VSux du Président de la République aux forces vives.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République : voeux aux forces vives.

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Palais de l'Élysée, le jeudi 6 janvier 2000

Monsieur le Premier Ministre,

Mesdames et Messieurs,

Vous représentez toutes et tous ici le travail, l'activité, l'engagement associatif et aussi le mouvement sportif. Vous exprimez l'ensemble des énergies à l'oeuvre dans notre société, ces énergies créatrices qui font notre développement culturel, économique et social. Vous prouvez jour après jour que la société civile entend s'impliquer davantage dans la transformation de notre pays. Votre légitimité s'enracine dans une expérience concrète des réalités. C'est ce qui fait votre force et je dirais votre modernité. C'est pourquoi vous devez être écoutés.

Démocratie politique et démocratie sociale se complètent. Elles ne sauraient être confondues mais elles ne doivent pas être opposées.

La démocratie politique est fondée sur l'appartenance à une même nation. Elle transcende les intérêts économiques et sociaux. Elle repose sur la citoyenneté qui exprime ce que les hommes et les femmes d'un même pays portent en commun : une communauté de vie, un "vouloir vivre ensemble", et aussi une histoire, une langue, une culture qui unissent.

Il ne peut évidemment être question pour les acteurs de la démocratie sociale de disputer aux assemblées parlementaires le monopole de l'expression de la volonté générale.

Mais la démocratie politique ne progressera pas en faisant reculer la démocratie sociale. C'est au contraire en lui faisant toute sa place et en s'appuyant sur les acteurs de la vie économique et sociale qu'elle pourra se fortifier, se moderniser et rester unie à la réalité vivante de notre pays. Il est important que les pouvoirs publics prennent l'habitude de s'appuyer toujours davantage sur les forces vives que vous représentez, dont l'importance d'ailleurs va croissant dans la vie des nations.

La place et l'autonomie de la démocratie sociale doivent être reconnues et respectées. La loi est indispensable à la définition du bien commun. Mais elle ne peut pas tout faire. Le législateur doit avoir la sagesse et le réflexe de toujours écouter, observer et comprendre le mouvement profond de la société, un mouvement largement porté par les acteurs économiques et sociaux. C'est une respiration nécessaire à la démocratie.

Dans plusieurs Etats d'Europe, la pratique contractuelle donne lieu à un véritable pacte social. Il constitue un cadre stable et harmonieux, favorable au progrès social comme au développement de l'activité et de l'emploi. Je crois que l'on peut dire que c'est la modernité. Il n'y a pas de raison que la France n'y parvienne pas à son tour.

Il y a le champ politique. Mais il y a aussi celui de la liberté contractuelle et de la négociation collective. Dans les conditions contemporaines de la vie économique et sociale, le dirigisme n'est pas seulement inefficace et dépassé, il devient en réalité impossible.

L'Etat doit en revanche -et c'est une mission essentielle- veiller à la solidarité entre tous les membres de la communauté nationale, notamment, comme on vient hélas de le voir, au moment des épreuves. Il doit assurer l'égalité des chances entre les Français, libérer les énergies, apporter à nos libertés la protection de la République.

Il lui appartient d'inventer de nouveaux moyens d'action pour continuer à jouer pleinement son rôle de garant de la cohésion sociale et pour devenir un facilitateur actif du développement économique.

Mais que l'Etat ne doive plus chercher à tout régenter ne signifie pas que les relations économiques et sociales doivent être abandonnées au règne du plus fort. L'Etat doit peser de tout son poids dans les grandes négociations internationales, en premier lieu à l'OMC, pour que la mondialisation soit maîtrisée, qu'elle soit tournée vers le bien de l'homme, qu'elle prenne mieux en compte les exigences de l'éthique et de l'environnement.

Les changements actuels du monde sont source de progrès mais ils affectent les équilibres de la société. C'est en prenant appui sur le dialogue social et sur la négociation collective que nous pourrons préserver ou reconstruire ces équilibres, les faire évoluer, voire les réinventer.

En élargissant la place de la démocratie sociale, on fait progresser toute la démocratie. C'est pourquoi j'attache la plus grande importance au rôle de laboratoire du dialogue social que le Conseil économique et social joue au coeur des institutions de la République, car c'est un lieu où tout peut se dire, où tout se dit, en dehors des clivages partisans.

Je suis particulièrement attentif aux discussions engagées entre eux par les représentants du monde de l'entreprise, salariés et entrepreneurs, pour examiner la possibilité d'un renouveau des relations sociales et du paritarisme. C'est un enjeu essentiel. Sans intervenir dans les débats entre organisations syndicales et professionnelles, la République doit montrer son attachement au dialogue social en mettant tout en oeuvre pour faciliter le déroulement et l'aboutissement des discussions. Si une large entente s'exprime, je serai prêt pour ma part à en tirer toutes les conséquences, y compris, si nécessaire, sur le plan constitutionnel. Nous devons en effet être ouverts à tout ce qui peut permettre de donner au dialogue social un meilleur ancrage et de mieux reconnaître la valeur du contrat collectif dans le respect, bien sûr, des droits du Parlement.

