Discours du Président de la République devant la VIe Conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, à La Haye, Pays-bas.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant la VIe Conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

Imprimer

La Haye, Pays-Bas, le lundi 20 novembre 2000

Majesté,

Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Président de la Conférence, Mesdames et Messieurs les Ministres et Chefs de délégation, Mesdames, Messieurs,

Je voudrais d'abord, Cher Wim KOK, m'associer sans réserve à l'hommage que vous avez bien voulu rendre au sac de sable, c'est un symbole, mais la vie est faite de symboles. Et, aussi, souscrire tout à fait, à cette belle devise du club de football de Rotterdam, qui dans sa simplicité est parfaitement compréhensible et efficace.

J'arrive à La Haye, en effet, porté par un sentiment d'urgence. Les hypothèses d'hier se sont vérifiées. Les scientifiques sont maintenant formels : le réchauffement climatique a commencé, conséquence de la prodigieuse concentration, en un siècle, de gaz à effet de serre dans notre atmosphère.

Il s'agit d'un phénomène anthropique, puisque l'homme l'a causé. D'un phénomène cumulatif, puisque l'homme l'aggrave. Mais aussi, heureusement, d'un phénomène encore maîtrisable, puisque l'homme peut y remédier, à condition d'agir fermement et dès maintenant. Il nous revient, à tous, de réagir vigoureusement avant que soit atteint le point de non-retour.

Il nous revient de contenir les émissions de gaz à effet de serre dans des limites supportables pour garder la terre accueillante aux générations futures. Tel est l'objectif du Protocole de Kyoto. La Conférence de La Haye doit prendre les décisions qui permettront sa ratification et son entrée en vigueur dès 2002.

Depuis 1992, nous avons accumulé trop de retard dans la lutte contre le réchauffement climatique. Maintenant, il y a péril en la demeure. C'est pourquoi, je vous le confirme, l'Europe est mobilisée contre l'effet de serre, elle est décidée à agir. L'Europe appelle les autres pays industrialisés à la rejoindre dans ce combat. L'Europe propose aux pays en développement un partenariat pour le développement durable.




Le temps est à l'action. Chacun voit bien les terribles conséquences qu'auraient à terme inertie et atermoiements. Disparition de mécanismes régulateurs, tel le Gulf Stream qui donne à l'Europe son climat tempéré. Élévation du niveau des mers qui menaceraient certaines îles et certains archipels ; destruction des récifs coralliens ; envahissement par les eaux des côtes les plus exposées et des deltas, qui sont des espaces privilégiés d'implantation humaine dans beaucoup de parties du monde. Extinction d'espèces animales et végétales, et donc appauvrissement de la biodiversité.

Sans oublier, bien sûr, les aberrations climatiques, de plus en plus fréquentes : tempêtes, typhons, cyclones, inondations, avec leur cortège de victimes et de destructions. Extension des déserts. Apparition de " réfugiés écologiques " fuyant les catastrophes naturelles. Déclenchement de conflits pour la possession de ressources raréfiées.

Ces évolutions inquiétantes, qui auraient pour principales victimes des peuples déjà très éprouvés, ne doivent pas être des motifs de découragement mais des raisons d'agir vite. Sans cela, nous nous rendrions coupables de non assistance à planète en danger. Bien sûr, il y a les inévitables difficultés d'adaptation et les contraintes d'un nécessaire développement.

Bien sûr, il y a les pressions de ceux que le laxisme ou l'immobilisme arrange, les intérêts immédiats des rentiers de l'énergie gaspillée. Mais nous devons passer outre. Aujourd'hui, à La Haye, la communauté internationale représentée par les ministres de l'environnement du monde entier a le devoir moral et politique d'avancer dans la bonne direction.


Il y a huit ans, le Sommet de Rio faisait naître de grands espoirs. Les pays développés promettaient de stabiliser leurs émissions de gaz à effet de serre. Les autres s'engageaient à explorer de nouvelles stratégies de développement.

