Discours du Président de la République à l'occasion du salon POLLUTEC.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du salon POLLUTEC.

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Villepinte, Seine-Saint-Denis, le mardi 4 décembre 2001

Monsieur le Président, Madame le Maire, Monsieur le Président du Conseil général, Mesdames, Messieurs,

POLLUTEC, c'est une tradition pour les professionnels de l'environnement, c'est un rendez-vous devenu incontournable qui permet d'apprécier la vitalité du secteur des éco-industries et des éco-services, mais aussi d'apprécier l'action des institutions en charge de l'environnement et des associations qui en ont fait leur combat. Je suis heureux de participer, aujourd'hui, un peu à votre action.

Vous formez une véritable communauté professionnelle, qui vous situe au coeur de la bataille du développement durable. Bataille contre le changement climatique. Bataille contre la dégradation des sols ou la disparition des espèces. Bataille contre l'accumulation des déchets ou la déforestation. Bataille contre la pollution de l'air et de l'eau.

Nous prélevons, c'est vrai, sur la nature plus de ressources qu'elle ne peut en reconstituer. Si tous les hommes, paraît-il, vivaient comme des Occidentaux, il leur faudrait au moins deux planètes de plus pour ne pas mettre en péril les éco-systèmes.

Nos sociétés sont légitimement inquiètes devant l'impact de leurs modèles de développement sur l'environnement. Cette inquiétude s'accroît. Et elles sont en proie au doute. Doute sur le rôle de la science, parfois perçue comme moteur d'une fuite en avant. Doute sur la capacité des responsables à faire prévaloir l'intérêt général et le droit des générations futures. Doute devant la mondialisation, cette vague de fond puissante dont certains effets inquiètent. Doutes qu'alimente l'accumulation des signaux d'alerte : la dégradation des ressources en eau douce, les possibilités ouvertes par les manipulations génétiques, la confirmation du réchauffement climatique, les marées noires et les accidents tragiques qu'ont connus les habitants de Toulouse et les usagers des tunnels sous les Alpes.

Je comprends ces doutes, je partage ces inquiétudes, mais je reste confiant et optimiste pour l'avenir. Il y a péril en la demeure, c'est vrai, mais il n'y a pas fatalité. Si le XXe siècle nous a légué une crise écologique sans précédent, il nous a aussi donné les moyens scientifiques et technologiques de la surmonter. De nouveaux modes de production et de consommation existent déjà qui nous permettront de poursuivre notre développement économique et social tout en améliorant les équilibres écologiques de la planète.

La recherche de nouveaux procédés, de nouvelles méthodes, de nouveaux matériaux doit servir à ce que le droit à l'énergie, l'accès à l'eau potable ou le droit de respirer un air sain deviennent réalité pour tous. La performance technique et économique n'est pas une fin en soi. Elle doit être mise au service d'un véritable progrès.

Pour cela, nous aurons besoin d'une forte volonté collective. C'est pourquoi j'ai appelé les Français à faire le choix d'une écologie humaniste. Ce choix devra être inscrit au premier rang de nos priorités par une Charte adossée à la Constitution pour prendre place au coeur de notre pacte républicain.

Ce doit être le choix de tous les Français. Il s'imposera à l'État, aux collectivités publiques et aux entreprises comme aux citoyens. Il exprimera aussi notre détermination à inventer les éléments du nouvel art de vivre dont le monde a besoin. Il permettra à la France de jouer pleinement son rôle dans le combat pour l'environnement au niveau européen et mondial.

Responsabilité, prévention, précaution, intégration, participation : les principes d'une écologie porteuse de progrès pour l'homme vont créer de nouvelles responsabilités pour tous. En adoptant de nouveaux comportements, du citoyen au responsable public, du consommateur au producteur, nous démontrerons la réalité du changement qui s'opère déjà dans les consciences.

Pour y parvenir, j'identifierai, si vous le voulez bien, trois axes d'action.


Tout d'abord, intégrer l'écologie à nos politiques publiques et à la stratégie des entreprises.

Une place doit être faite à la préoccupation de l'environnement dans tous les domaines de l'action publique, en France comme au niveau européen.

Je pense par exemple au domaine des transports qui, plus que tout autre, a besoin de rendre compatible son développement avec les impératifs environnementaux.

Les Traités appellent déjà l'Union européenne à intégrer l'écologie à toutes ses politiques. À la conférence sur le commerce de Doha, elle a plaidé avec force pour que les règles du commerce mondial tiennent compte des exigences environnementales. Elle a obtenu un changement important sur les principes. Mais si nous n'avons fait qu'entrouvrir la porte, c'est peut être le début d'un véritable tournant si nous savons en tirer pleinement parti, et si nous savons répondre aux préoccupations légitimes des pays en développement.

Tel sera l'un des enjeux du Sommet de Johannesburg sur le développement durable en septembre prochain, dix ans après celui de Rio. La France, favorable à la création d'une organisation mondiale de l'environnement, y fera des propositions généreuses et réalistes.

