Discours d'ouverture des journées de la construction de la confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB).

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de l'ouverture des journées de la construction de la confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB)

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Palais des Congrès, Paris, le jeudi 26 avril 2001

Monsieur le Président, Messieurs les délégués, Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux d'ouvrir vos journées de la construction. L'importance de cet événement, les milliers de délégués de l'artisanat du bâtiment qu'il rassemble, témoignent bien, comme l'a dit le Président, du dynamisme de votre profession et de sa vitalité.

C'est désormais un acquis de la société française : dans chaque branche, et notamment dans celle du bâtiment, les artisans parlent de leur propre voix. Ils expriment leurs attentes et leurs difficultés. Ce sont celles de la France et de l'économie française. Votre spécificité, c'est vrai, n'est pas toujours suffisamment prise en compte. Mais il est indéniable que le regard des Français sur l'artisanat change et que les artisans, année après année, font entendre un message qu'il n'est plus possible d'ignorer. Un message de responsabilité et vous avez dit le mot en conclusion, Monsieur le Président, un message de fierté. Un message de volonté et d'avenir, pour reprendre le titre que vous avez donné à vos travaux d'aujourd'hui.

À travers vous, c'est toute la variété des métiers du bâtiment qui s'exprime, sans oublier le travail qu'effectuent à vos côtés vos conjoints et souvent aussi vos jeunes. Les 105 syndicats départementaux de la CAPEB reflètent également la grande diversité de notre pays, et témoignent de la place que vous occupez sur tout le territoire, notamment c'est vrai en zone rurale, comme vous l'avez souligné, Monsieur le Président.

Avec 300 000 entreprises, l'artisanat du bâtiment est beaucoup plus qu'une force économique. C'est un ensemble de valeurs, dont notre société reconnaît, en ce début de XXIe siècle, qu'elles appartiennent autant à son avenir qu'à ses traditions.

Parce que les artisans sont les premiers entrepreneurs de notre pays, je voudrais ce matin, par delà les débats de l'actualité, vous dire d'abord un mot sur la place et de l'importance de l'entreprise dans la vie de la nation.

Dans leur immense majorité, les Françaises et les Français sont attachés à leurs entreprises, et ils ont bien sûr de bonnes raisons pour cela. Les Français au travail innovent, répondent aux commandes, vont sans cesse à la conquête de nouveaux marchés. Grâce à leurs efforts, nos entreprises réussissent et des centaines de milliers d'emplois ont été créés au cours de ces dernières années.

Loin de s'opposer, le développement des entreprises et l'amélioration de la situation de l'emploi vont évidemment de pair.

Si nous avons maintenu et accru l'activité économique sur le sol français, c'est parce que nous avons su nous montrer meilleurs que d'autres dans la compétition économique, c'est-à-dire plus conscients des exigences de dynamisme d'une économie moderne et ouverte.

C'est aussi grâce à l'efficacité de notre système de formation, à la qualité de nos infrastructures, à la cohésion que nous donnent notre protection sociale et aussi à une certaine tradition, même si elle est souvent insuffisante, de négociation collective.

Si la collectivité a des devoirs à l'égard des entreprises, les entreprises ont aussi des obligations à l'égard de la collectivité. Je tiens à le dire, elles y sont le plus souvent très attentives, comme elles sont attentives à leurs responsabilités humaines et sociales. C'est d'ailleurs la condition même de leur réussite.

La demande d'un dialogue social plus approfondi sur la stratégie des groupes, dont on parle aujourd'hui, est légitime de même que l'exigence de plans sociaux dignes de ce nom.

L'impératif social et le respect de chaque salarié s'imposent dans tous les cas mais il faut aussi se garder des approches par principe suspicieuses à l'égard de la généralité des entrepreneurs.

Nous avons des champions nationaux. Nous avons des centaines de milliers de petites et moyennes entreprises. Nous avons des millions de salariés. C'est tous ensemble qu'ils se battent chaque jour pour l'emploi et pour la croissance. Il ne faut pas les opposer. C'est tous ensemble qu'ils font gagner la France.




