doit beaucoup car vous lui donnez beaucoup. Il est juste qu'elle vous en rende témoignage.

Et je voudrais tout particulièrement saluer les élus d'outre-mer. Ils sont venus de loin pour être parmi nous. Je connais beaucoup d'entre eux. J'apprécie leur travail auprès de nos compatriotes ultra-marins. Qu'ils soient remerciés de leur présence.

À vous, toutes et tous, les maires, vous que chaque Français connaît, vous qui, dans notre République, incarnez la démocratie au service de chaque citoyen, je suis venu dire aujourd'hui que, dans les temps à venir, la Nation aura plus que jamais besoin de votre engagement.

Et je suis venu vous parler de notre cohésion nationale, vous dire pourquoi elle est si importante et comment les élus que vous êtes, aux côtés de l'État, peuvent et doivent, jour après jour, continuer à la conforter.


Le 11 septembre dernier, dans l'onde de choc venue de New York et de Washington, après l'irruption soudaine de l'horreur, à travers l'immense émotion qui s'est emparée de l'humanité, chacun de nous a senti que le monde avait changé et qu'un dérèglement profond s'était produit.

Un nouveau terrorisme a fait son entrée meurtrière sur le sol de nos démocraties, enracinées depuis longtemps dans la paix, souvent sûres d'elles-mêmes, confiantes dans leur propre stabilité face à l'instabilité du monde. Un terrorisme qui projette au coeur de villes libres les braises dispersées de volcans qui se consumaient loin d'elles.

Aux crimes de masse, il fallait immédiatement répondre par l'action militaire, tout mettre en oeuvre pour neutraliser leurs auteurs.

C'est la raison pour laquelle nous avons soutenu l'intervention américaine contre le régime des Taleban et contre l'organisation Ben Laden. Nous y participons et nous sommes décidés à atteindre nos buts !

Mais nous savons aussi qu'il n'y aura pas de victoire définitive contre la barbarie si elle est seulement celle de la force.

Le terrorisme, qui n'est que crime, et qu'aucune cause ne justifie, est l'enfant du fanatisme, du dévoiement et de la volonté de détruire. Il trouve un terrain propice dans des conflits et des antagonismes profonds, connus depuis longtemps, que notre monde n'a pas su comprendre et auxquels il n'a pas su porter remède. Mais en aucun cas il n'exprime un choc de civilisation, ni une opposition de pensées, de cultures ou de religions.

Plus que jamais, la liberté de pensée et d'expression, le respect de la liberté d'autrui et des règles de la vie en société, la laïcité, le refus de toute discrimination, de toute distinction fondée sur l'origine, le sexe, la religion ou la race, seront les clés de la coexistence, du dialogue et de la solidarité entre les hommes. Dans les années à venir, la mission fondamentale de ceux qui croient en la démocratie et qui portent son étendard va être de défendre nos valeurs, de conforter leur exemplarité, de les faire vivre.

Ces principes essentiels, qui sont ceux des droits de l'Homme, doivent d'abord retrouver tout leur sens et toute leur force dans l'espace privilégié de la nation.

Entre le champ de la mondialisation ou de la construction européenne et l'appartenance de chacun à telle ou telle communauté, qu'il s'agisse d'un terroir, d'une religion ou d'une origine, il y a en effet un espace historique politique et spirituel : celui de l'État et de la Nation, l'horizon de la France.

Face aux désordres de notre temps, c'est dans la Nation que nous devons trouver les ressources nécessaires pour défendre notre vision, relever les défis d'un nouveau monde, contribuer à en réduire les risques, parler d'une voix forte pour organiser le développement des échanges internationaux sur des bases sûres et justes.

C'est au sein de la Nation que doit se renforcer notre cohésion et l'union de notre peuple.


À cette cohésion nationale, qui est notre force et notre chance, vous ne cessez de contribuer, car vous êtes attentifs aux inquiétudes, vigilants face aux tensions et aux risques de toute nature, soucieux d'un "vivre ensemble" qui est au coeur de vos responsabilités, et dont vous avez fait cette année, de manière très judicieuse, la valeur cardinale de votre congrès.

Les maires sont en effet les premiers acteurs du pacte social et les premiers messagers de la République, partout où ses principes peuvent être mis en cause.