Une démocratie nourrie par la négociation sociale et respectueuse de celle-ci sera plus forte pour traiter les grands enjeux de notre temps : la croissance et l'emploi, la solidarité et la lutte contre l'exclusion, avec la ferme volonté d'assurer, au bénéfice de chacun des Français, une juste répartition des nouveaux fruits de cette croissance.

Nous avons su créer les conditions de l'expansion en nous qualifiant pour l'euro. Désormais, notre pays a cessé de s'épuiser dans une politique d'argent cher pour défendre le franc. En partageant une même monnaie avec nos partenaires européens, nous avons reconquis une souveraineté monétaire qui s'était peu à peu rétrécie. Et nous sommes désormais protégés contre ces dévaluations compétitives entre pays européens qui ont fait tant de mal à notre agriculture et à nos industries de main-d'oeuvre. C'est un socle solide. A nous d'en tirer le meilleur parti. A nous d'attirer et de fixer sur le sol français des investissements qui ouvrent les portes du plus grand marché du monde. Nos atouts sont très grands. Ils le seront plus encore quand nous aurons su procéder à l'adaptation en profondeur de notre système de prélèvements obligatoires et faire reculer l'esprit de réglementation et de contrôle qui imprègne encore trop souvent les relations entre l'administration et les entreprises.

L'économie moderne offre à la France de nouvelles chances de croissance au bénéfice de chacun. La part des technologies nouvelles dans les créations d'emplois ne cesse de progresser. Nous devons entrer résolument dans la société de l'information. C'est une révolution qu'il faut faire dans nos vies, mais aussi dans nos têtes. C'est pour notre pays l'une des clés de l'avenir.

L'emploi hautement qualifié ne cesse de se développer, au point que des pénuries de main-d'oeuvre apparaissent déjà dans certains secteurs tandis que le chômage des travailleurs sans qualification reste à un niveau très élevé. C'est dire que l'adaptation des formations et le renouvellement des compétences comptent parmi les grands défis de la France de demain.

Depuis longtemps je souhaite, dans ce domaine, une réforme fondatrice, pour donner à chaque Français un droit personnel à la formation tout au long de sa vie. Ce serait, pour tous, le gage d'une plus grande sécurité de l'emploi à travers l'évolution continue des besoins de l'économie. Ce serait aussi la promesse de nouvelles chances de promotion sociale. Il s'agit en réalité d'une réforme de société. Elle passe par un engagement très fort de l'ensemble des partenaires sociaux. On ne peut pas en faire l'économie.

Il est également très important que nous réussissions à maintenir nos principaux centres de décision économique sur le territoire national.

Il est grand temps de mettre en place de nouveaux outils permettant aux Français d'investir leur épargne dans notre économie et d'obtenir des droits supplémentaires pour leurs retraites. Il est temps également de diffuser plus largement l'actionnariat des salariés en s'inspirant de cette grande idée qu'est la participation.

Il y a trente ans, sous l'impulsion du général de Gaulle, notre pays avait su percevoir l'importance d'une meilleure association du travail et du capital. Aujourd'hui, cette exigence de participation peut être modernisée mais elle est plus forte que jamais. Elle est devenue l'une des conditions de la réussite de notre modèle économique.

Les salariés souhaitent être mieux associés au succès de leur entreprise. C'est un mouvement sain et positif qui démontre leur engagement, leur motivation, leur dynamisme. Nous devons en tirer les conséquences. C'est pourquoi j'appelle l'ensemble des forces politiques, sociales et économiques à faire de l'exigence de cette nouvelle participation l'une des grandes ambitions de l'an 2000 pour créer une économie plus solide et plus solidaire.

Nous devons prendre garde aussi à ne pas rester indifférents à l'accélération des fusions internationales entre grands groupes. La course à la taille est utile dans bien des cas, mais elle ne doit pas conduire à la constitution de grands monopoles privés alors que nous avons peu à peu réussi à mettre fin à la plupart des monopoles publics d'autrefois.

La libre concurrence doit être rigoureusement respectée. Au plan national, au plan européen mais également au plan mondial. Il y a là un enjeu essentiel pour parvenir à ordonner et aussi à humaniser la mondialisation.

Il faut aussi donner à celle-ci une dimension humaine plus forte et plus visible. Cela commence dans notre propre pays par la réaffirmation de la solidarité.

