Allocution du Président de la République lors du déjeuner à l'hôtel de ville d'Avignon.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors du déjeuner à l'hôtel de ville d'Avignon.

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Avignon, Vaucluse, le jeudi 25 mai 2000

Madame le Maire,
Madame le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux,
Madame le Ministre de la Culture,
Madame et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,

Avignon, c'est vrai, n'est pas une ville comme les autres. Pour tout visiteur qui aperçoit de loin ses remparts, elle est promesse d'émotion, d'harmonie, de contrastes. Cité du sud, vivante, pleine de projets, elle donne à voir et à admirer son passé, avec, du côté du Rhône, un zeste de chanson d'enfance. Pour toutes ces raisons, c'est toujours un grand plaisir de venir en Avignon.

Pour évoquer votre ville, vous avez parlé, Madame le Maire, Chère Marie-Josée Roig, d'"exception culturelle". Vous savez que je préfère le terme de "diversité culturelle" à celui d'"exception culturelle", tout simplement parce que j'ai la conviction que c'est le dialogue des civilisations, dans leur spécificité, leur richesse, leur rythme propre, et non le repliement défensif de telle ou telle culture sur elle-même, qui donnera à chaque pays d'Europe et à l'Europe tout entière, la capacité de se faire entendre et de déployer sa force créatrice.

Mais s'agissant d'Avignon, je reconnais volontiers que l'expression, au sens propre, est tout à fait juste. Avignon est bien une "exception culturelle". Il n'est pas banal en effet, et il n'est pas facile, pour une ville de 88 000 habitants, d'abriter en ses murs l'un des monuments majeurs du patrimoine mondial, qui a été intimement lié à l'histoire de l'Europe, histoire religieuse comme histoire politique.

De même, il n'est ni banal ni facile de figurer de manière aussi éclatante à l'autre bout de la chaîne culturelle, celle du spectacle vivant, en accueillant le premier Festival de théâtre d'Europe, en recevant chaque été, programmation officielle et créations du "off" confondues, des centaines de troupes qui prennent leurs risques et jouent leur passion.

Pourtant, Madame le Maire, vous réussissez contre vents et marées à déjouer les paradoxes, à concilier les contraires, à agir avec la même énergie sur le terrain du patrimoine, en sauvegardant et en faisant vivre les espaces prestigieux du Palais des Papes, que sur les fronts du quotidien, ceux qui concourent à la qualité de vie des Avignonnais. C'est votre dynamisme, votre sens de l'équilibre, votre souci de répondre aux préoccupations des femmes et des hommes d'Avignon que je voudrais d'abord saluer ce matin. Consciente des difficultés de nombre de vos administrés, vous vous attachez à conduire une politique sociale forte et volontariste comme en témoigne, par exemple, le nombre des logements sociaux. Soucieuse de faire vivre votre région, de lui garder sa jeunesse, d'accroître son rayonnement culturel, vous avez doté votre ville de l'université d'Avignon et du Pays du Vaucluse, université de "Sainte Marthe", et que j'ai eu le plaisir, vous l'avez évoqué tout à l'heure, d'inaugurer avec vous en mai 1998.

Désireuse de rendre aux Avignonnais une part essentielle de leur patrimoine naturel, vous avez tout fait pour ouvrir la ville sur le Rhône, fleuve dont la population s'est longtemps détournée, par crainte de ses sautes d'humeur et de ses crues, mais peut être aussi par défiance à l'égard du nord et du pouvoir royal. Décidée à ce qu'Avignon mérite pleinement le beau titre de "Capitale européenne de la Culture", titre porté le plus souvent par des capitales, qu'il s'agisse de Paris, de Prague, de Reykjavik ou de Bruxelles, vous avez fait en sorte, secondée par votre équipe, qu'Avignon, pendant toute l'année 2000, soit placée sous le signe de la création.

