Allocution lors de l'inauguration après rénovation du musée national des Arts asiatiques Guimet.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de l'inauguration, après rénovation, du musée national des Arts asiatiques Guimet.

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Paris, le lundi 15 janvier 2001

Messieurs les Ministres, Chère Claude POMPIDOU, Messieurs les Ambassadeurs, Monsieur le Conservateur Général, Mesdames, Messieurs,

Je veux vous dire d'emblée mon émotion après avoir parcouru les allées de ce nouveau musée Guimet. Vous faire part, cher Jean-François Jarrige de mon éblouissement, devant l'ampleur, l'éclat, l'intelligence de cette métamorphose. Éblouissement devant tant de trésors si somptueusement présentés. En fervent amoureux de Guimet, depuis longtemps, cette inauguration me comble de joie.


Vous et moi, Monsieur le Conservateur général, en avons souvent parlé : vous savez quels sentiments je porte à votre musée. J'y ai de profondes attaches. Il fut pour moi, comme pour tant d'autres, un lieu de révélation et d'apprentissage. C'est ici qu'il y a longtemps j'ai rencontré et aimé l'Asie. Ici, que j'ai découvert l'ancienneté, le génie de civilisations majestueuses. Que j'ai mesuré leur grandeur. Et, par contraste, le carcan, ethnographique ou exotique, dans lequel l'Occident les avait trop souvent tenues enfermées.

J'ai passé là de longs moments. Admirant, sur les linteaux et frontons des temples khmers, l'affrontement des dieux gracieux et des titans. Interrogeant le sourire énigmatique des somptueux Bodhisattvas. Fixant leurs figures harmonieuses et calmes, écoutant leur silencieux message de détachement et de sérénité.

Comme beaucoup de visiteurs, et parce que " les tiares d'Ajanta, les torses gréco-bouddhiques appellent toujours dans l'esprit la grande vie légendaire ", disait André Malraux, j'ai médité sur l'Éveil du Prince Siddhârtha. J'ai suivi en imagination le long chemin de Sa pensée, par la route de la Soie. Devant les Bouddhas à visage d'Aphrodite ou de Ganymède exhumés de Hadda, malheureusement feu Hadda, j'ai rêvé à la prodigieuse rencontre des soldats perdus d'Alexandre avec les cavaliers des steppes et les ascètes de l'Inde.

Sans doute, cher Jean-François Jarrige, le musée Guimet d'alors était moins beau qu'aujourd'hui. Mais c'était déjà un lieu magique pour lequel votre éminent prédécesseur, Vadime Elisseeff, qui était là tout à l'heure et que j'aurais voulu saluer particulièrement aujourd'hui, avait tant fait ! Magique, il le sera désormais bien davantage encore.


Magie des mises en scène, afin d'assurer une vision d'ensemble, sous tous les angles, des pièces les plus belles. Mise en scène sobre et lumineuse, où s'impose l'oeuvre, et elle seule. Mise en scène aérée, qui évite toute accumulation, toute pesanteur, pour privilégier la force de l'émotion.

Magie des collections. Celles d'Émile Guimet lui-même, fruit de ses voyages, et qui se sont enrichies très tôt des chefs d'oeuvre d'art khmer rapportés par la mission Aymonier ; des pièces coréennes ramenées par Charles Varat ; des fabuleux bronzes sino-tibétains et des peintures donnés par Jacques Bacot ; des trouvailles réalisées sur la Route de la Soie par l'expédition Pelliot ; et de celles issues des fouilles menées par Victor Segalen en Chine.

1945 marque la consécration du musée avec l'entrée des principales collections publiques françaises. Celles du musée Indochinois du Trocadéro bientôt suivies par celles du Louvre, riche notamment du fonds rapporté du Gandhâra par Alfred Foucher, co-fondateur il y a cent ans de la prestigieuse École française d'Extrême-Orient, puis par ses successeurs, Joseph Hackin et Jules Barthoux. Quelle fantastique épopée que celle de la Délégation archéologique française en Afghanistan ! Épopée qui se poursuit aujourd'hui, notamment pour sauver les trésors du musée de Kabul.

Vous-même, Monsieur le Conservateur général, menez une ambitieuse politique d'acquisitions, pour faire entrer à Guimet des oeuvres majeures. Et parmi tant de pièces admirables, vous me permettrez d'en mentionner quelques-unes, parce qu'elles me tiennent aussi à coeur : cette splendide stèle votive du VIe siècle, venue tout récemment enrichir vos collections de la Chine bouddhique ; ce merveilleux caravanier du VIIe siècle chinois qui occupe légitimement une place d'honneur parmi la statuaire de terre cuite ; et cette extraordinaire tête gupta de grès rose dont, Monsieur le Conservateur général, et je le comprends, vous êtes particulièrement fier.

