Discours du Président de la République sur l'Environnement.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, sur l'Environnement.

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Centre des conférences, Orléans, Loiret, le jeudi 3 mai 2001

Monsieur le Maire d'Orléans, Monsieur le Président du Conseil Régional, Monsieur le Président du Conseil Général, Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs les Élus, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Pas à pas, Orléans et sa région sont en train de mettre en place, si j'ai bien compris, leur pôle national pour l'environnement. Et c'est l'une des grandes ambitions, Monsieur le Maire, de votre équipe municipale, nous en avons parlé et je vous en félicite. La ville et le département ont de nombreux atouts pour réussir. Cela ne fait aucun doute.

Je viens de participer à une réunion de travail avec le comité de pilotage du "Plan Loire". Et j'ai été très impressionné par l'ampleur et la qualité des réflexions, des projets, des réalisations. Elles reposent sur un partenariat efficace entre l'État, les collectivités locales. Et comme partout en France, un fort engagement des élus, au premier rang desquels je voudrais citer, bien sûr, mon ami Éric DOLIGÉ qui préside l'Établissement public d'aménagement de la Loire, qui est aujourd'hui une condition essentielle du succès. La vallée de la Loire vient, grâce à vous toutes et à vous tous, d'être inscrite au patrimoine mondial de l'humanité. Elle se doit par conséquent d'être tout à fait exemplaire.

Je suis heureux de constater qu'une nouvelle approche de l'écologie, une nouvelle méthode écologique, est désormais à l'oeuvre, dans une concertation permanente de toutes les parties prenantes. Elle s'imposera pour peu qu'on le veuille et parce qu'elle est nécessaire pour répondre à la gravité, le mot n'est pas trop fort, de la crise environnementale que connaît le monde d'aujourd'hui.

S'il est une question, en forme d'inquiétude collective, qui fait de nous des citoyens solidaires d'une même terre, d'une même humanité, par-delà les conflits d'intérêts entre les peuples, par-delà l'opposition entre le nord et le sud, c'est bien la question de l'environnement.

Non que cette préoccupation soit nouvelle. Ce n'est pas d'hier que les Français s'y intéressent. L'attachement à la nature, au cadre de vie, à la ruralité, l'engagement croissant de nos compatriotes dans la lutte contre la pollution, la diffusion des idées et des savoirs écologiques, en témoignent largement.

Mais longtemps d'autres défis occupèrent prioritairement nos esprits et mobilisèrent nos volontés. La poursuite de la reconstruction après la Deuxième Guerre mondiale. La mise en place de l'Europe. La décolonisation. L'angoisse de la guerre froide. L'interminable crise économique avec la tragédie d'un chômage qui allait toujours croissant. L'écologie n'était pas, il faut le dire, notre premier souci.

Et tout a changé, je pense, au cours de cette dernière décennie. Certains événements ont joué un rôle de révélateur voire de catalyseur. Je pense aux marées noires, d'autant plus choquantes qu'elles résultent de négligences humaines. Je pense à la diffusion incontrôlée d'organismes génétiquement modifiés. À la crise de la vache folle, qui met en cause des pratiques contre nature. Aux dérèglements climatiques, où nous craignons de déceler les premiers effets du réchauffement de l'atmosphère. Et chacun sent bien, après les tempêtes de décembre 1999, après les inondations de Bretagne et de Normandie, avec celles dont, hélas, nos compatriotes de la Somme souffrent cruellement aujourd'hui, que des phénomènes apparemment naturels peuvent avoir été causés ou aggravés par l'action ou par l'inaction humaine.

À travers ces événements, c'est une prise de conscience collective que nous vivons. Conscience des agressions quotidiennes que nous subissons, liées à la pollution de l'air, à la dégradation des eaux souterraines, aux nuisances sonores. Conscience de ce qui modifie et détériore notre patrimoine naturel, qui est fragile, qui est irremplaçable. Conscience de ce qui menace notre santé et en particulier la santé des plus vulnérables : les enfants, les personnes âgées, les habitants de zones défavorisées.

