Discours du Président de la République à l'occasion des cérémonies commémorant le 10e anniversaire de la réunification de l'Allemagne.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion des cérémonies commémorant le 10e anniversaire de la réunification de la République fédérale d'Allemagne.

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Dresde, Allemagne, le mardi 3 octobre 2000

Monsieur le Président de la République Fédérale, Monsieur le Président du Bundestag, Monsieur le Président du Bundesrat, Monsieur le Chancelier, Madame la Présidente de la Cour Constitutionnelle, Mesdames, Messieurs,

Je veux d'abord vous dire combien je suis heureux et fier de fêter avec vous ce grand moment de votre histoire et de l'histoire de toute l'Europe. Il y a onze ans, le Mur tombait, Allemands de l'est et de l'ouest, frères séparés dans un pays déchiré, se retrouvaient enfin. Ils lançaient le grand signal de l'émancipation et du rassemblement à toute cette partie de notre continent demeurée si longtemps interdite d'Europe.

Il y a dix ans, l'Allemagne dans un geste solennel, recouvrait son unité après une si longue et si douloureuse partition. En invitant la France à se rappeler avec vous ces instants inoubliables, où tout a basculé, où l'Histoire s'est soudain accélérée, vous avez souhaité marquer la force de l'amitié germano-française, son rôle irremplaçable dans la construction de l'Europe et, au-delà, l'union de nos destins dans une grande aventure commune. Et au nom de tous les Français, je vous en remercie.

Dix ans déjà. Pourtant l'émotion demeure au souvenir de ces moments intenses, de ce bonheur indicible, qui marquèrent et suivirent la chute du Mur. L'insupportable rideau de fer qui divisait Berlin, l'Allemagne et l'Europe tout entière s'écroulait enfin. Sous les coups d'abord de celles et ceux qui, au long de ces années, dans cette partie de l'Allemagne, se dressèrent, aux prix de leur vie, pour reconquérir la liberté. L'implacable répression n'avait pu avoir raison de la conscience, de la patience, de la fierté de ces hommes et de ces femmes qui aspiraient, comme leurs frères au coeur de l'Europe, à la démocratie et à la dignité.

Ici, à Dresde, comme à Leipzig, ils eurent le courage d'opposer à l'arbitraire la force de la liberté. Ici, à Dresde, ils lancèrent : "Wir sind das Volk, nous sommes le peuple ; le peuple, c'est nous" pour proclamer ensuite : " Wir sind ein Volk, nous sommes un seul peuple". Ici, le peuple renouait avec cette tradition démocratique de la révolution de 1848 qui liait la liberté de l'Allemagne à son destin national.

Je veux aujourd'hui rendre hommage à ces femmes et à ces hommes et, parmi eux, à M. Lothar de Maizière. L'Allemagne leur doit sa liberté. Et l'Europe d'avoir pu retrouver ses solidarités naturelles.

Car cette révolte n'était pas seulement la leur. Elle était aussi celle de cette Europe asservie, humiliée, qui refusait de subir plus longtemps un joug totalitaire hérité d'un autre âge. Souvenons-nous de celles et de ceux qui, contre toute fatalité, contre toute résignation, en Hongrie, en Pologne, dans la Tchécoslovaquie d'alors, en Russie même, ont mené ce combat et l'ont gagné. Souvenons-nous de celles et de ceux qui, placés aux postes de responsabilité, à l'est comme à l'ouest, ont perçu cette lame de fond de l'Histoire, qui ont compris qu'il fallait accompagner ce mouvement des peuples pour en permettre l'accomplissement pacifique.

Grâce à eux, ce siècle, qui fut pour l'Europe celui de toutes les horreurs et de toutes les souffrances, est devenu et restera aussi dans notre mémoire comme celui de la victoire du droit, de la justice et de la liberté.

Dix ans déjà. Le 3 octobre 1990, une cérémonie solennelle permettait la renaissance, au coeur de notre Europe, d'un Etat allemand réunifié, réalisant le rêve de son peuple et récompensant l'attente de tous ceux qui espéraient avec lui. Cette réunification de l'Allemagne, en communion avec les autres peuples de l'Europe, nous l'avons accueillie avec joie.

