Allocution du Président de la République à l'occasion du bicentenaire du corps préfectoral.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du bicentenaire du corps préfectoral.

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Palais de l'Elysée, le jeudi 17 février 2000

Monsieur le Premier ministre, Monsieur le ministre de l’Intérieur, Mesdames et messieurs les ministres, Les anciens ministres de l’Intérieur, Monsieur le président du Sénat, Mesdames et messieurs les préfets, Mesdames et messieurs les sous-préfets, Mesdames et messieurs,

C’est avec un très grand plaisir que je vous retrouve pour la réception annuelle du corps préfectoral. Je suis heureux de saluer, en particulier, les anciens ministres de l’Intérieur que j’ai souhaité associer, comme il était légitime, à cette réunion.

Cette cérémonie est traditionnellement placée sous le signe de l’actualité. Ainsi l’exige la nature de vos fonctions, en prise directe sur les situations de crise et sur les évolutions de notre société.

Cette année, nous avons rendez-vous avec l’histoire. L’histoire de votre corps, dont nous célébrons aujourd’hui très exactement le bicentenaire. Mais aussi celle de l’Etat, auquel vos prédécesseurs ont payé un lourd tribut d’énergie, de courage et de dévouement. Certains ont profondément marqué l’histoire, comme Jean Moulin.

Quel était exactement le but du Premier Consul quand, à la fin de l’hiver 1800, il envoie dans les 83 départements ces préfets, que la loi du 28 Pluviôse an VIII désigne comme "seuls chargés de l’administration" ? Il visait me semble-t-il deux objectifs, en apparence contradictoires, mais en réalité complémentaires, et qui donnent à votre fonction son visage en même temps que sa légitimité.

Il voulait d’abord ramener la paix dans un pays encore en proie à la discorde civile, calmer les dissensions, assurer la sécurité des approvisionnements, en un mot garantir aux Français la sécurité qu’ils réclamaient après dix ans de troubles révolutionnaires.

Mais si l’ordre que les Préfets se voyaient ainsi chargés d’instaurer devait être durable, il ne devait pas être conservateur. La sécurité n’était que le préalable à la modernisation du pays. La circulaire du 12 mars 1800 demande ainsi aux préfets de faire partout rentrer dans les faits les principes nouveaux que représentaient la liberté et l’égalité.

Aujourd’hui intimement liée à la République, l’institution préfectorale a été au coeur de toutes les grandes évolutions voulues par notre pays : la construction du réseau ferroviaire, l’extension de l’enseignement public, la modernisation de l’agriculture et le développement de l’industrie au XIXe siècle ; la reconstruction après les deux guerres mondiales ; l’aménagement du territoire et l’expansion économique au cours des Trente glorieuses ; et, depuis 1982, la mise en place de la décentralisation, cette grande ambition qui reste encore et restera longtemps à parachever.

Sécurité des citoyens, modernisation de l’Etat : ces deux objectifs restent 200 ans après au coeur de la mission préfectorale. C’est de leur réussite que dépend la capacité de l’Etat à répondre aux attentes des Français.




La sécurité est votre première mission, la plus haute et la plus exigeante. On l’a vu récemment à l’occasion des tempêtes qui ont frappé notre pays et dans lesquelles vous avez su apporter à nos concitoyens le secours et l’attention qu’ils attendaient de vous.

Première attente des Français, la sécurité sous toutes ses formes nécessite de votre part un engagement total.

C’est vrai d’abord dans le domaine de l’ordre public. Il revient au préfet de veiller partout à l’exacte application de la loi, garante de l’indivisibilité de la République et aussi de l’égalité des citoyens. Claude ERIGNAC, assassiné il y a deux ans, le 6 février, a payé de sa vie la défense de ce principe. Je veux adresser à son épouse que je salue ici, respectueusement et affectueusement, à sa famille, aussi, en notre nom à tous, l’hommage le plus amical et le plus respectueux. Les membres du corps préfectoral ont le souci de faire respecter partout les idéaux républicains qui étaient les siens, avec le même esprit de rigueur et d’ouverture.

Avec raison, les Français sont particulièrement inquiets face au fléau, fléau mondial de l’insécurité. Je n’ignore pas, et je salue, les efforts que vous avez entrepris, depuis plusieurs années, pour lutter contre toutes les formes de délinquance. Ces efforts doivent être poursuivis avec détermination.

Nous ne pouvons pas laisser s’installer une culture de l’incivilité, de la violence et de l’indifférence. Ce serait la négation même de notre modèle politique et social.