J'insiste chaque année sur l'attachement des Français à la sécurité sociale. J'y reviendrai encore aujourd'hui car la sécurité sociale est au coeur de la constitution sociale de notre pays. Elle assure la triple solidarité des Français face aux charges de famille, à la maladie et à la retraite. Elle lie tous nos concitoyens entre eux. Et, je l'ai déjà dit, j'en suis le garant. Je m'estime responsable de son avenir. C'est pourquoi, vous le savez, j'ai invité les Français à réfléchir aux changements nécessaires pour sauvegarder la retraite par répartition avec le double souci de fortifier la solidarité entre les générations et entre tous les secteurs d'activité et de conforter le dynamisme de notre économie.

Nous avons pris l'exacte mesure des problèmes. Ils sont de nature structurelle. C'est en prenant maintenant des dispositions à la hauteur des difficultés à venir que nous éviterons de devoir un jour pénaliser l'emploi en augmentant les ponctions sur l'activité, en diminuant les pensions servies aux retraités, ou pire, en faisant les deux à la fois.

Mais, au-delà de la sécurité sociale, nous devons prendre davantage conscience de la nécessité de faire progresser la lutte contre la pauvreté qui s'accroît. Il y a, dans ce domaine, matière à préoccupation. Le nombre de bénéficiaires des minima sociaux continue à augmenter malgré la reprise de l'économie. Plus de la moitié des allocataires du RMI le perçoivent depuis une durée supérieure à deux ans. C'est le signe d'une difficulté, celle que nous avons à organiser le retour vers l'emploi des personnes qui se sentent aujourd'hui rejetées vers les confins les plus extrêmes de notre société.

Nous ne pouvons pas accepter cette situation. Un grand débat national a eu lieu. Il s'est étendu sur plusieurs années et j'y ai pris ma part. Comme le souhaitaient de nombreux mouvements, à commencer par ATD-quart monde, comme l'avait demandé aussi le Conseil économique et social, toutes les forces politiques représentées au Parlement ont admis que de nouveaux principes devaient être inscrits dans la loi. La lutte contre l'exclusion et le respect de l'égale dignité de tout homme sont des impératifs nationaux.

Il faut maintenant créer les conditions d'une meilleure intégration à la vie économique des personnes les plus en difficulté, en prenant acte des limites inhérentes aux solidarités d'argent.

La solidarité doit se faire plus fraternelle. Elle doit se rapprocher des lieux de vie. Elle doit prendre le visage d'hommes engagés au service d'autres hommes. Elle impliquera de plus en plus un lien personnel pour qu'à l'aide de celui qui parle au nom de la collectivité, puisse répondre l'engagement de celui qui reçoit. Un engagement proportionné aux possibilités et à la situation de chacun, mais un engagement réel, qui encourage à reprendre espoir et à se remettre en chemin.


Mesdames et Messieurs,

Je ne voudrais pas terminer ce propos sans évoquer un sujet douloureux qui, vous le savez depuis longtemps, me tient à coeur.

L'année qui s'est achevée a vu célébrer le dixième anniversaire de la Déclaration des droits de l'enfant. Cet anniversaire a permis de mesurer les progrès accomplis grâce à l'action de la communauté internationale, et en premier lieu grâce à l'engagement des organisations non gouvernementales. Mais elle a aussi été l'occasion de constats très douloureux pour la conscience universelle. Les images qui nous viennent chaque jour du monde entier nous disent cruellement la détresse de millions et de millions d'enfants écrasés de souffrance, sans toit, livrés à la brutalité et à la violence des adultes.

Face à ce scandale inexprimable, nous ne pouvons pas nous résigner à l'impuissance. A l'aube de ce nouveau siècle, je voudrais vous demander d'être tous mobilisés pour faire renaître l'espoir. Le temps de l'enfance est court. Il ne se rattrape pas. Dans le combat pour les droits de l'enfant, l'engagement de tous est nécessaire.


Mesdames, Messieurs,

L'an 2000 sera une année importante dans tous les domaines de la vie économique et sociale. Les Français l'abordent avec la confiance que leur apportent les premiers fruits de longues années d'efforts. De ces efforts, chacun a pris sa part. Tous les Français doivent en avoir le juste retour. Une répartition équitable des fruits de la croissance conditionne tout à la fois l'harmonie de notre société et le dynamisme de notre économie.

En vous présentant aujourd'hui mes voeux les plus cordiaux, je voudrais vous dire ma conviction que la France aura tous les atouts pour réussir dans l'Europe du XXIe siècle si elle veut bien regarder lucidement les réalités de notre monde et adopter une nouvelle culture de dialogue.

Je souhaite à chacune et à chacun d'entre vous mes meilleurs voeux pour l'année 2000.





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