Intervention du Président de la République au Cameroun à propos des nouvelles technologies de l'information et la mondialisation .

Intervention de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à propos des nouvelles technologies de l'information et la mondialisation lors du XXIème sommet Afrique-France.

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Yaoundé, Cameroun, le vendredi 19 janvier 2001

Sire, Messieurs les Présidents, Messieurs les Chefs de délégation, Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement heureux que, dans le cadre de ce sommet Afrique-France, nous puissions évoquer l'une des plus grandes évolutions technologiques de notre temps, celle des nouvelles technologies de l'information.

La numérisation des données et la puissance de calcul toujours croissante des ordinateurs réduisent désormais les coûts d'acquisition, de stockage, de traitement et de transmission de l'information. C'est une source nouvelle de productivité pour les entreprises. C'est un accélérateur de croissance pour l'économie mondiale. C'est un accès pour le plus grand nombre à l'information, la culture, la santé, d'un point à l'autre de la planète.

L'essor et la diffusion des technologies de l'information conduisent à repenser et réorganiser les structures économiques. Le terme de "nouvelle économie" qui est désormais couramment employé pour décrire ce phénomène est ambigu car les transformations qui nous touchent ne concernent pas seulement les entreprises de technologies nouvelles. La "nouvelle économie" c'est en réalité la capacité d'innover, de créer de nouveaux produits, d'explorer de nouveaux marchés, de trouver de nouvelles sources de compétitivité en utilisant tous les moyens appropriés, y compris l'internet et le commerce électronique. Et ce mouvement concerne toutes les entreprises dans tous les secteurs, qu'ils possèdent un fort contenu technologique ou non, dans l'industrie comme dans les services. Ni les ressacs boursiers, inévitables, ni les ralentissements conjoncturels, ne compromettront cette évolution de longue haleine.

Montés rapidement en puissance dans les pays industrialisés, l'internet et les technologies de l'information sont en mesure de donner des possibilités accrues aux politiques de développement. Ainsi, en facilitant le diagnostic médical, ils peuvent conforter les politiques de santé. En donnant aux professeurs, chercheurs et étudiants africains, un accès aux universités, bibliothèques et base de données du monde entier, ils contribuent à enrichir les programmes d'éducation.

Je crois que les pays africains doivent aborder cette "révolution numérique" avec confiance et avec vigilance.

Confiance car l'Afrique est depuis toujours une société de communication, décentralisée, "en réseau" comme diraient les sociologues contemporains. Elle ne se sent pas dépaysée par la révolution de l'information que le monde est en train de vivre. Elle l'acclimatera et y trouvera toute sa place.

Mais aussi vigilance. Car l'effort d'adaptation à faire est considérable. Il faut accepter de prendre des risques dans un contexte moins assuré qu'autrefois. Dans ce domaine, les États d'Afrique doivent être porteurs d'un grand dessein.

En effet, il est primordial d'assurer l'égalité des chances de tous les territoires, de toutes les nations, face au progrès, pour éviter que ne se creuse un véritable " fossé numérique " entre les régions qui ont accès aux technologies et les autres. L'émergence d'une telle fracture serait une menace pour la cohésion sociale des États mais aussi pour les grands équilibres mondiaux.

Pour prévenir ce danger, je vous suggère quatre champs d'action prioritaires : étendre l'accès aux nouvelles technologies, développer la formation, encourager la création de contenus, mettre en place des instances de régulation fortes.




Étendre l'accès, c'est la responsabilité première des États, c'est une exigence de service public. Il s'agit de développer les infrastructures de télécommunications, de diffuser largement l'usage de l'ordinateur dans les lieux publics, de faire baisser les coûts des télécommunications en développant les effets vertueux d'une concurrence régulée.




Dans une économie de la connaissance, renforcer l'effort d'éducation et de formation est également crucial. Il est nécessaire - ce que nous faisons actuellement en Europe - de renforcer l'enseignement des nouvelles technologies à l'école. Nos systèmes de formation tout au long de la vie doivent également adapter leurs méthodes pédagogiques et leur enseignement.