Depuis quelques années, le problème a changé de dimension et de tempo. Les écosystèmes mondiaux sont profondément perturbés. La pression sur les ressources dépasse déjà les capacités de reconstitution de la nature, alors que la population du globe devrait augmenter de moitié en une génération. J'ai eu l'occasion de le dire à la Conférence de La Haye récemment, et je le répète aujourd'hui : la question qui se pose est celle de notre avenir commun. En matière d'environnement, exigence rime désormais avec urgence. En un mot, il y a péril en la demeure.

Longtemps affaire de spécialistes, la protection de l'environnement est devenue un impératif éminemment politique, qui concerne la cité planétaire tout entière. Il s'agit de faire prévaloir une certaine conception de l'homme par rapport à la nature. Il s'agit de rappeler ses droits, et aussi ses responsabilités. Il s'agit de définir une éthique collective pour la prise de décision, dans le respect des droits des générations futures.

Une nouvelle et grande ambition s'impose à tous, en tous les cas à nous : faire de la France le creuset de cette nouvelle éthique et d'une autre façon de vivre le XXIe siècle. Inscrire une écologie humaniste au coeur de notre pacte républicain.




Faire le choix de l'écologie humaniste, c'est faire le choix d'une démarche qui met l'homme au centre de tout projet et lui laisse la responsabilité de son destin. C'est une approche qui part des besoins de l'homme, sans prétendre entraver le dynamisme de nos sociétés, mais au contraire, en l'accompagnant. Elle ne vise pas simplement à conserver un ordre naturel immuable, qui n'a sans doute jamais existé. Elle est créative, pragmatique, imaginative, confiante dans l'avenir de l'humanité, confiante dans l'homme. Un homme qui a compris que son sort n'est pas distinct de celui de la nature et de l'ensemble des êtres vivants. Un homme qui accepte de raisonner à long terme pour que ses actes d'aujourd'hui n'hypothèquent pas son avenir. Un homme qui continue toutefois, naturellement, à explorer les terres inconnues de la connaissance pour améliorer son sort et celui des générations futures, sans jamais céder à la tentation si commode de l'obscurantisme. Non pas l'homme réduit à sa seule dimension économique, l'homme qui travaille, se déplace, consomme, mais l'homme appréhendé dans la totalité de ses aspirations : sociales, culturelles, spirituelles. Un homme toujours en marche, mais désormais conscient qu'il lui revient de préserver le patrimoine de la vie.

Nous devons nous appuyer sur les progrès de la science et de la technologie pour construire de nouveaux modes de production et de consommation, une nouvelle relation entre l'homme et l'économie, entre l'homme et la nature. Conjuguer le développement et le respect de l'environnement, voilà le vrai progrès. Voilà l'ambition que la France peut se fixer. Elle serait alors fidèle à elle-même, à son histoire, à sa culture.


Alors, au nom de cet idéal, l'écologie, le droit à un environnement protégé et préservé doivent être considérés à l'égal des libertés publiques. Il revient à l'État d'en affirmer le principe et d'en assurer la garantie. Et je souhaite que cet engagement public et solennel soit inscrit par le Parlement dans une Charte de l'Environnement adossée à la Constitution et qui consacrerait les principes fondamentaux, cinq principes fondamentaux afin qu'ils soient admis au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, et à ce titre bien entendu s'imposant à toutes les juridictions y compris le Conseil constitutionnel comme ce fut le cas pour le préambule de la Constitution ou la Déclaration des droits de l'Homme.

D'abord premier principe, le principe de responsabilité.

Toute personne, toute collectivité, publique ou privée, consomme des ressources et pollue. Dans la limite des exigences de la solidarité, chacun, y compris l'État, doit en répondre, selon la règle pollueur-payeur. Ce qui veut dire que le prix des biens et des services doit prendre en compte les coûts écologiques. Chacun, et en premier lieu l'État, doit assumer les conséquences de ses actes sur l'environnement, au niveau national, mais aussi européen et international. Il y a en France encore trop de laxisme dans l'application des lois environnementales. Des défaillances criantes ne sont pas sanctionnées comme elles le devraient. Elles doivent l'être davantage, tout en veillant, bien entendu, à ne pas traiter les consommateurs, les automobilistes, les agriculteurs, les entreprises comme des délinquants en puissance, alors que chacun a vocation à être un partenaire de l'action publique au service de l'intérêt général.

