Discours du Président de la République à l'occasion de la réception des maires du Calvados.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la réception des maires du Calvados.

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Caen, Calvados, le jeudi 5 avril 2001

Monsieur le Président du Conseil régional, Madame la Présidente du Conseil général, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs les Maires, Mesdames, Messieurs,

Au cours de mes déplacements en France, je suis toujours heureux de rencontrer les élus et notamment les maires.

J'apprécie tout particulièrement ces moments républicains. Ils sont riches de signification pour notre démocratie, une démocratie que je veux sereine, apaisée, démocratie de dialogue et d'unité.

Je m'en réjouis plus encore aujourd'hui, dans ce département du Calvados, territoire d'équilibre et de modération, où sont si profondément ancrées les valeurs du travail, la pratique de l'entraide et le sens du bien commun.

En même temps que partout en France, vous commencez les uns et les autres votre mandat de maire. Pour beaucoup, c'est le premier. Pour d'autres, c'est la suite naturelle d'une expérience municipale réussie. Tous, vous l'abordez, j'en suis sûr, dans un esprit responsable et ardent.

En France, chacun connaît son maire. C'est vers lui que l'on se tourne en cas de difficultés. Tous, vous en faites ou vous en ferez chaque jour l'expérience.

À chacun, je voudrais dire mes chaleureuses félicitations. Félicitations pour la confiance qui vous a été manifestée. Félicitations aussi pour l'engagement que vous avez pris d'assumer intégralement cette fonction, avec ses joies, ses satisfactions, mais également, car il y en a, avec les contraintes et les sacrifices personnels, familiaux ou professionnels que comporte une telle mission. Vos concitoyens comptent sur vous, et ils ont raison.

Vous voir, sentir à travers vous cet élan qui vient des pays et des villes de France, éprouver cet esprit de service qui vous porte, voilà qui inspire confiance dans la vitalité de notre démocratie. Il y a derrière vous une France responsable, pleine d'allant, prête à s'investir, attentive à son cadre de vie, à son environnement, à la qualité des services collectifs, prête à agir.

Cette France de l'initiative est inventive, décidée, ouverte, généreuse. Elle est éprise de civisme, désintéressée, altruiste, exigeante. Chaque jour, elle s'affirme davantage. Elle est en marche. Elle ne se laissera pas décourager.

Le suffrage universel vous a désignés pour servir l'intérêt général. Il vous a distingués parce que vous avez su vous montrer proches des préoccupations de vos concitoyens. C'est toujours pour leurs qualités d'écoute, de dialogue, de disponibilité, et de compétence que les maires sont choisis et reconnus. Ces qualités, gardez-les précieusement et faites-les vivre !

Vous savez ce que démocratie veut dire. La démocratie, vous ne vous contentez pas de l'observer, vous en êtes partie prenante. Vous contribuez à l'animer. Et vous savez qu'elle est aussi un travail car, ce travail de la démocratie, c'est d'abord vous qui l'assumez, au quotidien, avec nos concitoyens, avec les élus municipaux, avec les responsables économiques et sociaux, en relation bien sûr, avec les représentants de l'État.

Être maire, ce n'est pas une récompense, c'est un service. Le service des autres. Le service de la communauté. Un service de l'intérêt général. Un service que l'on rend en acceptant de se soumettre à l'exigence d'efficacité qu'imposent nos concitoyens.

Ce n'est pas simple d'être maire aujourd'hui. Il faut savoir prendre ses responsabilités, ne pas se laisser écraser par les soucis, les réglementations, les contrôles, et les risques juridiques. Il faut assumer des décisions parfois difficiles. Être imaginatif, créatif et en même temps bon gestionnaire, rigoureux et organisé. Prévoir, mais aussi être capable de réagir à l'imprévu. Prendre en compte tous les points de vue, et pour autant ne pas se laisser influencer, ne jamais se détourner de l'intérêt général.




Ce qui est vrai dans chacune de vos communes l'est aussi à l'échelle de la Nation.

La recherche de l'intérêt général, du bien commun, de l'efficacité au service de tous est en effet l'un des principes qui fondent une démocratie vivante.

