Discours du Président de la République lors de la réception en l'honneur de la communauté française à Pékin, Chine.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la réception en l'honneur de la communauté française établie en Chine.

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Pékin, Chine, le dimanche 22 octobre 2000

Mes Chers Compatriotes,

Un mot d'abord qui va de soi, ce sont des excuses pour ce retard. En règle générale, je m'efforce d'être toujours à l'heure, mais les conversations que nous avons eues à Yangzhou avec le Président JIANG Zemin étaient particulièrement intéressantes et particulièrement positives. Ce qui a eu pour résultat de les faire durer plus longtemps que prévu. Et j'avais beau lui dire que j'étais attendu ici. Alors, je suis désolé de vous avoir fait ainsi attendre. Enfin, il y aurait pu avoir plus mauvaises raisons. Celles-ci ne sont pas si mauvaises.

Je voudrais, après avoir salué chacune et chacun d'entre vous, saluer notre Ambassadeur qui a fait, ici, un travail pour lequel j'ai beaucoup d'estime et de reconnaissance. Nos parlementaires, Présidents des groupes d'amitié du Sénat et de l'Assemblée nationale, M. Bruno LE ROUX et M. Jacques VALADE. Et puis toutes les personnalités qui se sont jointes à nous et notamment celles qui sont venues à l'occasion de ce voyage de Paris.

Enfin, je voudrais aussi saluer les journalistes français qui sont parmi nous, et ceux qui sont correspondants en Chine ou en Asie, et ceux qui suivent ce voyage depuis plusieurs jours déjà. Je les salue d'autant que, je sais, les journées sont parfois, pour eux, un peu longues.

Mes Chers Compatriotes,

En 1997, lors de ma précédente visite en Chine, je vous avais exposé quelles étaient nos ambitions pour les relations entre nos deux pays. J'étais alors venu à Pékin pour lancer un partenariat global entre la France et la Chine. Trois ans et demi après, c'est d'abord avec beaucoup de plaisir que je vous retrouve. Je souhaiterais vous dire aujourd'hui où en est ce partenariat et quels sont les traits forts de ma visite.

Celle-ci revêt, c'est vrai, un caractère particulier, puisqu'elle se situe dans le cadre de la Présidence française de l'Union européenne. Ainsi demain se tiendra le troisième Sommet Union européenne-Chine, auquel nous entendons donner une ampleur particulière et qui, d'ailleurs, la prend spontanément aussi bien dans l'esprit de nos partenaires chinois que dans l'esprit des Européens. Cette dimension euro-asiatique, euro-chinoise a été au centre des entretiens auxquels je faisais allusion et que j'ai eus avec le Président JIANG Zemin, hier et aujourd'hui. Nous avons notamment évoqué le Sommet de l'ASEM, que j'ai co-présidé à Séoul avec le Président KIM Dae-Jung, et auquel la Chine comme la France ont souhaité donner une nouvelle impulsion.

Comme vous le savez, c'est à l'initiative de notre pays et de Singapour qu'en 1996 ce dialogue euro-asiatique qui n'existait pas, s'est engagé. J'avais fait valoir que, dans le grand triangle "Asie-Amérique-Europe", sur lequel s'appuie largement le destin du monde, la relation euro-asiatique demeurait, en fait, le côté faible. Il importait donc de le renouveler et de le renforcer sans délai. Et à Séoul, nous avons franchi une nouvelle étape dans cette voie.

Nous avons pu constater avec le Président JIANG Zemin que, par son intensité même, l'entente franco-chinoise pouvait jouer un rôle moteur dans la relation entre nos deux continents. Parce que nous refusons, à Pékin et à Paris, un monde uniformisé ; parce que nous partageons le même attachement pour le rôle de l'ONU et de son Conseil de sécurité ; parce que nous sommes convaincus que la globalisation doit respecter les diversités culturelles ; parce qu'enfin nous croyons que la multipolarité est un facteur d'équilibre et de paix dans le monde de demain. Pour toutes ces raisons, le partenariat franco-chinois est un atout important pour relever les défis de ce siècle.

