Discours du Président de la République lors de la présentation des voeux du Corps diplomatique.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la présentation des voeux du Corps diplomatique.

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Palais de l'Elysée, le mardi 4 janvier 2000

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames, Messieurs,

Monsieur le Nonce,

Vos paroles m'ont profondément touché. Je forme à votre intention des voeux très sincères et, par votre intermédiaire, j'adresse à Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, au seuil de cette année exceptionnelle, les souhaits déférents et affectueux du peuple français.

Qu'est-ce que l'an 2000 ? Pour nombre de peuples que vous représentez, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, c'est le jubilé de l'avènement du christianisme dans l'histoire de l'humanité. Pour tous, la sensation d'un moment de passage entre un siècle et un autre, entre hier et demain, entre le passé et l'avenir.

Cette sensation est d'autant plus forte que, de plus en plus, les hommes, dans leur diversité, se réfèrent au même calendrier, comptent le temps de la même façon, vivent et partagent les mêmes événements, les mêmes images, les mêmes émotions.

Ensemble, portons nos regards sur le siècle nouveau. Franchissons ce seuil symbolique. Non pas en nous demandant de quoi ce siècle sera fait. Mais en réfléchissant à ce que nous voulons en faire.




Pour les Européens, la réponse est claire. La voie est tracée. Notre histoire nous oblige. Avec la Renaissance et pendant cinq siècles, l'Europe a su bâtir une civilisation rayonnante. Puis le choc de nationalismes exacerbés et la négation radicale de nos valeurs ont entraîné notre continent, et le monde avec lui, dans deux guerres terribles qui ont cassé, effacé l'Europe. Depuis cinquante ans, avec opiniâtreté et avec succès, nous réunissons les conditions d'une nouvelle renaissance européenne.

Fondée sur la liberté et la démocratie, sur un modèle économique et sur une exigence sociale, l'Union européenne a d'abord eu le mérite inouï de rendre la guerre impossible entre nos peuples. Et chaque élargissement signifie d'abord, de façon irréversible, la garantie de la paix et de la démocratie pour les peuples qui nous rejoignent.

C'est parce que les Balkans ont vocation à appartenir à cette Europe, c'est parce que la haine ethnique menaçait à nouveau de gangrener notre continent que nous avons réagi avec tant de détermination au Kosovo. Favorables à cette intervention, nos peuples ont compris que nous devions savoir tirer les leçons de notre histoire. Aujourd'hui, la situation reste préoccupante et appelle une extrême vigilance, qu'il s'agisse du Kosovo, mais aussi du Monténégro où le statu-quo ne doit pas être menacé. La clé d'une solution durable pour l'ensemble de la région demeure l'avènement d'un régime démocratique à Belgrade.

Les Européens doivent désormais apprendre à réconcilier leur histoire et leur géographie. Pendant quarante ans, l'Union européenne n'a pas eu à dessiner ses frontières : elles lui étaient imposées par le rideau de fer. En s'ouvrant à 13 pays candidats, l'Union affirme sa vocation à rassembler toute la famille européenne.

Penser une Union de 600 millions d'habitants et de plus de 30 Etats membres, c'est d'abord la doter d'institutions plus efficaces et plus démocratiques. Voilà une première tâche confiée à la présidence française qui succèdera, dans six mois, à celle du Portugal.

Nos deux pays, qui travaillent la main dans la main, veulent que l'Europe du XXIe siècle soit celle des hommes. Une Europe où l'on circule librement et en sécurité. Une Europe de la croissance et de l'emploi. Une Europe sociale. Une Europe, aussi, des universités et des pôles de recherche, pour que nos jeunesses fassent vivre notre Union par un dialogue intense de nos cultures. C'est leur diversité même qui fait notre richesse collective.

Pour s'affirmer dans le monde, l'Europe doit avoir tous les moyens pour agir. La présidence française devra donc faire progresser, avec pragmatisme, la défense européenne. L'Alliance atlantique demeure la pierre angulaire de notre sécurité. Mais les Européens doivent pouvoir assumer les responsabilités qui leur reviennent, au sein ou en dehors de l'Alliance. Là aussi l'objectif est clair. C'est désormais affaire de moyens et, donc, de volonté.

Aurons-nous la capacité de conduire les prochains et ambitieux élargissements, tout en poursuivant le renforcement de nos solidarités dans des domaines toujours plus nombreux ? Ma réponse est résolument positive. Elle se fonde sur le chemin parcouru en cinquante ans à peine. Même les plus optimistes des pères fondateurs n'avaient pas imaginé l'euro. La construction européenne, dans un processus continu, nous y a conduits. Nous l'avons voulu et c'est une réussite exemplaire, qui appelle à son tour de nouveaux progrès.

Ainsi va l'Europe. Plus vite et plus loin qu'on ne le dit. Le XXIe siècle verra, j'en suis sûr, l'affirmation de l'Union européenne, humaniste et prospère, puissante et pacifique, au premier rang des acteurs sur la scène mondiale.

