Discours du Président de la République à l'occasion des assises de l'hospitalisation publique à Villepinte.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion des assises de l'hospitalisation publique.

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Parc des expositions de Paris-Nord, Villepinte, Seine-Saint-Denis, le mardi 14 mars 2000

Monsieur le Président,

Messieurs les Présidents des Unions régionales de métropole et d’Outre-mer

Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie, Monsieur le Président, de vos propos d'accueil et de la très remarquable analyse que vous avez faite d’un sujet qui, chacun le sait, vous tient à coeur et au sujet duquel votre compétence est incontestée. J'ai été attentif à votre exposé. J’en partage largement les conclusions. Vous donnez, en effet, l'image d'un hôpital en mouvement, et en même temps d'un hôpital profondément attaché aux traditions de service public. Cet idéal est celui de la communauté hospitalière. J'y souscris, comme je souscris aussi à votre volonté de modernisation.

Peu de métiers sont en même temps un engagement. Les vôtres, tous les vôtres, sont des engagements avant même d'être des métiers. On ne peut être à moitié au service de l'hôpital car on ne peut être à moitié au service de ceux qui souffrent. Face au malade, les personnels hospitaliers doivent tout donner, ils donnent tout : réconfort, compétence, dévouement, efficacité, dans chacune des missions qui concourent à l'activité hospitalière, au chevet du malade comme dans les fonctions techniques et administratives. Jour après jour, chacun prend sa part d'effort et de responsabilité auprès de la personne hospitalisée.

L'hôpital porte en lui la double exigence de l'excellence et de l'hospitalité, qui lui impose d'offrir à tout malade, sans distinction, les meilleurs soins. Fidèle à sa vocation, il doit être un lieu d'humanité, un lieu de fraternité tout en demeurant à l'avant-garde de l'innovation médicale.

Dans un univers marqué par l'accélération du progrès des connaissances scientifiques et des technologies, il doit non seulement évoluer, comme il l'a toujours fait, mais évoluer de plus en plus vite.

Pour assurer l'avenir de l'hôpital, l'action réformatrice doit s'inscrire dans la durée. Il faut prendre du recul, anticiper les difficultés, concevoir une véritable ambition hospitalière. Le projet que nous devons avoir pour l'hôpital s'inscrit, je crois, dans cette approche. Il puise son inspiration aux sources du service public. Il doit être entièrement tendu vers le meilleur soin.

Le meilleur soin, c'est une recherche à la pointe du progrès. Ce sont des efforts croissants de formation continue. C'est l'évaluation scientifique des pratiques. C'est l'accréditation. Ce sont des études médicales adaptées aux besoins du nouveau siècle. Ce sont des moyens pour intégrer les nouvelles technologies au fur et à mesure de leur apparition. Mais c'est aussi une meilleure reconnaissance des droits des personnes hospitalisées, plus de temps consacré à leur écoute, à l'explication de la maladie, de son traitement, de son évolution, c'est la prise en compte de la douleur, l'intérêt porté à chaque personne, à sa famille, l'ouverture à de nouveaux besoins.

Le diagnostic et les soins exigent la mise en oeuvre de technologies de plus en plus sophistiquées, imposant à tous les professionnels de santé la maîtrise de qualifications en continuelle évolution. Mais la vocation de l'hôpital ne peut se réduire, naturellement, à la fourniture de prestations médico-techniques toujours plus complexes. Il faut éviter le risque d'une déshumanisation.

L'activité hospitalière a su conserver son sens profond au service de l'homme. L'hôpital doit veiller à ce que la spécialisation des actes et l'enchaînement des interventions qui concourent au diagnostic et au traitement ne fassent pas disparaître la prise en charge de la personne, dans son unité. L'accompagnement attentif du malade, surtout quand il doit suivre des parcours médicaux longs et pénibles, son information coordonnée, sincère et complète, à toutes les étapes de la maladie, la présence d'une démarche éthique rendue clairement perceptible à chaque fois que se présentent des choix difficiles, le souci de parler à la famille, la volonté de transparence, le fait de ne jamais abandonner un malade même quand il n'y a apparemment plus rien à faire, sont autant de signes de la primauté qui doit être donnée à la dimension humaine des soins.