Comment la France et la Chine peuvent-elles aujourd'hui l'organiser et le consolider ?

Nous avons d'abord renforcé la coopération multilatérale qui doit être le fondement d'un système international en pleine évolution. Ainsi, la Chine et la France ont-elles intensifié leurs consultations dans la prévention et le règlement des conflits. Ainsi la France a-t-elle tenu la Chine, très précisément, informée des travaux du G7/G8. Ainsi avons-nous appuyé l'initiative sans précédent du Président JIANG Zemin d'une réunion des cinq chefs d'Etat et de Gouvernement des membres permanents du Conseil de sécurité que nous avons donc tenue lors du Sommet du Millénaire, à New York, en septembre dernier.

Affirmer le rôle du Conseil de sécurité comme la seule enceinte détenant la légitimité internationale pour dire le droit et régler les conflits par tous les moyens : tel est bien l'objectif auquel nos deux pays, la Chine et la France, sont attachés et donnent la priorité. A cette occasion, nous sommes convenus de renforcer les opérations de maintien de la paix dans le cadre de l'ONU. Nous avons également développé une concertation particulière entre nos délégations au Conseil de sécurité. Nos consultations bilatérales sur les questions de sécurité ont en outre souligné notre attachement à l'équilibre stratégique et nos réserves qui sont plus que des réserves, devant les projets de défense antimissiles susceptibles de relancer la course aux armements.

La paix et la stabilité dans le monde sont bien au coeur de notre partenariat.

La confiance qui préside à ce partenariat nous a également permis d'aborder avec franchise les sujets les plus sensibles, en particulier la question des droits de l'Homme. Nous avons noué, vous le savez, un "dialogue constructif", et l'avons placé d'emblée au niveau européen, puisqu'il s'agit en fin de compte d'un débat sur nos valeurs respectives. Ce processus est maintenant bien établi. Tous les six mois, la présidence européenne tient une session de ce dialogue, qui permet d'aborder librement tous les sujets sensibles en cherchant des résultats concrets.

Ce dispositif est complété par un séminaire également semestriel, auquel participent des universitaires, des experts, des élus et des magistrats dans une discussion très ouverte sur les questions, je le répète, les plus délicates.

Bien sûr, certains penseront que cela ne suffit pas. Je comprends leur attente, je la partage et je crois que ce dialogue, qui est le meilleur moyen d'y répondre et de faire progresser les choses, doit être approfondi. Depuis que nous l'avons engagé, la Chine a signé les deux Pactes des Nations Unies sur les droits de l'Homme. Je souhaite que les progrès se poursuivent sur cette voie par la ratification de ces textes et cela a été l'un des sujets que j'ai abordés, de façon approfondie, avec le Président chinois. D'ailleurs nous en parlerons à nouveau demain lors du Sommet sino-européen. Au moment où la Chine s'ouvre au monde dans les domaines économiques et sociaux, au moment où son rôle politique s'affirme chaque jour davantage, j'ai la conviction qu'elle prendra toute sa place dans le grand mouvement des idées et des hommes de notre temps.

Dans le domaine économique et commercial, ce sommet, auquel participe le Président Romano PRODI, Président de la Commission, se tient à un moment très favorable, quelques mois après la signature, par notre compatriote le Commissaire européen, M. LAMY, d'un accord avec la Chine sur son accession à l'Organisation mondiale du commerce. Nous voyons bien que cet acte majeur va accélérer l'insertion de la Chine dans le système économique et financier multilatéral, stimuler, naturellement, les réformes dans ce pays et aussi les échanges, en ouvrant de nouveaux horizons.

Il se tient également à un moment où l'Europe se renforce. Après la création d'une monnaie unique, c'est le développement d'une politique étrangère et de défense commune qui fait de l'Europe un partenaire de premier plan pour l'Asie dans son ensemble, et plus particulièrement pour la Chine.

