Naufrage de l'Erika: discours du Président de la République au Croisic.

Naufrage de l'Erika: discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République au Croisic.

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Le Croisic, Loire-Atlantique, le jeudi 20 janvier 2000

Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames, Messieurs,

La commune du Croisic est meurtrie. Ses plages sont souillées. Son littoral porte les stigmates du mal que l'homme, parfois, peut faire à l'homme. Ses habitants ont été directement atteints, certains dans leurs activités professionnelles, qu'elles soient liées à la mer ou au tourisme. D'autres dans leur environnement, leur paysage affectif, leurs émotions.

Ce matin, grâce à Monsieur le Maire du Croisic, j’ai pu assister à une réunion particulièrement intéressante où à la fois les responsables élus, Présidents du Conseil Régional, du Conseil Général, le Maire bien entendu, les Sénateurs, mais également les professionnels des différents et des principaux secteurs d’activité, liés à la mer ou au tourisme, se sont exprimés d’une façon claire, intelligente, déterminée, non pas dans un esprit de plainte mais dans un esprit de volonté. Volonté à la fois de surmonter la crise et le malheur, et volonté aussi d’être entendu par ceux qui conditionnent l’expression de la légitime solidarité de la nation à l’égard des victimes d’un drame tel que celui que vous venez de subir.

Et donc je voudrais d'abord dire mon émotion, celle de tous les Français, face aux ravages provoqués par le naufrage de l'Erika.

Emotion et colère, après avoir vu une fois encore nos côtes défigurées.

Emotion et admiration, aussi, devant l'extraordinaire élan de solidarité qui a mobilisé tant de bonnes volontés. Dans ces circonstances difficiles, la France a montré, une fois de plus, qu'elle était une nation, une communauté fraternelle d'hommes et de femmes unis par un même sentiment d'appartenance et de responsabilité.

Je veux remercier, au nom de tous les Français, les élus, tous les élus qui se dépensent avec beaucoup d’intelligence et de courage sans compter, remercier aussi les professionnels, les militaires et les pompiers, toujours remarquables en temps de crise, les agents de l'Etat et ceux des collectivités locales, qui incarnent une idée exigeante du service public, les bénévoles enfin, venus de toute la France pour apporter leur aide.

Tous passent leurs journées dans des conditions particulièrement rudes, voire dangereuses, pour réparer le mal, pour nettoyer plages et rochers, pour tenter de sauver la faune, et notamment les oiseaux, pour protéger ce qui peut l'être. Tous font preuve, aux côtés des habitants, d'un dévouement et d'une efficacité qui méritent d'être salués.

Toutes et tous, je vous sais à l’oeuvre. Ici au Croisic, mais aussi sur l'ensemble du littoral. Courageux. Déterminés à tout faire pour que nous surmontions au plus vite ce drame et qu’il ne laisse aucune trace ni écologique ni économique. Pour que tous ceux qui vivent de la mer et de ses ressources, tous ceux qui vivent de l'hôtellerie et du tourisme en général, puissent remonter la pente et reprendre une activité normale. Pour que cette catastrophe écologique soit effacée. Pour que ces régions si belles et si actives retrouvent leur vrai visage.


Il y a le temps de l'émotion partagée. Il y a le temps de la reconnaissance face à une solidarité en acte. Mais il y a aussi le temps de la détermination et de l'action. Je suis déterminé à prendre, conformément aux responsabilités qui m'incombent, et avec le Gouvernement, toutes les initiatives nécessaires pour préserver notre patrimoine maritime et nos ressources qui sont partie intégrante du patrimoine mondial.

La France, je veux le souligner, a une vraie dimension maritime, ce que le général de Gaulle appelait "le fait marin". La mer, en effet, n'est pas seulement la principale voie de nos approvisionnements. Elle est un enjeu économique de premier plan, un inégalable réservoir de matières premières. L'une des richesses naturelles les plus précieuses et les plus fragiles de notre pays. Elle doit être aussi l'une des dimensions de la politique française, conformément à la vocation de notre nation.

Faut-il le rappeler ? La France est le seul pays qui s'ouvre à la fois sur la mer du Nord, la Manche, l'océan Atlantique et la Méditerranée, sans compter, bien entendu, la France d'Outre-mer. Le seul pays naturellement destiné par son histoire, sa situation et ses ports, à servir de passage entre l'Ancien et le Nouveau Monde, entre l'Afrique et l'Europe, entre l'Asie et l'ouest de notre continent.