Dans les temps d'incertitude, votre présence, votre parole, votre écoute et l'exercice de votre devoir de vigilance vous mettent comme jamais au service de la cohésion de notre société et de notre unité nationale. Car le maire n'est pas seulement le premier magistrat de la commune. Il est aussi, dans notre droit comme aux yeux de nos concitoyens, la première expression de la République, de l'État et de l'autorité, leur incarnation la plus proche, leur représentation la plus visible, la mieux connue.

Ceints de votre écharpe tricolore, quand retentit notre hymne national, quand vous célébrez le souvenir des Français morts pour la patrie, quand vous présidez les cérémonies du 14 Juillet, quand vous avez la joie de marier nos concitoyens, et chaque fois que vous devez prendre des décisions pour la sécurité et la tranquillité publiques, vous dites la souveraineté et l'unité du Peuple français, de manière concrète, réelle, vivante et symbolique.

Nos compatriotes vous interrogent. Ils vous confient leurs angoisses. Et vous leur répondez toujours. Vous leur répondez avec votre jugement, votre pondération, votre réflexion. Vous leur répondez avec l'expérience qui est la vôtre, en fonction de l'information dont vous disposez. Vous leur répondez parce que vous êtes élus et donc responsables. Parce que la commune est un lieu de dialogue et de débat, un lieu où se forge et s'épanouit la citoyenneté. Parce que la commune est aussi la cellule de base de la démocratie, le lieu de sa respiration, le lieu où les principes de notre République sont confrontés à l'épreuve des faits et des réalités.

Notre Nation est profondément attachée à des principes essentiels : le respect de l'autre, l'esprit de tolérance. Elle a toujours surmonté les emportements qui débouchent sur l'anathème, la violence et la haine. Elle refuse aujourd'hui la tentation de l'amalgame.

Mais elle doit aussi être vigilante, exigeante sur le respect de la loi, un respect que nos concitoyens attendent, s'opposer aux engrenages de désintégration sociale, et agir pour ne pas laisser se diluer l'appartenance à la communauté nationale.

Dans notre pays, la conscience d'un destin partagé fondé sur l'amour de la France et sur les valeurs de la République est heureusement plus forte que toutes les différences. Loin de refuser la diversité, loin de craindre ces différences, la République les reconnaît comme une source de richesse. Mais rien de ce qui pourrait altérer notre cohésion nationale ne peut être accepté. Dans la République, il ne doit y avoir ni particularisme, ni féodalité, ni communautarisme, mais seulement des citoyens, femmes et hommes, avec leurs droits et leurs devoirs, égaux pour tous, partout en France.

À chacun, la République demande en effet d'accepter les exigences de la vie en société et d'observer la loi de tous, sans laquelle il n'y a plus de liberté et de vie en commun.


Partout, chaque citoyen doit aussi pouvoir compter sur la présence d'administrations et de services publics efficaces et sur le secours de l'autorité publique pour faire respecter ses droits et ses libertés et pour assurer sa sécurité.

On raisonne souvent comme si l'affirmation des libertés locales passait par l'étape préalable que serait le déclin de l'État. Mais c'est l'inverse qui est nécessaire. Il faut que l'État soit fort et respecté. Il faut que l'État soit présent et actif.

L'État doit naturellement assurer le déploiement et la disponibilité des forces de gendarmerie et de police sur l'ensemble du territoire national, en particulier dans les lieux les plus exposés à la violence. Policiers et gendarmes sont durement éprouvés du fait de l'aggravation des risques auxquels ils sont exposés. À tous les niveaux de leur hiérarchie, je tiens à rendre hommage à leur courage et à leur détermination.

Les maires ne demandent pas à se substituer à l'État. Mais ils veulent que les responsabilités que leur attribuent déjà nos concitoyens dans la mise en oeuvre d'une politique globale de sécurité soient pleinement reconnues. Ils veulent avoir les moyens de les exercer. Ils demandent à être pleinement informés de l'évolution de la délinquance et de l'action des forces de l'ordre.

L'État doit aussi assumer une politique d'aménagement du territoire qui passe par l'organisation de la solidarité financière.

Cette politique doit faire une place élargie à l'initiative locale afin d'assurer en milieu rural la pérennité des services publics avec lesquels la population est directement en relation. C'est le cas des services hospitaliers de premier rang, de l'école, de la poste, ainsi que des guichets financiers et fiscaux. Leur éloignement, comme celui des commerces, peut signer l'arrêt de mort de la vie locale.