La reconnaissance de cette primauté s'applique aussi à la prise en charge des nouvelles attentes et des nouveaux besoins que notre société exprime à l'égard du système de santé.

Je pense d'abord au vieillissement. Il appelle la mise en place de services qui mêlent intimement aide à la personne, soutien affectif et psychologique, assistance médicale. Nous devons nous organiser pour y répondre. L’accueil des personnes âgées prend une place croissante dans le secteur médico-social. Les travaux engagés à l’occasion du vingtième anniversaire de la loi de 1975 pour adapter notre législation aux nouveaux besoins doivent maintenant aboutir. Ils permettront de simplifier les tutelles et les modes de tarification et de donner aux établissements un cadre financier plus sûr et plus stable.

La prise en charge de la dépendance des personnes âgées pèse aussi de plus en plus fortement sur les établissements hospitaliers, dont ce n'est pas, c’est vrai, la mission première. Les enjeux de la dépendance demeurent insuffisamment traités par notre société. Il est temps qu'une nouvelle étape s'engage après la loi de 1997. C'est une question, je crois, essentielle pour l'avenir. Les représentants des personnes âgées, les associations d'aide à domicile, les établissements d'accueil travaillent ensemble depuis longtemps à la conception, à la création d'une assurance-autonomie. Je suis, pour ma part, très attentif à cette réflexion et aux perspectives qu'elle ouvre. Cela suppose, bien sûr, que les conditions d'un financement équilibré et responsable soient assurées et que l'horizon de l'assurance-vieillesse soit préalablement éclairci.

Je pense aussi à l'accueil des enfants. Les enfants hospitalisés devront être de moins en moins séparés de leurs parents. Il faut aménager davantage de chambres pour permettre la présence de la mère ou du père et faciliter l'hébergement des parents à proximité de l'établissement. Je suis heureux que les initiatives se multiplient pour que l'enfant retrouve le plus possible à l'hôpital des conditions de vie et d'activité proches de celles du dehors. Les associations prennent une part essentielle à ces progrès. Les Français se mobilisent généreusement pour leur venir en aide. Cette démarche, qu'illustre notamment la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France, est aujourd'hui pleinement reconnue.

La lutte contre la douleur devient également un impératif quotidien. Par la volonté du législateur, elle fait désormais partie des missions de l'hôpital. Cette reconnaissance doit partout et prioritairement devenir réalité.

Plus récemment, l'accompagnement de la fin de la vie est lui aussi devenu une obligation légale du service public hospitalier. De nouveaux moyens doivent être mobilisés pour que cette obligation devienne réalité. La médecine palliative constitue la vraie réponse à la souffrance de malades confrontés à l'évolution d'un mal incurable, à leur angoisse et à celle de leur famille. L'expérience de tous ceux qui se sont généreusement engagés dans cette grande et forte aventure, notamment les bénévoles, en témoigne. Ce qui les anime, c'est toujours un projet de vie, un projet de fin de vie bien sûr, mais jamais un projet de mort. Le Comité national d'éthique, s'il a ouvert un débat sur certains cas tout à fait exceptionnels, a exclu la reconnaissance de l'euthanasie au nom du respect de la vie, et rappelé la nécessité de traiter les situations d'agonie par les soins palliatifs et par un meilleur accompagnement de la fin de la vie, en refusant bien sûr tout acharnement thérapeutique. C'est l'une des conditions de la confiance entre médecins et malades.

L'hôpital doit aussi être attentif à accueillir les personnes en détresse. Les services hospitaliers sont souvent désemparés face à des malades incapables de se faire comprendre, qui se présentent souvent seuls, parfois la nuit, sans toujours réussir à formuler une demande précise. L'hôpital doit être attentif à ne pas les rejeter. Ce n'est pas facile car c'est un problème de formation, de formation de l’infirmier, du médecin qui reçoit, un problème d’expérience aussi, un problème de disponibilité.