Avec 26 départements bordant nos côtes, c'est plus de 35 % de la population française qui vit à proximité de la mer. Avec plus de 20 millions de vacanciers qui se portent chaque année sur notre littoral, c'est l'ensemble du pays qui bénéficie de nos façades maritimes.

C'est assez dire que notre vocation maritime est affirmée et que nous attachons une immense importance à la préservation et à l'aménagement de notre littoral.

Or, dans ce domaine, le progrès balbutie. Marée noire après marée noire, catastrophe après catastrophe, c’est le même constat, inacceptable. Les conditions minimales de sécurité ne sont toujours pas réunies. Les réglementations et les contrôles demeurent insuffisants puisqu'un navire comme l'Erika, après tant d'autres, a pu être armé et prendre la mer avec sa cargaison potentiellement dangereuse.

Nous devons agir. Agir, bien sûr, au niveau national, sur le front de la solidarité. Je souhaite que les mesures décidées par le Gouvernement soient promptement mises en oeuvre, et qu'un véritable suivi permette de répondre à chaque situation, au cas par cas.

Mais nous devons aussi agir au niveau international, en particulier au sein de l'Union européenne et auprès de l’Organisation maritime internationale. Aujourd'hui, devant vous, je voudrais dire quels sont les quatre objectifs que, selon moi, la France doit atteindre dans les meilleurs délais et profiter notamment de sa présidence à partir du 1er juillet de l’Union européenne pour faire les pas décisifs dans cette direction. Des contrôles plus stricts. Des règles de sécurité beaucoup plus sévères. Davantage de transparence. Des indemnisations plus justes et plus complètes.


Avec tous nos partenaires de l'Union européenne, nous devons, d'abord, bâtir un système européen de contrôle public efficace et cohérent. Les navires qui font escale dans nos ports devront être soumis à des inspections approfondies, plus systématiques, conduites par des agents publics en nombre suffisant, bien formés et vigilants. Ce n’est manifestement pas le cas aujourd'hui. Les règles européennes doivent être renforcées et naturellement effectivement appliquées.

Le résultat de ces contrôles beaucoup plus rigoureux devra être rendu public. Dans cet esprit, la France a proposé la création d'une banque de données internationale. Il faut qu'enfin soient connus, de tous les professionnels, les navires dangereux, les noms de leurs armateurs et leurs pavillons : la liste de la honte !

Au-delà, je souhaite que l'Europe prenne l'initiative au plan mondial. Il faut créer, au sein de l'Organisation maritime internationale, une autorité internationale, notamment pour accréditer et contrôler les sociétés de certification. Nous pourrons ainsi mettre fin à un laxisme aux conséquences dramatiques. Nous pourrons imposer cette rigueur et cette transparence qui existent depuis bien longtemps dans les transports aériens et qui devrait exister dans les transports maritimes.


Avec nos partenaires européens, nous devons aussi exiger un renforcement des règles de sécurité.

80% des navires qui font naufrage ont plus de quinze ans. Si l'on s'en tient au calendrier actuel, il faudra encore vingt ans pour que tous les navires respectent les normes internationales en vigueur. C'est évidemment inacceptable. Il faut que les bâtiments battant pavillons européens soient modernisés plus vite que ne le prévoient les règles de l’OMI. Nous devons aussi demander à tous les pays membres de l’Organisation maritime internationale d’accélérer la mise aux normes de la flotte marchande mondiale.

Dès maintenant, imposons un régime d'inspection spécial, beaucoup plus sévère, pour les bâtiments les plus vieux ! Et révisons les règles qui s'appliquent au transport des pétroles les plus polluants, des produits chimiques et des matières les plus dangereuses. D'une façon générale, attaquons-nous sérieusement à la désastreuse pratique des contrôles et certificats de complaisance.

Renforcer les règles de sécurité, c'est enfin agir envers les pavillons de complaisance, comme nous avons commencé à le faire à l’encontre des centres financiers off-shore qui ne respectent pas la loi internationale.

