Discours du Président de la République lors de la visite au 152e régiment d'infanterie à Colmar.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de sa visite au 152e régiment d'infanterie à Colmar.

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Colmar, Haut-Rhin, le jeudi 28 juin 2001

Monsieur le Ministre, Monsieur le Préfet, Mon Général, Monsieur le Maire, Mon Colonel, Mesdames, Messieurs,

Je tiens d'abord à remercier le colonel Gallart de son accueil chaleureux et de sa présentation du prestigieux du "15-2" que j'ai suivie avec beaucoup d'intérêt.

Et je me réjouis de cette occasion de visiter les fameux "diables rouges" dont la réputation n'est plus à faire dans notre armée et qui témoignent, depuis 1794, d'un attachement indéfectible à l'Alsace et à Colmar.

En tant que chef des armées, j'attache une importance particulière à ces visites dans les unités, qui me permettent d'entretenir un contact direct avec les hommes et les femmes de la Défense, d'être à l'écoute de leurs aspirations et de leurs besoins et de vérifier directement comment les orientations ou les directives que je donne sont appliquées et vécues.

Le 15-2, récemment professionnalisé, régulièrement engagé dans des opérations extérieures, vivant en symbiose étroite avec sa ville et sa région, est exemplaire de la mutation profonde de notre armée de terre. Votre beau régiment témoigne du chemin parcouru et des objectifs ambitieux assignés à la restructuration des forces.

Il était donc normal que je choisisse ce cadre pour évoquer avec vous la professionnalisation, qui est au coeur de la réforme des armées que j'ai décidée en 1996. Le moment est venu, en effet, d'en donner le bilan et d'en tirer quelques leçons.




Une première évidence s'impose. Cette réforme était nécessaire et elle est sur le point d'aboutir.

Les crises répétées et l'instabilité de l'après-guerre froide, la construction européenne et l'évolution des technologies appelaient à la création d'une armée de volontaires, immédiatement disponible, formée et entraînée aux opérations de coalition. Dans le même temps, l'évolution de nos sociétés et l'inégalité croissante devant le service militaire accentuaient l'urgence de la réforme.

Le résultat est là.

Cette armée professionnelle, vous l'avez construite en cinq ans, malgré la pression, à la fois des engagements extérieurs et des secours d'urgence apportés à nos concitoyens victimes de catastrophes.

Il a fallu recruter largement en un temps très court, concevoir la formation et la reconversion des engagés, réorganiser les forces et les structures de commandement et de soutien pour les adapter aux exigences de la projection et de la gestion des crises. Il a fallu enfin améliorer, à tous les niveaux, la capacité de nos forces à agir dans un cadre interarmées et international.

Ces efforts considérables, qui ont nécessité la dissolution d'un nombre important de régiments, ont trouvé leur aboutissement.

La réorganisation est presque achevée, les objectifs ont été tenus. Dès l'an prochain, le rythme des recrutements sera ramené à un niveau plus compatible avec la ressource disponible.

Et c'est parce que les besoins des armées étaient globalement satisfaits que j'ai décidé, en accord avec le Gouvernement, la suspension anticipée du service militaire. Je l'ai fait par souci d'équité, pour tenir compte de la situation professionnelle et familiale de plus en plus difficile des jeunes gens encore astreints à cette obligation. Mais je tiens, dans ces circonstances, à rendre, devant vous, un hommage particulier à tous les appelés d'hier et d'aujourd'hui sur lesquels, pendant plus d'un siècle, a reposé la sécurité de notre pays. Ils ont accompli leur devoir avec une grande générosité et un dévouement qui ne s'est jamais démenti dans les circonstances les plus difficiles.

Cet arrêt anticipé du service militaire, pour nécessaire qu'il soit, va créer pour l'armée de terre, je le sais, des contraintes temporaires. Dans ce contexte, il est d'autant plus urgent que soit mis un terme au déficit important en personnel civil que connaît l'armée de terre.

Mais, je le rappelle, la réforme, pour l'essentiel, est derrière nous. L'engagement massif de nos forces, au cours de ces deux dernières années, dans les Balkans, à Timor, au Proche-Orient et en Afrique, témoigne de la validité des choix qui ont été faits. Le courage et l'efficacité de nos unités ont été unanimement reconnus. J'ai pu le constater personnellement en Bosnie, en Macédoine et au Kosovo quand je les ai visitées.

Cette transformation profonde de nos armées, et en particulier de l'armée de terre, a demandé des efforts d'adaptation considérables de la part des officiers et des sous-officiers. Ils ont été consentis dans la discipline, avec une loyauté et dans un climat de sérénité exceptionnels.

Je l'ai déjà dit à plusieurs reprises et je tiens à le répéter, il y a là un exemple à méditer pour l'ensemble des administrations de l'État. Je vous exprime, pour ma part, la reconnaissance des Français qui vous savent gré des sacrifices acceptés pour leur sécurité et pour préserver la place et le rôle de notre pays en Europe et dans le monde.

Faut-il pour autant considérer que tout est acquis et qu'ayant fait le plus dur de la route, nous sommes désormais assurés du succès ? Je le ne le crois pas.

Il faut encore consolider et pérenniser la réforme. Et aujourd'hui, au-delà des restructurations et des ajustements techniques qui s'imposent, la priorité absolue doit être donnée aux hommes.

Je n'ignore pas que nos armées connaissent, depuis quelques mois, un sentiment de lassitude et que le moral, dans certaines unités, est moins bon qu'il ne devrait l'être.

