Allocution du Président de la République à l'occasion du dîner d'État offert par M. Johannes RAU, Président de l'Allemagne.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du dîner d'État offert en son honneur par M. Johannes RAU, Président de la République Fédérale d'Allemagne.

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Château de Bellevue, Berlin, Allemagne, le lundi 26 juin 2000

Monsieur le Président,
Madame,

Merci de votre accueil.

Vos paroles, la profonde amitié qui nous est témoignée ce soir nous vont droit au coeur. Mon épouse et moi vivons un moment de grande émotion.

Emotion d'être invités à rencontrer, dans sa capitale historique, le peuple allemand. Mon émotion aussi d'être demain le premier chef d'Etat étranger invité à s'exprimer au Reichstag. Il y a dix ans, le rêve de générations d'Allemands se réalisait, sous les yeux éblouis de l'Europe et du monde. Berlinois de l'Est et de l'Ouest se retrouvaient et lançaient le signal de la liberté.

Tout d'un coup, l'Histoire progressait à grands pas. Et nous voilà, Monsieur le Président, vos invités, à Berlin. Berlin demeurée si longtemps le symbole d'une Europe déchirée et où s'est naturellement réinstallée la démocratie allemande.

Emotion enfin, tant est forte et vitale notre amitié. Depuis que nos deux pays ont engagé leur rapprochement, la relation germano-française s'est épanouie jusqu'à devenir une respiration essentielle à nos vies politique, économique et culturelle nationales. Il n'est pas d'événement marquant en Allemagne ou en France qui ne soit profondément ressenti de l'autre côté du Rhin.

Les enjeux mêmes de notre entente, comme jadis de nos affrontements, vont bien au-delà de nos destins respectifs. En engageant le rapprochement germano-français, Konrad Adenauer et Charles de Gaulle ouvraient le chemin de l'Europe. L'Europe qui, depuis, n'a cessé de progresser au rythme d'abord de notre amitié et de notre coopération.

Voilà pourquoi, nous devons sans arrêt imprimer son élan à la relation franco-allemande. La nourrir de projets et d'ambitions. Resserrer nos coopérations, poursuivre cette intime et profonde imbrication de nos politiques. Voilà pourquoi notre relation appelle un autre langage que celui de la diplomatie ou du partenariat international, fût-il étroit et amical. Allemands et Français ont, pour eux-mêmes, et aux yeux de l'Europe, une responsabilité historique.

Et voilà pourquoi, Monsieur le Président, à l'heure où les dirigeants de nos deux pays multiplient sommets et rencontres, où la confiance, la simplicité, l'immédiateté marquent nos relations, l'Allemagne et la France ont besoin aussi de gestes forts et solennels. C'est le sens d'une visite d'Etat comme celle que j'accomplis aujourd'hui. Marquer une étape.

Faire vivre l'amitié germano-française. Prendre le temps de la réflexion. Puiser l'inspiration pour continuer. Et bien sûr pousser plus loin, ensemble, les limites de notre grand projet européen. Ici, à Berlin, l'on ressent avec acuité, à la Porte de Brandebourg, au Reichstag, dans bien d'autres lieux encore, le passage de l'Histoire. Ici, tout invite à réfléchir au destin de l'Europe. Chaque fois que s'est présentée une étape décisive dans la marche de notre continent vers l'unité, nos deux pays ont affirmé leur rôle moteur.

Demain, devant la représentation allemande, je dirai mes convictions pour l'Europe. Oui, le moment est venu de poursuivre une réflexion approfondie sur l'avenir de l'Union ! Oui, nous devons rendre nos institutions plus démocratiques, dire clairement comment se répartissent les compétences, veiller à ce que, dans l'Europe élargie, l'Union conserve une capacité d'impulsion. Car notre devoir est de ne jamais laisser se défaire le projet européen auquel nous avons consacré tant et tant d'énergies.

Cet avenir, nous le préparons dès maintenant. C'est tout l'enjeu de la réforme de nos institutions communes. Demain, dans une Union élargie, nous devrons pouvoir agir et progresser avec toujours plus d'efficacité. Cette réforme sera la toute première priorité de la Présidence française qui va s'ouvrir.

Je souhaite aussi que, durant ce semestre, la place de l'Union s'affirme sur la scène internationale, notamment à travers le développement de la défense européenne que vous et nous faisons grandir chaque jour.

Je pense à l'Eurocorps dont la Brigade franco-allemande a été le précurseur. Je pense à notre engagement conjoint en Bosnie et au Kosovo où nous sommes intervenus, avec nos partenaires, pour que cesse la barbarie et que revienne la paix.

Je pense aux grands programmes d'équipement que nous sommes convenus de mener ensemble. Pour franchir ces nouvelles étapes de la construction européenne, la Présidence française sait qu'elle peut compter sur le soutien de l'Allemagne.

L'Allemagne qui sera aussi à ses côtés dans la conduite des négociations d'élargissement. Monsieur le Président, au long de nos conversations, j'ai mesuré combien vous-même vous étiez personnellement engagé dans cette longue marche de l'Allemagne vers l'unité retrouvée et combien cette expérience vous guide aujourd'hui. "L'unité de l'Allemagne, avez-vous affirmé, et l'unité de l'Europe sont les deux faces d'une même médaille".

C'est la force de notre idéal et de notre projet européens qui a rendu dérisoire et finalement insupportable la dictature imposée à nos frères européens, et d'abord à vos frères allemands restés de l'autre côté du Mur. C'est le rêve de nous rejoindre un jour qui les a soutenus dans l'épreuve. Et qui, la liberté recouvrée, les a fait s'engager dans le chemin ardu et courageux des réformes.

Et nous, Etats membres, souhaitons ardemment cet élargissement qui donnera à l'Union plus de force, assurera la stabilité et la paix sur tout le continent et enracinera la liberté et la démocratie qui donnent tout son sens à notre Union. Ici, à Berlin, où souffle un air de liberté, de tolérance -Die Berliner Luft respiré jadis avec gratitude par les Huguenots fuyant les persécutions, par Frédéric II et Voltaire poursuivant, à quelques lieues d'ici, le dialogue le plus brillant de leur siècle- je veux saluer en vous, Monsieur le Président, l'ardent défenseur des valeurs humanistes, d'ouverture, de respect de l'autre qui fondent notre civilisation européenne.

Dans un discours qui fera date, vous avez exhorté vos compatriotes à savoir accueillir les étrangers et à se garder de toute forme de xénophobie. Vos propos prennent une résonance singulière. Ils pourraient s'adresser à tous les Européens. Leur rappelant que la tâche n'est jamais achevée et réclame une vigilance de chaque instant, une détermination et une fermeté sans faille.

Vous le voyez, Monsieur le Président, il est bien difficile de distinguer dans nos propos l'Allemagne, la France et l'Europe tant leurs destins se croisent et se mêlent. Tant le couple franco-allemand a pesé sur l'histoire de l'Europe. Trop de malheurs sont venus de l'affrontement de l'Allemagne et de la France. Et beaucoup des progrès de notre construction commune sont nés de notre volonté et de nos efforts conjoints pour bâtir la paix et la prospérité sur les décombres des vieilles rivalités.

Aujourd'hui la France est fière de se tenir aux côtés de l'Allemagne dans son unité retrouvée. C'est à notre fraternité germano-française et en votre honneur, Monsieur le Président, que je vais maintenant lever mon verre.

Je le lève en l'honneur de Madame Rau à qui je présente mes respectueux et affectueux hommages.

Je le lève au grand peuple allemand, aux succès de notre coopération et à l'union de nos destins dans l'Europe.





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