Je suis de ceux qui, avec tant de Français, ont vécu dans l'émotion et dans l'enthousiasme ces heures magiques. Formé à l'école du général de Gaulle, j'avais depuis longtemps perçu comme une évidence, et je l'avais dit et redit, que l'Allemagne devait être un jour, réunifiée ! Que l'Europe devait être, et serait un jour, rassemblée ! Que le combat pour la réunification de l'Allemagne allait de pair avec le combat pour l'unité de l'Europe ! Qu'ils servaient un seul et même dessein !

Oui, c'est la construction d'une communauté européenne prospère, puissante, rayonnante, qui rendait plus insupportables encore les barrières qui divisaient votre pays et amputaient notre continent d'une partie essentielle de lui-même. Et, en retour, c'est la réunification de l'Allemagne, puis celle de l'Europe, qui, une fois achevées, allaient donner au projet européen un nouvel horizon, de nouvelles chances, qu'il nous faudrait alors saisir.

Je savais aussi que l'Allemagne, ayant retrouvé son unité, ne rêverait pas d'un destin solitaire mais s'attellerait avec beaucoup d'ardeur encore à l'accomplissement du projet européen. Qu'elle s'investirait davantage dans notre grande aventure commune. Qu'elle y apporterait les talents, l'expérience, l'héritage historique et bien sûr la vigueur des énergies enfin libérées de ses "nouveaux Laender". Comme je sais aujourd'hui qu'une Europe, rétablie dans ses vraies dimensions, rassemblant des pays plus nombreux, n'en sera pas moins solidaire.




A l'Allemagne et à l'Europe, il fallait des hommes de vision pour relever ces défis.

Pour l'Allemagne, Helmut Kohl a été cet homme-là. Il fallait de l'audace pour aller si loin, si vite. Pour proposer à son peuple, au moment juste, ce chemin ambitieux et difficile. Pour choisir les mesures qui permettraient aux Allemands de se sentir immédiatement et effectivement réunis dans une même communauté nationale, égalitaire et solidaire, au prix d'un effort que certains jugeaient écrasant et que, pourtant, votre pays a su accomplir. Pour emprunter, sur la scène internationale, avec le soutien de ses partenaires et de ses alliés au premier rang desquels la France, le chemin qui allait permettre à l'Allemagne réunifiée de trouver sa place dans un environnement de paix et de sécurité au coeur même de notre continent.

Helmut Kohl a apporté à la cause de l'unité européenne l'engagement renouvelé et renforcé d'un pays réconcilié avec lui-même. Avec vous, j'aimerais rendre hommage à mon tour à un homme qui fut aussi, dans l'exercice du mandat que votre peuple lui avait confié, un artisan exceptionnel de la coopération germano-française, un ami fidèle de la France, et qui restera dans l'Histoire comme un grand Allemand et un grand Européen.

Je salue aussi le rôle que des hommes tels que vous, Monsieur le Président du Bundesrat, ont joué dans l'immense tâche de reconstruction et de réconciliation qui s'offrait à l'Allemagne. En décidant de mettre votre expérience au service de ce Land de Saxe, vous incarnez la volonté de tout un peuple de répondre au défi historique qui se présentait à lui. Je sais tout ce que les succès actuels de Dresde vous doivent.

Ici, et dans l'ensemble des " nouveaux Laender ", ainsi bien sûr qu'à Berlin, l'oeuvre accomplie depuis dix ans est immense. Elle a exigé de tous courage et sacrifices. Elle mobilise encore aujourd'hui toutes vos énergies. Elle nécessite détermination dans l'effort, continuité dans la solidarité, acceptation de la diversité. C'est ce message, Monsieur le Chancelier, et cher Gerhard, que vous avez porté lors de votre récent voyage dans les villes et les villages de cette partie de l'Allemagne. D'ores et déjà, en à peine une décennie, malgré l'ampleur de la tâche, le résultat force l'admiration de tous et du monde.