Le rapport préliminaire sur le naufrage de l'Erika le suggère : il faut obtenir que les Etats à pavillons de complaisance cessent de confier la mission de contrôle public qui leur revient à des sociétés de vérification qui travaillent aussi pour les armateurs et pour les affréteurs. Il faut également que ces Etats imposent le respect des normes sociales et de qualification du Bureau international du travail pour tous les équipages.

Dès maintenant, exigeons de Malte et de Chypre, candidats à l'Union européenne, qu'ils durcissent leurs législations et leurs contrôles s’ils veulent véritablement entrer dans notre communauté.

Pour imposer à l'ensemble des Etats à pavillons de complaisance le respect de règles plus strictes, je proposerai lors du prochain Sommet du G8, en juillet à Okinawa au Japon, qu’un groupe de travail international soit créé, chargé d'identifier l'ensemble des pratiques dangereuses qui ne devront plus être tolérées. Il devrait aussi préciser les sanctions qui seraient prises contre ces Etats en cas de non respect des nouvelles règles.


Avec nos partenaires européens, nous devons également rendre dissuasif pour les armateurs et les affréteurs le coût des accidents.

Le système d’assurances en vigueur dans nos pays doit être réexaminé. Pour responsabiliser les armateurs et les affréteurs, les assureurs doivent être plus exigeants avant de donner leur garantie, qu'il s'agisse d'assurer les navires ou d'assurer les cargaisons. De même, ils doivent exiger des sociétés de vérification qu'elles appliquent des méthodes beaucoup plus rigoureuses.

L'équité commande que les pollueurs, armateurs et affréteurs, soient les payeurs. Que chacun assume sa part de responsabilité. Le système d’indemnisation actuellement en vigueur grâce au FIPOL doit être amélioré, tout en gardant sa rapidité de mise en oeuvre et sa simplicité. En toute hypothèse, son plafond doit être très sensiblement relevé. Et il faut que la perspective d’une marée noire soit aussi catastrophique pour l’affréteur et l’armateur que pour leurs victimes.

Dans un premier temps, une démarche volontaire des professionnels doit être encouragée. Ils doivent accepter de participer au durcissement des règles du jeu. Si cette démarche volontaire n'aboutissait pas rapidement, la France devrait proposer et proposera une révision radicale du système existant.

Plus généralement, nous devons adopter une législation beaucoup plus sévère contre les dégazages en mer, ces pratiques inadmissibles qui provoquent en permanence l'essentiel des pollutions par hydrocarbures. Il n'est pas normal que l'amende infligée en cas de dégazage, dans l’hypothèse rare où le coupable est identifié, soit inférieure au coût de cette opération pratiquée dans des conditions légales. Enfin, nous devons remettre en chantier le régime international d’indemnisation pour les transports de produits chimiques et de matières dangereuses, qui reste très insuffisant.


La mer restera toujours périlleuse. Nous ne pourrons jamais écarter totalement les risques. Nous devons donc demander que soit lancé un véritable et ambitieux programme européen de recherche sur les moyens à mettre en oeuvre pour lutter beaucoup plus efficacement contre les conséquences d'éventuels accidents : détection plus rapide des risques ; renforcement des moyens de remorquage et de pompage ; mise en place de barrages plus performants ; traitement plus actif des produits polluants. Dans tous ces domaines, les Européens doivent rassembler leurs moyens scientifiques et financiers pour agir mieux et plus vite. Ce sera l’ambition de la Présidence française à partir du 1er juillet.




Mesdames et Messieurs,

Le respect de l'environnement a un coût. Mais l'ignorer coûte encore beaucoup plus cher. La sécurité du transport maritime a, elle aussi, un coût. Et chacun doit désormais en prendre toute sa part. Il n’est plus acceptable que la collectivité subisse de plein fouet des dommages causés par une course effrénée au profit. Il n’est plus admissible que nos côtes soient, une fois de plus, agressées par la marée noire.

Vous pouvez compter sur ma détermination, celle de la France, à agir en Europe et au niveau mondial. A partir de juillet, je le redis, notre pays présidera l'Union européenne et mettra à profit cette responsabilité. Dès à présent, nous travaillons, avec la Commission, à des propositions précises et concrètes.

Ni démission, ni amnésie. Il nous appartient, plus qu'à d'autres, d'aimer la mer et de la défendre.





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