Voeux aux Corréziens.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République : Voeux aux Corréziens.

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Tulle, Corrèze, le samedi 15 janvier 2000

Monsieur le Préfet de région,

Monsieur le Préfet de la Corrèze

Monsieur le Président du Conseil Général,

Mesdames et Messieurs les Elus,

Mes Chers Compatriotes et Amis,

C'est avec émotion que je vous retrouve aujourd'hui pour vous présenter mes voeux, les voeux aussi de Bernadette. Mais cette année ces voeux sont empreints d'une certaine tristesse. La Corrèze a été meurtrie. Les Corréziens ont été durement frappés.

Chacun a vu ou a vécu l'ampleur et la gravité des dommages subis par notre belle région : forêts dévastées ; électricité, téléphone, eau, routes, coupés ; activités agricoles, artisanales, commerciales, industrielles interrompues. Petites et moyennes entreprises mises dans l'incapacité de produire ou d'honorer leurs engagements. Bâtiments ébranlés. Souvenirs détruits.

Désastre écologique dans une région à la nature superbe. Désastre économique dans l'une des régions les moins riches de France.

A tous ceux qui ont souffert, à tous ceux qui n'ont pas encore retrouvé des conditions de vie normales, je voudrais dire ma sympathie et mon amitié.

A tous ceux qui ont mobilisé, au service des sinistrés, leurs compétences et leur dévouement, je voudrais dire mon estime et ma reconnaissance. Je pense aux forestiers et aux paysans, sur le terrain dès le premier moment avec leurs tronçonneuses. Je pense aux maires, conseillers généraux et aux élus, immédiatement mobilisés au service de tous. Je pense aux agents de l'Etat, du département et des communes donnant le meilleur d'eux-mêmes pour aider les autres. Aux professionnels d'EDF, des Télécoms, de l'Equipement, de l'Agriculture, des services sociaux, bien d’autres encore agissant sur tous les fronts. Bien sûr aux sapeurs-pompiers, aux gendarmes, aux militaires, admirables comme toujours dans les périodes de crise.

Et à tous, je dis merci. A tous les Corréziens, je redis une fois encore mon amitié.

A une détresse forte, qui est celle de la Corrèze et de bien d'autres régions de notre pays, doit répondre une solidarité nationale rapide, juste et efficace. Je ne doute pas que tel sera le cas.




Mes chers amis, cette période de grande difficulté a été aussi celle du passage du siècle.

Beaucoup de nos compatriotes sont un peu perplexes face à ce début de millénaire. Il y a la surprise d'avoir atteint une date qui semblait lointaine, futuriste. Il y a aussi l'inquiétude de certains face à une époque nouvelle qu'ils ne sont pas très sûrs de bien comprendre, le sentiment que les habitudes, les instruments dont ils disposaient n'auront peut être plus cours. Il y a aussi l'enthousiasme des plus jeunes devant une page blanche à écrire, parce que les décennies qui viennent seront ce qu'ils en feront, ce que nous en ferons tous. Tout cela se mêle en ces premiers jours de l'An 2000. Tout cela doit être compris et respecté.

Ce que je voudrais vous dire, mes chers amis, c'est ma confiance, quelles que soient les circonstances actuelles. J'ai toujours pensé que là où il y a une volonté, de l'énergie, de la liberté, il y a une voie. Je le pense plus que jamais aujourd'hui, en Corrèze. Ce qui fonde ma confiance, ce sont en réalité les Français.

Les Français, héritiers d'une longue histoire, qui ont su très tôt présenter au monde l'image d'une nation, avec ses valeurs, son génie propre, sa culture, sa langue. Les Français, qui ont surmonté toutes les épreuves, y compris les déchirures des guerres civiles et religieuses. Les Français qui, au cours du dernier siècle, ont vécu la Première Guerre mondiale, meurtrière entre toutes, les heures grises de l'Occupation et le désespoir de la défaite. Mais aussi l'élan de la Résistance, le rêve de grandeur du général de Gaulle, et l'aventure des trente glorieuses pendant lesquelles notre pays s'est reconstruit et a repris sa place parmi les grandes nations du monde. Les Français, qui ont toujours su accueillir ceux qui venaient d'ailleurs, pour peu qu'ils soient prêts à respecter nos valeurs et nos lois et qu'ils aient un désir de France.

