Allocution du Président de la République à l'occasion des voeux de l' Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique et social..

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la présentation des voeux des bureaux de l'Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique et social.

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Palais de l'Élysée, le jeudi 4 janvier 2001

Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Président de l'Assemblée nationale, Monsieur le Président du Conseil économique et social, Mesdames et Messieurs les Parlementaires et membres du Conseil économique et social,

Je vous remercie, Messieurs les Présidents, des voeux que vous venez de me présenter, et auxquels j'ai été très sensible. À mon tour, je forme pour vous, pour vos proches, pour les parlementaires et les membres du Conseil économique et social, pour toutes celles et tous ceux qui vous entourent dans votre travail, des voeux très chaleureux pour l'année 2001.

Vos assemblées diffèrent par l'origine de leurs membres, par leurs pouvoirs et par leurs attributions. Elles ont chacune une personnalité propre. Elles sont trois façons de regarder la France, à partir du collège de ses citoyens, de ses territoires et de ses forces économiques et sociales.

Mais quel que soit le rôle propre de chacun, vous avez la mission de faire entendre, au coeur même de nos institutions, la voix des Français, dans toutes ses nuances mais aussi dans toute sa force. C'est à vous que revient de traduire dans des lois et dans un contrôle quotidien de l'action gouvernementale, les attentes de nos concitoyens.

Cette haute responsabilité fait de vous le coeur vivant de la République. Sans la vigilance du Parlement, la meilleure des constitutions reste lettre morte, la démocratie dépérit, l'administration dégénère en bureaucratie.

En donnant au Gouvernement les moyens de mener sa politique dans des conditions de grande stabilité, notre Constitution a encore renforcé la nécessité du contrôle parlementaire. C'est un mandat reçu des Français : le mandat de veiller en leur nom à un usage rigoureux des deniers publics, à la correcte exécution des lois et au bon fonctionnement des services publics.

Si le Parlement n'assumait pas complètement cette mission, personne ne pourrait le faire à sa place avec la même légitimité, la même indépendance, et la même autorité. C'est à travers les représentants de la Nation que doit s'accomplir le droit essentiel reconnu à la société par la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de "demander compte à tout agent public de son administration". Parce qu'il ne peut pas y avoir de démocratie vivante sans un Parlement exerçant la plénitude de son contrôle, le renforcement de son rôle est effectivement un impératif.

Grâce à l'instauration, en 1995, d'une session unique de neuf mois, les assemblées disposent de plus de temps pour voter la loi et contrôler l'action du Gouvernement. Le pouvoir d'initiative des parlementaires s'est accru. Et, depuis 1996, le Parlement se prononce tous les ans sur l'évolution des dépenses sociales qui mettent en jeu -chacun le sait- des sommes plus importantes encore que le budget de l'État.

Et ce mouvement, c'est vrai, doit être poursuivi.

Avec raison, les Français se montrent de plus en plus soucieux de la place qui est donnée à leurs représentants. D'abord parce qu'ils ne souhaitent pas que des pans importants de l'action gouvernementale échappent à leur contrôle. Mais aussi parce que, trop souvent, des écarts sensibles apparaissent entre le texte voté par le Parlement et son exécution.

Qu'il s'agisse de la loi de finances, de la loi de financement de la sécurité sociale, de la loi de programmation militaire ou de tout autre texte, le Parlement exprime une volonté qui doit être respectée.

C'est particulièrement vrai dans ces deux secteurs essentiels que sont la construction européenne et le contrôle des finances publiques. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : chaque année, plus de la moitié des normes qui entrent en vigueur sur le territoire français sont d'origine communautaire et, chaque année, plus de la moitié de la richesse nationale transite par les comptes publics. Si, dans ces deux domaines, le Parlement n'est pas présent à toutes les étapes de la décision, s'il n'y est pas étroitement associé, s'il n'a pas les moyens d'y suivre l'action du Gouvernement en temps réel, c'est une partie de la souveraineté des Français qui ne peut plus s'exercer.

En matière financière, le contrôle éclairé du Parlement ne revêt pas seulement le caractère d'une exigence démocratique et constitutionnelle. Il est aussi une garantie de meilleure gestion.

C'est pourquoi, je me réjouis de la décision prise par vos deux assemblées d'engager la modernisation du cadre général des relations financières de l'État, en initiant la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959 qui fut un très bon texte et qui est, en quelque sorte, la " constitution financière " de notre pays.

Il s'agit d'adapter nos finances aux exigences d'une gestion moderne. Dès la Révolution, l'un des grands principes de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen a été de permettre à chaque citoyen de s'assurer de la bonne utilisation de l'impôt. Le contrôle de l'argent public et l'exigence d'efficacité de la dépense sont à la base de toute démocratie, et notamment de la nôtre.

Aujourd'hui, notre cadre financier a vieilli. Ses insuffisances sont de plus en plus visibles : rigidité, manque de transparence, absence de prise en compte du moyen terme. Le sentiment s'accroît que nos comptes publics ne permettent plus d'avoir une vue simple et claire des grands enjeux financiers du pays pour effectuer les choix politiques qui s'imposent. La multiplication des retraitements financiers, des " changements de périmètres ", la manière évolutive de retracer recettes et déficits développe l'incompréhension.

Or, c'est notamment à la qualité de la présentation des comptes publics et à sa transparence que l'on reconnaît les grandes démocraties. En négligeant de moderniser la présentation de ses comptes, l'État ne se priverait pas seulement de tout ce que le débat citoyen peut apporter à sa gestion, il risquerait aussi de se prendre au piège de la culture du secret et de perdre une vision claire de l'organisation de ses services.