Le Préfet est là pour le rappeler. L’ordre public, c’est d’abord l’ordre républicain. Là où la violence s’installe, il n’y a plus de liberté, mais une insécurité qui paralyse la vie en commun. Il n’y a plus d’égalité, mais une fatalité qui condamne les jeunes à rester hors jeu s’ils n’habitent pas le bon quartier ou s’ils ne fréquentent pas la bonne école. Il n’y a plus de fraternité, mais une fragmentation de l’espace social, qui laisse la place à toutes les dérives communautaristes.

Depuis 1995, la police et la gendarmerie procèdent à une réorientation de leurs missions pour mettre en place une police de proximité ce qui se fait petit à petit. Elle se développe actuellement avec la mise en place des contrats locaux de sécurité. Vous y prenez une part déterminante.

La bonne application du concept de police de proximité ne peut procéder que d’une entente déterminée entre le Préfet et le Maire. Le Maire doit pouvoir exercer de plus en plus sa capacité d’initiative, de prévention, d’aide aux victimes et, le cas échéant, de police municipale. Le Préfet, sans se substituer à quiconque, assure la cohérence et la coordination de toutes les politiques publiques. Dans le domaine de la justice, il doit collaborer avec le Parquet et aussi veiller à une application effective des décisions des Tribunaux.

Cette part essentielle de votre mission implique une grande capacité d’analyse et d’écoute, d’adaptation aux réalités locales et de motivation de tous les intervenants, bref une forme renouvelée d’action administrative.

La lutte contre la délinquance est l’affaire de tous les services de l’Etat, qu’ils relèvent directement de votre autorité ou non. Je pense aux efforts entrepris par la Justice pour apporter à tous les délits une réponse en temps réel. Une réponse qui puisse à la fois accorder réparation aux victimes et empêcher les délinquants de glisser vers la criminalité. Je pense aussi à l’Education Nationale, où la situation ne s’améliorera que si enseignants, parents, élus et pouvoirs publics assument en commun leurs responsabilités. Chacun commence à comprendre que le laxisme qui excuse est aussi le laxisme qui exclut. Je pense enfin aux services sociaux , à la protection judiciaire de la jeunesse, aux directions de la jeunesse et des sports que les Préfets et les Sous-Préfets chargés de la politique de la ville doivent associer à une démarche ambitieuse de recomposition du tissu social et d’intégration républicaine.

Je vous rappelle enfin une autre forme de violence qui sévit sur nos routes. Malgré les progrès réalisés, la route a tué encore plus de 8200 personnes depuis un an et en a blessé 170 000. Il y a là un phénomène barbare, qui est une honte pour notre pays, et contre lequel vous devez mobiliser tous les moyens, préventifs et répressifs. Y a-t-il une fatalité à ce que les fins de semaine soient endeuillées par la mort de tant de jeunes faute de contrôles, par exemple à la sortie de certaines boîtes de nuits ?


Au-delà de la sécurité publique, vous êtes aussi les premiers responsables de la sécurité civile. Les événements récents l’ont montré : qu’il s’agisse de la marée noire ou de la tempête de décembre, c’est vers le maire -mais aussi vers le Préfet- que chacun se tourne dans les moments de crise. Je tiens à vous adresser mes remerciements et mes félicitations pour le professionnalisme et le dévouement dont vous avez fait preuve dans ces moments difficiles.

Plus qu’ailleurs, l’Etat a besoin, en matière de sécurité civile, d’une autorité unique et clairement identifiée. Le Préfet peut seul l’assurer, en transcendant dans l’intérêt général tous les cloisonnements administratifs.

Ce rôle de coordination opérationnelle est difficile. Il nécessite un dialogue permanent avec les élus qui président les conseils d’administration des services départementaux d’incendie et de secours ; il demande une attention particulière aux attentes des différents intervenants, qu’ils possèdent le statut de professionnels ou de volontaires, de civils ou de militaires, en donnant leur juste place aux associations caritatives et aux services hospitaliers qui y concourent.

Ceci suppose une minutieuse préparation des plans de prévention des risques autant qu’une capacité de mobilisation en cas d’accident. Votre tâche est essentielle dans ces deux directions.

Pour que la nécessaire coordination des services de l’Etat s’exerce dans les meilleures conditions, une réflexion est en cours sur le rôle et le découpage géographique des zones de défense. Je suis particulièrement attentif à la recherche de la meilleure articulation possible entre l’organisation militaire territoriale et la pleine capacité d’exercice de la responsabilité fondamentale des Préfets.

Notre système de sécurité civile s’est construit de manière empirique. Après la loi de 1987, il a été complété par celles de 1996. Il pourrait encore être perfectionné pour mieux reconnaître le rôle de chacun, mais il a fait ses preuves. Les Français témoignent en particulier aux sapeurs-pompiers une reconnaissance méritée. Dans les missions qu’ils ont conduites à l’étranger, les agents de la sécurité civile ont été des ambassadeurs efficaces et reconnus. Tous ont droit à notre gratitude.