Je souhaite aussi que la France anticipe l'adoption par l'Union européenne de sa directive sur la responsabilité. Deuxième principe, le principe de précaution.

Dès 1995, la loi BARNIER l'introduisait dans notre droit. Et l'Europe l'a consacré. La France se bat pour qu'il soit reconnu au niveau mondial. Devant la gravité des accidents, devant le pouvoir vertigineux que donne à l'homme le progrès technique, l'impératif de la sécurité et le souci des générations futures doivent nous conduire à systématiser l'évaluation des risques et en améliorer la gestion. S'il faut récuser toute peur, toute frilosité, toute volonté de surprotection - le risque zéro n'existe pas, et les Français le savent- les risques potentiels doivent être correctement pris en compte en vue d'adopter des mesures préventives proportionnées. Cela suppose notamment d'améliorer le fonctionnement et la transparence des autorités indépendantes et de mieux organiser leur dialogue avec les pouvoirs publics et les organisations professionnelles.

En ce qui concerne les OGM, l'application du principe de précaution implique aussi que leur développement éventuel soit soumis à des études d'impact environnemental et sanitaire inspirées de celles qui sont prévues pour les médicaments.

Troisièmement, le principe d'intégration.

L'environnement, sous tous ses aspects, doit devenir un critère de décision, comme le sont déjà les considérations sociales ou financières. Toutes les politiques publiques, celles de l'État comme celles des collectivités locales, devront intégrer cette nouvelle dimension de l'action.

Le moment est venu de lancer un "audit vert" des administrations et des politiques qu'elles conduisent. Il ne suffit pas qu'existe un ministère de l'environnement, qui doit bien sûr être pleinement respecté et convenablement doté. Il ne suffit pas que la culture environnementale de nos décideurs publics ait évolué positivement depuis vingt ans, ce qui ne fait aucun doute. Il revient à chaque administration dans l'exécution de sa mission de s'imprégner de l'impératif écologique. Tous les ans, par exemple, chaque ministère devrait rendre public son bilan environnemental. Il revient aussi à toutes les collectivités publiques de mieux respecter l'exigence légale de la participation, qui donne à chaque citoyen accès aux informations relatives à l'environnement. Et internet peut y aider.

Dans la logique de ce principe d'intégration, notre fiscalité doit faire toute sa place à l'écologie.

Il ne s'agit pas de créer plus d'impôts, naturellement. Bien au contraire, nous devons les réduire. Nous savons très bien que la France est actuellement paralysée par un excès de prélèvements fiscaux, ou sinon paralysée tout au moins handicapée. Mais nous pouvons et nous devons davantage intégrer l'écologie, et en particulier les atteintes portées à l'environnement, dans la conception même de notre fiscalité.

La fiscalité est un levier d'action puissant. Elle doit pouvoir être utilisée pour l'écologie comme elle l'est pour des considérations sociales, de redistribution, ou d'incitation ou pour favoriser un type de comportement. C'est-à-dire pour déterminer le sens d'une politique.

Principe de prévention ensuite.

Soyons économes de nos ressources naturelles. Mieux vaut intervenir à la source, anticiper les risques, plutôt que de devoir réparer les dommages que l'on n'a pas su prévenir. Mieux vaut produire moins de déchets que de devoir ensuite multiplier les filières pour les éliminer. Mieux vaut économiser l'énergie ou l'eau douce plutôt que d'en prélever et d'en produire des quantités excessives par insouciance ou par gaspillage. Ce principe de bon sens, inscrit dans la loi, est si souvent oublié qu'il est temps d'en renforcer l'expression et d'en préciser la portée.

Enfin, et peut-être surtout, principe de participation.

Dans un domaine qui touche à la vie quotidienne des citoyens, l'État se heurterait à de nombreux réflexes défensifs s'il préférait systématiquement contraindre plutôt que de convaincre.

