Voeux aux corréziens.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République : voeux aux Corréziens.1

Tulle, Corrèze, le samedi 13 janvier 2001

Monsieur le Préfet, Messieurs les Parlementaires, Monsieur le Président du Conseil général, Monsieur le Maire de Tulle, Mes Chers Amis,

Nous nous sommes vus plusieurs fois au cours de ces derniers mois. À l'occasion d'événements agréables et riches de promesses, comme la mise en service du premier tronçon de l'A 89 qui désenclavera notre région et notre département, ou bien à l'occasion de l'inauguration du Musée de Sarran. Parfois aussi pour partager des épreuves : la tempête de décembre 1999 qui a eu tant de conséquences dramatiques, notamment pour ce qui concerne les propriétaires forestiers ; plus récemment, la crise de la vache folle, qui touche si durement les éleveurs et notamment les éleveurs corréziens et l'ensemble de notre département.

Et à chacune de ces occasions, j'ai retrouvé ce qui fait la force de la Corrèze : la lucidité, le courage, la volonté de faire face. Et j'ai ressenti la force du lien qui m'unit tout naturellement à notre département et aux Corréziens. J'en suis heureux, comme je suis heureux de vous adresser, avec Bernadette, qui est votre élue, mes voeux très chaleureux de très bonne et très heureuse année à chacune et à chacun d'entre vous, à tous les vôtres, à tous ceux qui vous sont chers et puis aussi à notre département, à notre région.




L'an 2000, année qui a mis un terme au 2e millénaire, a été célébré partout dans le monde. L'an 2000, en effet, a été tout à la fois un adieu à une époque qui s'achevait, et aussi un temps de réflexion, de prise de conscience, d'anticipation. Le sentiment d'être confronté à des changements de fond, à des mouvements planétaires, dont nous sommes acteurs mais aussi spectateurs, s'est mêlé à la certitude de plus en plus forte que nous pouvons quelque chose à notre destin, que nous avons des espaces de choix, des marges importantes de liberté, et qu'il importe de ne pas les manquer. Cette année un peu particulière a été riche de leçons. Et pour ma part, j'en retiendrai trois, en forme d'ambitions collectives : le sens de la responsabilité, l'exigence de l'action et le devoir de solidarité.


Le sens de la responsabilité, pourquoi ? Tout simplement parce que les évolutions actuelles ouvrent de nouveaux champs à l'idée de responsabilité. Je prendrai un exemple celui de l'environnement, de la préservation de notre patrimoine naturel plus largement, de notre qualité de vie.

Nous mesurons de mieux en mieux désormais la responsabilité de l'homme dans les grands phénomènes, voire les menaces qui affectent notre planète. La pollution des mers et des océans, dont les marées noires sont l'une des expressions les plus visibles et les plus tragiques. Le réchauffement de la terre lié aux émissions de gaz à effet de serre, avec les catastrophes climatiques qu'il peut induire. La surexploitation des ressources naturelles, notamment des forêts ou des mers. L'accumulation des déchets. Les manipulations de toutes sortes, et d'abord génétiques, à des fins de productivité. Autant de dérives qui sont le mauvais visage d'une modernité insuffisamment maîtrisée. Autant de risques qui nous concernent tous, parce que nous sommes tous comptables de l'héritage que nous transmettrons à nos enfants, du paysage que nous leur dessinons, de la sécurité, notamment sanitaire, que nous leur assurons.

Bien sûr, mener le combat de l'environnement et de la préservation des grands équilibres, faire vivre au niveau des nations une éthique de la responsabilité, s'accorder sur une charte internationale de bonne conduite, c'est d'abord le devoir des États et de leurs dirigeants. Et vous savez que la France est à l'avant-garde de ce combat difficile. Mais le sens de l'intérêt collectif, le respect des autres, le sentiment d'appartenir à une même cité, qu'elle ait les dimensions de la planète, d'un pays ou d'une région, et la volonté d'en tirer toutes les conséquences, cela, c'est le devoir de tous et de chacun. Et je souhaite que 2001 soit une année de progrès pour le sens de la responsabilité, individuelle autant que collective.