Remettre l'homme au coeur de l'activité hospitalière, c'est enfin faire évoluer l'organisation des soins.

Les médecins, les personnels infirmiers, les aides-soignants, s'accordent aujourd'hui sur la nécessité de contrebalancer la technicité croissante de l'activité hospitalière par un véritable "retour au lit du malade".

Les nouvelles technologies ne doivent pas seulement apporter un surcroît de qualité et des garanties nouvelles de sécurité. Elles doivent libérer du temps pour renforcer la présence humaine au chevet de celui qui souffre. La modernisation de l'hôpital offre une chance de mettre en place un meilleur service des personnes hospitalisées. C'est à mes yeux une exigence éthique incontournable.

L'hôpital sera d'autant plus fidèle à sa vocation humaine qu'il saura imaginer des organisations nouvelles. C'est le cas lorsqu'il sort de ses murs pour permettre à davantage de malades d'être soignés dans leur environnement familial et de poursuivre une existence normale, ou aussi proche que possible de la normale. L'essor de l'hospitalisation à domicile et de l'hospitalisation de jour, le développement des appartements thérapeutiques, la mise en oeuvre de traitements lourds à l'extérieur de l'hôpital pour le cancer, pour le sida, pour la dialyse, sont autant de signes positifs d'évolution et d'adaptation aux besoins des malades.

Ces changements appellent un renforcement des liens avec la médecine de ville. La mise en place des réseaux de soins prévus par la réforme de 1996 permettra d'organiser contractuellement la collaboration entre hôpital et secteur libéral. Ce qui était il y a quelques années une idée de précurseurs est aujourd'hui devenu une nécessité. C'est ainsi que la coordination, la continuité et le suivi des soins pourront être assurés.

Il faut cesser d'opposer entre elles les différentes formes d'exercice médical. C'est au contraire en s'appuyant sur leurs complémentarités que notre système de santé produira tout à la fois une meilleure efficacité médicale et un meilleur bien-être pour les malades. Demain, la télémédecine et la téléchirurgie prolongeront l'ouverture de l'hôpital sur son environnement, créant de nouveaux liens entre activités hospitalières et médecine de ville.

L'innovation dans le domaine de la santé, loin de toujours peser sur les coûts, doit aussi permettre, par la recherche d'une plus grande efficience, de dégager des marges de financement pour rendre le progrès médical accessible à chaque Français. Rien dans ce domaine n'est jamais définitivement acquis. La communauté hospitalière le sait bien. Les nouvelles technologies exigent une adaptation permanente de l'offre de soins. Le nouveau ne peut toujours s'ajouter automatiquement à l'ancien. Il faut savoir reconsidérer l'existant à chaque fois que cela est nécessaire.

Rendre le progrès médical accessible à tous, c'est aussi mieux prendre en compte les réalités régionales. Il ne serait pas acceptable que des Français puissent craindre de ne pas être bien soignés pour la seule raison qu'ils habitent une région où l'offre de soins serait insuffisante, mal coordonnée ou de moindre qualité, le Président l’a dit à juste titre.

Beaucoup reste à faire pour que la géographie hospitalière garantisse l'égalité de tous devant la santé. Une plus grande cohérence est heureusement recherchée depuis la réforme de 1996. Un certain redéploiement des moyens entre régions est en cours. Il doit être conduit avec sagesse. La politique hospitalière ne peut se réduire à une arithmétique. Notre but doit être d’améliorer partout la qualité de l’offre de soins et son homogénéité.

Au moment où chacun s'accorde à reconnaître la nécessité d'améliorer la qualité du service public hospitalier dans les régions les moins bien dotées, il serait en outre paradoxal de remettre systématiquement en cause l'existence de services de proximité. Là, encore, je souscris tout à fait à ce qui a été dit par votre Président. Une relation doit être établie entre politique hospitalière et politique d'aménagement du territoire. Chaque citoyen doit pouvoir être accueilli et soigné à une distance raisonnable, compte tenu des moyens modernes de transport, de son domicile. De plus en plus sollicités, notamment par des personnes démunies, les services d’urgence doivent voir leur fonction d’interface entre l’hôpital et la ville pleinement reconnue.