Les raisons m'en sont connues. C'est d'abord une fatigue légitime après cinq ans de réorganisation et la multiplication des interventions en France et à l'étranger. C'est aussi la diminution sensible de la disponibilité des équipements majeurs constatée dans les trois armées.

C'est enfin le sentiment d'une dégradation de la condition militaire et d'un décalage croissant avec la société civile. Nos militaires et nos gendarmes aspirent aujourd'hui à davantage de considération et de reconnaissance.

De tout cela, vos chefs d'état-major, le ministre de la Défense et moi-même sommes parfaitement conscients.

Des mesures ont été prises ou sont à l'étude pour améliorer le dialogue au sein des armées et pour renforcer leurs liens avec la Nation. À cet égard, je souligne l'importance prioritaire de l'insertion locale de nos unités. Le 15-2 en donne ici un exemple parfait, par l'excellence des relations qu'il entretient avec la ville de Colmar. Mais, l'effort dans ce domaine ne doit pas venir que des militaires et j'en profite pour saluer devant vous l'engagement du maire, Gilbert Meyer, et de sa municipalité dans cet échange profitable à tous.

Un meilleur dialogue permettant la prise en compte des aspirations légitimes de chacun, un renforcement des liens avec la société civile, une rénovation de l'organisation du soutien des équipements sont indispensables, mais ils ne seront pas suffisants.

Nos armées ont aujourd'hui besoin de perspectives et de moyens. Elles doivent être assurées de leur avenir dans un cadre stabilisé. C'est ce qu'elles attendent de la future loi de programmation militaire.

Celle-ci devra, en priorité, confirmer l'objectif du modèle d'armée 2015 défini par la loi de 1996. Elle devra garantir la poursuite de la professionnalisation, en y consacrant des moyens suffisants. Elle devra préserver l'entraînement des forces et le niveau de la maintenance. Elle devra marquer la continuité du renouvellement des équipements.

Mais on ne peut attendre 2003 pour répondre aux besoins les plus urgents. Il est indispensable que le prochain budget de la Défense comporte des mesures significatives d'amélioration de la condition militaire. Ces mesures catégorielles ne doivent pas être prises au détriment du budget d'équipement, sans quoi la crédibilité même de la loi de programmation militaire en serait affectée.

Mais elles sont nécessaires, notamment pour compenser le décalage avec la société civile qui ne peut que s'accentuer avec l'extension du régime des 35 heures à l'ensemble de la fonction publique.

Un bon budget 2002 pour la Défense sera la marque de confiance et de reconnaissance que les armées attendent du Gouvernement et de la Nation.




Mesdames et Messieurs, comme je vous l'ai dit, la réforme est presque achevée et c'est un important succès qui place nos armées parmi les meilleures et les plus respectées du monde occidental.

Il nous faut encore procéder aux nécessaires ajustements pour que la condition militaire reçoive le traitement prioritaire qui lui revient dans une force professionnalisée.

Chacun, à son niveau, doit prendre ses responsabilités. Elles sont, certes, d'ordre politique et financier. Mais elles concernent aussi chacun d'entre vous dans l'exercice de ses fonctions.

J'ai approuvé les mesures proposées par le ministre de la Défense pour améliorer l'organisation de la concertation dans les unités. Et j'ai donné mon accord à l'établissement d'un mécanisme de recours qui garantisse la protection des droits individuels.

D'autres dispositions ont été prises pour améliorer le déroulement des carrières et pour faciliter la reconversion. Leur mise en oeuvre prendra du temps, mais le processus est bien engagé.

Enfin, au-delà de ces mesures matérielles indispensables, je tiens à rappeler l'importance du maintien, à tous les échelons, d'un style de commandement moderne, adapté à l'armée professionnelle et à l'évolution des mentalités.

C'est le message que votre chef d'état-major vous a déjà transmis. J'y insiste, en rappelant que la confiance, qui est la base la plus solide de la discipline, se gagne par l'exemple et le respect des subordonnés.

J'ajoute que la disponibilité, fondement de l'ordre militaire, est d'abord un état d'esprit. Dépouillée des contraintes inutiles qu'il faut combattre sans répit, elle est d'autant mieux acceptée par tous.

J'approuve donc sans réserve les actions entreprises dans les armées et la Gendarmerie pour promouvoir, dans le respect des règles fondamentales de la discipline et de la disponibilité, un style de commandement et des modes d'organisation mieux adaptés au monde d'aujourd'hui.

Émanation directe de notre société, semblables aux jeunes de leur âge, les officiers, sous-officiers et engagés de la nouvelle génération sont souvent plus directs et plus exigeants que leurs aînés. Mais, ils l'ont prouvé en Afrique ou dans les Balkans, ils sont aussi disponibles, généreux et compétents.

Le commandement des unités de l'armée de terre, rythmé par les missions extérieures, dans un cadre d'action nouveau, exige, plus encore qu'auparavant, un engagement soutenu, une attention constante portée aux hommes. J'en mesure bien le poids.

Mais ce que j'ai vu ici, aujourd'hui au 15-2, me conforte dans l'idée que le défi est déjà relevé et que nous pouvons être confiants dans l'avenir.

Les "diables rouges", fidèles à l'histoire glorieuse de leurs aînés, témoignent de la réussite de cette réforme considérable et nécessaire.

Vous pouvez être légitimement fiers de ce que vous êtes et de ce que vous faites pour notre pays.

Vous avez mon estime et ma confiance.

Je vous remercie.





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