Huit ans après, le bilan est décevant. Partout, la situation s'est aggravée. La Convention sur le changement climatique a été adoptée au nom du principe de précaution, à un moment où les scientifiques s'interrogeaient encore sur la nature du phénomène. Depuis, sa confirmation par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, sur la base d'études toujours plus fines et toujours plus fiables, n'a pas suffisamment mobilisé nos énergies et renforcé notre volonté. De même, le compromis trouvé à Kyoto, il y a trois ans, est loin d'avoir porté ses fruits. Malgré les engagements pris, malgré Buenos Aires il y a deux ans et Lyon voici quelques semaines, chacun campe sur ses positions et ses intérêts propres. Chacun, en quelque sort, attend l'autre.


Aujourd'hui, nous sommes devant nos responsabilités. Allons-nous laisser croître nos émissions, alors même que le GIEC nous alerte sur leurs conséquences ? Allons-nous laisser se creuser encore davantage le fossé entre pays riches et pauvres, les premiers s'adaptant au prix d'investissements défensifs colossaux, les seconds subissant, parce qu'ils n'ont pas les moyens de modifier leurs pratiques et leurs politiques ? Il s'agit de savoir, une nouvelle fois, si nous voulons maîtriser, réguler la mondialisation afin de la rendre plus juste et plus humaine.

Si la capacité d'agir manque au sud, la volonté d'agir manque trop souvent au nord.

Tout en reconnaissant l'engagement personnel du Président CLINTON, je veux rappeler ici la réalité des chiffres. Les États-Unis produisent à eux seuls un quart des émissions mondiales. Chaque Américain émet trois fois plus de gaz à effet de serre que chaque Français. C'est d'abord vers les Américains que se porte l'espoir d'une limitation efficace des gaz à effet de serre à l'échelle mondiale.

J'appelle donc les États-Unis d'Amérique à balayer leurs doutes et leurs hésitations. Le moment est venu pour eux de rejoindre les grands pays industrialisés, pour réussir ensemble la transition vers une économie sobre en énergie, qui, pour autant, ne perdra rien de sa vitalité. Longtemps, l'histoire de la civilisation industrielle a été celle de la lutte contre les contraintes naturelles, le climat, les distances ou la rareté des ressources. Aujourd'hui, il faut mettre la force créatrice des économies modernes au service de la lutte contre le changement climatique, nouvelle frontière de notre développement.

Ce serait un geste fort en direction des pays du sud. Ils attendent, et c'est légitime, que les pays développés qui émettent à eux seuls les deux-tiers des gaz à effet de serre, montent en première ligne.

Ils attendent, aussi, qu'on les rassure sur leur avenir. Nous devons leur prouver que les mécanismes de Kyoto n'entraveront pas leur développement. Mieux, qu'ils fonctionneront à leur profit. Il est prématuré d'exiger d'eux des engagements quantifiés. Mais le moment approche où leur niveau économique le justifiera, au rythme des progrès de chacun. La solidarité nord-sud, c'est un nord qui réduit ses émissions pour que le sud se développe au prix d'une croissance maîtrisée des siennes.


Consciente de ses responsabilités, l'Union européenne prendra toute sa part de l'effort commun. C'est en Europe qu'est née la révolution industrielle qui a entraîné la formidable consommation d'énergie dont nous subissons les effets. Les Européens, par leur niveau de prospérité et de savoir-faire, se doivent de montrer l'exemple en trouvant des modes de consommation et de production économes en ressources naturelles.

Il s'agit bien d'une révolution des esprits. Nous avons établi notre prospérité sur une énergie abondante. Aujourd'hui, nous devons prendre conscience que toute ressource naturelle a un coût, que toute pollution est une forme de gaspillage, que les capacités de régénération de la planète ne sont pas illimitées. Economies de matière première, diversification des sources d'approvisionnement, recyclage des déchets, nouveaux matériaux, efficacité énergétique et développement des énergies renouvelables, autant de choix qui doivent inspirer nos politiques.

À Kyoto, l'Union européenne s'était fixé comme objectif d'émettre en 2010 8 % de moins de gaz à effet de serre qu'en 1990. Chaque pays s'est engagé, à proportion de ses émissions et de sa richesse. Chaque pays est responsable de ses résultats devant ses partenaires européens aussi bien que devant les parties à la Convention.

