Discours du Président de la République à l'occasion du départ à la retraite de M. Pierre ROSENBERG, Président directeur général du musée du Louvre.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du départ à la retraite de M. Pierre ROSENBERG, Président directeur général du musée du Louvre.

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Pyramide du Louvre, Paris, le mardi 10 avril 2001

Monsieur le Ministre, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Académiciens et Membres de l'Institut, Messieurs les Ambassadeurs, Chère Claude POMPIDOU, Mesdames et Messieurs,

Il y a un an, cher Maître, presque jour pour jour, nous étions réunis, à quelques pas d'ici, pour vivre un moment fort de la vie culturelle de notre pays, l'inauguration du Pavillon des Sessions.

Cette ouverture, cher Pierre ROSENBERG, fut précédée de débats d'idées où s'opposent, avec vivacité parfois, convictions et certitudes, visions et conceptions, principes et théories. C'est l'une de ces traditions que nous affectionnons, nous, Français, délice d'autant plus grand qu'il est inséparable de cette liberté de pensée et d'expression que nous chérissons entre toutes.

De ces échanges et de nos nombreuses rencontres, je garde un souvenir précis. Ils m'ont permis de prendre la mesure, cher Maître, de votre engagement au service d'une passion, de votre passion : celle de l'art. Ils m'ont permis aussi de constater la vigueur de votre ténacité. Ils m'ont permis, enfin, d'apprécier la curiosité du connaisseur, l'autorité, le rayonnement et la science du très grand conservateur.

Aussi ai-je souhaité être là ce soir, à vos côtés, pour ces instants très particuliers, bien évidemment empreints d'émotion, qui marquent votre départ du musée du Louvre. Départ après sept années de présidence de l'un des établissements culturels les plus réputés, après sept années de conduite et d'achèvement des grands chantiers ouverts par vos prédécesseurs, après sept années de mutations au terme desquelles le Louvre, vous l'avez dit, s'est imposé comme le plus grand musée du monde.

Ce moment important, pour vous comme pour le Louvre, nombreux sont ceux qui ont voulu le partager. En témoignent l'ampleur et la qualité de la brillante assemblée ici réunie.

Nombreux sont ceux en effet qui ont voulu vous dire leur estime et leur reconnaissance pour votre action éminente au service des arts et de la culture. Vos collaborateurs, bien sûr, et l'ensemble des personnels du Louvre dont vous connaissez mieux que quiconque la compétence et le dévouement. Mais également les nombreuses personnalités présentes, membres de l'Institut et de l'Académie française où vous avez été vous-même élu en 1995, représentants de sociétés savantes, sans oublier, bien sûr, la superbe Société des amis du Louvre que préside avec tant d'intelligence et d'efficacité notre ami Marc FUMAROLI. Venus de tous les horizons de la vie culturelle française et internationale, tous ont voulu vous manifester, à vous l'homme à " l'écharpe rouge ", leur amitié, leur admiration et aussi leur respect.


C'est une page importante qui se tourne ce soir dans ce musée que vous connaissez intimement, cher Pierre ROSENBERG, et depuis longtemps pour lui avoir consacré votre vie.

Vous l'avez rappelé, vous êtes entré au Département des peintures en 1962 et vous ne l'avez jamais quitté. Vous en avez gravi tous les grades, du poste d'assistant à celui de conservateur général.

Votre domaine de prédilection, c'est bien sûr la peinture des XVIIe et XVIIIe siècles français et italiens. Vous en êtes le grand expert mondial. L'intime de Poussin, Boucher, Chardin, Watteau, Latour, Fragonard, Titien et quelques autres... Un "connaisseur", dans le droit fil d'une tradition ancienne où l'oeil, constamment exercé, constitue l'instrument essentiel de la connaissance et de la reconnaissance. Un "découvreur", curieux au sens ancien, qui a tant apporté à l'histoire de l'art, fait progresser de manière significative la recherche sur les grands peintres, réévaluant ou ressuscitant artistes méconnus ou ignorés. Les nombreux catalogues que vous avez composés et dans lesquels vous avez toujours su privilégier les oeuvres, illustrent ce goût de la synthèse, la science des sujets que vous traitez, la sûreté de vos jugements.