Il est frappant, d'ailleurs, de voir l'intérêt de nos partenaires asiatiques, et notamment chinois, pour ce qui concerne l'évolution actuelle de l'Europe, c'est-à-dire le renforcement de son intégration avec le développement de sa monnaie, avec les perspectives concrètes et prochaines de l'élargissement et avec la mise en oeuvre d'une Europe de la défense, c'est-à-dire d'un outil de souveraineté et de souveraineté politique, essentielle, naturellement, pour ce pôle que constituera l'Europe de demain, dans un monde multipolaire et qui sera, en réalité, par sa force, en tous les cas, économique et politique, le premier de notre planète. Au-delà du commerce et des aspects financiers, ce sont toutes les grandes questions internationales qui figureront à l'ordre du jour de la rencontre euro-chinoise de demain.

On perçoit bien, là encore, la convergence qui existe entre notre partenariat bilatéral et le dialogue euro-chinois, élément essentiel de ce monde multipolaire que j'évoquais à l'instant et que nous appelons de nos voeux.


Bien entendu, il existe également une spécificité de nos relations bilatérales qui puise ses racines dans une longue histoire.

Celle-ci s'est forgée au cours des siècles par la découverte, l'échange et, parfois, les influences réciproques entre nos deux pays. Quelques figures exceptionnelles surent accumuler peu à peu une connaissance profonde de la Chine pour faire de la sinologie française la première du monde au début du XXe siècle. Aujourd'hui, la Chine, sa culture et sa civilisation, continuent de fasciner la France. Dans quelques mois, l'ouverture du Musée Guimet rénové, à Paris, qui ambitionne, à juste titre, d'être le plus beau musée d'art asiatique du monde en dehors de l'Asie, répondra à cet engouement.

Dans l'autre sens aussi, l'intérêt ne s'est jamais démenti de la Chine pour la France. Ainsi nous voyons le public chinois défiler nombreux et admiratif devant les statues de RODIN, ou récemment, devant les tableaux des maîtres ZAO Wouki et CHU Teh Chun, présents parmi nous, quelque part, et que je tiens à saluer amicalement. Ils sont des symboles depuis longtemps de la rencontre entre la tradition chinoise lettrée et la peinture française contemporaine. De même je voudrais rendre hommage au nouveau prix Nobel de littérature, M. GAO Xingjian, qui a su allier toutes les finesses de la civilisation chinoise aux inspirations les plus contemporaines de la culture européenne.

Les relations franco-chinoises d'aujourd'hui reposent sur un acte politique majeur : la décision du général de Gaulle de reconnaître la République Populaire de Chine, le 27 janvier 1964. Le général de Gaulle a fait un choix à la fois historique, politique et stratégique. Parce qu'elle ne pouvait rester indifférente à la Chine, la France, elle-même très attachée à sa souveraineté, avait pu reconnaître, avant d'autres, l'absurdité de la mise à l'écart de cet immense pays, et la nécessité de sortir les relations internationales du carcan de l'affrontement est-ouest.

Les années qui ont suivi nous ont confirmé dans la détermination de bâtir une bonne relation franco-chinoise d'envergure.

Tel fut le sens de ma visite d'État en mai 1997, au cours de laquelle nous avons signé, le Président JIANG Zemin et moi, une déclaration solennelle par laquelle nous instaurions entre nos deux pays un partenariat global. Celui-ci garde toute sa force.

Au-delà de sa contribution à une meilleure organisation du système international, il a eu également pour effet de relancer notre coopération bilatérale dont je souhaiterais évoquer avec vous, très rapidement, quelques aspects.

Nos échanges commerciaux et notre coopération économique se sont développés. La part de marché des entreprises françaises s'est renforcée au cours des dernières années, bien que demeure un déficit important à notre détriment.

Mais nos entreprises développent une présence croissante et dynamique en Chine. Elles ont raison de miser sur le long terme, et notamment sur les grands projets industriels. Les petites et moyennes entreprises françaises, qui ont également connu de très belles réussites ici, comptent, elles aussi, faire plus encore, avec l'appui de la Chambre de commerce et d'industrie française en Chine, qui, je le sais, y veille particulièrement et donne le meilleur d'elle-même. Vous déployez également cet effort dans un cadre européen, comme en témoigne la Chambre de commerce européenne que je rencontrerai demain et que préside, d'ailleurs, l'un des nôtres.

