Allocution du Président de la République lors de la réception de l"Anti-Defamation League".

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la réception de "l'Anti-Defamation League of B'Nai B'RITH".

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Palais de l'Elysée, Paris, le mercredi 16 février 2000.

Monsieur le Président,
Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Grand Rabbin,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Mes Chers Amis,

D'abord merci à vous, Monsieur le Président, et à celles et ceux qui ont fait le voyage des Etats-Unis pour venir jusqu'ici. J'y suis extrêmement sensible et je tiens à vous exprimer ma très grande reconnaissance.

Merci également aux personnalités françaises que je connais bien et qui ont répondu à votre invitation.

La distinction qui m'a été décernée par l'Anti-Defamation League m'honore profondément.

Elle m'honore, parce que j'admire l'engagement de votre association dans le combat pour la paix, la dignité, les droits de la personne humaine. Je sais le courage et l'opiniâtreté de vos actions pour davantage de justice et davantage de tolérance. J'apprécie sa grande vigilance. Je mesure son audience et l'autorité morale dont elle jouit auprès des dirigeants du monde entier. Et je veux saluer sa contribution aux progrès de l'humanisme et de la démocratie dans tous les pays. Cette distinction, faite par l'un des plus brillants sculpteurs de notre époque, mon ami, Monsieur Yaacov AGAM, je la reçois comme un encouragement à poursuivre sans relâche ce combat qui est le vôtre et qui est aussi le mien.

*

Vous avez évoqué, Monsieur le Président, certaines positions ou certaines décisions que j'ai été amené à prendre, qu'elles concernent la façon dont un pays peut vivre sa propre histoire, ou qu'elles concernent, plus généralement, le combat contre l'intolérance, contre la haine, à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières.

Vous avez notamment rappelé le discours par lequel, il y a cinq ans, j'ai affirmé solennellement, au nom de la France, la responsabilité de l'Etat français, du Gouvernement de Vichy, dans l'arrestation, la déportation et la mort de milliers et de milliers de Juifs.

Cette vérité, nous la devions aux victimes de l'Holocauste, à leurs proches, à leurs enfants, aux survivants qui, trop longtemps, ont dû vivre seuls avec leurs souvenirs, des souvenirs insuffisamment partagés.

Cette vérité, le moment était venu, je crois, de la dire. Les esprits désormais semblaient prêts à l'entendre. Un demi-siècle s'était écoulé. Les raisons qui avaient conduit au silence appartenaient au passé.

Désormais, le temps de l'Histoire est venu. Le temps de la mémoire assumée. Le temps des connaissances transmises. Le temps, aussi, de la vigilance et de la responsabilité.

La mémoire assumée, c'est le regard plus serein que les Français portent désormais sur leur passé. Ce sont les procès qui ont pu avoir lieu, et qui, au-delà des hommes, ont permis de mieux comprendre ce qui s'était accompli pendant les années sombres. Ce sont les travaux de la commission d'enquête sur les spoliations présidée par Monsieur Jean Matteoli. Ce seront demain les propositions que fera la commission d'indemnisation présidée par Monsieur Pierre Drai.

Les connaissances transmises, c'est la défaite définitive des odieuses falsifications de l'histoire tentées dans les années 80, autour des thèses dites négationistes. C'est la force des livres, des documents, des films, et je pense à l'admirable Shoah de Claude Lanzmann. C'est l'émotion des jeunes confrontés à l'indicible. Je n'oublierai jamais le bouleversement d'un groupe de jeunes lycéens français que j'avais emmenés à Auschwitz, il y a trois ans. La révolte intérieure dans ce temple de la mort et de la négation de l'homme. Leur besoin de savoir et de comprendre. Leur volonté de se porter aux avant-postes du combat pour la justice et la fraternité.

Le temps de l'Histoire, c'est aussi le temps de la responsabilité et de la vigilance. Le combat pour l'homme est un combat qui ne se divise pas : il est du présent comme du passé.

C'est au nom de ce combat que je lutterai toujours, de toutes mes forces, contre la haine, l'intolérance, le rejet de l'autre, qui ont trouvé, hélas, dans notre vie politique, des relais, des espaces d'expression.

C'est au nom de ce combat que, dès mon élection au printemps 1995, j'ai voulu, et obtenu, qu'un coup d'arrêt militaire soit donné en Bosnie. Unissant nos forces, nous avons mis un terme à une "purification ethnique" qui était une honte pour notre continent. Notre victoire sur les forces de la haine a permis l'accord de Dayton, qui a été signé ici même, dans cette pièce, il y a quatre ans. Depuis, les armes se sont tues. Mais il faudra encore de longs efforts et beaucoup de temps pour que la paix s'installe dans les coeurs et que les valeurs qui fondent la construction européenne soient acceptées par tous en Bosnie.

L'année dernière, la même "purification ethnique" s'est déchaînée au Kosovo contre la population albanophone. Une fois encore, j'ai voulu que la France soit au premier rang pour dire non à l'inacceptable. Et lorsque les négociations de Rambouillet ont buté sur le refus obstiné de Milosevic d'accepter une force de protection internationale, c'est ensemble qu'Américains et Européens ont mené un juste combat pour la victoire de nos valeurs communes. Des valeurs qu'il faut maintenant faire vivre au Kosovo et ce n'est pas facile. Des valeurs qui finiront par gagner en Serbie, comme elles viennent de gagner en Croatie.

Bien sûr, ce combat pour les droits de l'Homme, pour la dignité et le respect de la personne humaine, peut emprunter bien des chemins. S'il exige parfois le recours à la force armée, à l'intervention militaire, il peut aussi, dans d'autres circonstances, user des voies de la persuasion et des pressions politiques.

Dans cet esprit, les Européens avaient le devoir de dire aux dirigeants autrichiens qu'ils condamnaient l'arrivée au pouvoir d'un parti dont l'idéologie est extrémiste et xénophobe. Il est important qu'ils aient très vite et tous ensemble décidé de prendre des mesures et de les appliquer strictement. Car l'Union européenne est d'abord une communauté de valeurs. Remettre en question les principes d'humanisme et de respect de la dignité humaine reviendrait à remettre en question la raison d'être-même de l'Union européenne. Pour l'avenir, les Européens devront être et seront, j'en suis sûr, d'une absolue vigilance.

A partir du 1er juillet, la France présidera l'Union européenne. Sachez que l'exigence éthique, la préoccupation humaniste, la volonté de défendre les droits de l'Homme partout où ils sont bafoués ou menacés, seront au coeur de notre action pendant ces mois de présidence. Car partout et toujours la même démarche et la même exigence s'imposent : faire progresser une certaine idée de l'Homme.

Mais pour lutter contre le racisme et l'intolérance, contre la lâcheté et le renoncement, on ne peut seulement se satisfaire de la puissance du témoignage et de la condamnation, de l'explication et de la leçon, de la colère et de l'indignation. Il faut encore faire appel sans relâche, chacun à sa place, dans la vie de tous les jours, à la force de l'exemple, au partage des convictions.

Dans ce combat, combat toujours renouvelé contre les préjugés, la peur, l'indifférence, l'égoïsme, tous les soutiens sont les bienvenus. Et je vous suis reconnaissant, Monsieur le Président, de m'apporter le vôtre. Le soutien d'une organisation pionnière, vous l'avez rappelé dans votre propos tout à l'heure, pionnière dans la lutte contre le racisme, à laquelle je veux dire, une fois encore, toute mon estime et toute mon amitié.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je vous remercie.





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