Mais pour le grand public, vous êtes d'abord, avec Michel LACLOTTE, votre prédécesseur, l'artisan du Grand Louvre. Vous êtes l'homme des grandes aventures. Où l'on gagne à force de conviction, de passion, de compétence. Où il faut plaider avec finesse et talent.

Plaider pour l'acquisition par l'État de trésors qui risquent d'être à jamais perdus pour la France.

Vous battre avec charme et fermeté pour obtenir davantage de moyens. Vous avez ainsi brillamment contribué, comme rarement avant vous, à l'enrichissement des collections nationales.

Plaider aussi, pour défendre votre idée du Louvre, votre conception de sa mission.

Je me souviens encore des débats que nous avons eus à ce propos. De cette confrontation de deux visions d'un grand musée parisien : pour vous, le musée de référence dans ses domaines traditionnels, d'une richesse exhaustive : une vision encyclopédique, celle du " musée des musées " ; et moi, modestement, défendant l'idée d'un musée, sinon universel, du moins conférant aux oeuvres qu'il abrite valeur d'universalité.

J'ai mesuré dans toutes ces occasions votre grand amour du Louvre et votre opiniâtreté, votre passion militante, quand quelque chose vous tient à coeur, votre vigilance farouche pour tout ce qui touche au Louvre placé sous votre garde.

Mais vous êtes aussi un homme qui accepte l'échange. Et je me félicite que nous ayons pu inaugurer, le 13 avril 2000, ce pavillon des Sessions, pavillon permanent, pavillon de rêve, avec ses cent chefs d'oeuvre lointains. Ce fut pour moi un grand moment.


C'est Henri LOYRETTE, cher Maître, qui reprend aujourd'hui votre présidence.

Cher Henri LOYRETTE,

Successeur de Pierre ROSENBERG, vous l'étiez déjà, d'une certaine manière, dans votre domaine de prédilection, puisque votre passion, c'est le siècle qui suit, le XIXe, avec notamment, bien sûr, l'Impressionnisme. C'est l'art toujours replacé parmi ses influences, dans son environnement, humain, politique, social, scientifique. Vous aimez à dire que "l'artiste ne se comprend bien qu'entouré des siens : ses maîtres, relations, élèves, épigones".

Depuis 1994, vous dirigez cette belle maison qu'est le musée d'Orsay. Et le public vous connaît à travers les très grandes expositions : Degas, dont vous êtes l'expert internationalement reconnu, Chicago, les origines de l'Impressionnisme et, l'an dernier, Daumier, qui ont marqué, à Orsay et aux Galeries nationales du Grand Palais, la décennie écoulée.

Toujours, vous vous êtes attaché à privilégier l'interdisciplinarité, la relation au public, le mouvement, sans jamais sacrifier l'exigence scientifique. Ce talent et cette volonté vous ont valu la reconnaissance de vos pairs et vous avez été élu, en 1997, à l'Institut de France, à l'Académie des Beaux-Arts.

Ces qualités vous seront plus que jamais utiles et je vous souhaite beaucoup de succès dans vos nouvelles et prestigieuses fonctions. À vous maintenant de faire vivre le Louvre, de l'animer au lendemain de tant de profondes mutations, en vous appuyant sur les nombreux talents et savoir-faire qu'il recèle.


Il y a quelques jours, nous nous sommes rencontrés. Comme je l'avais fait avec Pierre ROSENBERG, nous avons parlé ensemble des grands défis que le Louvre, avec d'ailleurs l'ensemble des musées français, devait dorénavant relever.

Peu de domaines de l'action culturelle publique ont davantage changé en vingt ans que celui des musées. Désormais, et je crois Monsieur le ministre que vous partagerez ce point de vue, rien n'est pareil : ni le nombre, l'intérêt, le niveau d'exigence des visiteurs, ni le choix, la présentation, la mise en scène des collections, ni la qualité, l'originalité, l'audace même des expositions temporaires.

