Allocution du Président de la République lors de la cérémonie de remise de médailles aux lauréats du XXIe concours "Un des meilleurs ouvriers de France".

Allocution prononcée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la cérémonie de remise de médailles aux lauréats du XXIe concours "Un des meilleurs ouvriers de France".

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Palais de l'Elysée, le mardi 13 mars 2001

LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Président, pour votre exposé parfaitement clair et pour la façon brillante dont vous défendez, à juste titre, une cause noble s'il en est.

Avant de vous dire quelques mots, je voudrais d'abord vous dire que vous avez posé, en conclusion, une grande question sans y apporter complètement la réponse. Vous avez simplement fait une approche de réponse. Mais vous n'éviterez pas d'apporter une réponse à cette question et elle est difficile. Mais il y a un élément qui peut, peut-être, vous aider à trouver la bonne réponse.

Il y a quelques années le grand peintre Balthus qui nous a récemment quittés, hélas, recevant le prix impérial du Japon à Tokyo, avait fait tout son propos sur l'idée suivante. Il avait employé le terme d'artiste parce qu'on l'avait qualifié de grand artiste. Le terme d'artiste n'a pas de signification. Les artistes, quel que soit leur secteur d'activité, sont d'abord et avant tout des artisans et l'artiste en soit n'existe pas.

C'est l'artisan, c'est-à-dire la recherche de l'excellence, chacun dans le domaine qui est le sien y mettant à la fois son savoir-faire et sa sensibilité, son intuition et son intelligence. C'est cela en réalité qui s'exprime depuis la nuit des temps et continuera à s'exprimer pour l'ensemble des temps. Je crois que c'était un élément de réponse à la question que vous posiez. C'est vrai que " artisan " c'est essentiellement une conception de création et qu'il n'y a pas de sociétés qui n'aient créé.

Pendant longtemps on a considéré que certaines sociétés créaient mieux que d'autres et on a contesté la capacité de création de certaines civilisations. Aujourd'hui, naturellement, ces préjugés sont effacés et chacun reconnaît que la création est le propre même de l'homme c'est-à-dire incarnant sa fonction d'artisan. Donc vous serez certainement amené à évoluer dans la définition et l'approche de votre concours mais probablement moins que vous ne le pensez.

Dans la mesure où vous resterez fidèle à cette notion essentielle qui depuis l'origine de l'homme et probablement jusqu'à sa fin, s'exerce autour de cette notion de création : " l'Artisan ".

Je voudrais d'abord vous posez une petite question avant de vous dire quelques mots. Je voudrais évoquer le nombre de lauréats, le nombre des candidats -dix fois plus nombreux- alors que les candidats eux-mêmes sont déjà auto-sélectionnés considérablement c'est dire que nous arrivons là au sommet de l'élite et vous avez cité quelques chiffres variables selon la nature de l'activité. Il y a un métier dont vous n'avez pas dit combien il y avait eu de candidats, je voudrais vous poser la question, c'est le métier de modiste. Combien y avait-il de candidats ?

M. BOISIVON - ....

LE PRÉSIDENT - Vous ne savez pas.

M. BOISIVON - De mémoire comme ça. Trois candidats.

LE PRÉSIDENT - Trois candidats. Et un seul lauréat ? Une dame, et corrézienne.




Madame la Présidente de la Société des Meilleurs Ouvriers de France, Monsieur le Président du Comité d'Organisation, Mesdames et Messieurs les Meilleurs Ouvriers de France, Mesdames, Messieurs,

Vous l'avez dit Monsieur le Président c'est une belle tradition de notre République, probablement l'une des plus attachantes, que celle qui nous réunit aujourd'hui : la réception à l'Élysée des meilleurs ouvriers de France, tous les trois ans, depuis si longtemps et ceci à l'issue de votre grand et prestigieux concours !

Belle tradition puisqu'avec vous, c'est le meilleur de nos métiers qui se retrouve pour se reconnaître et pour assurer entre générations le passage du témoin. Belle tradition dans notre pays si profondément attaché à ses métiers, à ses artisans qui sont une part essentielle de son art et aussi de son génie. Ils fondent cet art de vivre, cette haute qualité de vie que l'on reconnaît unanimement à la France partout dans le monde et que l'on nous envie si souvent. Métiers et artisans, artistes qui donnent à notre pays l'un de ses plus beaux visages.

Belle tradition et qui me tient à coeur comme à celui de tous mes prédécesseurs puisqu'elle m'offre l'occasion de vous témoigner mon attachement personnel, c'est un attachement ancien, Monsieur le Président. Il y a quelques années, vous m'avez fait meilleur ouvrier de France honoris causa, et c'est un titre qui m'est particulièrement cher. Je ne sais pas si je sais faire beaucoup de choses avec mes mains mais je tiens beaucoup à ce diplôme. Aussi, je voudrais vous souhaiter à toutes et à tous la plus chaleureuse, et permettez-moi de le dire, la plus affectueuse des bienvenues.