Il faut éviter que se développe une sorte de restructuration rampante de notre équipement hospitalier sous l'effet d'une contrainte budgétaire uniforme et du manque de personnels médicaux.

Les regroupements sont nécessaires. L'avenir de l'hospitalisation publique en dépend. Mais ils doivent être le fruit d'une volonté et prendre appui sur un dialogue avec toutes les parties prenantes, à commencer bien sûr par les personnels hospitaliers eux-mêmes.

Quelqu’un a comparé l'hôpital à la sidérurgie en crise d'il y a 20 ans. Cette comparaison n'est pas acceptable et, en plus, elle est hors de propos. Nous parlons de la santé des Français. Toutes les expertises le démontrent, les besoins médicaux de nos compatriotes vont continuer à croître sous l'effet de multiples facteurs. Pour satisfaire ces besoins, l'évolution de la carte hospitalière devra être décidée et non pas subie. Elle devra se faire dans le dialogue et la transparence, comme le prévoit la réforme hospitalière. Celle-ci n'a pas eu d'autre objet que de garantir le meilleur service des malades en facilitant l'indispensable évolution de nos établissements. L'exigence d'adaptation, l'exigence de qualité, l'exigence de responsabilité constituent plus que jamais des impératifs majeurs du service public hospitalier.

En créant les agences régionales de l'hospitalisation, les pouvoirs publics ont voulu permettre la mise en oeuvre d'une politique de proximité, moins technocratique, plus souple, adaptée aux besoins de chaque région et de chaque établissement.

Il ne faut surtout pas dénaturer cette réforme par une recentralisation des décisions. Il importe au contraire d'accentuer l'effort de régionalisation et de contractualisation, pour améliorer le service rendu et procéder au regroupement des forces hospitalières à chaque fois qu'il permettra d'améliorer la qualité et la sécurité des soins.

Le contrat doit devenir le principal instrument d'une politique hospitalière déconcentrée, soucieuse de l'équilibre de nos territoires, et entièrement tournée vers la recherche du meilleur soin. Le contrat permettra de répondre aux besoins les moins bien couverts. Il permettra de réaliser des projets de regroupements issus des établissements eux-mêmes. Il facilitera la coopération entre hôpital public, cliniques privées et médecine libérale. C'est aussi par le contrat que des centres de responsabilité pourront être créés pour diffuser à l'intérieur de l'hôpital un nouvel esprit d'initiative, d'innovation et de confiance.




Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

La réussite de toute grande entreprise repose sur la mobilisation de femmes et d'hommes mus par un idéal commun qui dépasse chacun d'eux.

A une époque où beaucoup d'institutions sont contestées, l'hôpital garde la confiance des Français. Maintenir cette confiance est pour la communauté hospitalière l'un des grands enjeux de l'avenir.

Je suis sûr que vous y parviendrez, car l'hôpital est ouvert au changement et riche de l'engagement de ses personnels. Il est riche aussi des valeurs d'humanisme et de générosité que tous partagent. La communauté hospitalière est en mouvement, c’est vrai. Elle est prête, je le sais, à s'investir pleinement dans la construction de l'hôpital de demain. Elle a seulement besoin que s'ouvre la voie des changements nécessaires.

Tout indique que les progrès de la médecine vont continuer à s'accélérer au cours des années à venir.

Dans la course contre le mal, pour la guérison, l'hôpital public a toujours eu à coeur d'être au premier rang. Il y est toujours parvenu. Demain encore, en rassemblant toutes les énergies de la communauté hospitalière, je sais qu'il continuera à remporter de nombreuses victoires contre la maladie, au bénéfice de tous les Français. En leur nom, je veux lui dire ma reconnaissance, mon estime et mon soutien.

Je vous remercie.





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