Tous les maires ont en commun d'être les acteurs d'une démocratie de service et de proximité. Démocratie du concret, démocratie responsable. Pas celle des grandes querelles idéologiques et des affrontements partisans. Une démocratie qui situe la vérité dans les actes plutôt que dans les discours et qui ne laisse pas se creuser un fossé entre la parole, les intentions et la réalité. Une démocratie de la transparence, qui agit sous le regard de tous.

Vous le savez bien, un maire ne peut s'enfermer dans une tour d'ivoire. Ses concitoyens l'en empêcheraient. Au milieu des siens, il doit se consacrer tout entier à sa tâche. Répondre aux questions. Écouter. Dialoguer. Expliquer. Et surtout, prendre la responsabilité de faire. C'est ce que les Français attendent de tous leurs élus, avec une exigence croissante qu'ils entendent faire respecter.

Face à cette exigence des Français, il n'y a que les réalités qui parlent. Quiconque est ou a été maire sait qu'il est toujours vain de vouloir les éluder par des mots.

Si nous voulons approfondir notre démocratie, il faut que la vie publique puisse s'identifier à des valeurs fortes : vérité, service, engagement, efficacité, sens de la responsabilité. Ces valeurs, vous les mettez chaque jour en pratique.

De même que la commune est pour tous nos concitoyens l'école de la démocratie, la responsabilité de maire est l'école de la vie publique, sa meilleure école.

Parce que vous êtes au plus près des réalités, il est bien naturel que vous ayez un temps d'avance sur d'autres quand il s'agit de discerner l'évolution des mentalités, des modes de vie et des besoins. Plus que jamais, la commune est le laboratoire vivant de la citoyenneté.

C'est pourquoi il est important de ne pas couper toute relation entre la démocratie locale et les responsabilités nationales. Le cumul des mandats a vécu. Ses excès l'ont condamné. Les Français le rejettent massivement. Mais l'apprentissage des grandes fonctions politiques ne peut faire l'économie d'une expérience de terrain. Il n'est pas de mandat national qui dispense de garder un lien citoyen avec cette République des proximités qu'incarnent les collectivités locales, parce que c'est là que vivent et travaillent les Français, c'est là qu'ils modèlent leur cadre de vie et leur environnement, c'est là que leurs enfants vont à l'école et que se prépare leur avenir.

Pour ma part, je ne veux pas d'une démocratie détachée des réalités de la vie, livrée aux idéologies et à l'esprit de parti. Ce serait le contraire de ce que veulent les Français. Eux seuls ont le droit de décider et ils sont bien déterminés à imposer leurs exigences. Les dernières élections municipales l'ont clairement démontré.

Il y a du nouveau en France sur le front de la démocratie. Les femmes s'engagent. Aujourd'hui les jeunes, les actifs du secteur privé, les Français issus de l'immigration, tous ceux que les mentalités politiques dans lesquelles nous vivions tenaient à l'écart de la vie publique, veulent en faire autant. Un nouveau souffle se lève. Portée par la confiance des Français, une nouvelle génération frappe à la porte. Il faut maintenant que cette porte s'ouvre toute grande.




Sans cesse, il faut se poser la question de l'avenir de notre démocratie, parce que les enjeux changent avec les époques. Les principes fondateurs s'oublient puis ressurgissent. De nouvelles générations se mobilisent. Les attentes de nos concitoyens se modifient. La place de l'État n'est plus la même. L'exigence de liberté grandit.

Chaque jour davantage, nos concitoyens affirment leur besoin de savoir et de comprendre, leur besoin de participer, de pouvoir proposer, accepter, refuser. La reconnaissance de la diversité, la volonté de construire et d'expérimenter, le choix du mouvement par le dialogue et la négociation, le refus des décisions imposées par voie d'autorité et appliquées de manière uniforme, vont profondément modifier les conditions de l'action publique.

La politique n'intéresse plus nos concitoyens de la même façon qu'autrefois. C'est un fait. Ils sont rétifs à tout ce qui est embrigadement, sectarisme, esprit de système. Ils rejettent les passions idéologiques. Ils refusent de se laisser manipuler. Mais il ne faut pas s'y tromper, loin de se désintéresser de la chose publique, les Français sont, au contraire, plus présents, plus actifs, plus vigilants, et sans doute aussi plus exigeants. En fait, ils s'intéressent à la politique autrement, avec le souci de réaliser des projets, d'obtenir des résultats visibles, d'améliorer leurs conditions de vie et leur environnement, d'aider leurs enfants, de faire progresser par des actes de nouvelles solidarités.