Nous pouvons en effet faciliter l'adoption par les pays en développement de modèles industriels d'emblée respectueux de l'environnement. Le savoir-faire français en matière de technologies de l'environnement s'exporte depuis longtemps, vous y contribuez largement. Il trouvera là de nouvelles perspectives.

La démarche d'intégration des questions environnementales doit aussi imprégner les décisions des entreprises. Les processus industriels les plus respectueux de l'environnement, c'est-à-dire ceux qui nécessitent moins d'énergie et de matières premières, sont aussi les plus rentables à terme. Demain, les entreprises qui les adopteront seront sans aucun doute les plus performantes.

De plus en plus, l'analyse financière traditionnelle des entreprises s'enrichit d'une évaluation sur des critères de développement durable, environnementaux et sociaux. Par respect pour leurs clients, par respect pour leurs voisins, dans l'intérêt de leurs actionnaires, les entreprises doivent inscrire dans leur stratégie la protection de la santé et des équilibres naturels.

Il vaut mieux intégrer dès l'origine les impacts sur l'environnement dans les coûts de production plutôt que d'avoir ensuite à payer beaucoup plus cher pour réparer les dégâts. Mais il convient naturellement de doser soigneusement l'incitation et la contrainte, en privilégiant toujours le dialogue et le contrat sur l'excès de réglementation ou de taxation.


Deuxième axe d'action, la clarification des responsabilités, l'appel à plus de démocratie.

Nos capacités d'intervention sur la nature, la puissance dont nous dote la technologie, mais aussi la fréquence des catastrophes et des crises environnementales, amènent à s'interroger sur la chaîne des responsabilités. Elle est si complexe qu'elle débouche parfois sur l'irresponsabilité. Et ce n'est plus acceptable. La société moderne exige clarté et transparence.

Il revient à l'État, en charge de la sécurité publique sous toutes ses formes, de doter le pays d'outils efficaces pour évaluer les risques et de définir les exigences de sécurité. Un office spécialisé du Parlement pourrait y veiller. En matière de sécurité maritime comme de sécurité industrielle, de sécurité des aliments comme des transports routiers, l'État doit se donner les moyens d'assurer le respect de la loi.

Je souhaite aussi que la France anticipe l'adoption de la directive européenne sur la responsabilité environnementale.

C'est d'abord aux entreprises que revient l'obligation de réparer les dommages que peut causer leur activité.

Le principe "pollueur-payeur" doit être appliqué avec rigueur, mais aussi avec discernement. La dimension du temps est toujours nécessaire à la réussite. Mais c'est incontestablement l'une des clés de l'intégration de la responsabilité environnementale aux décisions économiques.

Les entreprises ont de plus en plus conscience de cette exigence. Au-delà de leurs obligations réglementaires de nombreuses démarches d'engagement volontaire existent déjà. Je souhaite qu'elles fassent école. Il ne faut pas attendre les conflits et les boycotts pour mieux intégrer les préoccupations environnementales.

C'est une question d'éthique mais c'est aussi l'intérêt des entreprises. Demain, les jeunes talents choisiront de rejoindre de préférence des entreprises fiables et responsables, sur lesquelles d'ailleurs l'épargne de long terme se portera de plus en plus.

L'appel à la responsabilité de tous doit naturellement s'étendre à chacun d'entre nous, à chaque citoyen. L'exigence de prix toujours plus bas, les réticences face aux changements d'habitudes desservent souvent la cause de l'environnement. Puisque notre avenir commun se joue dans nos comportements les plus quotidiens, l'éducation à l'écologie doit devenir l'un des éléments fondamentaux de l'apprentissage de la citoyenneté.

En contrepartie de cette exigence, une plus grande participation des citoyens aux décisions est indispensable. Or, force est de constater que la lente évolution qui nous éloigne peu à peu de notre vieux modèle d'action centralisée et unilatérale n'est pas achevée.

Dans l'élaboration de la loi, alors que des sujets de plus en plus complexes sont traités, une phase de discussion avec les associations d'usagers ou de protection de l'environnement devrait être systématique.

À l'heure où l'urgence écologique s'impose à nous, les associations expriment souvent l'une des facettes de l'intérêt général et exercent une fonction de vigilance particulièrement importante. Il faut leur donner les moyens d'une participation efficace, constructive, informée.

De même, les grandes décisions concernant les infrastructures nationales ne peuvent plus être prises sans un débat public authentique, c'est-à-dire un débat qui s'appuie sur la transparence administrative, sur la consultation de tous les intéressés, sur la prise en compte des opinions minoritaires. Ce n'est jamais du temps perdu : c'est le temps de la confiance, du consentement et de la décision éclairée.

Les décisions ressenties comme imposées d'en haut ne passent plus, même quand un effort de concertation a eu lieu. On le voit bien quand s'expriment inquiétudes et polémiques sur les organismes génétiquement modifiés, sur l'implantation d'un nouvel aéroport international, sur les conditions de réouverture du tunnel du Mont-Blanc aux poids lourds, ou même sur l'application de la directive Natura 2000. Il est devenu nécessaire de renforcer le dispositif de débat public mis en place en 1995. Plus de démocratie, c'est la clef d'un développement mieux maîtrisé.

