Discours du Président de la République devant le Conseil économique et social.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant le Conseil économique et social.

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Paris, le mercredi 19 décembre 2001

Monsieur le Président du Conseil Économique et Social, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs.

Le grand plaisir que j'ai à me retrouver une nouvelle fois devant vous tient autant à l'importance de votre mission qu'à la façon dont vous l'exercez.

La mission de votre assemblée, le Président l'a dit, est unique. Elle prend ses racines au plus profond de notre histoire. Elle est au coeur de notre pacte social, issu de la Résistance, pacte que le général de GAULLE avait dessiné, bien avant ce que vous avez dit, dès le 1er mai 1943, par ces mots, je le cite : "quand viendra la victoire, la patrie reconnaissante devra et saura faire à ses enfants, ouvriers, artisans, paysans, d'abord un sort digne et sûr, ensuite la place qui leur revient dans la gestion des grands intérêts communs".

Votre force, aujourd'hui comme hier, c'est votre diversité mise au service de l'intérêt national. Vos origines, vos convictions, vos expériences sont différentes ; vos débats parfois vifs en témoignent. Mais vous êtes réunis par la volonté de contribuer à la modernisation de notre modèle économique et social.

Troisième assemblée constitutionnelle, vous êtes une vigie des évolutions de notre société. Pour ne prendre qu'un seul exemple, celui de la lutte contre la misère, le rapport du père WRESINSKI a conduit à la création du RMI. Celui de Mme ANTHONIOZ-DE GAULLE à la loi contre les exclusions. On pourrait multiplier les exemples.

Aujourd'hui, grâce aux conseils économiques et sociaux régionaux et au réseau qu'ils forment avec vous, ce sont tous nos territoires qui bénéficient de vos travaux et de votre dynamisme.

Vous êtes enfin un modèle dont s'inspire nos voisins. Votre activité internationale n'a cessé de se développer. Elle continue à le faire sous l'impulsion notamment de votre président, Jacques DERMAGNE. Soixante pays se sont dotés d'un conseil économique et social, souvent grâce à votre aide et à l'expérience dont vous avez su les faire profiter. Ce n'est pas peu de chose pour ce qui concerne le rayonnement et la culture française dans le monde.

Fidèles à votre vocation, vous clôturez aujourd'hui, en assemblée plénière, un cycle de colloques et de travaux particulièrement riches, Monsieur le Rapporteur vient de le résumer, sur la liberté d'association. Je me félicite que vous ayez choisi pour thème de cette journée la démocratie participative, car je crois, comme vous, qu'elle correspond à une aspiration profonde de nos concitoyens et qu'elle peut être l'un des moteurs essentiels de la modernisation de notre société.




Le centralisme, l'uniformité, quel qu'ait pu être leur mérite, sont des valeurs du passé. L'avenir, c'est la diversité, c'est la libération de la capacité d'initiative de nos concitoyens et de nos territoires, dans le respect, naturellement, de l'égalité devant la loi.

Après tant de batailles et d'affrontements idéologiques, une réalité a fini par s'imposer : le développement économique et le progrès social vont de pair. Il n'y a pas d'économie performante sans un haut niveau de protection sociale. C'est l'originalité du modèle français et, au-delà, celui du modèle européen.

Nos concitoyens veulent être pleinement acteurs d'une société en mouvement. Ils s'engagent massivement dans la vie associative. Au sein de leurs entreprises, ou comme travailleurs indépendants, ils ont su relever les défis de la concurrence et de l'ouverture au monde. Ils ont consenti dans les années de crise de lourds efforts pour le redressement et la solidarité. Ils veulent aujourd'hui plus de respect, plus de dialogue et de proximité. Ils aspirent à un contrat social fondé sur des relations nouvelles entre les trois grands acteurs de notre démocratie sociale : le monde associatif, les partenaires sociaux et l'État.

C'est de cela dont je veux dire un mot aujourd'hui.


Et d'abord de la place de l'engagement associatif.

Le droit d'association est une liberté fondamentale. Mais c'est aussi une réalité qui occupe une place irremplaçable dans la vie de nos concitoyens et dans l'équilibre de notre société.