Mais c'est aussi par ses services techniques que l'État doit être présent auprès de vous et de nos concitoyens. C'est le cas en particulier pour les services de l'agriculture et de l'équipement, dans une période où les communes sont confrontées aux exigences croissantes de la loi en matière d'urbanisme et d'assainissement. Cette lourde charge, vous ne pouvez l'assumer sans aide.

Les communes ont besoin de l'État. Elles ont besoin de son assistance et de ses conseils. Mais elles ont aussi besoin que l'exercice de leurs compétences ne soit pas constamment rendu plus complexe et coûteux par les excès de formalisme, par la multiplication des normes, et par l'accroissement continu des risques juridiques.

Les Français attendent de l'État qu'il exerce pleinement sa fonction d'autorité et de régulation. Ils craignent par-dessus tout les risques d'ankylose qu'induisent la lourdeur des procédures, la trop grande inertie des moyens et la lenteur avec laquelle l'État assimile les changements dès qu'ils concernent sa propre organisation.

L'État se réformerait d'autant plus facilement qu'il accepterait d'inscrire son action dans une nouvelle architecture des pouvoirs pour se concentrer sur l'essentiel, sur ce qui lui revient en propre, et se libérer de ce qui l'encombre trop souvent.

Dans le partage des responsabilités entre les pouvoirs, nous ne devons être guidés que par l'utilité commune, sans partir du postulat qu'il faudrait privilégier systématiquement telle collectivité plutôt que telle autre.

Le principe de subsidiarité doit guider notre réflexion et notre action. Il implique que les décisions soient prises au niveau le plus favorable à l'efficacité de leur mise en oeuvre.

Toute collectivité doit être en mesure de mobiliser les capacités d'action nécessaires pour bien rendre les services que la loi lui confie et que les citoyens attendent d'elle.

Trop grande et trop lointaine, elle n'aurait pas une bonne compréhension des hommes et des réalités. Elle se perdrait alors dans les règles et les procédures, qui sont les alliées les plus fidèles de la bureaucratie.

En revanche, trop petite et trop proche, les moyens d'action pourraient lui faire défaut. La proximité, en effet, n'est pas une fin en soi. Elle cesse d'être bonne quand elle débouche sur l'impuissance. Les maires en ont conscience qui inscrivent de plus en plus souvent leur action dans le cadre de l'intercommunalité.

Il y a des politiques qui doivent être menées au niveau national : celles qui participent de l'exercice de la souveraineté comme la justice ou la police, et celles qui touchent à l'organisation de la solidarité ou au fonctionnement des grands services publics, comme l'enseignement et la santé.

D'autres politiques ne peuvent être bien définies qu'au niveau européen : c'est le cas par exemple pour la monnaie, le contrôle des migrations, les règles de protection de l'environnement ou la négociation de nos tarifs douaniers avec le reste du monde, comme on l'a vu récemment à Doha.

Loin de diminuer notre capacité d'action, l'Europe l'augmente en permettant à nos États de mener ensemble des actions qu'ils n'avaient plus les moyens de conduire efficacement à l'échelon national.

Enfin, c'est avec la participation active de nos concitoyens et sous leur regard que les services de proximité doivent être organisés. La France doit faire confiance aux initiatives qui naissent de nos territoires et grandissent par l'engagement des forces vives de notre pays. Beaucoup plus de responsabilités devront désormais relever des communes, des départements, des régions, en veillant toujours à ce que toute compétence nouvelle soit assortie des moyens humains, financiers et techniques nécessaires à son exercice.

C'est toujours en prenant les décisions là où s'expriment les besoins, dans un dialogue permanent avec les citoyens, que les bonnes solutions sont trouvées et appliquées. Et c'est ainsi que toutes les énergies se mobilisent pour en assurer le succès.

Notre pratique démocratique reste beaucoup trop suspicieuse à l'égard des citoyens, méfiante dans l'initiative de leurs collectivités, toujours aussi sceptique sur la capacité de celles-ci à bien gérer et développer nos territoires.

Il faut pourtant rendre justice aux collectivités locales. Au cours des années récentes, elles ont assumé la majeure partie de l'effort d'équipement public de la Nation et, dans le même temps, elles ont su maîtriser leur dette et l'évolution de leurs prélèvements.


Quelle place la commune prendra-t-elle dans les évolutions à venir ?