Garant de la sécurité des Français sous toutes ses formes, l’Etat doit enfin prendre pleinement en compte les risques qui se manifestent dans le domaine de l’environnement, de la santé et de l’alimentation.

Cette mission éminemment régalienne n’est pas nouvelle pour vous : c’est en effet Chaptal qui, en tant que ministre de l’Intérieur, a jeté, en 1801, les bases de la surveillance sanitaire du bétail, au moment même où le Sous-Préfet Maine de Biran s’illustrait par des campagnes de vaccination dans l’arrondissement de Bergerac, le premier touché. Mais aujourd’hui plus que jamais, la qualité de la chaîne alimentaire, la protection de l’environnement et la sécurité sanitaire sont aux yeux des Français une des responsabilités majeures de l’Etat. Il y a là une fonction qu’il ne peut pas déléguer, et que les Préfets doivent assumer personnellement. D’abord parce qu’elle exige de l’autorité, pour résister aux pressions de toutes sortes ou trancher face à des avis techniques qui parfois peuvent diverger. Mais aussi parce qu’elle requiert une approche transversale, mobilisant de nombreuses administrations, qu’il s’agisse des services vétérinaires, de ceux de l’action sanitaire et sociale, de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou encore ceux de l’industrie, de la recherche et de l’environnement.

Cette mission de synthèse et d’autorité vous appartient en propre. Et je vous demande de l’exercer avec toute la vigilance que les Français sont en droit d’attendre à ce sujet des pouvoirs publics.




Responsables de la sécurité, les Préfets doivent aussi être les agents de la modernisation de l’Etat dans les départements et dans les régions. Les deux missions sont plus proches qu’on ne pourrait le croire : elles renvoient toutes deux à la nécessité d’une conduite opérationnelle des services de l’Etat. Aux instants de crise, le Préfet redevient naturellement le catalyseur de toutes les énergies. Dans la gestion quotidienne des affaires, il doit s’efforcer de mettre en cohérence les services publics, au-delà de la complexité qu’entraînent la décentralisation ou la nécessaire spécialisation des administrations de l’Etat.

Profondément attachés au rôle de l’Etat, les Français attendent de lui qu’il soit le plus efficace possible. Cela suppose à la fois une redéfinition de ses missions et une modernisation permanente de ses modes d’intervention.

Dans de nombreux domaines, l’Etat possède une légitimité qui ne cesse de se renforcer. C’est vrai, on l’a vu, pour la sécurité ou pour le maintien de la cohésion sociale. Le rôle du corps préfectoral, par exemple dans les conférences intercommunales du logement, sa capacité d’arbitrage et de contractualisation avec les collectivités et les bailleurs sociaux, son rôle dans l’animation de plusieurs dispositifs d’insertion sont l’une des clés de l’équilibre et du fonctionnement républicain de nos instances et de nos institutions locales.

Face à l’urgence de ces besoins, on peut en revanche s’interroger sur l’opportunité pour l’administration de conserver certaines tâches de gestion. Le renforcement de l’interministérialité, qui pousse les services de l’Etat à mettre en commun leurs moyens, et surtout le développement des nouvelles technologies devrait permettre dans ce domaine de réaliser des économies d’effectifs et de moyens. L’usager et le citoyen ont tout à gagner à ce que les emplois ainsi libérés soient redéployés vers l’accueil du public et vers d’autres missions opérationnelles.

Les possibilités de réussir la modernisation de l’Etat sont, je crois, plus grandes que jamais. D’abord parce que les technologies de l’information font évoluer profondément la nature du travail administratif. Mais aussi parce que les évolutions démographiques conduiront près de la moitié des agents de l’Etat à partir en retraite au cours des dix prochaines années, aggravant sans doute les difficultés de financement des pensions, mais créant aussi les conditions d’un renouvellement en profondeur du service public. Dans ce contexte, la gestion prévisionnelle des effectifs devient une nécessité. Il faut dès maintenant, en concertation avec les agents et leur représentants, réfléchir aux moyens de tirer le meilleur parti de ces marges de manoeuvre, avec le souci d’anticiper les besoins des Français dans dix ans.

Dans le cas particulier des préfectures et des sous-préfectures, il importe de libérer les agents des tâches gestionnaires et répétitives pour les associer autant que possible à la mission de contact, de conseil et de dialogue du corps préfectoral. Plus généralement, dans tous les services publics, l’accueil doit demeurer une priorité, afin que les Français trouvent partout une administration efficace, soucieuse de faciliter l’exécution des démarches indispensables à la vie de la cité. Je pense en particulier aux personnes en grande difficulté, dont le nombre va, hélas, croissant, et qui doivent pouvoir être reçues par des agents bien formés pour les comprendre, dialoguer avec elles et les guider.