Entre les solidarités familiales et les solidarités collectives, l'engagement associatif permet à chacun de se mettre au service des autres, et notamment au service des plus vulnérables. Dans le secteur social, les organismes à but non lucratif assurent des missions essentielles, allant de la participation au service public hospitalier à l'aide aux personnes handicapées, en passant par les actions d'insertion, et bien d'autres encore. Autant de missions que les collectivités publiques ne peuvent pas assurer seules.

À côté de la vie professionnelle, le monde associatif ouvre à chaque Français d'autres possibilités d'accomplissement personnel. Il rend plus visibles les besoins et les aspirations nouvelles de notre société et il contribue à leur répondre. Que ce soit en matière de culture, de sport, de loisirs, d'environnement, d'action humanitaire, de lutte contre l'exclusion, les associations ont en effet toujours été au coeur des combats importants.

Elles sont des inspiratrices de l'action publique, souvent ses aiguillons et plus souvent encore ses partenaires irremplaçables.

Cette richesse, nous devons la préserver et la développer avec, me semble-t-il, trois objectifs.

L'État doit d'abord fonder ses relations avec les associations sur le principe essentiel du respect de leur autonomie. Les pouvoirs publics doivent leur offrir notamment des financements durables et ayant un caractère réellement contractuel.

En deuxième lieu, les associations doivent avoir les moyens de se développer. Il faut pour cela mettre en place un régime fiscal incitant réellement aux dons. Il convient aussi de revoir en profondeur les régimes d'assujettissement des associations aux impôts commerciaux et notamment à la TVA, afin de lever les entraves injustifiées qui pèsent sur leurs capacités d'investissement et de développement. Mais la contrepartie, c'est évidemment, pour le monde associatif, la transparence financière, le fonctionnement démocratique et la fidélité aux principes du bénévolat et de la non lucrativité.

Enfin, il faut faire aux associations la place qui doit être la leur dans le fonctionnement de notre modèle social. Que ce soit dans le domaine de la politique familiale, des retraites, de la santé ou de l'insertion, les associations doivent, plus encore qu'aujourd'hui, être associées à la gestion des instruments de nos politiques sociales.

Avec l'État, avec les partenaires sociaux, le monde associatif doit participer à ce qui devrait être l'un des grands enjeux des années qui s'annoncent : la modernisation et la démocratisation de notre modèle économique et social.


Les atouts de notre pays sont considérables. La qualité de nos formations, la compétitivité de nos entreprises, la force de notre système de protection sociale nous permettent de regarder l'avenir avec calme, avec sérénité, pourvu que nous sachions également être ambitieux et dynamiques.

Dans un contexte mondial devenu moins favorable, nous devons agir pour retrouver le plus vite possible un haut niveau de croissance. Cela veut dire que nous allons devoir nous attaquer aux obstacles qui freinent notre dynamisme. Je pense bien sûr à notre fiscalité et à nos charges, trop lourdes. Je pense au maquis des formalités administratives et réglementaires, qui étouffent les entreprises individuelles ou générales. Je pense aussi aux réformes nécessaires pour consolider notre pacte social, et notamment à la sauvegarde de nos retraites par répartition.

N'en doutons pas, ces évolutions, nous avons les moyens de les mener à bien, à condition de rester fidèles à nous-mêmes et de les conduire ensemble.

Notre modèle social repose sur des principes justes auxquels nos concitoyens sont légitimement et profondément attachés.

S'agissant de notre Sécurité sociale, je pense notamment au principe de solidarité. Il implique ce principe que rien ne soit entrepris qui place des catégories de salariés à l'écart de la règle commune.

Dans les longues années de crise que nous avons traversées, nos systèmes de protection sociale ont su très largement faire la preuve de leur efficacité. Ils ont assurément besoin d'évoluer comme toute oeuvre humaine. Leur gestion trahit parfois des insuffisances qu'il faut corriger. Mais ne nous y trompons pas, la priorité c'est de les consolider en les modernisant, pas d'en changer.

Notre démocratie sociale est à la recherche de nouveaux équilibres.

Nous devons mettre la concertation et le dialogue au coeur de nos processus de décision. Il n'y a pas de réforme possible ni de réforme réussie sans l'adhésion des acteurs de la société.