Autre pôle de notre continent, la Russie. Sous la conduite du Président Eltsine et malgré d’immenses difficultés, elle a affirmé avec constance son engagement démocratique, sa volonté de réforme et d’ouverture, sa place éminente en Europe et dans le monde. Au nom d’une amitié qui plonge ses racines dans l’Histoire, la France fait confiance à la Russie pour confirmer au cours des prochains mois ces orientations essentielles. Je souhaite qu’elle trouve très rapidement en Tchétchénie, où les populations civiles sont meurtries, le chemin d’une solution politique et de la paix.




Agir dans le monde, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, c'est contribuer au règlement des conflits. Prendre du recul et de la hauteur, voir grand et loin, peut aider à établir la paix là où elle paraît encore difficile à concevoir.

Le conflit du Proche-Orient est né avec le siècle achevé. Puisse-t-il s'achever dans l'année où naît le nouveau siècle ! C'est le souhait de tous les peuples de la région. C'est la volonté publiquement affirmée par leurs dirigeants. Les Etats-Unis bien sûr, mais aussi la France, avec d'autres, leur apportent tout leur concours. A l'heure où reprennent les négociations syro-israéliennes, je forme les voeux les plus forts pour leur plein succès. Je souhaite que s'engagent dès que possible les discussions libano-israéliennes. J'espère enfin que, dans les délais prévus, l'accord israélo-palestinien sur le statut final pourra être adopté.

L'Europe peut aussi aider les partenaires de la paix en avançant des propositions concrètes, dans deux domaines en particulier.

L'eau d'abord. Trop rare dans tout le Proche-Orient, elle suscite depuis toujours des tensions qui touchent au plus profond de l'instinct de survie des peuples. Et elle est aujourd'hui l'un des enjeux les plus difficiles de la paix. Je souhaite que l'Europe, sur la base de son expérience de la gestion des ressources, apporte toute sa contribution à la recherche de solutions précises pour mieux répartir et surtout augmenter les quantités disponibles.

L'habitat et l'urbanisme ensuite. Ce sont deux urgences du futur Etat palestinien. La meilleure arme de la paix sera le développement. Un programme ambitieux pour la Cisjordanie et Gaza, en accompagnement d'un accord, apporterait un grand nombre d'emplois, une meilleure qualité de vie, des structures urbaines modernes. Déjà la France et les Pays-Bas unissent leurs efforts pour construire le port de Gaza. A la demande de l'Autorité palestinienne, l'Union européenne et la Banque mondiale pourraient élaborer une première esquisse cohérente dont la mise en oeuvre serait engagée, dès la signature du règlement, et étalée sur plusieurs années.

Oui, la paix est possible au Proche-Orient ! Pendant les mois décisifs de la négociation, qui coïncideront avec la présidence française de l'Union, l'Europe peut lui apporter un concours significatif en aidant à créer un état d'esprit nouveau à travers des solidarités de fait et une prospérité partagée. C'est cette approche qui a permis d'effacer l'antagonisme entre la France et l'Allemagne au lendemain de la guerre. Inspirons-nous de cette démarche ! Encourageons tous nos partenaires arabes à accompagner l'Autorité palestinienne, la Syrie et le Liban vers la paix en se plaçant eux aussi dans la perspective d'une normalisation de leurs relations avec Israël !

Pour donner à cette perspective toutes ses dimensions, j'ai proposé, vous le savez, que cet automne se tienne à Marseille le premier sommet rassemblant tous les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Europe et de la Méditerranée si, bien sûr, les progrès du processus de paix le permettent. Car c'est bien à l'échelle de notre mer commune que nous devons créer un espace organisé de stabilité et de paix, de coopération et de développement. Voilà une grande et belle ambition pour le siècle naissant !


L'Afrique doit être aussi notre priorité. Plus de la moitié des conflits recensés dans le monde s'y sont enkystés, enfermant de nombreux peuples dans le malheur et dans le désespoir. Cette situation est d'autant plus inacceptable qu'ailleurs, la communauté internationale a su se mobiliser pour imposer des solutions de paix.

C'est d'abord en Afrique centrale que nous devons agir. La guerre en République démocratique du Congo, en impliquant tous les Etats du pourtour, a entraîné la région dans une spirale sans fin d'affrontements et de destructions. Et pourtant, le chemin de la paix existe. L'accord de Lusaka l'a tracé, en décidant avec sagesse le retrait des forces étrangères et la réconciliation nationale. Il faut absolument que cet accord soit appliqué. Il faut que le Conseil de sécurité s'engage résolument en contrôlant, sur place, le cessez-le-feu et les retraits. La France est prête à apporter son concours au succès de cette opération nécessaire et urgente.

En accompagnement de l'action du Conseil, la convocation par l'ONU et l'OUA de la Conférence des Grands Lacs, depuis longtemps demandée par la France, vous le savez, permettrait de définir et de garantir les modalités d'une coexistence harmonieuse entre populations dans chaque Etat et d'une coopération entre les pays pour assurer enfin le développement de l'une des régions les mieux dotées du continent. La France présentera ce mois-ci au Conseil de Sécurité des suggestions détaillées à ce sujet.