Il faut permettre aux citoyens, et aux acteurs de la vie économique et sociale, de participer directement aux décisions, dans la transparence. La France a besoin d'un véritable dispositif de débat public, doté des instruments de diffusion et d'échange les plus modernes. À l'échelon national, il doit comporter l'organisation régulière de conférences de citoyens. À l'échelon local, il exige un renforcement des procédures d'enquêtes publiques. National ou local, le débat public doit commencer le plus en amont possible des décisions.

Il faut aussi aider les associations à s'impliquer de façon efficace et responsable. Et je salue leur rôle souvent précurseur en matière d'environnement. Ici, à Orléans, je pense tout naturellement à la fédération France Nature Environnement. La participation des associations aux commissions prévues par la loi doit, sans aucun doute, être facilitée.

Enfin, parce que l'écologie est au coeur de la citoyenneté, elle doit faire partie des programmes d'enseignement dès l'école primaire, pour apprendre à nos enfants les lois de la nature et les gestes qui la protègent. C'est ainsi que se diffusera, dans toute la société, une culture de respect de l'environnement, inséparable d'une éducation civique digne de ce nom.




Forte de ces principes, la France peut devenir le creuset d'un nouvel art de vivre pour le XXIe siècle.

Au cours des dernières décennies, elle a su imaginer des instruments originaux et efficaces pour le développement durable. La gestion de l'eau par bassins versants inspire aujourd'hui la pratique et la politique européenne et les normes mondiales. Le conservatoire du littoral a protégé d'une urbanisation forcenée une part importante de nos côtes. La forêt française, grâce à la bonne gestion des propriétaires publics et privés, est devenue l'une des premières forêts européennes et s'accroît régulièrement. Notre gestion de la sécurité industrielle a été novatrice. La France a progressivement acquis l'autorité nécessaire pour se porter aux avant-postes d'une écologie humaniste.

Et je pense que quatre lignes d'action complémentaires doivent être retenues, complétées par une réflexion nouvelle sur notre politique énergétique.

D'abord, préserver et gérer notre environnement naturel.

Nos côtes, nos grands fleuves, la diversité de nos paysages et des espèces vivant sur notre sol, sont des grands atouts pour nous.

La protection de ce patrimoine, son renouvellement, son usage doivent faire l'objet d'un dialogue, sans invective ni polémique. Aucune catégorie de Français ne peut confisquer la nature à son profit. Les règles de gestion doivent être fixées de manière concertée et avec pragmatisme. La France doit gérer ses espaces naturels et ruraux avec la participation de tous. Agriculteurs, forestiers et chasseurs sont autant d'alliés pour l'écologie, et des alliés qu'il faut aider et mobiliser.

Et je mettrai l'accent aujourd'hui sur les problèmes de l'eau et de l'agriculture, deux questions qui, à juste titre, préoccupent les Français.

Ceux-ci constatent que l'eau est de plus en plus chère alors que la pollution des nappes phréatiques s'accroît.

Même si les agences de l'eau constituent un modèle de gestion durable, des progrès sont nécessaires. Ils passent par une meilleure application du principe d'équité entre les différentes catégories d'usagers, par un meilleur entretien des réseaux de distribution, par une irrigation optimisée. Ils exigent aussi que les ressources en eau soient mieux protégées et l'information sur la qualité de l'eau plus largement diffusée.

S'agissant de l'agriculture, il est essentiel de consolider et de renouveler le pacte de confiance qui lie depuis toujours la France à ses paysans.

De nouvelles voies de développement s'ouvrent à eux. Chacun a conscience de l'importance croissante de la demande de produits d'appellation contrôlée ou de produits biologiques. La richesse de nos terroirs, de nos savoir-faire répond de mieux en mieux à ce besoin d'authenticité. Mais ce n'est qu'un aspect du problème. C'est en effet pour l'ensemble des productions agricoles qu'il faut parvenir à une meilleure prise en compte de l'environnement.

Les pollutions agricoles seront réduites avec les agriculteurs, sûrement pas sans eux et encore moins contre eux. Ils multiplient les efforts vers une agriculture plus écologique, qui protège les sols, les nappes d'eaux souterraines et la biodiversité.