L'artisanat, c'est d'abord l'assurance d'un service de qualité, à travers le lien direct que vous avez su conserver avec les Français. Nos concitoyens vous confient l'un de leurs biens les plus précieux, ce logement qui est d'abord un projet, un objet d'effort, le fruit de l'épargne, avant de devenir le lieu de l'intimité familiale. Vous êtes au contact quotidien de nos compatriotes, qui sont directement à l'origine, le Président l'a souligné à juste titre tout à l'heure, des quatre cinquièmes de votre chiffre d'affaires. Comme vous l'avez indiqué, c'est une particularité par rapport aux pays voisins, où les intermédiaires occupent une place centrale.

Je sais à quel point vous êtes attachés à cette indépendance, gage de responsabilité et de qualité. Les efforts que vous accomplissez, à travers votre charte de qualité ou les démarches de certification mises en place cette année, pour développer encore la confiance de vos clients, méritent d'être salués avec respect et satisfaction.

L'artisanat, c'est aussi l'emploi. Alors même que la conjoncture était encore hésitante, vous avez créé 80 000 postes salariés depuis 1994. Ce mouvement n'est pas d'ailleurs propre à la France : tous les grands pays industrialisés ont enfin appris à voir dans l'artisanat un moteur essentiel pour l'embauche, la croissance et la compétitivité.

L'artisanat, c'est un gage d'équilibre pour la société. Pour beaucoup de chefs d'entreprise, qui ont commencé à travailler à seize ans, comme apprentis, il est synonyme de promotion sociale. Pour beaucoup de femmes et d'hommes issus de l'immigration, il a été l'une des clés de l'intégration, le moyen de faire reconnaître leur valeur et leur savoir-faire. Pour beaucoup de communes rurales, l'artisanat du bâtiment est, de très loin, la principale source de richesse et de dynamisme.

Ces impératifs de qualité, de promotion de l'emploi, d'équilibre social, en même temps que les besoins considérables de notre pays en matière de logements justifient une politique ambitieuse au service du bâtiment et donc au service de ses artisans.

La situation du secteur du bâtiment est bonne, et je m'en réjouis. Certes, après les résultats exceptionnels de l'an 2000, où la croissance avait dépassé 5%, la progression de l'activité a légèrement fléchi. Mais les carnets de commandes de vos entreprises se maintiennent à un bon niveau et vous connaissez même des difficultés, le Président le soulignait tout à l'heure, de recrutement pour répondre à la demande.

Cette croissance, nous la devons d'abord à votre capacité d'adaptation. Nous la devons aussi à la baisse considérable des taux d'intérêt dont notre pays a bénéficié depuis 1996. Ce crédit moins cher, c'est la conséquence directe de la décision de faire l'euro et, pour cela, de remettre en ordre nos finances publiques. Cette décision a impliqué des choix difficiles, mais dont on constate chaque jour l'importance, parce qu'elle se traduit directement dans les commandes des particuliers ou dans celles des promoteurs.

Parallèlement, votre secteur a bénéficié d'instruments d'intervention spécifiques. Je pense au dispositif fiscal mis en place par Pierre-André PERISSOL pour encourager la construction de logements locatifs. Je pense aussi au " prêt à taux zéro ", qui a permis à de nombreux Français aux revenus modestes d'accéder à la propriété. Je pense enfin, le Président l'a souligné à juste titre, à l'abaissement du taux de la taxe sur la valeur ajoutée à 5,5% en faveur de la construction de logements locatifs sociaux. Cette réforme a été étendue à l'ensemble des travaux de construction et de rénovation, nourrissant ainsi la croissance du bâtiment au cours de l'année 2000. C'est une bonne décision économique. C'est aussi une mesure de justice, qui consacre la reconnaissance du logement comme bien de première nécessité. Je souhaite naturellement, je n'en doute pas, Monsieur le Président, qu'elle soit pérennisée.

La dynamique que connaît aujourd'hui le secteur du bâtiment doit être entretenue. Parce que les besoins des Français sont très loin d'être satisfaits.

C'est vrai pour l'aménagement et l'entretien : les logements de nos compatriotes ont besoin d'améliorations, que ce soit en matière d'isolation thermique ou phonique, d'installations sanitaires ou de mise aux normes de sécurité électrique. C'est encore plus vrai pour la construction : trois millions de Français au moins vivent dans des logements surpeuplés ou dépourvus du confort de base. C'est une situation inacceptable, notamment lorsqu'elle frappe les personnes les plus faibles, les enfants, les personnes âgées, les plus démunis. Et nous connaissons tous les retards qu'accusent nos résidences universitaires, les besoins qui se manifestent en matière d'hébergement d'urgence ou encore la nécessité de détruire des dizaines de milliers d'immeubles, et de rebâtir sur leurs emplacements si nous voulons donner une réelle efficacité à la politique de la ville.