L'important, c'est de reconnaître que les rapports que les Français entretiennent désormais avec la chose publique sont aussi un signe de leur exigence et l'expression d'un progrès de notre démocratie. S'ils s'investissent sans doute moins dans la politique dans le but de transformer la société par le haut, c'est parce que la France a profondément changé, que les conditions de l'efficacité ont changé. Ce n'est plus principalement du sommet que partent les impulsions pour se diffuser ensuite jusqu'à la base. Notre société se transforme à tous les niveaux de responsabilité, partout en même temps. Elle ne se réformera plus par le seul décret. Les initiatives et les actions, individuelles, collectives, jaillissent de tous les lieux de vie.

Face à un système politique longtemps resté trop étatisé, j'allais dire nationalisé, le citoyen prend la parole. Il veut bousculer les routines, imprimer une marque différente à la politique. Des énergies nouvelles se libèrent et entrent en action. Croyez-moi, elles vont transformer la République et laisseront loin derrière tous ceux qui ne l'auront pas compris !

Vous allez être les témoins et les acteurs, d'un formidable renouveau démocratique. Il vient des profondeurs de notre pays, il vient des profondeurs du peuple de France. Rien ni personne ne pourra l'arrêter.

Imperturbablement, les Français tracent leur voie. Ils vont leur chemin. Ils sont déterminés. Ils n'attendent plus d'en haut un "big bang" de la démocratie. Ils sont décidés à prendre eux-mêmes les choses en main, décidés à changer la donne, à redistribuer les cartes, à vivre la politique autrement, comme ils vivent déjà autrement leur vie, leur travail, leur famille, leurs projets.

Nous voyons s'affirmer une démocratie plus dynamique et plus entreprenante, qui accepte de faire davantage confiance aux Françaises et aux Français, qui accepte de libérer leurs initiatives. Cette confiance suppose que les libertés locales ne demeurent pas bridées, que le dialogue social se voit enfin reconnaître toute sa place, que le recours à l'obligation ne soit imposé qu'à défaut de solutions librement négociées.




Une nouvelle distribution des pouvoirs est en gestation. Nous devons bâtir une société du pouvoir partagé, une société où l'État jouera pleinement son rôle mais seulement son rôle, qui n'est pas de confisquer tous les pouvoirs ni d'absorber toutes les énergies.

La France ne peut s'accommoder plus longtemps d'une approche de l'action publique qui conduit à concentrer les principales responsabilités entre les mains de la puissance publique. Érigé en grand ordonnateur de la sphère économique et sociale, l'État a prélevé au cours des dix dernières années les trois-quarts de l'accroissement de la richesse nationale. Ce n'est plus supportable car, dans les conditions de la vie moderne, l'État n'est plus en situation d'assurer seul la prospérité de la Nation et l'équilibre de ses territoires. La concentration et la centralisation ne peuvent conduire qu'à l'impuissance publique et à la congestion. La mise en place d'une nouvelle gouvernance, fondée sur la responsabilité, la délégation, l'autonomie, l'éthique, la transparence, est désormais un impératif national. Ce sera l'une des grandes ambitions collectives des prochaines années.

Les habitudes centralisatrices, cette sorte d'exclusivité que l'État a voulu se donner à lui-même pour répondre aux attentes des Français, avaient fini par appauvrir notre démocratie, la rendant moins vivante, moins efficace. L'État doit être un moteur et non un frein. Les Français n'ont pas attendu qu'il se réforme pour commencer à avancer.

La vitalité de notre démocratie passe désormais par l'essor de la démocratie locale : au lieu d'être étouffée, encadrée, entourée de méfiance, l'action de proximité, sous toutes ses formes, doit être encouragée. Un statut des élus adapté à leurs responsabilités croissantes doit être établi. L'autonomie financière des collectivités locales doit être respectée. C'est la condition de leur liberté d'action et de leur efficacité au service de tous.