Les politiques agricoles ont progressé dans ce sens. Les accords de Berlin, qui ont réformé la PAC en 1999, ont dégagé des moyens nouveaux pour que les pratiques agricoles soient toujours plus respectueuses de l'environnement. Il faut tirer pleinement parti de cette réforme. Ce qu'a fait la France et ce que ne font pas tous les pays, y compris parmi ceux qui réclament, de plus en plus, de modifications dans la politique agricole commune devraient d'abord utiliser les voies qui leur sont ouvertes dans ce domaine.

Ces efforts doivent être reconnus, se poursuivre, s'étendre. Le niveau de pollution des nappes phréatiques est en effet, tout à fait, excessif dans plusieurs régions. Déjà, certaines collectivités se sont efforcées de réagir. L'État doit prendre toutes ses responsabilités, dans le cadre européen, pour les aider et les accompagner, selon des procédures qui doivent privilégier la concertation et l'initiative locale.


Deuxième exigence : améliorer la qualité de la vie urbaine, et on peut en parler utilement ici à Orléans où ce souci est tout à fait prioritaire.

Près de la moitié des Français se disent affectés par le bruit, essentiellement lié aux transports. Routes, autoroutes, voies ferrées, aéroports : ces infrastructures peuvent être mieux intégrées dans leur environnement si nous acceptons d'y consacrer de nouveaux moyens. C'est aussi une question sociale, car les zones les plus bruyantes sont justement celles où vivent les populations les plus défavorisées. Il est indispensable d'accélérer le programme de résorption des 3000 points noirs du bruit. Au rythme actuel, il faudrait un siècle pour en venir à bout !

Mais le bruit n'est pas seul en cause : il y a aussi la qualité de l'air. Un large débat sur cette question est tout à fait nécessaire, comme c'est d'ailleurs le cas actuellement dans votre région autour du projet de plan régional de la qualité de l'air. L'asthme chez les jeunes enfants et les troubles respiratoires chez les personnes âgées augmentent, chacun le sait. Il faut donc s'attaquer plus fermement aux particules, à l'ozone, aux oxydes d'azote.

Et je soutiens, pour ma part, le renforcement des normes internationales. Celles qui seront imposées aux camions en octobre prochain et aux automobiles en 2005. Celles qui concernent les avions et qui sont attendues avant la fin de l'année. Celles, si nécessaires, qui concernent les deux-roues, actuellement en discussion au niveau européen.

Mais pour que cette politique produise tous ses effets, il faut évidemment inciter au retrait des véhicules les plus anciens et intensifier les recherches sur les véhicules propres.


Sur le long terme, le visage de nos villes dépend aussi des plans de déplacement urbains et d'une politique foncière équitable et économe en transports. La deuxième génération de ces plans, rendus obligatoires par la loi LEPAGE de 1996, devra prendre en compte la lutte contre l'effet de serre et mettre l'accent sur l'intermodalité.

Il ne serait pas acceptable de restreindre la liberté de circulation des Français en réduisant brutalement l'espace disponible pour leurs voitures sans proposer d'alternative vraiment compétitive du point de vue du confort, de la sécurité, de la fréquence, de la régularité. C'est seulement ainsi que nos compatriotes donneront la préférence aux transports collectifs, ce qui doit être, naturellement, notre objectif.


Troisième exigence : agir sur les réseaux de transport de marchandises.

Leurs émissions de gaz à effet de serre sont en effet en croissance rapide. Les solutions sont connues : rendre moins polluantes les flottes de poids lourds grâce à un engagement européen des constructeurs. Favoriser le cabotage, la voie d'eau, la voie ferrée. Organiser systématiquement l'intermodalité, comme nous le ferons avec la nouvelle liaison Lyon-Turin, décidée en janvier dernier.

Le transport maritime, pour sa part, est soumis à une exigence spécifique. Les deux naufrages de l'Erika et du Ievoli Sun ont amené la France à proposer à ses partenaires européens et à l'Organisation maritime internationale un renforcement des règles de sécurité maritime. Il s'agit de mieux coordonner entre pays riverains pour faire respecter ces règles. Et je souhaite que nous aboutissions à la création d'une agence européenne de sécurité maritime et que l'Europe se dote d'un dispositif aussi efficace que celui des garde-côtes américains. Il s'agit aussi de renforcer nos propres moyens de contrôle, car nous sommes encore en deçà, pour ne pas dire souvent très en deçà, des engagements internationaux.