Développer l'offre et la qualité des constructions est donc une priorité vitale pour le bien-être de nos concitoyens. C'est la question du logement qui, pour une grande partie, détermine l'équité de notre modèle social, la qualité de la vie des Français et aussi une fois venue la retraite, leur niveau de vie.

Rien en la matière ne pourra naturellement se faire sans les artisans du bâtiment. Car, comme vous aimez à le répéter, vous êtes de loin la première entreprise du secteur, avec 60% du chiffre d'affaires. Je sais que vous ne demandez qu'à travailler, à gagner des marchés, privés ou publics, dans des conditions de concurrence équitable. Et vous pouvez compter sur ma ferme détermination pour vous permettre d'exercer votre métier dans les meilleures conditions.


La première priorité, je crois, est de mieux prendre en compte la particularité des petites entreprises et notamment de celles qui ne comptent que quelques salariés. C'est un objectif déjà ancien, mais qui revêt une signification particulière à quelques mois de l'application de la loi sur les 35 heures aux PME.

Pour la très grande majorité d'entre vous, la réforme est encore à venir. Je pense qu'il est important que vous puissiez bénéficier, avec l'aide de l'Etat, d'un conseil adapté pour trouver, dans chaque entreprise, la meilleure organisation. Cette assistance est d'autant plus nécessaire que vous serez aussi fortement sollicités, à ce moment-là, par le passage à la comptabilité en euros, fixé de longue date avec nos partenaires européens à janvier 2002.

Je souhaite aussi que les textes, le Président l'a évoqué, soient assouplis pour prendre pleinement en compte les difficultés particulières qui se posent aux entreprises artisanales et ne pas pénaliser leur activité et leur développement. Les négociations ont permis un passage par étapes aux 35 heures et l'organisation d'actions de formation continue sur les plages horaires libérées par la réduction du temps de travail. Mais il faudra aussi veiller à ce que le coût des heures supplémentaires n'aboutisse pas à paralyser les plus petites structures. Les petites entreprises ont, par définition, des marges de manoeuvre réduites. Méconnaître cette vérité serait injuste et inefficace à l'heure où le secteur du bâtiment ne parvient pas à embaucher autant qu'il le souhaite. Il faut donc des assouplissements dans l'application des 35 heures aux PME.

Au-delà de cette question, nous devons donner aux petites entreprises le cadre pratique et juridique dont elles ont besoin. Vous avez à juste titre insisté sur ce point, Monsieur le Président. On ne forcera pas l'entreprise artisanale à se couler dans des catégories toutes faites. On ne peut pas, dans une petite structure, séparer radicalement le patrimoine du dirigeant et celui de l'entreprise, comme le voudrait une vision trop rigide du droit commercial. On ne peut pas opposer mécaniquement la situation des salariés et celle de l'employeur, contrairement aux lignes de partage de notre droit social. On ne peut pas non plus faire peser sur l'activité de l'entreprise des charges supplémentaires d'organisation et de comptabilité, comme tend encore trop souvent à le faire notre pratique administrative.

Dans tous ces domaines, si l'on ne veut pas que les artisans cumulent tous les risques de l'entrepreneur avec toutes les vulnérabilités du salarié, il faut faire preuve d'imagination. Une proposition de loi a été déposée l'an dernier pour permettre aux artisans de n'engager qu'un patrimoine limité dans leur entreprise et pour rendre insaisissable une partie de leur rémunération. Cette démarche doit aller à son terme. Il faut aussi continuer à mettre en place une protection sociale adaptée, à travers l'alignement progressif des régimes sociaux et l'amélioration du statut du conjoint collaborateur. Au-delà des plans successifs, il faut enfin réduire concrètement et de manière radicale les formalités de toutes sortes qui donnent presque aux artisans et souvent à leurs conjoints un second travail à effectuer, en plus de leur métier, pendant leurs soirées ou pendant leur temps de repos.