Au-delà, la réunification de l'Allemagne a ouvert la voie à celle de notre continent tout entier. Il nous faudra, dans cette grande entreprise, la même hauteur de vues, le même courage, la même détermination. A la mesure de l'enjeu, celui de l'unité enfin reconstituée de la famille européenne. A la mesure des obstacles aussi, nous le savons bien, cet élargissement, par son ampleur même, va transformer notre Union.

Mais jamais les difficultés ne nous détourneront de l'objectif que nous nous sommes fixé : accueillir aussi vite que possible nos voisins de l'Est dans la grande maison européenne. Nous savons ce que nous leur devons et combien leur combat pour l'émancipation a consolidé notre propre liberté. Où peut-on, mieux qu'ici, à Dresde, mesurer, ressentir avec plus d'acuité, toute la cruauté, toute l'absurdité des fractures que l'Histoire et le sort des armes ont imprimées sur le sol européen ? Laissons les hommes qui partagent le même héritage, la même culture, se prendre la main et construire ensemble leur destin.

Ici, à Dresde, je veux m'adresser, au nom de la France et de la présidence de l'Union européenne, aux peuples qui souhaitent nous rejoindre. N'ayez aucun doute ! Ne craignez pas l'avenir ! Nous ferons et nous réussirons l'élargissement ! Ensemble, nous donnerons à l'Europe un surcroît de puissance, de liberté et de prospérité. Ensemble, nous lui confèrerons cette stabilité à laquelle elle aspire depuis si longtemps. Nous vous attendons. Nous vous attendons avec impatience ! Et notre concours ne vous fera pas défaut !

Mais préparons la voie lucidement. Sans nous masquer les problèmes. En nous donnant les moyens de les surmonter.

Car l'élargissement ne doit pas être un affaiblissement. C'est une Europe forte, démocratique, capable d'agir que les pays candidats veulent rejoindre. Voilà pourquoi la réforme des institutions constitue une étape incontournable. La France en a fait l'une des toutes premières priorités de sa Présidence. Elle ne pourra la mener à bien que si tous l'aident dans sa tâche, avec la même volonté d'aboutir. Il nous reste deux mois, avant le Conseil européen de Nice, pour réussir. L'Europe a besoin d'un bon accord. Et j'appelle tous les Etats membres à se préparer à faire les gestes qui permettront d'y parvenir.

Leur adhésion, les pays candidats la préparent intensément. C'est avec admiration et une claire conscience des efforts consentis que nous voyons se développer l'immense chantier des réformes, que chacun, naturellement, conduit à son rythme et selon ses propres moyens. L'Union européenne doit, de son côté, faire preuve de la même détermination. A Helsinki, elle a décidé d'être prête le 1er janvier 2003 à ouvrir ses portes aux premiers candidats en mesure de la rejoindre. Ici, à quelques kilomètres des frontières de la Pologne et de la République Tchèque, je renouvelle solennellement cet engagement.

Monsieur le Président,

Construire l'Europe a toujours été un défi. Nous en contemplons a posteriori le cours impressionnant et sinueux, et sans oublier combien de volonté, de peine, de tenacité furent nécessaires pour en poser un à un les jalons. Notre secret fut de garder sans cesse à l'esprit la vocation de notre Union, de savoir pourquoi nous l'approfondissons chaque jour. Notre force, pour l'avenir, doit être de préserver une vision qui inspire et justifie nos efforts.

L'Union n'est pas un assemblage hétéroclite. Elle est le rassemblement de nations qui entendent garder leur âme et leur identité, mais qui ont choisi de s'unir pour défendre en commun leurs intérêts et surtout leurs valeurs. La démocratie, les droits de l'Homme, le respect sacré et inviolable de la liberté et de la dignité de chaque individu, sa place au coeur d'une société solidaire, tous ces idéaux sont nés sur notre terre européenne. Ils constituent une part essentielle de notre identité et ils fondent le message que nous portons dans le monde, chaque fois que nécessaire. Gardons-les et cultivons-les aussi comme une exigence envers nous-mêmes.