Et je salue tous les représentants des entreprises françaises qui font gagner la France en Chine.

Parmi les percées françaises, j'évoquerai le financement en B.O.T des grands projets d'infrastructures -centrales électriques et distribution de l'eau et autres- ; la mise en place d'une véritable industrie chinoise du métro, qui offre de belles perspectives pour l'équipement ferroviaire y compris la grande vitesse. Je mentionnerai également les réussites dans le secteur de l'énergie : après celle de Daya Bay, celle de Lingao. Je n'oublierai pas, enfin, les progrès accomplis dans le domaine des services, qu'il s'agisse de la banque, de l'assurance et de la distribution.

Dans le domaine éducatif, scientifique et technique, nos échanges ont, eux aussi, connu en trois ans un accroissement spectaculaire.

Comme je l'avais proposé en 1997, nous accompagnons le mouvement de réformes, d'ouverture et de modernisation de l'administration chinoise. Il s'agit d'une tâche ambitieuse et nécessaire, qui s'inscrit pleinement dans la logique de notre partenariat.

Autre domaine d'excellence de notre coopération, l'architecture. Le programme d'accueil en France de 50 jeunes architectes chinois a connu un succès remarquable. Nous avons décidé de lui donner une nouvelle dimension. Les réussites de nos grands architectes, notamment à Shanghai et à Pékin, donnent à cette coopération un éclat particulier.

Dans le domaine scientifique, des laboratoires conjoints sont créés. Une filière médicale francophone a été mise en place à Shanghai. A Shanghai toujours, l'expérience pilote de création d'une filière d'enseignement intégré de notre langue a eu l'effet d'entraînement souhaité.

Enfin, je conclurai en évoquant la création artistique contemporaine chinoise. Le visiteur qui se rend aujourd'hui en Chine est impressionné par la vivacité, l'énergie, l'audace, du milieu artistique chinois. Les principales rencontres sur l'art contemporain dans le monde lui consacrent une place grandissante. J'ai souhaité que la France, à son tour, puisse montrer la diversité de ces courants artistiques, leur force et la liberté qu'ils expriment. C'est pourquoi nous sommes convenus d'organiser en 2003 une année de la Chine en France, qui sera l'occasion de présenter à nos compatriotes ce dont vous êtes ici les témoins privilégiés : l'extraordinaire vitalité artistique de la Chine d'aujourd'hui.


Vous le voyez, nous devons avoir une grande ambition pour notre partenariat. Un partenariat qui lie deux grandes et vieilles puissances, de grandes cultures. Un partenariat qui se développe au moment où la Chine, la France et l'Europe entendent assumer toutes leurs responsabilités dans le monde multipolaire qui se construit.

Civilisation ancienne et brillante s'il en est, la Chine est aussi une jeune nation née il y a cinquante ans, âge en somme de l'Union européenne. Ensemble, elles ont de plus en plus de tâches à assumer pour faire face aux enjeux d'un monde qui évolue très vite. C'est ce message que je suis venu porter aux responsables chinois, en faisant valoir les atouts spécifiques de la France. Atouts que vous, Français de Chine, vous incarnez avec dynamisme par vos talents, votre engagement, et aussi votre compréhension de ce pays.

Vous formez ici la communauté française la plus nombreuse de toute l'Asie. Avec Hong Kong, ce sont dix mille Français qui sont installés en Chine et auxquels je voudrais adresser un salut fraternel et chaleureux. Signe de cette présence en augmentation constante, le lycée français en plein développement.

Chaque jour, vous mesurez la force et le caractère de ce grand pays, l'inestimable richesse de ses traditions et de sa culture, la vigueur de ses transformations. Comme les Chinois aiment à le dire, vous êtes, chacun à votre place, "un pont" entre nos deux pays.

Pour cela je tiens à vous exprimer mon estime, ma reconnaissance et mon amitié.

Mesdames et Messieurs, mes chers compatriotes, je vous remercie.





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