Préparer l'avenir des petites entreprises, c'est aussi veiller à la diminution des charges, qui doit être réelle et ne pas seulement compenser les contraintes imposées par les nouvelles réglementations. Beaucoup d'entre vous le disent : les charges qui pèsent sur l'emploi dissuadent l'embauche alors même que le travail ne manque pas, au point qu'il est parfois difficile d'honorer les délais.

À l'occasion des négociations pour le renouvellement de la convention d'assurance-chômage, vous avez montré par votre mobilisation au sein de l'U.P.A. qu'il était possible de réduire les prélèvements. Ce mouvement doit être poursuivi, en veillant aussi à corriger les principaux archaïsmes de notre fiscalité, qu'il s'agisse des conditions de transmission des entreprises, du régime de la déduction de salaire du conjoint collaborateur ou de la réforme de la taxe professionnelle, qui reste encore à compléter. La baisse des charges et la refonte de la fiscalité ne sont pas seulement nécessaires pour offrir à nos entreprises de bonnes conditions de concurrence. Elles sont aussi indispensables pour leur permettre d'investir et de rattraper le retard occasionné par les difficultés du début des années 1990.

Préparer l'avenir des entreprises du bâtiment, c'est également continuer à mettre en place des instruments d'intervention à la hauteur des besoins de notre pays. J'ai rappelé, après le Président, ce qu'ont apporté la baisse de la TVA ou les mesures fiscales en faveur de la construction de logements locatifs. Et bien nous devons progresser sur cette voie.

Je souhaite qu'une réflexion globale s'engage sur les moyens de développer l'offre de logements sociaux, y compris à partir des investissements privés. Je souhaite aussi que la fiscalité prenne mieux en compte les dépenses que les Français consentent pour leur habitation principale. Un effort particulier devra être fait pour améliorer l'isolation des bâtiments individuels et collectifs. C'est en effet un moyen particulièrement efficace de diminuer notre consommation énergétique et protéger l'environnement en réduisant significativement les émissions si dangereuses de gaz à effet de serre.

Préparer l'avenir, c'est enfin privilégier le renouvellement des générations. Et je tiens à vous féliciter, Monsieur le Président, et je félicite chacun des artisans qui sont ici pour le travail de formation, travail exemplaire qu'ils accomplissent.

Les petites entreprises du bâtiment accueillent aujourd'hui un apprenti sur six - un apprenti sur six tous secteurs d'activité confondus. C'est un chiffre considérable, qui témoigne de la fierté que vous avez de votre métier et aussi de la générosité avec laquelle vous êtes prêts à partager votre expérience. Vous complétez aujourd'hui cette action par des interventions dans les collèges, à travers des expériences comme les ateliers du mercredi, qui permettent de sensibiliser les jeunes à des carrières qu'au fond ils connaissent mal. Cette initiative est essentielle, car l'artisanat est confronté à la question du renouvellement des générations puisque 50% des artisans ont aujourd'hui plus de 50 ans. Nos jeunes concitoyens doivent être mieux informés des perspectives qui sont ouvertes à eux dans l'artisanat et notamment dans le secteur du bâtiment. Ils doivent savoir qu'ils peuvent faire le choix du travail indépendant et, s'ils en ont le goût, accéder à de vrais et bons et beaux métiers.

Ce travail doit être continué, qu'il s'agisse de formation initiale ou continue. C'est une nécessité pour assurer la transmission des savoir-faire et pour permettre à votre secteur de s'adapter à l'évolution constante des techniques. C'est aussi un des aspects les plus importants et les plus attachants de votre contribution à notre communauté nationale.


Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, la croissance que connaît votre secteur témoigne de vos capacités de mobilisation et d'adaptation. Elle met aussi en lumière les besoins des Français en matière de logement, besoins qui restent extrêmement importants.

Vous pouvez, Monsieur le Président, compter -vous l'avez évoqué-, sur mon soutien pour vous aider à répondre à cette attente. Je sais l'engagement, l'investissement personnel et familial qu'il y a dans chacune de vos entreprises. Et je sais ce que vos entreprises représentent pour l'emploi, pour l'équilibre des territoires et pour la formation des jeunes dans notre pays. Vous trouverez toujours auprès de moi une détermination et un appui à la mesure de votre volonté et de votre confiance dans l'avenir.

Je vous remercie.





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