Recentré sur les missions qui lui appartiennent en propre, l’Etat doit également se moderniser. A tous les niveaux de l’administration territoriale, cela signifie d’abord réussir la déconcentration.

La modernisation des services territoriaux de l’Etat est le corollaire nécessaire du renforcement de la démocratie locale. L’Etat doit être capable de s’engager auprès des élus sans devoir en référer systématiquement à Paris. Partout en Europe, l’affirmation des pouvoirs locaux est source de dynamisme. Elle est libératrice d’énergies nouvelles. L’Etat moderne joue son rôle quand il assume pleinement les missions qui lui reviennent en propre. Au niveau local, il doit être de plus en plus à l’écoute des initiatives. Il doit être, je le dis souvent, un facilitateur de projets.

Aux yeux de l’usager, de l’élu ou du chef d’entreprise qui souhaite créer un nouvel établissement, les services territoriaux de l’Etat ressemblent encore trop souvent à une hydre dont les têtes sont dispersées aux quatre coins du département et dont le corps est à Paris. C’est l’héritage d’une longue tradition jacobine, qui fait que les services locaux se sont, historiquement, développés à partir de l’administration centrale.

Le préfet qui représente l’ensemble des Ministres dans le département, a le devoir de renforcer la coopération entre les services territoriaux autour d’une stratégie adaptée aux réalités locales. C’est une mesure d’économie qui permet, on l’a vu, de mettre en commun les moyens des différentes administrations. C’est un gage de simplification pour l’usager qui, quelle que soit la diversité des circuits administratifs, doit pouvoir s’adresser à un interlocuteur unique. C’est aussi la seule façon de proposer aux élus des partenariats durables. C’est enfin un facteur d’efficacité, à l’heure où les politiques de l’emploi, de la ville ou de la sécurité, nécessitent une intervention pluridimensionnelle de l’Etat, capable de prendre en compte la complexité des enjeux économiques et sociaux.

Au service de cette modernisation de l’Etat, vous disposez d’outils nouveaux. La loi de finances a prévu cette année de regrouper, dans quatre préfectures, l’ensemble des crédits de personnel et de fonctionnement au sein d’une enveloppe fongible. Cette expérience fait suite à la globalisation des crédits de l’emploi ainsi qu’à la mise en place du fonds de modernisation de l’Etat. Je souhaite qu’elle permette aux Préfets de construire, en concertation avec les agents du cadre des préfectures, une administration locale adaptée à ses missions et tournée vers l’usager.

La démarche des projets territoriaux, qui engagent toutes les administrations de l’Etat sur des objectifs propres à chaque département, doit également se mettre en place avec le souci d’innovation. Elle ne peut qu’accroître la lisibilité de l’action publique. Elle est très attendue par les élus.

Les technologies de l’information doivent enfin être pleinement utilisées notamment pour éviter les démarches inutiles. J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer qu’il fallait progresser plus rapidement dans ce domaine, au-delà des 20 % de formulaires qui sont déjà, heureusement, en ligne. C’est à ce prix que nous rénoverons un service public dont les Français attendent avant tout qu’il simplifie leur vie quotidienne.




Mesdames et messieurs les préfets et les sous-préfets,

Vous êtes depuis deux siècles le bras séculier du gouvernement. Vous-mêmes et vos collègues retraités, dont je salue la présence aujourd’hui, vous le savez bien : c’est à vous que l’on s’adresse chaque fois qu’il faut faire marcher le temps administratif au rythme plus rapide des urgences publiques et politiques. C’est vers vous que chacun se tourne pour faire appliquer la loi, c’est-à-dire d’abord maintenir l’ordre et la sécurité, mais aussi et de plus en plus, mettre en oeuvre des dispositifs ambitieux qui, pour prendre corps dans la réalité sociale, nécessitent une action de longue haleine et une coopération de tous les services de l’Etat.

Je vous remercie pour le dévouement que vous consacrez à cette tâche. Je salue particulièrement celles et ceux d’entre-vous qui oeuvrent outre-mer. Ils témoignent de ce que la France, dans l’universalité des principes de la République, est un pays aux multiples visages, riche de son unité comme de sa diversité.

Je remercie également vos conjoints. Je sais la part très importante qu’ils prennent à vos fonctions de représentation et les sacrifices aussi qu’ils consentent pour vous permettre d’exercer votre mission.

Les Français attendent de vous une administration toujours plus moderne, qui réponde aux idéaux républicains. Il vous revient de répondre à ce défi, en faisant vivre une institution qui, dans notre pays, est inséparable de l’exercice de la démocratie.

Je vous remercie.





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