Mesdames et Messieurs les Parlementaires, c'est un grand chantier que vous ouvrez avec la modernisation du cadre financier de l'État. Il y va tout simplement de l'efficacité de notre pays. Il y va du rôle du Parlement, un Parlement qui doit être replacé au coeur des choix budgétaires.

À travers cette réforme, bien sûr, il ne s'agit pas de remettre en cause l'équilibre institutionnel que nous a donné la Constitution de 1958. Notre Constitution a fait la preuve de son ancrage sur des fondations solides. Une réforme constitutionnelle ne se justifie donc pas. Mais à l'intérieur de notre cadre constitutionnel, beaucoup peut être fait pour améliorer les pratiques budgétaires et financières.

C'est à un dialogue constructif sur ce point que je vous appelle, bien entendu.

Dialogue entre les deux assemblées d'abord. Ce dialogue existe et je tiens à le saluer pour sa qualité et son esprit de consensus dans toute la mesure du possible. Il est la condition de la réussite de cette réforme. Il démontre aussi toute la richesse de notre bicaméralisme.

Dialogue entre le Parlement et le Gouvernement ensuite, afin de donner à l'exécutif la souplesse de gestion nécessaire, dans la clarté, et de lui permettre de mieux prendre en compte les engagements à long terme de notre État -je pense notamment-, par exemple, aux retraites.

Je forme le voeu que l'année 2001 voie ce dialogue républicain trouver pour le pays un aboutissement utile qui soit en même temps un gage de bon fonctionnement de notre démocratie.

Replacé au coeur des choix budgétaires, le législateur doit aussi retrouver toute sa place dans le processus de décision communautaire. Directives et décisions sont négociées par le Gouvernement, au sein du Conseil des ministres de l'Union européenne. C'est un mécanisme original, dans lequel les parlements de chaque pays n'ont pas de rôle établi. Plusieurs de nos partenaires ont pourtant su s'organiser pour permettre à la représentation nationale d'agir tout au long de la discussion intergouvernementale.

La France doit aussi relever ce défi, si elle souhaite ne pas passer insensiblement, au fur et à mesure de la construction européenne, du parlementarisme rationalisé à un parlementarisme dévitalisé.

Depuis les réformes de 1992 et de 1999, le Parlement français peut adopter des résolutions sur les projets d'actes communautaires.

Il faut aller plus loin. Il est important que le Parlement soit étroitement associé au suivi des négociations et qu'il puisse peser plus fortement sur la définition des positions françaises. Loin d'affaiblir la voix de notre pays, cette plus grande présence du Parlement ne peut que renforcer l'autorité de ceux qui sont chargés de défendre nos intérêts. Elle permettrait en outre aux parlementaires de préparer plus efficacement la transposition des directives en droit français et d'éviter une situation comme celle que nous venons de connaître.

L'Europe est une construction en devenir. Née d'une décision des États, elle sera sans doute un jour pleinement l'Europe des peuples, mais elle peut dès aujourd'hui être l'Europe des Parlements. Parce que les valeurs d'humanisme et de démocratie qui fondent son identité culturelle l'exigent. Et parce que c'est au sein des parlements nationaux que peut aujourd'hui émerger une conception équilibrée du principe de subsidiarité, conciliant dynamisme communautaire et respect des identités nationales.

Au-delà des pouvoirs reconnus aux élus de la Nation, nous devons veiller à la qualité du débat public. De ce point de vue, il serait vain de craindre que le développement du dialogue social n'empiète sur les compétences parlementaires. Ce dialogue permet d'éviter qu'une règle de droit ne soit imposée de manière unilatérale et uniforme, sans qu'un débat national ait été ouvert. Il permet aussi de mieux appréhender la diversité des situations. Le dernier mot doit rester à la loi, garante de notre ordre public social. Mais cette supériorité du législateur ne doit plus empêcher ceux qui auront à appliquer le droit de prendre une part plus grande à son élaboration par la négociation collective. Le contrat doit toujours être préféré à la contrainte.

Je sais l'appui que le Conseil économique et social apporte au développement de nouvelles relations entre employeurs et salariés, afin de donner au dialogue social toute la place qu'il doit avoir dans une grande démocratie. Je sais aussi, Monsieur le Président, le souci que vous avez de vous rapprocher de vos homologues étrangers, vous l'avez évoqué, notamment au sein de l'Union européenne. Ces démarches doivent se poursuivre et s'amplifier. Elles participent à l'affirmation du modèle social européen que le récent sommet de Nice a encore renforcé.

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,

Il n'y a pas de démocratie sans débat. Le vieux mot de "Parlement" inscrit au centre de nos institutions politiques cette exigence qui doit s'incarner avec toujours plus de force dans le fonctionnement de nos assemblées constitutionnelles.

L'amélioration de la procédure législative, l'affermissement du contrôle parlementaire sont indispensables à la vitalité de notre démocratie et à la confiance de nos concitoyens dans leurs institutions. En ce début d'année, je souhaite que le Parlement puisse pleinement répondre aux attentes des Français et prenne -si j'ose dire- à bras le corps les réformes qui s'imposent.

À chacune et à chacun d'entre vous et à tous les membres de vos trois assemblées, je voudrais redire mes souhaits de très bonne et très heureuse année 2001.





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