C'est pour tout cela que nous sommes un vieux peuple et en même temps un peuple jeune, capable d'avancer, de se renouveler, d'inventer. Capable de se porter sur les créneaux d'avenir, capable de créer de l'excellence, capable d'exporter nos produits dans le monde entier au point d'être aujourd’hui le quatrième exportateur mondial. C'est parce qu'il y a en nous cette force, cette volonté, ce dynamisme, cette soif de créer, que j’en suis sûr l'avenir sourit à la France.

Ce qui fonde également ma confiance, c'est la capacité de notre peuple à se rassembler, dans un sentiment fort d'appartenance à une même communauté nationale, un sentiment plus fort encore quand l'épreuve survient, nous l’avons vu.

Et je voudrais à ce propos tirer deux leçons de ces dernières semaines, qui ont été pour nous tous si difficiles.

La première, c'est la force, l'évidence, la nécessité de la solidarité, une solidarité de proximité et d'efficacité. Lors des événements récents, notre France a eu tout simplement le visage de la fraternité. Ici, un enfant malade a bénéficié du relais spontané de la radio locale, ce qui a provoqué aussitôt le prêt d'un groupe électrogène nécessaire aux soins qu'il devait recevoir. Là, une famille a accueilli spontanément telle personne âgée, isolée ou privée de chauffage. Là encore, tout un hameau s'est regroupé pour dégager les voies d'accès à telle maison ou ferme coupée de tout. Ici, de manière plus ordinaire, toutes les denrées périssables du voisinage ont pu être sauvées parce que tel habitant, alimenté par hasard en électricité, a pu les accueillir.

Bien sûr, il y a eu aussi des villages un peu perdus, des foyers qui ne se sont pas sentis suffisamment soutenus ou qui n'ont pas pu être rapidement secourus. Mais partout, que d'élans de solidarité, que d'aides immédiatement apportées, que de services, petits ou grands, rendus et rendus avec coeur !

La solidarité nationale doit être à l’image de l’entraide fraternelle et agissante que les Français ont déployée entre eux.

Nous devons savoir tirer les enseignements de ce que nous avons vécus.

Les solidarités qui consistent à apporter des aides de façon un peu mécanique et anonyme montrent en effet leurs limites. Les titulaires des minima sociaux sont de plus en plus nombreux, malgré le retour de la croissance. Plus de la moitié d'entre-eux restent au RMI plus de deux ans parce que le volet "insertion" est trop souvent inopérant. Il convient de s'interroger sur les méthodes et les approches nouvelles, qui donneront à la solidarité son visage du XXIe siècle.

Le soutien financier est naturellement et bien sûr nécessaire, mais il ne peut plus suffire. Ce qu'il faut développer, c'est le respect de la personne humaine, le rapport de personne à personne, le dialogue, la possibilité d'apprécier la situation de quelqu'un et de lui apporter la meilleure réponse, comme cela se passe en ce moment dans les régions sinistrées. En un mot, c'est une solidarité de terrain, plus fraternelle, plus humaine et, par là même, plus efficace. C'est sur le terrain, au plus proche des êtres, que l'on peut distinguer celui qui a été brisé par la vie, qui a besoin d'une aide durable, et celui qui, malgré les épreuves, pourra retrouver un emploi, une place dans la société. Il faut alors l'accompagner, l'inciter, afin qu'à l'engagement de la société qui donne, réponde l'engagement et l’effort de celui qui reçoit.

Les petites villes, où les services sociaux connaissent bien les allocataires, nous donnent un exemple de proximité, et donc d'efficacité, qui doit devenir une règle dans l’ensemble de notre pays. Les maîtres-mots de cette nouvelle solidarité sont l'attention personnelle, l'accompagnement, l'incitation, l'échange fraternel, la responsabilité.


La deuxième leçon que nous devons tirer des drames de ces dernières semaines est liée à nos pratiques, à nos comportements, à notre action vis-à-vis de la nature.

Tous ces arbres tombés par millions, ces champs et ces villages inondés, ces côtes polluées, ce patrimoine naturel abîmé doivent nous amener à un retour sur nous-mêmes. Pas pour sombrer dans la nostalgie de temps révolus, dont les circonstances récentes nous ont rappelé la dureté, mais pour qu'à l'avenir nous fassions les bons choix.