Saluer chacune et chacun d'entre vous, c'est aussi rendre hommage à tout ce que vous représentez, tout ce que vous apportez à nos compatriotes et à notre pays. Le talent et l'exigence, le succès ainsi qu'une certaine idée du bonheur professionnel et personnel, les deux étant intimement liés par cette passion qui vous anime. Un héritage souvent séculaire de gestes mille fois et amoureusement répétés mais un héritage aussi de grandes qualités humaines et des valeurs les plus nobles : l'amour du travail bien fait ; la recherche patiente et constante de la perfection ; entre vous, je le sais, une vraie fraternité qui joue dans toutes les circonstances de la vie ; et le goût de la création, car les meilleurs ouvriers de France sont bien plus que les dépositaires d'un savoir-faire ancestral, ils développent sans cesse ce savoir-faire, le font fructifier et sont très souvent à la pointe de l'innovation.

Oui, s'il est un titre qui vous remplit d'une légitime fierté, qui suscite l'estime de tous, et qui n'est contesté par personne, c'est bien celui de meilleur ouvrier de France. Un titre qui va bientôt fêter ses quatre-vingts ans, avez-vous dit Monsieur le Président. Un titre qui, plus que jamais, attire les jeunes, vous l'avez souligné et c'est une belle performance. Ces jeunes qui savent qu'être Meilleur Ouvrier de France est un solide atout dans la vie professionnelle. Qu'il permet de s'imposer parmi les maîtres les plus exigeants. Et je me réjouis de les voir prendre la relève haut la main.

Enfin, le titre de meilleur ouvrier de France assure la pérennité de cet extraordinaire patrimoine d'expérience qui est l'une des forces de notre artisanat, de notre industrie et aussi de nos services. Ce sont ses savoir-faire reconnus qui assurent pour une très large part la renommée de notre pays dans le monde entier et qui lui permettent de faire la différence sur les marchés qu'il conquiert.

La France dans le monde, chacun d'entre vous peut s'en rendre compte quand il voyage ou à travers ses contacts avec l'étranger, bénéficie d'une solide réputation en matière de qualité, en matière d'excellence dans beaucoup de domaines. On lui reconnaît aussi une vraie capacité à innover à partir de ses savoir-faire traditionnels. C'est tout cela qu'incarnent les meilleurs ouvriers de France et que nous devons encourager, par tous les moyens.


Encourager la liberté et l'esprit d'entreprise. Si certains d'entre vous ont mis leur savoir-faire et leur talent au service de grandes entreprises, qui sont des fleurons de notre économie, la plupart d'entre vous ont choisi la voie de l'artisanat, de l'entreprise individuelle ou de la PME. Et je crois que c'est un élément essentiel de la réussite économique de la France et des Français sur l'ensemble des marchés. Notre pays doit prendre davantage en compte les besoins propres à l'artisan et à la petite entreprise. La loi, et la réglementation en particulier, sont trop souvent adaptées à la seule grande entreprise et dessinent un cadre trop éloigné des problèmes de la petite entreprise ou de l'artisan. Nous devons être davantage à l'écoute et mieux prendre en compte les spécificités de chacun. Certes, à l'heure de la mondialisation, la taille critique est un enjeu souvent capital sur les marchés. Chaque fois que je le peux, je donne mon appui à nos entreprises qui veulent constituer des pôles industriels et technologiques de taille à l'emporter dans la difficile compétition internationale. Ce sont des locomotives pour notre économie, elles sont naturellement nécessaires.

Mais nous devons garder à l'esprit que notre force découle aussi de cette image de qualité que diffusent et entretiennent vos métiers. Des métiers qui offrent une belle vitrine de la France. Oui, dans cette dynamique, l'entreprise individuelle et la grande entreprise ont en réalité un destin lié.

Et le grand enseignement de tout cela, c'est que nous devons laisser l'économie vivre, respirer, bourgeonner en prenant soin de ne jamais l'enfermer dans un carcan uniforme. Que nous devons laisser aux acteurs, tous les acteurs, de l'économie cette liberté dont ils ont besoin. Que nous devons laisser davantage se développer une société d'initiative et de responsabilité.

Et d'abord une société qui encourage le travail. Je vous le dis, à vous qui ne comptez pas vos heures, qui remettez sans cesse l'ouvrage sur le métier pour parvenir à la perfection, nous devons donner à cette patience, à cette exigence, à ce dévouement, la reconnaissance qu'ils méritent.

D'ailleurs, la première revendication de nos compatriotes aujourd'hui est de trouver un bon travail, leur permettant de vivre et de faire vivre leur famille, mais aussi un travail qui assure un épanouissement personnel.

Permettre à chacun de concilier sa vie professionnelle et sa vie personnelle, de combiner le temps de travail, le temps de loisir, avec les différents temps de la vie, est l'une des questions les plus importantes que notre société ait aujourd'hui à résoudre.

Elle n'a pas encore trouvé toutes les bonnes solutions. Dans notre société, c'est encore trop souvent sur les femmes que pèse le poids des compromis entre l'engagement professionnel et la vie familiale.