De même, les habitants doivent disposer d'informations fiables sur les nuisances et les risques des installations qui les entourent : aéroports, usines SEVESO, installations nucléaires, installations de traitement des déchets, points de regroupement des transports de matières dangereuses, etc. Des comités de concertation devraient se réunir régulièrement autour de toutes ces installations pour que ces problèmes soient traités avec sérieux et sans passion inutile.

Ce principe de participation s'impose aussi aux entreprises. La publication de rapports de développement durable par les grandes entreprises illustre une évolution bienvenue qu'il faut étendre. Par ailleurs, l'information des consommateurs doit être juste et rendue plus accessible, afin qu'ils puissent choisir en confiance les produits les plus respectueux de l'environnement.


Enfin, troisième axe d'action, il nous faut accroître notre exigence de précaution et de prévention.

Qu'ils concernent la santé publique ou l'environnement, c'est un devoir essentiel de la puissance publique que d'identifier et de prévenir les risques collectifs qui peuvent à terme mettre en cause l'intégrité des personnes.

Les risques sur lesquels il y a encore beaucoup d'inconnu et d'incertain sont très nombreux et touchent à des domaines très divers : dissémination mal maîtrisée des organismes génétiquement modifiés, impact de certains insecticides, sur les abeilles par exemple, effet sur notre santé des rayonnements radio-électriques qui nous environnent, qualité de l'air à l'intérieur des bâtiments et des véhicules, etc.

Sur tous ces sujets, c'est bien à l'État qu'il revient d'imposer les recherches nécessaires à l'évaluation du risque et les procédures qui permettent de le réduire.

Les entreprises concourent bien sûr à cette évolution en prenant de mieux en mieux en compte la nécessité de rendre leurs innovations pleinement acceptables au regard des exigences environnementales.

Pour éviter toute distorsion de concurrence, l'Union européenne ne doit pas appliquer le principe de précaution en solitaire, mais chercher à le faire reconnaître aussi par la Communauté internationale.

Et ce n'est pas sans espoir, car au nom d'un autre principe, celui de prévention, la communauté internationale s'est enfin entendue, à Marrakech, il y a quelques jours, sur les règles de fonctionnement du Protocole de Kyoto. Elle s'est dotée du premier dispositif cohérent de lutte contre le réchauffement climatique.

Je regrette bien sûr que les États-Unis se tiennent encore à l'écart de cette discipline collective. Cet accord préfigure en effet la nouvelle gouvernance mondiale qu'il nous revient d'imaginer pour maîtriser certains aspects de la mondialisation.

Il pose les principes qui permettront de contrôler sur le long terme les émissions de gaz à effet de serre. Il fixe des obligations aux pays les plus développés, mais il leur donne des éléments de souplesse dans le choix des moyens. Il prévoit aussi les dispositions qui permettront aux pays en développement de s'y engager à leur tour. La France, avec ses partenaires de l'Union européenne, ratifiera ce texte en 2002 et a déjà commencé à l'appliquer. Cela nous imposera d'amplifier notre plan national de lutte contre les gaz à effet de serre.

La prévention s'applique aussi aux risques industriels. Nous avons tous en mémoire les victimes de la terrible catastrophe industrielle de Toulouse, la plus grave depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La sécurité industrielle est d'abord un enjeu humain pour toute la communauté de travail. C'est aussi un enjeu de protection de l'environnement, d'urbanisme et d'aménagement du territoire. Nous devons collectivement tirer toutes les leçons de cette tragédie. L'État, les collectivités locales, les industriels doivent se donner les moyens d'empêcher que de telles catastrophes se reproduisent, quitte à revoir certaines situations existantes.

La prévention, c'est aussi une chance pour nos entreprises, pour nos économies. En les poussant à inventer de nouveaux procédés pour consommer moins d'énergies fossiles, capter et recycler les gaz émis, construire des partenariats, développer les énergies renouvelables, elle engage une nouvelle quête de progrès. La recherche pour l'environnement et l'énergie doit devenir une priorité pour la relance d'une politique en faveur de l'innovation.


Monsieur le Président Mesdames, Messieurs,

Les accidents écologiques dont nous sommes victimes doivent renforcer notre engagement à trouver les voies d'une écologie humaniste au service de notre avenir et des générations futures.

La mondialisation inquiète, mais elle est aussi promesse d'un immense progrès, à condition que nous donnions un sens à ce progrès en privilégiant de plus en plus la qualité sur d'autres considérations.

À condition aussi que nous sachions réestimer le rôle de l'État, nécessaire garant de l'intérêt général, responsable des décisions qui engagent à long terme la collectivité nationale.

À condition encore que nous sachions nous doter, à l'échelle nationale, européenne, universelle, d'une éthique et de règles capables d'encadrer nos choix.

Et à condition que nous apprenions à transcender l'économie et la technologie par des valeurs humaines.

Je vous remercie.





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