Ces moyens nous permettront de lutter contre les dégazages sauvages, qui sont responsables de l'essentiel des pollutions des mers. Il faut adopter des règles beaucoup plus sévères, comme nous avons commencé à le faire en Méditerranée et en mer du Nord, et surtout les appliquer fermement.

Ces réformes sont indispensables pour éviter que se produisent de nouvelles catastrophes.


Quatrième exigence : réconcilier l'écologie et l'activité industrielle.

Les contradictions entre croissance économique et respect de l'environnement doivent être dépassées. La recherche de l'éco-efficacité ouvre un nouvel espace à l'innovation et à l'esprit d'entreprise. Dans l'économie mondialisée, on constate déjà que les entreprises les plus respectueuses de l'environnement se placent parmi les plus compétitives et les plus créatrices d'emplois. C'est pourquoi la France doit accorder aux secteurs des éco-industries et des éco-services une valeur stratégique. Ces secteurs, qui emploient déjà plus de 300.000 personnes, ne demandent en fait qu'à se développer.

Cela exige d'abord des efforts de formation et de recherche, pour mieux comprendre les éco-systèmes et pour développer des procédés moins agressifs pour l'environnement ou réparateurs de dégâts. À Orléans, l'IFEN, le BRGM et le CNRS s'y emploient déjà. Leurs moyens devront être renforcés.

La stratégie nationale du développement durable adoptée dès 1996 s'était fixée pour objectif d'obtenir deux fois plus de bien-être avec deux fois moins de ressources. On parle ici d'un facteur 4. Et je souhaite que nous rendions réellement opérationnel cet objectif.

La première priorité c'est de mettre en place une politique nationale de réduction, de recyclage et d'élimination des déchets.

Il faut d'abord faire porter l'effort sur la réduction à la source. La conception des machines et des emballages, notamment bio-dégradables, le tri à la source, le recyclage doivent être privilégiés. Les mécanismes à mettre en oeuvre doivent responsabiliser le plus possible les consommateurs et les entreprises.

S'agissant des déchets ménagers, on a trop souvent dit que les Français refuseraient la discipline nouvelle du tri sélectif, et bien c'était mal les connaître, car partout où il existe, les résultats du tri sélectif sont aussi bons que dans les pays les plus performants.

S'agissant des déchets industriels, il faut instaurer de véritables écosystèmes industriels, où les rejets des uns seront les matières premières des autres, pour une économie maximale de matières premières neuves.


À ces exigences s'ajoute celle, primordiale parce que nécessaire à toutes les autres, d'une évolution de la politique de l'énergie. Nous devons aller progressivement vers un système énergétique différent, plus économe, notamment en matière d'énergie fossile. C'est pour nos générations une responsabilité historique.

Notre politique énergétique doit tendre à la diversification, car nul ne sait de quoi l'avenir énergétique de la planète sera fait. Aucun grand pays ne peut plus s'en remettre au " tout pétrole ", ou au " tout nucléaire ".

Alors, sans verser dans l'utopie d'un "tout renouvelable" et forte de ses positions dans les énergies classiques et nucléaires, la France doit absolument accélérer ses efforts pour développer les énergies d'avenir que sont les énergies renouvelables : solaire thermique, solaire photovoltaïque, éolien, biomasse, géothermie, sans oublier l'hydrogène et les piles à combustibles.

Étant par nature des sources d'énergie décentralisées, les énergies renouvelables rapprochent la production de la consommation et leur développement présente l'intérêt d'une pédagogie de la maîtrise de la consommation énergétique. J'ajoute que pour l'industrie française, c'est aussi la perspective de marchés considérables, par exemple dans les pays en développement.

En particulier, la production de biocarburants mérite d'être soutenue. Source d'énergie propre, dès lors qu'elle se fait dans les règles de l'agriculture raisonnée, c'est aussi un débouché potentiel pour les agriculteurs.