Exigence de l'action. C'est évidemment le corollaire de la responsabilité. À quoi servirait d'être conscient et de se sentir partie prenante si cette prise de conscience n'engendrait pas l'action ? L'idée est très répandue que l'homme moderne serait le jouet de forces qui le dépassent, des grands mouvements économiques ou sociétaux. C'est vrai dans la mesure où nul n'échappe à son temps. Et pourtant, j'ai la conviction que les évolutions actuelles ouvrent de nouveaux champs à l'idée de liberté, liberté de vouloir, liberté d'imaginer, liberté d'agir.

L'Europe par exemple, vouloir l'Europe et agir en conséquence. L'Europe économique et agricole est une réalité ancienne que la Corrèze connaît bien, parce que les paysans y sont nombreux. L'Europe monétaire est faite et va rentrer dans la pratique prochainement. Mais ces différentes Europe ne trouveront leur sens et leur efficacité que si la véritable Europe se déploie, l'Europe politique, c'est-à-dire celle des citoyens. La présidence française a permis de la faire avancer, sur des dossiers et des sujets aussi importants pour les femmes et les hommes de notre continent que l'éducation, la sécurité, le travail, l'environnement. Le Sommet de Nice, et c'est ce qu'il faut en retenir, a été l'occasion d'affirmer une volonté commune d'élargir l'Europe, de parachever son unité par-delà les fractures de l'histoire, d'enraciner ainsi la démocratie et la paix sur notre continent.

Mais si nous voulons construire une puissance capable de faire jeu égal avec la puissance américaine, capable de réguler la mondialisation, de promouvoir un modèle social, de faire vivre un ensemble de valeurs, une conception des femmes et des hommes dans la société, dans le travail, alors nous devons donner à l'Europe un souffle, une ambition. Il s'agit de dépasser la seule défense des intérêts particuliers, quelques légitimes qu'ils soient . Il s'agit de se porter en avant et de rêver ensemble. Et je souhaite que 2001 soit traversée par cet élan européen.

Agir aussi c'est vouloir une France forte et douce à ceux qui y vivent. Il n'y a pas contradiction mais étroite complémentarité entre l'expansion économique et le bien-être social. Nous devons favoriser l'une pour conforter l'autre.

Nous venons de vivre, nous vivons toujours, une période de croissance, portée par le travail et l'engagement des Français, le dynamisme de nos entrepreneurs, l'excellence de nos salariés, l'action des pouvoirs publics et, bien sûr, la conjoncture internationale. La France s'est montrée sous son vrai visage dans cette croissance : un pays en expansion, ouvert sur l'extérieur, un pays qui croit en lui-même, qui invente, qui rayonne, qui exporte. Où les jeunes peuvent trouver leur place. Où les possibilités sont multiples, avec de nouvelles formes de travail qui apparaissent tous les jours.

Cette croissance, il s'agit de la conforter, il s'agit de la nourrir. Certes, nos entreprises créent des emplois, le chômage a reculé, nous avons profité de la croissance mondiale, mais il ne tient qu'à nous d'en profiter encore davantage en faisant les réformes que les Français savent aujourd'hui indispensables, celles qui ont été faites par beaucoup de nos voisins déjà. Alléger les contraintes qui pèsent sur l'activité et qui découragent parfois le désir d'entreprendre. Renouveler les formes et les méthodes du service public, afin qu'il réponde mieux aux attentes des citoyens et qu'il offre à ses agents plus de possibilités et de perspectives. Réduire les dépenses publiques en luttant notamment contre les gaspillages qui ne profitent à personne et, ceci permettant cela, diminuer les impôts et les charges. Valoriser le travail et, en particulier, les salariés modestes, pour mettre fin au paradoxe qui fait coexister un taux de chômage élevé et une offre d'emploi importante et non satisfaite dans de nombreux secteurs d'activité y compris chez nous. Tels doivent être nos objectifs. C'est en créant un climat favorable à l'emploi, en faisant en sorte que se déploient le dynamisme, l'audace, les qualités personnelles et professionnelles des Français, que nous créerons les conditions d'une baisse plus forte du chômage et aussi d'une amélioration des salaires, du niveau de vie, juste récompense des efforts fournis par tous pendant les années difficiles. Toutes ces réformes doivent être conduites dans la transparence, le dialogue et surtout le sens de l'intérêt général.