Continuons à donner à notre Union cette grande mission qui l'emporte sur toutes les autres : faire régner, sur son sol et autour d'elle, sur le continent européen, le règne du Droit. Soyons sans indulgence pour ceux qui, à notre porte, en bafouent les principes. Et attachons-nous, bien sûr, au sein de l'Union, dans chacun de nos pays, à combattre sans faiblesse tous ceux qui cultivent ou qui exhument des idées aux relents nauséabonds.

Mais sachons aussi les désarmer et désarmer les peurs, en rapprochant l'Europe de nos concitoyens, en leur faisant aimer l'Europe. Beaucoup, même parmi ceux qui perçoivent l'ardente nécessité de l'aventure européenne, sont parfois tentés de prendre leurs distances à l'égard d'une Union qu'ils jugent trop abstraite, trop complexe, aux compétences insuffisamment définies, à la légitimité encore incertaine.

L'heure est à nouveau venue d'une réflexion sur l'avenir de notre entreprise commune, sur les moyens d'en renforcer le dynamisme et l'efficacité. Ce n'est pas un hasard si l'Allemagne et la France et en ont ressenti les premières, et ensemble, la nécessité. La responsabilité particulière que nos deux pays assument depuis l'origine du projet européen, l'étendue et la profondeur des coopérations qui les unissent aujourd'hui, la complémentarité de leurs intérêts, confèrent à leur action concertée un rôle particulier sur la scène européenne.

Au cours des deux dernières années, dans le dialogue constant et confiant que nous avons développé, j'ai pu apprécier, Monsieur le Chancelier, la force et la clarté de votre engagement européen. Ensemble, à Rambouillet, à Mayence, à Berlin, nous avons partagé nos réflexions sur les défis qui attendent l'Europe élargie. Nous avons constaté une même volonté de clarifier les responsabilités et les compétences, mais aussi de préserver, dans une Union plus vaste, la possibilité de poursuivre la marche en avant sous l'impulsion des pays les plus déterminés. C'est le sens des propositions que j'ai faites devant le Bundestag en juin dernier.

Le débat est ouvert. Il est nécessaire. En l'espace de quelques mois il a pris de l'ampleur. D'Italie, d'Espagne, de Belgique, des idées ambitieuses, qui souvent rejoignent les nôtres, sont venues l'enrichir.

Ce débat doit être mené en ayant à l'esprit que nous devons, avant toute chose, réussir la réforme institutionnelle. Procédons par étape. Mais ayons conscience que l'Union a désormais tellement de responsabilités dans le monde, tellement d'importance pour nous-mêmes, que notre devoir est de préparer son avenir avec audace et avec imagination.




Monsieur le Président,

L'Allemagne fête aujourd'hui son unité. Avec elle, l'Europe tout entière célèbre ses retrouvailles. Mais c'est la Saxe qui nous accueille, Monsieur le Ministre-Président, dans cette ville de Dresde qui incarne les richesses, les souffrances et les espoirs de votre pays et de notre continent. Dresde, joyau de la culture européenne, qui si souvent inspira les génies créateurs de toutes nos nations, mais aussi enjeu, pendant plus d'un millénaire, de tant d'ambitions ; Dresde payant le tribut que l'on sait à la logique implacable de la guerre ; Dresde aujourd'hui renaissante, et qui offre à nouveau à notre regard l'un des plus beaux paysages d'Europe. Dresde qui recouvre sa vocation naturelle de carrefour de l'esprit, où se retrouvent et se conjuguent déjà les ressources intellectuelles et créatrices de l'Europe.

Ici, les Européens réapprennent le plaisir d'être ensemble. Ici, nous ressentons profondément le message de paix et de générosité des fondateurs de l'Europe. Ici nous prenons l'engagement de poursuivre la grande entreprise, ambitieuse, pacifique et fraternelle qu'ils nous ont léguée. Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je vous remercie.





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