Mais c'est surtout sur la place de l'énergie nucléaire que, parfois, nos compatriotes s'interrogent. Ce débat ne doit pas être occulté. Il doit être abordé sans crainte, et je dirais aussi sereinement, sans dogmatisme, mais en reconnaissant aussi ce que nous devons à l'énergie nucléaire. Elle participe aux efforts de la France pour limiter ses émissions de gaz à effet de serre et contribue grandement à sa moindre dépendance énergétique, donc à sa sécurité économique et par conséquent à son niveau de vie.

L'énergie nucléaire est nécessaire. Mais elle ne constitue pas une solution universelle et sa place évoluera en fonction de la part que pourront prendre les autres énergies.

En tout état de cause, pour exploiter l'énergie nucléaire dans les meilleures conditions, il convient de maintenir au plus haut niveau l'exigence de sécurité, de poursuivre l'effort de recherche, et c'est essentiel à une plus grande transparence, avec une séparation claire des rôles de chacun et d'intensifier les études sur la réduction et le stockage des déchets. Il convient enfin de renforcer la coopération internationale pour améliorer la sécurité des centrales et pour garantir la non prolifération.




De toutes ces évolutions naîtra une économie sobre mais tout aussi dynamique et créatrice d'emplois. Une économie dont les pays en développement pourraient s'inspirer, évitant ainsi les errements passés de notre civilisation industrielle. Nous avons, à cet égard, une responsabilité.

Une politique de l'environnement efficace doit être ouverte sur le monde car bien des menaces, qui paraissent locales, sont en réalité globales.

La pollution de l'air et la déforestation alimentent le réchauffement climatique. Les scientifiques évoquent la descente des tempêtes vers le sud, l'élévation du niveau des mers et la remontée vers le nord de maladies tropicales. De la dégradation des sols ou de l'épuisement des ressources en eau douce peuvent naître des conflits, famines, des guerres. Le recours trop fréquent et sans précaution à des méthodes de pêche intensive menace d'épuisement certaines ressources de la mer. Déjà, la disparition d'un nombre croissant d'espèces végétales et animales fragilise la biosphère. Il en résulte la dilapidation de richesses potentielles considérables.

De tous ces phénomènes globaux, nous ne sommes pas seulement les victimes, nous sommes d'abord les responsables.


Face aux conséquences du réchauffement climatique, face à ces tragédies annoncées, nous ne saurions rester inertes.

J'ai dit à La Haye quelle stratégie je croyais nécessaire au plan international. Le protocole de Kyoto doit être ratifié et appliqué. L'Europe en prend toute sa part. Déjà, elle a rempli la moitié de l'engagement pris à Kyoto. La France y a pleinement contribué et continuera naturellement à le faire. Mais il faut que les États-Unis concourent à cet effort. Ils prendraient une lourde responsabilité s'ils revenaient en arrière.


L'Europe doit assumer un rôle de pionnier et marquer sa volonté de contribuer plus fortement à l'équilibre écologique de la planète.

Dès maintenant, la perspective de leur adhésion à l'Union pousse les pays d'Europe orientale et centrale, les dix pays, à accorder plus d'importance à la guérison des blessures écologiques qu'ils ont subies au cours de plus de quarante années d'exploitation productiviste. Avec eux, c'est le plus grand ensemble économique de la planète, cinq cent millions d'habitants, qui fait le choix du développement durable, comme il a fait celui de la liberté. Mais en vérité, l'un ne va pas sans l'autre.

Les Traités sont très clairs sur la nécessité d'intégrer l'environnement à l'ensemble des politiques communautaires. La Charte des droits fondamentaux proclamée à Nice innove en inscrivant l'environnement pour la première fois parmi ces droits essentiels. À Göteborg, à l'occasion du prochain Conseil européen, dans quelques jours l'Europe s'engagera davantage encore. J'ai fait part à la présidence suédoise de mon soutien sans réserve à cette démarche.