Massivement rejetée, la centralisation démontre chaque jour son incapacité à résoudre les grands problèmes de notre temps, ceux de l'insécurité, de l'école, du développement, de la pauvreté. La société veut avancer plus librement, de son propre mouvement, sans être entravée par trop de réglementations et de charges. Elle veut pouvoir innover, élargir le champ des possibles, s'affranchir des solutions toutes faites.

Une démocratie vieillit quand la volonté nationale est imposée partout par la seule autorité de l'État, sans tenir compte des aspirations et des réalités locales, ni rechercher par le dialogue l'entente, le compromis et la convergence des efforts. Une démocratie moderne doit être une démocratie de l'initiative et de la liberté, à l'écoute des idées de chaque citoyen. Dans la France de demain, démocratie locale et dialogue social iront de pair.

Nous avons encore beaucoup à faire pour gérer autrement les conflits, inévitables dans toute société, pour donner toutes ses chances à un dialogue responsable et respectueux de chacun. Je prends un exemple.

La grève est un droit fondamental, garanti par la Constitution et que personne ne remet en cause. C'est une liberté. Mais comme toute liberté, elle trouve aussi ses limites dans la prise en compte des libertés d'autrui. C'est pourquoi, je plaide depuis longtemps pour la création d'un service minimum dans le secteur public. C'est aux partenaires sociaux qu'il appartient de le négocier et de l'instituer eux-mêmes, comme on a commencé à le faire à la RATP il y a quelques années. À défaut, il faudra bien que l'État prenne ses responsabilités. Mais il faut commencer par la voie du dialogue et de la discussion afin de trouver les meilleures solutions, au cas par cas.

Beaucoup de pays y sont parvenus. Pourquoi pas la France ?

Bien sûr, tout paraît plus simple à qui veut décider seul en se tenant à bonne distance des réalités. Mais ce n'est pas ainsi que l'on progresse, ce n'est pas ainsi qu'évolue une société. C'est au contraire, en prenant la mesure de la diversité, en se donnant le temps de l'écoute et de la discussion. C'est en reconnaissant l'autonomie des acteurs de la société civile, en encourageant les initiatives. Ce n'est certainement pas en voulant toujours agir d'en haut, de loin, comme si notre République était une hiérarchie avant d'être une démocratie.

La discussion, le débat, la relation de partenariat, l'accord des volontés, c'est ainsi que nous fortifierons le lien républicain entre les citoyens. C'est ainsi que nous renforcerons la cohésion sociale. C'est ainsi que les énergies qui sont à l'oeuvre dans notre société pourront faire progresser la France au lieu de s'épuiser trop souvent en vain.




Vous le savez bien, Mesdames et Messieurs les maires, la démocratie ne va jamais de soi, la liberté n'est jamais acquise, même dans un pays d'aussi vieille tradition républicaine que la France.

La démocratie est précieuse. Elle n'est pas figée. Elle se transforme constamment pour mieux prendre en compte les évolutions et les exigences de notre temps.

Elle a besoin de chaque Français. Tous veulent s'exprimer, s'engager, participer, être décideurs plutôt que spectateurs. La République est leur maison commune. Chacun y a sa place, son rôle, ses responsabilités.

Notre société est vivante. Elle est le lieu d'initiatives foisonnantes. Les pouvoirs se démultiplient déjà pour revenir vers le citoyen, sans attendre que l'État ait donné le signal.

Donnons à tous les Français le désir, l'envie, les moyens de s'engager. C'est avec eux que nous ferons émerger une démocratie apaisée, tolérante, respectée, une démocratie de dialogue et de confiance.

Mais la démocratie a aussi besoin de vous, elle a besoin des élus, car il lui faut constamment se renouveler, se préparer à ce qu'elle sera demain, s'adapter aux attentes de nouvelles générations de citoyens, démontrer la puissance d'efficacité qu'elle porte en elle.

Que d'exigences pour ces soldats de la démocratie que nous sommes tous, vous et moi !

Pour ma part, j'ai plus que jamais à coeur de répondre à la confiance de nos concitoyens, en remplissant fidèlement mes devoirs constitutionnels, sans autre préoccupation que celle de l'intérêt général.

Je vous remercie.





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