Une France forte et douce à ceux qui y vivent, c'est aussi une France rassurée. La sécurité revêt de multiples visages : sécurité de l'environnement, sécurité sanitaire et sociale, sécurité des transactions et des échanges. Mais pour tous les Français, la sécurité c'est d'abord la possibilité d'accomplir librement et tranquillement tous les actes de la vie quotidienne, de se déplacer sans crainte, d'envoyer ses enfants à l'école ou au collège sans inquiétude, c'est tout simplement le droit de vivre en paix dans sa ville, dans son quartier, dans son village, dans sa cité.

Or, de plus en plus souvent, ce droit est remis en question, quand se multiplient les incivilités et les agressions, quand les agents du secteur public, -conducteurs d'autobus, contrôleurs-, du secteur privé, convoyeurs de fonds, et bien sûr les policiers et les gendarmes, sont menacés, quand tout est prétexte à des explosions de violence ou de vandalisme, quand l'école n'est plus un sanctuaire mais le prolongement de la rue où règne souvent la loi des clans. Il y a là une évolution préoccupante, surtout quand on sait que la plupart des délits ne sont même plus signalés, soit par crainte de représailles, soit parce que les victimes n'espèrent plus rien des pouvoirs publics. C'est dire que la violence dans ses formes les plus extrêmes peut se banaliser, que le non-droit peut devenir un droit, revendiqué en tant que tel.

C'est évidemment inacceptable. Il n'est pas acceptable qu'une partie de la population se sente en quelque sorte abandonnée ; que les maires et leurs équipes tentent de mettre en place, dans un grand sentiment de solitude, des solutions ponctuelles ou partielles ; que les chefs d'établissements et les enseignants aient de plus en plus de mal à accomplir un métier qui est presque toujours une vocation ; que ceux qui se dévouent pour le bien-être de la communauté, médecins, infirmières, pompiers, n'osent souvent plus se déplacer, et apporter les secours attendus.

Il est temps de prendre toute la mesure de ce phénomène. Il est temps de trouver des solutions concrètes, portées par la volonté, et surtout la mobilisation de tous. Ces solutions existent. Elles exigent le dialogue, la concertation et, les décisions ayant été arrêtées sans démagogie, elles exigent de la détermination et une grande autorité.

Cette réalité d'ailleurs participe d'une tendance, à laquelle nous devons prendre garde, et qui est celle d'un certain morcellement, possibilité ou risque de morcellement de la France.

Vous savez tous combien je suis attaché, en France comme dans le monde, aux identités régionales, aux langues locales, aux expressions culturelles, et quel prix j'attache à leur affirmation et à leur sauvegarde. Ce sont nos racines. Elles nous font ce que nous sommes. Elles donnent à notre pays ses saveurs et ses couleurs. C'est pourquoi nous nous sommes battus sous la présidence française pour conserver, à l'occasion des discussions de Nice, les garanties que nous estimons essentielles dans le cadre de la diversité culturelle et du respect de notre identité culturelle.

Vous savez aussi combien je crois en la démocratie locale, sous toutes ses formes, combien je souhaite qu'elle puisse s'épanouir, que, dans cet esprit, la décentralisation aille à son terme, et s'accompagne de transferts de compétences et de moyens, indispensables si l'on veut que les décisions soient prises au plus près des citoyens et de leurs besoins. De même, je souhaite que les maires, vers qui se portent de plus en plus les attentes de nos concitoyens en matière notamment de sécurité, soient dotés de compétences leur permettant d'y répondre.

Et je souhaite enfin que l'on soit ouvert au droit à l'expérimentation mais bien sûr dans le respect des principes républicains.

Ce sont des évolutions nécessaires dans un grand pays moderne. L'extrême centralisation, les diktats imposés d'en haut et de manière uniforme ont vécu.

Ces évolutions nécessaires ont bien sûr une limite, qui est celle de la loi et de l'unité de la République. La loi doit être la même pour tous et s'appliquer de la même façon sur l'ensemble du territoire. On est d'abord de France, avant d'être d'une région, d'une cité ou même d'une religion. En tant que citoyens français, nous avons tous des droits et des devoirs. L'on ne peut, d'exceptions en statuts dérogatoires, avoir toujours plus de droits et toujours moins de devoirs. L'on ne peut laisser se diluer peu à peu la République. En la matière, l'exigence de l'action doit se doubler d'une exigence de vigilance et de fermeté sur les principes essentiels que sont les principes républicains.