Bien sûr, personne ne peut rien contre les éléments naturels quand ils se déchaînent, mais quand même. Ne convient-il pas de s'interroger sur certaines actions conduites pendant les trente dernières années ? Je pense aux excès du remembrement qui, pour favoriser le regroupement des terres, certes nécessaire, ont profondément modifié certains paysages, supprimant les haies, les fossés qui permettaient l'écoulement des eaux. C'est ainsi, par exemple, que le bocage normand a pour partie disparu.

Je pense à l'abattage de nombreux arbres, qui maintenaient la terre, prélevaient l'eau qui leur était nécessaire et empêchaient une montée excessive de la nappe phréatique.

Je pense aux modifications imprudentes du plan d'occupation des sols dans certaines communes, qui ont abouti à la construction de maisons sur des zones inondables ou, à la montagne, dans des couloirs avalancheux.

Les catastrophes de ces dernières semaines, mais aussi celles qui ont endeuillé notre pays au cours des dernières années doivent susciter une vraie réflexion. Trop souvent, en effet, la difficulté d'anticiper le pire, la recherche de la productivité, le désir d'engranger des profits, la volonté de certains de réaliser un rêve sans se soucier des obstacles de la nature, ont eu des conséquences dramatiques. Sans être passéistes, nous devons être attentifs aux enseignements de nos anciens qui savaient que tel terrain doit rester boisé, que telle berge doit rester vierge de constructions, que telle essence d'arbre et non telle autre, plus rapide, mais aussi plus fragile, doit être plantée.

Il y a ce que les anciens savaient. Il y a ce que les contemporains doivent apprendre. L'évolution des phénomènes climatiques inquiète -à juste titre-chacun d'entre nous. Si nous voulons transmettre à nos enfants notre patrimoine le plus précieux, le patrimoine naturel, nous devons placer le respect de la nature et de ses exigences au coeur même de nos projets.

Il faut mettre en oeuvre sans tarder les décisions qui ont été prises à Kyoto, pour ce qui concerne le rejet des gaz à effet de serre afin de les limiter.

Il faut tout faire pour limiter aussi les risques de marée noire. Une fois encore, nous venons d'en voir les effets désastreux, non seulement pour nos côtes, nos plages, nos paysages, mais aussi pour des pans entiers de notre activité : la pêche, l'ostréiculture, la conchyliculture, tous les métiers liés au tourisme. La France sera très présente sur ces dossiers dans les mois à venir et notamment à l'occasion de sa présidence européenne.

Des réglementations internationales existent. Mais, elles sont insuffisantes dès lors qu'elles n'empêchent pas l'armement de navires vétustes, voire en très mauvais état, transportant des cargaisons polluantes, et quelquefois bien plus dangereuses que le pétrole. Bien des anomalies devraient être corrigées. Il n'est pas normal, par exemple, que l'amende infligée en cas de dégazage en pleine mer soit inférieure au coût de ce dégazage normalement et légalement effectué.

Ce sujet essentiel doit être à l'ordre du jour des grandes rencontres internationales. Des règles plus exigeantes, un code de conduite plus précis doivent être définis et acceptés, afin de prévenir les marées noires, mais aussi, plus généralement, afin de mieux préserver les mers qui sont une part essentielle du patrimoine naturel et économique mondial.




Voilà, mes chers amis corréziens, quelques pistes de réflexion, parmi bien d’autres naturellement, pistes d'action et de décisions en ce début d'année si particulier.

Commencer un nouveau siècle, c'est aussi une occasion privilégiée pour prendre du recul, analyser le passé, réfléchir, pour changer ce qui doit être changé, pour accomplir ce qui doit être accompli au service de la France et des Français, mais aussi au service du monde.

Je sais, et vous l'avez montré encore ces derniers jours, que je peux compter sur votre courage, sur votre ténacité et sur votre sens de la fraternité pour faire avancer la France dans la bonne direction. Pour en faire une nation de proximité fraternelle et de solidarité active. Une nation moderne, qui répond aux aspirations de ses enfants, qui se transforme sans rien perdre de ce qui fait son patrimoine culturel et naturel, son exigence éthique, ses idéaux, en un mot sans rien perdre de son âme.

Cette France, nous la ferons vivre ensemble.

A chacune et à chacun d'entre-vous, pour Bernadette et pour moi, je souhaite très chaleureusement, et de tout coeur, une bonne et une heureuse année.





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