S'il n'est pas de développement sans paix, il n'est pas non plus -je le souligne- de développement durable sans démocratie. Les derniers jours de l'année ont vu la démocratie à l'épreuve. La position de la France, vous le savez, reste constante : elle condamne le recours à la force et appelle au rétablissement d'un ordre constitutionnel respectueux des exigences démocratiques.

Il n'y a pas non plus de progrès possible en Afrique sans aide publique.

En deux ans seulement, l'Asie et l'Amérique latine ont renoué avec la croissance grâce aux réformes engagées avec le concours du Fonds monétaire international. Ces réformes, il faut les poursuivre jusqu'au bout, avec détermination, pour assurer une croissance solide et durable. Mais je veux ici saluer la remarquable réussite de politiques courageuses. Les perspectives sont désormais favorables dans le monde entier. Elles le seront aussi en Afrique si les efforts de bonne gouvernance conduits dans une majorité de pays sont épaulés par l'aide publique indispensable pour développer les infrastructures et les systèmes d'éducation et de santé.

La France a obtenu le maintien, au cours des cinq prochaines années, de l'aide que l'Union européenne apporte aux pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. C'est un beau succès et qui n'allait pas de soi. La France demande, au sein du G7, vous le savez, que les Etats dont la contribution est nettement inférieure à la sienne, profitent d'une conjoncture budgétaire exceptionnelle pour accomplir les efforts que la morale et l'équité commandent.

Il en va de même pour la dette des pays les plus pauvres. La France, qui sera la plus généreuse avec 40 milliards de francs d'annulation, lance un appel pour que les engagements pris à Cologne soient strictement tenus par tous. Si tel était le cas, la France pourrait proposer que le prochain sommet, en juillet à Okinawa, décide de porter à 100 % le taux d'annulation de la dette des pays les plus pauvres.

Une aide publique accrue ; une dette totalement effacée ; mais aussi un accès privilégié aux marchés des pays industrialisés, comme l'Europe l'a offert à Seattle : voilà les trois propositions de la France pour accompagner les efforts des pays les plus pauvres. Mises en oeuvre ensemble, ces trois orientations leur permettraient de bénéficier enfin de la mondialisation des capitaux et des technologies. Alors, unissons nos volontés, au nord et au sud, pour que le XXIe siècle soit celui d'une prospérité partagée !




Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

L'an dernier, devant vous, j'avais proposé que le sommet du millénaire, rassemblant tous les chefs d'Etat et de gouvernement de la terre, en septembre prochain à New York, adopte sept principes pour mieux maîtriser les mutations contemporaines et guider la société internationale au XXIe siècle. Une société marquée par le progrès constant des droits de l'Homme et de la démocratie et l'émergence d'une conscience universelle.

Je veux y revenir aujourd'hui, un mois après l'échec de Seattle, pour vous dire la conviction qui inspire la politique de la France : nous devons progressivement bâtir ensemble, autour de ces sept principes, une éthique de la solidarité. Elle seule permettra la gestion globale de nos interdépendances dans l'intérêt de tous.

Dans un monde où tout se tient, l'égoïsme, le repli sur soi, le refus de l'autre conduisent à l'échec de tous. Saisissons l'occasion unique du sommet des Nations Unies pour progresser vers une société mondiale mieux organisée et mieux acceptée !

Sans éthique de la solidarité, nous ne surmonterons pas des catastrophes naturelles de l’ampleur de celle qui endeuille aujourd’hui le Venezuela. Nous ne parviendrons pas à sortir de l'enlisement les négociations sur la protection de notre environnement ni celles sur le désarmement, deux domaines d'action dont dépend l'avenir même de l'humanité. Sans éthique de la solidarité, nous ne vaincrons pas le sida et les autres maladies infectieuses. Nous ne vaincrons pas le crime organisé, la drogue et le terrorisme.

Avec une éthique de la solidarité, nous pourrons enfin bâtir un système commercial mondial équilibré, prenant en compte, au Sud, les exigences du développement et, au Nord, les attentes de nos peuples. Pour le construire, nous devons aussi tirer quelques leçons de Seattle. Nous devons renforcer l'OMC, réformer ses procédures, établir des liens de coopération organisée avec les autres institutions internationales.




Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Une renaissance européenne, la paix, le développement, une éthique de la solidarité : voilà les ambitions de la France pour le siècle qui naît.

C'est ce message que je vous demande de transmettre, avec mes voeux personnels les plus chaleureux, à tous vos chefs d'Etat et de gouvernement, qui sont souvent, pour moi, des amis. A l'intention de chacune et de chacun d'entre vous et de vos familles, à l'intention de tous vos peuples, je forme les souhaits les plus sincères, les plus cordiaux de bonheur et de prospérité.

Bonne et heureuse année à tous ! Bonne et heureuse année à tous vos pays !





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