Il s'agit aussi, en acquérant de nouvelles pièces, de mieux couvrir, à Guimet, l'ensemble des arts d'Asie. Donner toute sa place à la Corée : c'est chose faite, avec les salles splendides que nous venons de visiter. Exposer plus largement la peinture, l'estampe et la calligraphie. Prolonger l'aventure indienne à l'Inde fastueuse des Moghols et des Rajpoutes.

Aujourd'hui, grâce également aux nombreux legs et donations, Guimet s'enorgueillit de rassembler la plus vaste collection d'art asiatique du monde. Cette collection, Monsieur le Conservateur général, il restait à lui offrir l'écrin qu'elle méritait, digne aussi de la belle ambition que lui avait assignée son fondateur, Émile Guimet. Humaniste et précurseur. Admirateur sincère et passionné des civilisations de l'Asie.


Loin d'un exotisme en vogue, ses voyages furent pour Émile Guimet l'occasion de dialoguer et de comprendre, " de toucher le croyant, lui parler et le voir agir ", dit-il. Et c'est pour faire partager cet éblouissement qu'Émile Guimet eut l'idée d'un musée, inauguré à Lyon en 1879, puis transféré trois ans plus tard à Paris, pour être au coeur des principales institutions scientifiques et culturelles. Musée qui fût autre chose qu'une collection de curiosités, bien davantage qu'un musée des beaux-arts : un véritable " laboratoire d'idées ", un centre de recherches sur les religions et les civilisations du monde. Un lieu de réflexion pour puiser à d'autres sources les réponses aux grandes questions de l'occident moderne. En cela aussi Émile Guimet fut un visionnaire, à contre-courant de l'ethnocentrisme ambiant, avec un siècle d'avance sur son temps.

Sa vision, son ambition, Émile Guimet les résumera par cette belle formule : " Il y a des savants, écrit-il, qui se tiennent à l'écart, se choisissent, se comptent, se retirent dans le saint des saints et ferment le rideau derrière eux. Eh bien, moi, je fais des trous dans le rideau pour que tout le monde voie ! ". Monsieur Jarrige, Messieurs les architectes, en concevant ce qui est aujourd'hui le nouveau musée Guimet, vous allez plus loin encore : vous levez le rideau. Durant toutes ces années, où vous avez repensé et remodelé le Guimet, votre parti pris, votre maître mot fut l'ouverture.


D'abord vers ce large public, auquel Émile Guimet souhaitait faire rencontrer l'Asie. Un public de plus en plus attiré par cette Asie dont les civilisations, les savoir-faire, les traditions, l'imaginaire, sont pleinement entrés dans nos vies. L'Asie, qui rassemble près de la moitié de l'humanité.

L'Asie qui séduit par l'intensité, la force de sa création artistique. Aujourd'hui, un grand vent culturel souffle d'Asie. À la Cité de la Musique, on croise les dragons bienveillants qui, depuis des temps immémoriaux, ornent cloches et carillons chinois. Au Petit Palais, "La gloire des Empereurs de Chine" nous présente, exhumés de leurs sépultures millénaires, placés comme jadis sous la garde de guerriers de terre, les trésors des premières dynasties. À la Maison de la Culture du Japon à Paris, 400 ans de céramique Hagi se donnent à contempler.

Mais c'est aussi l'Asie moderne, avec ses effervescences artistiques, le brio de sa création contemporaine. Tout près d'ici, au Jeu de Paume, un collectif de jeunes artistes coréens invite à une troublante fiction archéologique. Et que dire du cinéma, cet art éminemment populaire, accès privilégié à d'autres mondes et d'autres sensibilités ? L'an dernier, à Cannes, l'Asie, son esthétique élégante, son intimisme poignant, se sont taillé la part du tigre. Reconnaissance de toute une profession confirmée depuis par d'éclatants succès en salles.


Ici, le public va pouvoir satisfaire son désir d'Asie. Avec le grand auditorium. Avec les nouvelles salles d'expositions temporaires et un beau programme, notamment ces "hautes Steppes, d'Alexandre le Grand à Gengis Khân", présentées très bientôt. Avec la bibliothèque, chère au coeur d'Émile Guimet, disposant désormais d'un vaste espace, lumineux, et de beaux magasins de stockage pour ses 120 000 volumes.

Avec aussi les ateliers pédagogiques, où les plus jeunes pourront, en s'initiant aux traditions artistiques de l'Asie, éveiller et développer leur propre sensibilité.

Ouverture virtuelle, également. Grâce à la numérisation des collections -disponibles désormais en cédéroms et dont les cent plus belles pièces peuvent être admirées sur Internet- et celle du fonds documentaire, bientôt accessible, lui aussi, sur internet. Et grâce à la publication, toujours sur internet, des recherches menées dans les grands chantiers de fouilles sous l'égide ou avec la participation du musée.


Ouverture, pour rendre vie à un musée menacé d'asphyxie, un musée qui était trop à l'étroit dans ses murs, trop isolé de la ville. Trop refermé sur lui-même et privé de lumière. Trop compartimenté quand sa vocation est d'embrasser dans leur globalité les civilisations et les courants de pensée.