Visant l'exemplarité, l'Europe doit être un grand acteur de la diplomatie environnementale. Elle doit aussi être plus généreuse et plus ouverte aux pays du sud, afin de conclure avec eux un véritable partenariat pour le développement durable.

Elle doit peser fortement pour que l'échec de La Haye soit surmonté et il peut l'être. Il démontre que nous avons besoin d'une conscience environnementale nationale, d'un lieu qui incarne l'intérêt général de la planète, qui transcende les intérêts particuliers des États.

Pour cela, la France, fidèle à une tradition historique d'universalité que la mondialisation justifie chaque jour davantage, appelle à la création d'une véritable Organisation mondiale de l'environnement, sur le modèle de l'Organisation mondiale de la santé ou de l'Organisation internationale du travail.

Il est temps aussi de mesurer les conséquences du sous-développement sur l'environnement : déforestation, dégradation des sols, pillage des ressources naturelles, autant de conséquences de la lutte pour la survie dans les pays pauvres. Il faut les aider à maîtriser leurs choix économiques, industriels et à contrôler le comportement des entreprises.

Honorer nos engagements à leur égard, notamment en matière d'aide au développement, n'est pas seulement une question de solidarité et de morale, c'est aussi notre intérêt. Dans un monde global, interdépendant, nous subissons le contrecoup des désastres écologiques qui affectent les pays en développement comme ils subissent les effets de nos modes de production.

Le sommet de Johannesburg l'an prochain, dix ans après celui de Rio, doit être l'occasion de relancer notre combat pour le développement durable à l'échelle planétaire.

La France s'y prépare avec ses partenaires européens et francophones. Elle souhaite accueillir des représentants de la société civile du monde entier pour les associer au processus. Elle doit aussi lancer, sans plus tarder, un grand débat national.




La transition vers une écologie humaniste ne se fera pas bien entendu en un jour. Nouvelle étape de la civilisation, elle exige détermination et patience devant les inévitables tâtonnements. Chaque pays inventera sa voie. Il n'y aura pas de modèle unique, mais des principes universels et aussi des expériences à partager.

Nous savons bien que de nombreux obstacles devront être franchis.

Obtenir le concours des pays les plus industrialisés comme celui des plus pauvres ne sera pas simple. Pour des raisons différentes, les uns et les autres sont inquiets des contraintes qu'ils auront à surmonter sur la voie du développement durable.

Mais surtout, il faudra, de la part de chaque citoyen et des entreprises, une adhésion pleine et entière aux exigences que cette écologie humaniste, aux exigences qu'elle peut impliquer, une adhésion allant bien au-delà de la simple compréhension des enjeux et du soutien aux idées.

Cela demandera une volonté politique inscrite dans la durée et soutenue par toutes les forces vives. Mais c'est l'intérêt général, c'est la clé d'une meilleure qualité de vie et c'est la condition même de la poursuite du progrès économique et social.

Nous réussirons si nous mettons au service de cette écologie humaniste les progrès des sciences et des techniques, si nous appliquons à la lutte contre la pollution la même intelligence, la même créativité qu'au développement d'activités nouvelles, et si nous faisons prévaloir un nouvel esprit de responsabilité, une nouvelle citoyenneté et une attention généreuse au bien-être futur de nos enfants et petits-enfants.

Au fil des siècles, l'homme a pris conscience de lui-même et du monde. Il découvre aujourd'hui l'étendue de sa puissance et son corollaire, l'étendue de sa responsabilité, une responsabilité sans précédent dans l'histoire. Le processus de civilisation consiste dans la maîtrise progressive de la violence physique, de la violence politique, de la violence économique. La violence à l'encontre de la nature doit à son tour être soumise à l'éthique et au droit.

Telle est je crois la voie à suivre. La France doit avoir l'ambition d'inventer une alliance nouvelle entre l'homme et la nature, pour contribuer à dessiner et à faire vivre une mondialisation humanisée et maîtrisée.

Je convie, je crois que c'est mon rôle, chaque Français à prendre part à cette nouvelle ambition pour l'environnement et la qualité de notre vie. Voilà ce qui doit être l'un des grands combats nous permettant de renforcer notre pacte républicain.

Je vous remercie.





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