Nous avons des partenaires sociaux responsables. Ils viennent de montrer leur volonté et leur capacité à mener des négociations sur des sujets essentiels allant de l'assurance-chômage, pour laquelle un accord a été obtenu, à la formation professionnelle, pour laquelle cela n'a pas encore été le cas. Cependant, j'ai confiance pour l'avenir car des voies fécondes ont été ouvertes par ces discussions. La formation tout au long de la vie est l'une des clés du succès de la France. Par delà les aléas inhérents à toute carrière, elle est aussi l'une des conditions de la réussite professionnelle et de la confiance des Français face à l'emploi. Elle doit devenir une priorité nationale.

J'ai conscience que l'attente des partenaires sociaux n'est pas que l'État s'efface, mais au contraire, qu'il fixe le cadre de la négociation collective et qu'il lui apporte des garanties pour qu'elle puisse pleinement s'épanouir.

Ce qu'il faut éviter, c'est un État qui légifère sans concertation préalable et sans ouvrir le champ à la négociation et au contrat. Car les aspirations des salariés comme les réalités de l'économie et de l'entreprise sont par définition diverses. Il faut pleinement en tenir compte si on ne veut pas décevoir et, en fin de compte, parvenir à des résultats parfois inverses à ceux que l'on voulait. On ne peut plus imposer d'en haut des règles uniformes.

Les partenaires sociaux demandent aux pouvoirs publics de leur faire davantage confiance. Nous devons apprendre à mieux articuler l'intervention du législateur au nécessaire développement du dialogue social.

La question n'est pas de savoir qui, de l'État ou des partenaires sociaux, doit prendre l'initiative ou donner l'impulsion. Chacun doit pouvoir le faire tour à tour, mais en respectant l'autre et les compétences qui sont les siennes. L'affirmation de la démocratie sociale ne nie pas le rôle de l'État. Elle vise simplement à donner au contrat collectif, interprofessionnel, de branche ou d'entreprise, toute sa place dans l'organisation des rapports sociaux. Pour cela, il faut éviter que l'État s'arroge une suprématie sans partage qui enfermerait la négociation collective dans des contraintes trop étroites et ne conduirait, en fin de compte, qu'à l'immobilisme ou à de mauvaises décisions.

Le temps est venu de construire une nouvelle architecture des responsabilités fondée sur le respect du rôle de chacun et la recherche systématique du bon niveau de décision. La position commune adoptée par les partenaires sociaux sur les voies et moyens du développement de la négociation collective me paraît, à ce titre, avoir ouvert des voies nouvelles et fructueuses pour l'avenir.

Une évolution est à mes yeux prioritaire. Si l'État estime qu'il convient de modifier une législation dans le domaine de l'organisation et des relations du travail, je souhaite qu'il s'impose à lui-même de saisir d'abord les partenaires sociaux afin qu'ils puissent trouver les points d'équilibre permettant de concilier les intérêts et de faire converger les énergies. Bien sûr, le législateur doit conserver le dernier mot, soit pour agir, faute d'accord, au terme d'une période donnée, soit pour conférer force de loi aux résultats de la négociation, soit même pour faire un autre choix, mais alors en toute connaissance de cause.

C'est cette méthode qu'avait retenu le général de GAULLE en 1958 pour parvenir à la création de l'assurance-chômage.

L'Union européenne s'est inspirée des mêmes principes. Elle les a inscrits dans ses procédures de décision.

Ne craignons pas, nous aussi, de nous engager dans cette voie pour rendre notre démocratie sociale plus vivante, dans le respect des prérogatives du législateur.

Nous serons alors plus forts et plus efficaces pour trouver de justes solutions en matière de retraites, d'assurance-maladie, de formation professionnelle ou encore pour concilier le renforcement des garanties des salariés en cas de plan social et la compétitivité de nos entreprises.




Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Je voudrais que nous entrions dans uneère nouvelle de dialogue social qui engage la France sur la voie d'un dynamisme accru.

Le Conseil économique et social doit prendre toute sa part dans ce mouvement. En jouant pleinement son rôle d'éclaireur des pouvoirs publics sur les évolutions et les aspirations de notre société. En continuant à être ce lieu, sans équivalent, de rencontres et de dialogue entre les acteurs économiques et sociaux. Un lieu où les tensions s'apaisent, où le dialogue se renoue. Un lieu où de justes compromis pourraient se dessiner. Un lieu où les forces vives de la nation pourraient prendre des engagements réciproques pour éradiquer la misère et ouvrir des horizons nouveaux au progrès économique social.

Je vous remercie.





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