Ce succès, on peut l'attribuer d'abord au développement des voyages. Beaucoup de visiteurs, et c'est notamment vrai pour le Louvre, sont des touristes étrangers, pour qui le voyage est aussi un voyage dans le temps et dans la culture.

Mais ce succès tient sûrement également aux évolutions des publics. Des publics mieux formés, même s'il reste un chemin considérable à parcourir pour l'enseignement de l'histoire de l'art et l'accès aux disciplines de la sensibilité. Mieux informés aussi, par une presse et des médias dans lesquels l'actualité et les grands événements artistiques occupent une place de plus en plus importante.

Les chiffres sont là : en quinze ans, le nombre d'entrées au musée du Louvre a quasiment doublé, cher Maître. Plus de 6 millions de visiteurs pour la seule année 2000. Le musée est, avec les bibliothèques, l'institution culturelle la plus fréquentée par les Français comme le prouvent les systèmes de réservation mis en place à l'occasion des grandes expositions depuis quelques années. On est passé de l'esprit des cabinets de curiosités d'antan, endroits réservés à la dilection de quelques-uns, aux institutions que nous connaissons, ouvertes au plus large public. Les musées, comme le dit justement Pierre ROSENBERG, sont " à la mode ".

C'est en fait une véritable révolution culturelle à laquelle nous assistons. Cet engouement est plus qu'un effet de mode. Il est la conséquence d'une soif, d'une maturité du public, d'une société qui est devenue en quelque sorte une " société culturelle " tant la production, la diffusion, l'échange et la consommation de contenus culturels marquent aujourd'hui de leur empreinte les exigences individuelles de la vie sociale et aussi de l'économie. La conséquence aussi des formidables efforts accomplis par les musées pour attirer, expliquer, séduire, à Paris et de plus en plus dans toutes les régions de France. Je pense au musée de Lille, le premier de notre pays après le Louvre par la taille et la richesse, je pense au magnifique musée d'art de Grenoble, et aussi à tant d'autres.

Privilégier l'émotion : voilà l'une des idées-force de la rénovation ou de la transformation des musées. Il ne s'agit plus seulement de présenter l'histoire, les grandes époques, les grands courants, les grands noms de l'art. Il s'agit d'animer la rencontre entre l'oeuvre unique et ce qu'elle porte, celui qui l'a créée, celui qui la regarde. Le message est d'autant plus fort que l'émotion est présente et violent le choc esthétique.

C'est la voie de l'avenir. Jouer la carte de la séduction. Rendre vie aux oeuvres et à leurs auteurs. Lamartine et, après lui, Cocteau ont dit leur lassitude des musées "cimetières des arts". L'art contre la mort.

Rendre vie aux oeuvres, c'est aussi organiser la cohérence du parcours, la "profondeur" du parcours.

Cette profondeur, pour le Louvre, c'est, on l'a justement rappelé, sa dimension encyclopédique. Il est certes le grand musée de l'art occidental, le premier en France, en Europe et sans doute dans le monde, mais il est bien davantage : un symbole, le lieu de convergence naturel de millions et de millions de visiteurs.

Il a d'abord su tirer, grâce au talent et à l'énergie de ses présidents successifs, tout le parti que son nouveau statut d'établissement public pouvait lui donner en terme d'autonomie et de capacité d'initiative, comme le centre Georges-Pompidou il y a vingt ans. C'est un statut qui favorise la responsabilité, la définition d'un projet culturel et la recherche de nouveaux partenariats. Il faut aller plus loin et en tirer les enseignements pour d'autres établissements muséographiques.

De même, le Louvre illustre avec force les conséquences heureuses d'une synergie réussie entre l'État, les entreprises et les particuliers, je pense à la très dynamique Société des amis du Louvre et aux généreux mécènes auxquels je veux rendre hommage. Je sais que certains sont parmi nous aujourd'hui. Le musée est désormais partie intégrante de la société dans laquelle il évolue. Nous sommes bien sûr très attachés à l'affirmation éminente du rôle des pouvoirs publics, État et collectivités locales réunis, dans l'exercice de la responsabilité culturelle. C'est une spécificité française dont nous pouvons être fiers. Mais le corps social lui-même -individus, associations, fondations, entreprises- doit prendre une place croissante.