En 2002, conformément aux décisions des Conseils européens, les Quinze ratifieront le Protocole de Kyoto. Les organes de l'Union ainsi que chaque État ont entamé les procédures nécessaires. La France, pour sa part, les a conduites à leur terme en juillet dernier et se tient donc prête.

L'Europe est déterminée à mettre en oeuvre les dispositions de ce texte. Ainsi, le Conseil, le Parlement et la Commission préparent-ils activement les politiques communes ou coordonnées -instruments réglementaires et fiscaux, incitations budgétaires, programmes de recherches, actions éducatives- qui nous permettront de maîtriser nos émissions de gaz à effet de serre.

Enfin, chacun de nous s'est lancé dans l'élaboration de programmes nationaux. Ainsi en est-il du Gouvernement français, qui a présenté en février dernier un plan national de lutte contre l'effet de serre et qui se prépare à annoncer des mesures complémentaires d'efficacité énergétique. Depuis trente ans, la France a engagé une politique volontaire de l'énergie. Elle a eu pour conséquence de limiter considérablement ses rejets de gaz à effet de serre, qui sont très inférieurs de ce fait à ceux des autres grands pays industrialisés, en proportion de leurs habitants naturellement.

Comment éviter d'augmenter à nouveau ces pollutions à l'heure d'une croissance retrouvée ? Nous devons nous attaquer aux sources d'émissions les plus difficiles à maîtriser : les transports, le bâtiment, le logement. Certes, nous ne pourrons pas bouleverser en un jour les structures et les habitudes. Dans cette oeuvre de longue haleine, il nous faut concilier progressivité de la méthode et fermeté sur les objectifs à atteindre.


Ici, à La Haye, l'Union européenne doit mobiliser toutes ses forces pour parvenir à un bon accord. Un accord équitable, efficace, évolutif. Un accord équitable, c'est un accord où chacun est engagé à hauteur de ses responsabilités. Les pays de l'OCDE et les pays en transition doivent réduire effectivement leurs émissions. Alors seulement ils pourront attendre des pays en développement des engagements similaires.

Un accord équitable, c'est un accord qui prévoit un mécanisme d'observance, indépendant et impartial, disposant de données incontestables et pouvant décider de pénalités politiques et financières réparatrices en cas de manquement. On évitera ainsi ces phénomènes de "passagers clandestins" où les premiers efforts, difficilement accomplis par quelques-uns, les exposeraient à d'inacceptables distorsions de concurrence.

Un accord équitable, c'est un accord qui aide les plus vulnérables à s'adapter aux conséquences du changement climatique et qui pose les bases d'une discussion objective sur l'éventuel préjudice que pourraient subir certains pays du fait de son application.

Cet accord doit également être efficace, si nous voulons respecter les objectifs fixés à Kyoto pour 2008-2012. Les pays concernés doivent accomplir l'essentiel des efforts de maîtrise par des mesures nationales ou régionales. Chacun a le devoir de construire des structures qui minimisent durablement ses propres émissions. Nul ne peut s'épargner la part de l'effort collectif qui lui revient. L'Europe a fait des propositions pour l'application de ce principe, et ce principe est pour elle fondamental.

Les mécanismes de flexibilité compléteront les efforts nationaux. Ils ne doivent en aucun cas pouvoir être perçus comme des échappatoires. L'Union européenne sera très vigilante sur les garanties qui entourent le marché des permis d'émissions et le fonctionnement du mécanisme de développement propre. Elles devront être rigoureuses pour que chacun reste pleinement responsable de ses engagements et les tienne effectivement. C'est la condition de la crédibilité environnementale du système, mais aussi de sa viabilité économique.