Ouverture donc des sites d'exposition. Cloisons abattues, portes et baies percées, transparences créées, perspectives dégagées. Pour mettre en relation et en continuité des collections qui, à l'image des cultures asiatiques, s'imbriquent et se recouvrent. Pour donner plus de fluidité et de cohérence au parcours. Pour mieux suivre les chemins de l'art et de la pensée en Asie.

Ouverture à la lumière, omniprésente au coeur du bâtiment, pour un nouveau plaisir de voir et découvrir. Ouverture sur la ville, par des vues autrefois condamnées et qui permettent aujourd'hui d'admirer l'environnement exceptionnel dans lequel s'inscrit le musée.

Ouverture de nouveaux espaces. Pour un meilleur accès des scientifiques aux inestimables richesses du musée. Pour une meilleure conservation des réserves et une plus grande mobilité des collections dont je sais, Monsieur le Conservateur général, votre souhait de les faire tourner davantage pour en exposer toute la richesse.


Large ouverture, enfin, à de nouveaux partenariats : mécénats d'entreprises, dons de particuliers, de collectionneurs, collaboration et prêts d'institutions culturelles publiques et privées. Partenariats français, européens mais aussi asiatiques. Partenariats notamment pour l'équipement de Guimet et l'enrichissement considérable de ses collections, mais aussi en vue des grandes expositions itinérantes que Guimet projette de faire voyager en Europe et jusqu'en Asie.

Je remercie chaleureusement l'ensemble des mécènes et des donateurs, dont beaucoup sont parmi nous. Et je tiens aussi à remercier tous les gouvernements ici représentés de leur précieux concours.

Aujourd'hui, j'ai une pensée particulière pour notre amie Krishnâ Riboud qui nous a quittés l'an dernier après avoir tant apporté à Guimet et qui, avec son époux, a tant travaillé à rapprocher l'Inde et la France. Je suis heureux que Guimet leur dédie à tous deux la galerie qui rassemble leur magnifique collection de bijoux et de textiles de l'Inde.


Enfin, j'adresse un grand bravo à toutes celles et à tous ceux qui, à un titre ou un autre, ont participé à la rénovation de ce prestigieux établissement.

Ensemble, en parcourant le nouveau musée Guimet, nous avons pris toute la mesure de ce formidable chantier, qui a nécessité neuf années d'études et de travaux, et pour lequel conservateurs et architectes ont travaillé la main dans la main. Chantier, Monsieur le Conservateur général, qui vous doit beaucoup, pour ne pas dire tout, à vous et à toute votre équipe.

Chantier ambitieux, audacieux. Formidable défi, relevé haut la main par ses architectes Henri et Bruno Gaudin, dont nous avons pu admirer le grand talent à l'occasion de l'inauguration à Lyon, le mois dernier, de la nouvelle école normale supérieure et qui ont accompli le tour de force de s'affranchir des contraintes -qui étaient ici très fortes- pour conférer à ce bâtiment lumière, espace et profondeur.

Je veux saluer celles et ceux qui ont lancé puis soutenu, neuf années durant, ce grand projet. Monsieur Jack Lang, qui en a pris l'initiative, puis mon ami Jacques Toubon qui l'a engagé. Et je veux naturellement leur associer leurs successeurs rue de Valois, Monsieur Philippe Douste-Blazy, Madame Catherine Trautmann et, bien entendu, vous-même, Madame la ministre, qui vous êtes personnellement engagée pour que le chantier aboutisse dans les meilleures conditions et à la satisfaction de tous. Je vous en suis très reconnaissant. Je salue aussi la direction des Musées de France, dont le constant soutien, sous l'égide de Madame Françoise Cachin, a permis le succès de cette belle aventure.

Aujourd'hui, le musée national Guimet entre de plain-pied dans le XXIe siècle. Il s'affirme comme un pôle majeur de la recherche et de la connaissance des arts et des cultures asiatiques dans le monde. Et, au delà, comme l'un des tout premiers musées parisiens. Signe que quelque chose a changé. Et d'abord ce regard, parfois condescendant, souvent ignorant, trop longtemps porté sur les cultures "autres". Cette inauguration, Monsieur le Conservateur général, après celle, au printemps dernier, du Pavillon des sessions du Louvre -pavillon permanent-, et avant l'installation, dans trois ans, du musée du Quai Branly, marque une nouvelle grande étape du nécessaire dialogue des cultures. Elle consacre l'éminente contribution au génie de l'humanité de civilisations prestigieuses. Civilisations qui, à la faveur du puissant mouvement d'échanges qui marque notre temps, acquièrent enfin chez nous leur pleine dimension.

Une fois encore, je veux vous dire ma profonde gratitude pour ces retrouvailles émouvantes avec le musée Guimet, cher au coeur de tous ceux qui aiment l'Asie et qui veulent faire partager leur passion. Vous comprendrez que je forme, pour son avenir, d'ardents voeux de succès. Mesdames, Messieurs, je vous remercie.





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