Mais, au-delà, c'est la lutte contre l'illettrisme que pays développés comme pays en développement doivent mettre au premier rang. Car, à l'heure de l'internet, l'illettrisme devient un véritable handicap social.

Dans cet effort d'éducation, l'Université occupe une place à part. En effet, elle doit devenir le creuset où se mêleront étudiants, chercheurs et entrepreneurs, dans une synergie féconde. Elle doit devenir la pépinière où écloront les projets innovants et se formeront les équipes chargées de les porter. Plus que jamais à l'heure de la nouvelle économie, il n'y aura de richesses que d'hommes. À l'échelle mondiale, la demande de travailleurs qualifiés est appelée à prendre une grande ampleur. Déjà des pénuries de main d'oeuvre se font ressentir dans les pays industrialisés. La France elle-même voit certains de ses meilleurs éléments attirés à l'étranger par des perspectives professionnelles plus stimulantes.

Ce risque d'une fuite des cerveaux, d'une hémorragie des talents, l'Afrique doit s'armer pour l'enrayer. Cela suppose de conduire sur place des projets innovants, de se spécialiser dans des secteurs adaptés, de mettre en place un environnement particulièrement favorable pour attirer les investisseurs du monde entier. La globalisation impose une compétition féroce des territoires. Il faut dès aujourd'hui s'y préparer.




Il faut ensuite que l'Afrique soit davantage présente sur l'internet.

Encourager la création de programmes et de sites internet africains, c'est permettre aux populations de s'approprier ce nouvel outil, c'est développer les échanges à partir du continent, c'est accentuer la diversité culturelle du réseau, c'est refuser l'uniformisation.

Car s'il faut, sous peine de régresser, embrasser résolument la modernité, être ouverts à l'innovation et profiter du puissant mouvement de mondialisation, on ne doit pas pour autant renoncer à ce qui fait la spécificité, la richesse et la cohésion des sociétés : la langue, la culture, la tradition, les valeurs.




Enfin, la société de l'information ne pourra se construire sans règles. La France fait partie des pays qui souhaitent qu'une corégulation de l'internet se mette en place à l'échelle mondiale autour de trois principes : responsabilité des acteurs privés, d'abord, pour que l'internet reste un espace de liberté et d'échanges pacifié, intervention subsidiaire des États, ensuite, pour garantir la confiance des citoyens dans le cyber-espace, responsabilité exclusive des pouvoirs publics, enfin, pour sanctionner les comportements illicites.

Accès, formation, contenu, régulation, telles sont les pistes que l'expérience vécue par la France me conduit à vous proposer afin de faire entrer l'Afrique dans la société de l'information.

Pour s'engager sur cette voie, il faut, bien sûr, en trouver les moyens.

Sous présidence française, l'Union européenne a ouvert la voie à l'utilisation des fonds de développement communautaire pour financer des projets dans le domaine des technologies de l'information. L'Organisation internationale de la francophonie, pour sa part, a fait du développement des contenus francophones sur internet l'une de ses priorités.

Dans le cadre du G8, j'ai soutenu la signature, au Sommet d'Okinawa, d'une charte destinée à promouvoir une " société de l'information pour tous ".

Un groupe d'experts s'est constitué pour tracer les grands axes d'une politique en faveur de la résorption du fossé numérique Nord/Sud. Y participent non seulement les membres du G8 et les institutions multilatérales de développement mais également des représentants des pays en développement, d'entreprises et du secteur associatif. Leurs recommandations seront examinées lors du Sommet du G8 à Gênes, en juillet prochain.

J'ai personnellement insisté pour que l'Afrique soit représentée au sein de ce groupe. Quatre États africains, l'Afrique du sud, l'Égypte, le Sénégal et la Tanzanie participent ainsi à ces travaux.

Aux pays africains de faire en sorte que se manifeste pour le continent une ambition dans le domaine des nouvelles technologies, que leurs objectifs, leurs besoins soient bien perçus, leurs actions bien coordonnées.

La France ne manquera pas de soutenir la mobilisation des moyens nécessaires pour l'accès de l'Afrique et des Africains à la société de l'information.

Je vous remercie.





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