Pour être efficace, cet accord doit être fortement incitatif pour les pays en développement par les transferts financiers et de technologies qu'il favorise. Accélérons avec pragmatisme la mise en place du mécanisme de développement propre, en veillant aussi à ce que les pays les plus pauvres et de toutes les régions du monde puissent en bénéficier effectivement. Mobilisons à leur service les ressources qui sont générées par la mise en oeuvre de l'accord, et notamment le produit des prélèvements et des sanctions. Préparons la reconstitution du Fonds pour l'environnement mondial en le réformant pour qu'il soit plus efficace, en permettant une meilleure prise en compte de la lutte contre l'effet de serre. Au nom de la France, je propose en outre que ses ressources soient accrues. Faisons de la maîtrise du réchauffement une priorité des programmes d'aide publique au développement, qu'Ils soient bilatéraux, communautaires ou multilatéraux. En un mot, concluons à La Haye un partenariat nord-sud pour le développement durable.

Enfin, l'Union européenne souhaite un accord évolutif, qui ne ferme aucune porte. À ce stade de grande incertitude, nous ne pouvons que rester prudents en ce qui concerne les puits de carbone. Mais s'il se confirmait que la reforestation, la lutte contre la désertification et la lutte contre le réchauffement peuvent se renforcer mutuellement, alors nous aurions tort de nous interdire cette voie, en tout cas pour les périodes d'engagement futur. Encore faudrait-il que nous ayons mis au point des limites et des critères scientifiques rigoureux, qui permettent de s'assurer d'un véritable effort de réduction et de la réalité du pouvoir d'absorption des puits qui seraient pris en compte.

Se pose également la question des émissions du transport aérien international qui augmentent avec la croissance continue du trafic. Il convient d'appliquer le principe "pollueur-payeur". C'est l'un des objectifs de la taxe sur le kérosène préconisée de longue date par l'Union européenne. Nous ne saurions y renoncer.

Enfin, engageons dès maintenant la réflexion sur l'après-Kyoto. Demain, il nous reviendra d'établir, sur le long terme, les droits et les devoirs de chacun. Pour progresser, dans le respect des spécificités et des différences, la France propose que nos travaux se fixent pour objectif la convergence à terme des taux d'émissions de gaz à effet de serre, par habitant. Ce principe assurerait durablement l'efficacité, l'équité et la solidarité de nos efforts.




Monsieur le Président, Majesté, Mesdames, Messieurs,

Pour la première fois, l'humanité se donne un véritable instrument de gouvernement global, qui devra trouver sa place dans cette Organisation mondiale de l'environnement que la France, que l'Union européenne, appellent de leurs voeux.

Le temps est à la volonté. Certes, nous ne réglerons pas tous les problèmes à La Haye. Mais nous devons aller aussi loin que possible dans l'invention de mécanismes qui garantiront l'efficacité et aussi la pérennité de nos efforts.

Le temps est à la lucidité et à la solidarité. C'est pour nous, pour nos enfants et nos petits-enfants que nous travaillons ici. Notre responsabilité, c'est de prendre des décisions qui préservent les chances des générations futures. Retrouvons l'esprit pionnier qui inspira la Déclaration de La Haye, adoptée en 1989.

Le temps est à l'ambition collective. Il nous appartient de mobiliser tous les acteurs de la société, et d'abord d'amplifier l'engagement de nos concitoyens. Parce qu'ils sont aussi des consommateurs, des salariés, des actionnaires, ils ont tous les moyens de faire triompher de nouveaux modes de vie et de production qui soient moins polluants. C'est pourquoi nous devons faire de l'écologie, dès le plus jeune âge, un thème majeur d'éducation, un thème majeur du débat politique, pour que le respect de l'environnement soit aussi fondamental que la défense de nos droits et de nos libertés.

En agissant ensemble, en construisant cet instrument sans précédent, premier élément d'une authentique gouvernance mondiale, nous servons le dialogue et la paix. Nous manifestons notre aptitude à maîtriser solidairement notre destin, à organiser notre souveraineté collective sur cette terre qui est notre patrimoine commun. Nous mettons en oeuvre l'exigence éthique de nos peuples. C'est dire les enjeux, immenses, d'un accord, ici, à La Haye. C'est dire notre ardente obligation d'aboutir. Majesté, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je vous remercie.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2004-07-27 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité