Allocution du Président de la République à l'occasion du dîner d'État offert par le Président d'Estonie et Mme Helle MERI.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du dîner État offert en son honneur par le Président de la République d'Estonie et Mme Helle MERI.

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Tallinn, Estonie, le samedi 28 juillet 2001

Monsieur le Président, Madame,

Permettez-moi d'abord de vous dire mon plaisir d'être des vôtres, en Estonie, répondant ainsi à cette invitation que vous m'aviez si chaleureusement lancée dès 1997, à l'occasion de l'une de vos visites à Paris. Le plaisir, Monsieur le Président, de m'entretenir avec un ami, à la veille de grandes échéances pour notre continent. Le plaisir aussi de rencontrer pour la première fois le peuple estonien, avec lequel nous allons poursuivre demain la grande aventure européenne.


En accomplissant aujourd'hui cette visite, j'ai le sentiment de m'inscrire dans une évidence longtemps masquée par la division de notre continent : le profond ancrage de votre pays en Europe.

Européens, vous l'êtes par vos institutions et vos choix de société. La liberté, le droit et l'équité, la démocratie, sont au coeur de notre projet. D'emblée, vous y avez votre place. Vous-même, Monsieur le Président, rappeliez à Pärnu, le 23 juin dernier, la dimension politique de l'Union, "souvent perçue, et à tort, disiez-vous, comme une organisation à finalité économique, alors qu'elle est avant tout le rassemblement de pays qui partagent des valeurs".

Européens, les Estoniens le sont par leur vision d'une Union dynamique et solidaire. Où le goût et la liberté d'entreprendre sont les moteurs de la prospérité économique, mais avec le souci de l'homme. Une Union qui s'est bâtie sur le progrès social et qui défendra son modèle : à Tallinn comme à Paris, nous sommes d'accord pour que le développement technologique et les succès de l'entreprise se conforment aux exigences de l'éthique.

Et nous partageons le même attachement à notre histoire, à nos traditions, à nos racines. Pour vous et nous, adhérer à l'Europe n'est pas renoncer à sa culture, à sa langue, à soi-même. Je tenais tout particulièrement à renouveler ce message, ici, dans cette région où l'épanouissement des nations fut si longtemps et si durement brimé.

Européens, vous l'êtes par votre combat et votre quête de sécurité et de paix. Nous, Français, n'avons pas oublié ces heures terribles, et magiques aussi, où l'est de l'Europe a secoué le joug d'un demi-siècle de domination. Nous avons gardé l'émotion de ces instants où s'est joué le destin de vos peuples. En 1989, la Hongrie ouvrait une brèche dans le Mur de la honte, avant que l'Allemagne ne l'abatte. Cette même année, ici -chose naguère impensable, d'une audace sans nom-, à l'intérieur des frontières soviétiques, grondait la révolte. Les Estoniens hissaient leur drapeau et formaient avec leurs voisins baltes, de Tallinn à Vilnius, une formidable chaîne humaine. Le mouvement était lancé. Il allait changer le visage de l'Europe. Et votre volonté de liberté et d'indépendance, inébranlable dans la domination et l'oppression, suscitait notre admiration.

À travers vous, Monsieur le Président, je veux rendre hommage à la ténacité, à la clairvoyance, au courage des Estoniens qui, en seulement soixante-dix ans, ont proclamé leur État, vu leur souveraineté confisquée puis l'ont reconquise. Je veux saluer le rôle déterminant qui fut le vôtre dans le rétablissement de la République, votre action en faveur de la stabilité dans cette région éprouvée par tant de tumultes. Et votre conviction européenne.

La conviction notamment que cette Union, qui depuis un demi-siècle, à l'ouest, a transformé nos relations, garantit à ses membres la paix et la sécurité. Lorsqu'au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'Allemagne et la France ont opéré leur rapprochement, surmontant des décennies d'un cruel antagonisme, c'était pour enraciner enfin la paix sur notre continent. Ce mouvement, nous le poursuivons aujourd'hui. À l'initiative notamment de la France, l'Union européenne s'est pourvue d'une Politique étrangère, de sécurité et de défense et s'est donnée un Haut représentant, chargé de porter la voix de l'Europe. Nous mettons actuellement en place les instruments et les procédures militaires de cette ambition, en harmonie avec l'Alliance atlantique.

J'ai souhaité que ma visite dans cette région de l'Europe soit l'occasion de réaffirmer ce qu'est désormais la vocation de l'Alliance atlantique : instaurer un espace de coopération toujours plus vaste et plus ouvert, garantir la sécurité de ses membres et mettre ainsi définitivement notre continent à l'abri des conflits qui l'ont endeuillé des siècles durant. Avant hier à Vilnius, hier à Riga, et aujourd'hui, j'ai répété le même message : le processus d'élargissement de l'Alliance a vocation à se poursuivre ; il intègre à l'évidence votre pays ; mais il ne s'agit pas de reconstituer en Europe de nouvelles lignes de fracture. Il faut que l'OTAN continue à nouer et développer avec les autres États européens des liens de concertation et de coopération, seuls à même d'établir la confiance que nous appelons de nos voeux.