Dans un autre domaine, la réflexion pour consolider notre système de retraite tout en lui donnant plus de souplesse, avance trop lentement. Il reste beaucoup à faire et je souhaite qu'on progresse davantage et plus résolument.

C'est grâce à votre travail, à celui de l'ensemble des Françaises et des Français que notre pays tient toute sa place dans l'économie moderne, et que nous pouvons être fiers de nos réussites. C'est grâce à ces efforts que la croissance s'est installée dans un cadre assaini depuis 1995 grâce à la baisse des taux d'intérêt et à la création de l'euro qui nous ont apportés la stabilité et la confiance.

Comme tous les responsables publics, je me réjouis de voir votre dynamisme et celui de nos entreprises. C'est grâce à tous les Français et aussi à une conjoncture mondiale exceptionnelle, c'est vrai, que le chômage recule enfin de manière significative dans notre pays.

La croissance, la baisse du chômage, ces bons résultats économiques, vous pouvez les revendiquer pour une large part.

Cependant trop de charges, trop de formulaires, trop d'impôts pèsent encore sur l'activité, freinent l'effort et le développement de l'entreprise. Voilà pourquoi la priorité reste la baisse des charges de toute nature. C'est une nécessité à l'heure d'Internet, de l'euro, de la compétition économique mondiale. Nos entrepreneurs doivent pouvoir lutter à armes égales avec leurs principaux concurrents. Et c'est une exigence morale : le travail, le talent, la persévérance, la réussite doivent être récompensés comme il se doit !


Et nous devons donner toute sa place, je voudrais également souligner ce point qui est près de vos préoccupations, à l'apprentissage.

Dans toutes les conversations que j'ai avec les entrepreneurs ou avec les investisseurs étrangers, il apparaît que ce qui attire vers la France ou vers les entreprises françaises, c'est d'abord la qualité, le haut niveau de formation reçus par nos techniciens, nos ouvriers, nos ingénieurs. Ne pas se laisser enfermer dans un carcan uniforme, c'est aussi reconnaître l'inestimable valeur des formations, notamment l'apprentissage, que beaucoup d'entre vous ont suivies, peut-être la plupart d'entre vous.

J'évoquais à l'instant l'attrait de votre concours pour les jeunes. Et parmi les lauréats cette année, il y a de très nombreux jeunes. Je les félicite de leur choix et j'encourage vivement après vous, Monsieur le Président, les jeunes filles et les jeunes gens à s'engager davantage dans ce chemin, certes exigeant, mais source aussi de très grandes satisfactions. Je les invite à réfléchir à tout ce qui peut leur apporter dans leur vie professionnelle et dans leur vie personnelle le choix de l'un de vos métiers. J'ai entendu avec beaucoup de joie sur les écrans de télévision, depuis deux jours, quelques-uns des vôtres, Monsieur le Président, s'exprimer avec une force et une passion qui ne laissaient aucun doute sur la qualité de ceux qui s'exprimaient, qualité professionnelle mais aussi qualité morale.

Être l'un des meilleurs ouvriers de France, aujourd'hui, c'est avoir une chance de vivre sa passion et aussi d'en vivre. Et l'on ne peut que se réjouir de voir de plus en plus de jeunes s'orienter vers des formations professionnelles, notamment l'apprentissage dont les effectifs sont en augmentation sensible. L'effort doit aussi porter sur la formation tout au long de la vie : une formation continue qui permette de répondre à l'évolution constante et toujours plus rapide des métiers ; mais aussi une chance qui offre à chacun de changer de vie, en optant pour une nouvelle carrière, pour un nouveau métier.

Mon souhait, Monsieur le Président, c'est finalement que chacun trouve sa voie, sans préjugés, avec une vue claire et réaliste de toutes les formations et des perspectives d'emplois qu'elles ouvrent. C'est que nous reconnaissions enfin la pluralité et l'égale dignité des voies d'excellence, que nous leur accordions leur pleine valeur économique et sociale, et -un pas important a été franchi dans ce sens, vous l'avez rappelé récemment-, que nous voyions toute la noblesse qu'il y a à être un bon ouvrier et, si l'on accède à votre talent, à votre expérience, un des meilleurs ouvriers de France.


Voilà, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, les réflexions que m'inspirent vos succès et votre propos, la belle image que vous donnez de vos métiers et de notre pays, et les valeurs, la passion qui à l'évidence vous animent. Au moment de remettre leur titre et leur médaille à quelques-uns hélas, pas à tous, mais à quelques-uns des nouveaux meilleurs ouvriers de France, comme le veut la tradition, laissez-moi vous redire mon attachement et celui sans aucun doute de tous nos compatriotes.

Et je remercie tout particulièrement les organisateurs et les jurés de ce XXIe concours qui se sont investis, qui ont offert leur temps, leur compétence, pour que se poursuive l'aventure de la belle ouvrage. Et, naturellement, j'adresse mes plus vives félicitations aux brillants lauréats de cette année, ces nouveaux meilleurs ouvriers de France qui font honneur à notre pays et à nos traditions.

À tous, merci et bravo !





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