À l'heure où les Français sont en attente de plus de démocratie et de plus de proximité, il y aurait quelque paradoxe à négliger cette incomparable école de démocratie qu'est la commune.

Les regroupements de communes et, à l'inverse, la reconnaissance de la personnalité des bourgs et des quartiers au sein d'une même commune, posent cependant la question de l'articulation des différents niveaux de l'action communale. L'évolution de vos ressources vous amène à vous interroger aussi sur le respect de votre autonomie financière et sur le niveau de vos moyens face à des charges croissantes. L'accroissement de vos obligations et de vos contraintes, qu'un véritable statut de l'élu n'est toujours pas venu compenser, ajoute encore à la perplexité de beaucoup d'entre vous.

Les communes sont nécessaires à la République. Leur avenir doit être conforté.

Chacun connaît son maire en France, et chacun sait comment le trouver pour faire face aux difficultés. Avec vos adjoints et vos conseillers municipaux, vous avez une légitimité démocratique qui ne souffre aucune discussion. Elle fonde la confiance de nos concitoyens dans l'institution municipale. Elle est le socle sur lequel nous devons construire l'avenir. Dans un pays marqué par une forte tradition jacobine, la vitalité de la vie communale, son bouillonnement parfois, constituent un indispensable correctif à cette forme d'absolutisme républicain que constitue la centralisation.

L'intercommunalité ne doit pas être vécue comme un signe de déclin de la commune mais comme la marque de sa capacité à évoluer pour mieux répondre aux attentes de ses habitants. Dans une intercommunalité moderne, chaque commune devrait pouvoir trouver une place accrue en assumant, pour le compte des autres, une partie des compétences mises en commun. Votre Président en a formulé l'idée. Je la trouve excellente.

Se pose aussi la question de la légitimité démocratique des responsables intercommunaux. Leur élection au suffrage universel direct irait dans le sens de l'approfondissement de la démocratie. Mais le lien avec chaque commune doit impérativement être préservé. Pour cela, les candidats aux fonctions intercommunales devraient figurer sur les listes des candidatures aux élections municipales, commune par commune, pour être également membres du conseil municipal.

Enfin, se pose la question du partage des responsabilités entre les communes et leurs groupements. Il ne peut évidemment y avoir de réponse uniforme à cette question.

Il faut rechercher la solution optimale pour avoir à la fois la proximité et les moyens. Cette solution est naturellement variable d'un endroit à l'autre. L'institution communale regroupe une variété très grande de situations, parfois très éloignées les unes des autres.

Bonne ici, telle solution sera mauvaise ailleurs car les besoins sont différents. Les formules "clés en main" ne suffisent plus. Dans notre siècle, il n'y aura d'efficacité que par la discussion et l'accord des volontés, gages d'une meilleure adaptation à la diversité.

C'est pourquoi, dans les démocraties modernes, le droit à l'expérimentation est devenu une exigence essentielle. N'oublions pas que des réformes comme le RMI ou la prestation dépendance n'ont pu se faire que parce que des collectivités locales ont pris l'initiative et le risque de les expérimenter. C'est une voie d'avenir.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Notre démocratie a besoin d'un nouveau souffle. La reconnaissance d'une plus grande autonomie de la société par rapport à l'État, l'instauration de rapports différents entre les pouvoirs et l'individu, l'acceptation pleine et entière des libertés locales contribueront à le lui donner.

Pour répondre aux exigences des Français, notamment en matière de sécurité, d'environnement, de solidarité, de logement, d'éducation, d'emploi, pour ouvrir de nouvelles capacités d'action à chacun de nos concitoyens, pour améliorer le service de tous, la France va devoir restaurer l'autorité de l'État, le renforcer dans ses missions essentielles, et pour cela, le réformer et redistribuer les responsabilités entre les collectivités de la République. Une nouvelle architecture des pouvoirs devra être dessinée pour les rapprocher des citoyens.

Mais il faudra aussi redonner le sens de ce "vivre ensemble", de cette communauté de culture, d'histoire, de vie et de destin, qui fondent notre cohésion nationale.

Face aux aléas du monde, si elle veut saisir les chances que le XXIe siècle lui ouvre déjà, la France aura besoin d'être elle-même, de se reconnaître, de s'assumer. Et les Français attendent de leurs maires comme de l'État qu'ils mettent tout en oeuvre pour les rassembler, unir leurs forces et faire vivre les valeurs de la République.

Je vous remercie.





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