Monsieur le Président, nous nous réjouissons de pouvoir demain continuer à vos côtés la construction européenne.

Votre pays a déjà bien avancé ses pourparlers avec l'Union. Commencés en mars 1998, ceux-ci ont abouti à la clôture des deux tiers des chapitres de négociations. Les conclusions du dernier rapport de la Commission européenne vous sont très largement favorables, plaçant l'Estonie au tout premier rang des pays candidats, en particulier pour les critères économiques. L'optimisme est donc de rigueur. La France souhaite que votre pays remplisse les conditions nécessaires pour que les négociations se concluent d'ici à la fin de 2002 et que les Estoniens puissent ainsi prendre part au scrutin européen de 2004.


Notre communauté de destin dans l'Europe, Estoniens et Français la préparent. Elle est au centre de nos consultations politiques qui se sont sensiblement renforcées ces dernières années. Votre visite en France, Monsieur le Président, au début de l'année 1993, quelques semaines seulement après votre élection, a confirmé le rapprochement de nos deux pays, renouant les fils de l'histoire. La France, qui n'avait jamais reconnu l'annexion de l'Estonie, fut en effet l'un des premiers pays à restaurer ses relations diplomatiques avec Tallinn.

Notre rapprochement est économique aussi, puisque nos échanges sont en constante croissance. Au cours des seuls dix-huit mois écoulés, ils ont augmenté de 50 %, et évoluent vers un meilleur équilibre de nos relations commerciales. Je note que, l'an passé, la voiture la plus vendue en Estonie était française. Quant à nos investissements chez vous, ils ne cessent de se développer, tant à Tallinn que dans les autres régions, celle de Narva ou de Tartu par exemple. Je souhaite que ma visite d'État marque une nouvelle étape de cette coopération de nos milieux d'affaires. C'est la raison pour laquelle des représentants de nos entreprises m'accompagnent aujourd'hui. Ils peuvent s'engager davantage à vos côtés dans votre marche vers l'Europe. Ils ont les compétences, les hommes, les technologies, l'expertise, les ressources dans des secteurs clefs de votre développement.

Notre rapprochement est bien sûr culturel. Le ministère des Affaires étrangères de votre pays a lancé, en collaboration avec la France, un projet pilote d'enseignement du français. Outre l'intérêt pour vos agents et représentants de comprendre et pratiquer une grande langue internationale, j'y vois le signe, hautement symbolique, de l'intérêt de votre pays pour le mien. Et je vous en remercie. Pour sa part, la France ouvrira l'an prochain, tout près d'ici, son Centre culturel et de coopération linguistique. Enfin, j'ai inauguré ce matin, sur Toompea, à côté de votre Parlement et du siège de votre Gouvernement, la nouvelle Résidence de France. C'est assez dire quelle impulsion mon pays souhaite donner à ses relations avec l'Estonie ! Quelle place sera désormais la nôtre à vos côtés !


Grâce à vous, Monsieur le Président. Ce soir, c'est aussi à l'ami que je m'adresse. L'ami de la France, qui lui avait réservé son premier déplacement à l'étranger. Et qui a naturellement recherché son soutien dans ses projets pour l'Estonie. Et l'ami personnel, que j'ai appris à connaître au fil de nos rencontres et que j'estime profondément. Un humaniste, dont la formation, la carrière, la sensibilité ont nourri l'action. L'ethnologue renforçant chez le responsable politique la conviction que sa propre identité et le respect d'autrui sont de même substance. L'historien, dont la compréhension de la longue durée a permis à l'homme d'État d'exercer une influence remarquable dans son pays et à travers le monde.

Pour accomplir une coopération, il n'est de meilleur partenaire que celui qui apporte, avec son jugement, l'élan de sa vitalité. Vous représentez, Monsieur le Président, la vitalité d'un pays plein de ressource, d'intelligence et d'énergie, et qui a tant à offrir à l'Europe.

Tout à l'heure, je m'envolerai vers Paris. J'emporterai avec moi de fortes impressions : que l'Estonie, qu'en France nous connaissons mal encore, sera, lorsqu'elle nous aura rejoint, un acteur à part entière de la construction européenne. Que s'exprime ici une formidable espérance, nourrie dans la résistance à l'oppression séculaire, une générosité, puisée dans un rapport affectueux à la nature et dans une profonde culture, une force aussi, forgée dans le combat et qui fut capable naguère de relancer la roue de l'histoire. Et je me dis que c'est une grande chance pour l'Europe et son avenir.


C'est à cet avenir que je vais maintenant lever mon verre. Je le lève en votre honneur, Monsieur le Président, et en l'honneur de Madame Helle Meri, que je remercie pour son accueil si chaleureux et à qui je présente mes respectueux hommages. Je le lève en l'honneur des membres du Gouvernement d'Estonie et des hautes personnalités estoniennes et françaises qui nous entourent ce soir. Je le lève à l'amitié toujours grandissante entre l'Estonie et la France. Je le lève au bonheur et au succès du peuple estonien, qui sera, bientôt, demain, notre compagnon dans l'aventure européenne.





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