Devoir de solidarité enfin. Devant les évolutions de plus en plus rapides que connaît notre monde, et les inquiétudes qu'engendrent ces changements accélérés, la solidarité est plus que jamais nécessaire. Elle est, avec la fraternité, cette source inépuisable de chaleur, de soutien, de confiance, dont chacun a besoin.

Et la solidarité ne connaît pas de frontière. Elle doit jouer dans le monde entier et notamment entre le nord et le sud. Trop d'inégalités nous séparent entre les pays riches et les pays pauvres. Inégalité face au développement, face à l'éducation, face aux nouvelles technologies, face à la santé, à l'heure où le sida, partout redoutable, fait en Afrique des ravages particulièrement graves. Nos sociétés industrialisées et prospères ne peuvent rester spectatrices de la détresse. Il en va de notre conception de l'éthique. Il en va aussi des grands équilibres de notre planète.

La solidarité doit jouer aussi à l'intérieur de l'Europe, entre l'est et l'ouest. Par delà une histoire tumultueuse et des fractures nées des deux guerres mondiales, nous devons, plus que jamais, assurer une communauté de destins. Cela suppose une meilleure connaissance les uns des autres. La multiplication des échanges, notamment dans les domaines éducatif et culturel, et, bien sûr, l'intégration progressive des pays candidats dans l'Union européenne. C'est ainsi que nous deviendrons peu à peu les citoyens d'une grande Europe, forte de sa diversité mais aussi, et c'est cela l'objectif essentiel et le seul moyen de l'atteindre, démocratique, pacifique et prospère.

Cette solidarité, elle doit jouer enfin entre tous les enfants d'une même communauté nationale. Garantir la solidarité. Assurer la protection de tous et d'abord des plus faibles. Favoriser une juste répartition des richesses. Corriger ce que les seules lois du marché peuvent avoir d'inhumain. Apporter une aide efficace, quand se produisent des événements graves comme les catastrophes naturelles. Tout cela, c'est le devoir de l'État et des collectivités territoriales.

Il faut que ces missions soient effectuées de la façon la plus personnalisée possible, au plus près des attentes des citoyens et des réalités du terrain. Il faut que la solidarité ait un visage. Mais les pouvoirs publics ne peuvent pas tout faire. Cela signifierait d'ailleurs que nous vivrions dans une société étatisée et donc déresponsabilisée. Nous savons que, quand surviennent les épreuves, il faut pouvoir se tourner aussi vers l'association de son quartier, le voisinage, ou tout simplement les membres de sa famille, qui sont, pour chacun, le premier cercle du soutien et de l'affection, le premier filet de la sécurité. C'est pourquoi tout doit être fait pour conforter les familles, pour les aider à assumer les charges essentielles qui sont souvent les leurs, notamment la prise en charge de leurs aînés. C'est pourquoi tout doit être fait pour soutenir la vie associative qui fait de notre France une Nation plus fraternelle, qui l'irrigue de son dynamisme, de son dévouement, de son engagement.




Telles sont, mes chers amis, quelques unes des leçons de cette année 2000 pour moi.

C'est parce que nous avons vécu, tous ensemble, ce temps de réflexion, de prise de conscience qu'a été l'année 2000, que nous pouvons aborder ce début de siècle avec confiance, et je dirai même avec enthousiasme.

Notre France a les moyens, la volonté, la générosité d'être tout à la fois une nation puissante, moderne, dans le peloton de tête des pays d'avenir, mais aussi une nation chaleureuse, solidaire, qui préserve et fasse vivre l'essentiel c'est-à-dire : les liens qui nous unissent, l'enracinement dans une même culture, un destin partagé.

Voilà ces réflexions et je vous remercie de les avoir écoutées. À chacune et à chacun d'entre vous, à tous les vôtres, à notre région et à notre pays, avec Bernadette, je souhaite une bonne et heureuse année 2001.

Je vous remercie.





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