C'est pourquoi nous devons aujourd'hui nous interroger sur les crédits d'acquisition de nos musées dans un marché qui atteint des niveaux démesurés et d'ailleurs souvent déraisonnables. L'État ne saurait se dérober, s'agissant d'institutions nationales de premier rang. C'est son devoir. Mais au-delà de la politique des dations à laquelle nous sommes tous profondément attachés, il faut encourager, beaucoup plus que nous ne le faisons, donations et mécénats. Alors que la croissance est heureusement de retour, le moment est venu de repenser nos mécanismes juridiques et fiscaux. Il est en effet de notre responsabilité d'accroître et de diversifier les sources de financement et de favoriser un engagement toujours plus grand de la société civile dans la culture. Ne pourrait-on, par exemple, réfléchir à la constitution d'un fonds d'intervention exceptionnel pour l'acquisition de chefs-d'oeuvre ? Je sais, cher Pierre ROSENBERG, que vous avez suggéré, encore récemment, que soient mises à contribution, à cet effet, les recettes de la " Française des Jeux ". Cette idée, en vigueur dans un certain nombre d'autres pays, mérite d'être considérée. Elle serait simple, parlerait aux Français et les associerait à une grande ambition.

De même, l'ouverture du capital ou la privatisation des entreprises publiques du secteur industriel devrait s'accompagner de la création ou du renforcement de fondations dédiées à des activités d'intérêt général, notamment dans le domaine de la culture, et auxquelles serait affecté un pourcentage du capital de ces entreprises. Cette décision modifierait la ressource culturelle et ferait naître, entre les fondations, une belle et fructueuse émulation.

Il importe aussi de faire en sorte que les grandes institutions soient en prise directe sur la création en marche. C'est notamment le rôle des expositions temporaires qui mettent les collections du Louvre et ses domaines d'excellence en relation avec d'autres civilisations, d'autres formes d'expression artistique, d'autres périodes. C'est dans cet esprit qu'il faut absolument favoriser une plus grande circulation des oeuvres, et surtout des chefs-d'oeuvre, en régions et aussi dans le monde. À l'aube du XXIe siècle, un musée vivant est un musée tout à la fois créateur et partie prenante de réseaux, réseaux formés par les autres musées, de Paris, de province et de l'étranger. Sans oublier bien sûr le réseau des réseaux, internet, si riche de possibilités dans le domaine culturel, comme en témoigne le magnifique site du musée du Louvre.


Les musées sont des atouts considérables pour la France : atouts pour le service public, pour la recherche, l'éducation et la diffusion culturelle ; atouts pour l'attractivité touristique de notre pays, première destination dans le monde ; atouts pour notre rayonnement culturel international. Avec le Louvre, avec Orsay, avec le centre Georges-Pompidou, avec Guimet, avec nos prestigieux musées en région, demain avec le musée du quai Branly ou le musée porté par la Fondation François-Pinault, la France est au premier rang pour les grands musées du monde. Ce sujet de fierté pour le présent doit être une exigence pour l'avenir.

Pierre ROSENBERG a été l'homme des grands chantiers. Sous sa houlette, le musée du Louvre et ses équipes, scientifiques, administratives et techniques, avec l'aide des services du ministère de la Culture, et en particulier la Direction des musées de France dirigée avec beaucoup de talent, hier par Françoise CACHIN, aujourd'hui par Francine MARIANI-DUCRAY, se sont mis en ordre de bataille pour le XXIe siècle. Je veux l'en remercier au nom de la France, et de tous ceux, de par le monde, dont l'art est la deuxième patrie.

C'est vous, Henri LOYRETTE, qui prenez, aujourd'hui, le commandement du vaisseau, avec des projets qui, j'en suis sûr, vont conforter le prestige, la vocation et la haute valeur scientifique du Louvre. Mes voeux les plus chaleureux vous accompagnent dans cette superbe aventure.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie.





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