Tous les arts ont été ou sont sollicités. La peinture, des impressionnistes aux créateurs les plus audacieux et les plus contemporains, réunis notamment dans la superbe collection d'Yvon Lambert. La danse, avec la "trans-danse Europe 2000", au coeur des Hivernales. L'opéra, avec l'accueil, notamment, des "Voices of Europe" et la participation de Björk qui s'est récemment illustrée lors du dernier festival de Cannes. Mais aussi le théâtre, avec un Festival 2000, qui sera exceptionnellement ample. Les nouvelles technologies, avec les AVIGNONumériques, qui doivent mettre en évidence l'impact des évolutions technologiques sur le culturel, le social ou l'économique. La photographie, avec en particulier "Le Chemin de la Paix", rencontre avec les plus illustres défenseurs des droits de l'Homme. De grandes expositions, enfin, dont "La Beauté", qui est l'un des événements majeurs des célébrations nationales de l'An 2000, et que nous avons visitée ce matin. "Beauté in fabula", au sens du récit, au sens du rêve, de quête initiatique. C'était une gageure que d'interroger ce qui est le plus subjectif, le plus fugace, et en même temps le plus évident et le plus pérenne.

Les organisateurs, et notamment le Commissaire Jean de Loisy, sous l'autorité de Jean-Jacques Aillagon, Président de la Mission An 2000, ont réussi ce pari, à force de choix assumés. Ecrire une histoire dans un lieu peuplé d'ombres, les vingt-deux salles de l'enceinte du Palais des Papes. Imposer la rareté, le vide autour de l'oeuvre, alors que trop souvent le message est brouillé par la profusion, voire l'empilement. Conjuguer le passé et le contemporain, à travers des rapprochements pertinents et audacieux, Nicolas de Leyde et Bill Viola, l'Ecole de Fontainebleau et Rebecca Horn.

Faire dialoguer les cultures, de l'art indien à la Chine en passant par l'Antiquité classique. Ce sont ces partis-pris qui parlent au voyageur, et qui composent, par touches, par contrastes, par sons et rythmes, un hymne à l'idée de beauté. Une idée qui se déploie avec force dans "La Nature à l'oeuvre", remarquable exposition qui a investi l'Espace Jeanne Laurent. C'est avec émerveillement que l'oeil découvre une beauté qui se donne de surcroît, par l'intermédiaire de la photographie ou de la scénographie, au hasard du règne végétal, animal ou minéral. Nature inventrice ou nature réinventée par le regard de l'homme. Nature-mystère, qui prend soudain une réalité, une signification inattendues.

Chefs- d'oeuvre de la nature prolongés par des chefs-d'oeuvre délibérés, comme les feuilles ottomanes calligraphiées d'or. L'émotion, la surprise, la rencontre sont au coeur de ce cheminement exceptionnel du Jardin des Doms. Ces voyages aux sources de la beauté, complétés par la très intéressante exposition du Clos des Trams, consacrée aux métamorphoses du corps, ces voyages annoncés dans les rues mêmes d'Avignon par les créations inspirées de Christian Lacroix, seront vraiment un temps fort de cette année 2000, année de la fin et du recommencement.

Je remercie tous ceux qui ont donné vie à cette aventure. Les pouvoirs publics qui ont su unir leurs efforts. Les organisateurs, commissaires d'expositions, conservateurs et directeurs d'établissements. Les mécènes, Français et étrangers, sans la générosité desquels rien naturellement ne peut se faire. Ceux qui ont consenti à prêter des oeuvres.

Qu'il s'agisse de nations, Etats-Unis, Inde, Japon, Italie ou Russie, représentées aujourd'hui par leurs Ambassadeurs que je salue cordialement. Ou qu'il s'agisse de prêts particuliers.

Je salue affectueusement et respectueusement Madame Georges Pompidou, et j'adresse à Jacques Kerchache un témoignage amical d'estime et de reconnaissance.

Je félicite enfin les artistes, de toutes expressions, de toutes disciplines, qui ont apporté leur talent, leur inspiration, leur désir, et qui nous font l'amitié de leur présence.

Pour qu'un grand événement existe, il faut des moyens et une volonté politique, c'est-à-dire une volonté au service de la cité. Il faut des idées fédératrices et fécondes. Mais il faut surtout une grande liberté, liberté de dire et de proposer, liberté de rêver et de faire dialoguer les rêves, liberté de créer. C'est cette liberté qui s'est déployée autour de "La Beauté". C'est cette liberté qui donne à Avignon, ville-étape de l'an 2000, sa pleine dimension de Capitale européenne de la Culture. C'est cette liberté, synonyme d'originalité, de force, d'audace, qui donnera à l'Europe culturelle son identité, son rayonnement, son évidence.

Je vous remercie.





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