Allocution du Président de la République à l'occasion de la remise du prix de l'Audace créatrice.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la remise du prix de l'Audace créatrice.

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Palais de l'Élysée, le mardi 22 février 2000

Monsieur le Président,

Messieurs les membres du jury du prix de l’audace créatrice,

Mesdames et Messieurs les chefs d’entreprise,

Chers amis,

Il suffit de jeter un regard sur l’assistance de ce matin, à l’Elysée, pour voir combien l’économie française a changé.

Elle a changé parce que le monde a changé.

Depuis plusieurs années déjà, nous vivons une période de mutation accélérée de notre structure économique et industrielle. C’est une période dérangeante, comme toutes les périodes de mouvement. Mais c’est une période exaltante, riche de promesses, d’emplois nouveaux, riche aussi de la découverte d'autres espaces, d'autres libertés pour tous ceux qui veulent gagner et faire gagner notre pays.

L’économie de demain est désormais au coeur de la réflexion et de l’action des décideurs économiques. L’effort d’adaptation est considérable. Il faut repenser nos méthodes, nos règles, nos concepts, promouvoir de nouvelles valeurs. Il vous faut prendre des risques dans un environnement moins assuré qu’autrefois. Il faut fixer des objectifs ambitieux, que ce soit pour les entreprises ou pour l’Etat.

Le but est à la fois simple et exigeant : faire réussir la France. Lui assurer sa place et son rang dans le monde de demain, un monde plus concurrentiel d'où émergent de multiples acteurs. Garantir à nos concitoyens que les emplois se fixeront bien sur notre sol. En un mot, maîtriser notre destin en tant que collectivité.

Nous devons miser sur le dynamisme, la créativité et le goût d’entreprendre qui animent les Français. Il existe. Il est puissant. Plus fort qu’on ne le dit souvent. C’est pourquoi je suis heureux de remettre, Monsieur le Président, le prix de l’audace créatrice que vous avez fondé avec le Journal des Finances et Valeurs Actuelles.

Votre jury a justement choisi de récompenser une entreprise qui est au coeur de cette nouvelle économie. Une entreprise née il y a à peine dix ans et qui recrute déjà près de 1000 ingénieurs par an.

Simon AZOULAY, je vous adresse mes plus vives félicitations, à vous mais aussi à l’ensemble de vos collaborateurs et à tous ceux qui vous ont accompagné dans la réalisation de votre projet. Vous représentez cette nouvelle génération d’entrepreneurs dont la France a besoin. Cette France innovante. Ces nouveaux services devenus essentiels à notre croissance. Un secteur d’activité où tant de places sont encore à prendre dans la compétition mondiale.

Je souhaite qu’ALTEN, comme l’ensemble des entreprises présentes aujourd’hui, puisse continuer à croître et à renforcer ses positions.

L'expansion, ce sont des entreprises comme la vôtre qui la feront, au bénéfice de tous.

En Europe, et en particulier en France, la dernière décennie a été rude pour la croissance, pour l'investissement et pour l'emploi. Nous l'avons terminée avec un taux de chômage qui reste supérieur à celui de 1989 malgré l'amélioration de ces dernières années. Dans le même temps, les Etats-Unis connaissaient une expansion forte et continue, réussissant à ramener le chômage à un niveau historiquement très faible.

Trois périodes se sont succédées au cours de ces années difficiles. La période noire de la récession et de l'explosion du chômage, qui fut celle de l'envolée des déficits publics, de l'argent cher, de l'exclusion. La période du courage et de l'effort, période de la préparation à l'euro, de la réduction des déficits et de la stabilisation du chômage. Puis la période des récoltes, celle de la croissance retrouvée et de la réduction du chômage.

Elle s'est ouverte dès la fin de 1996, quand la France a commencé à redevenir créatrice nette d'emplois. Elle s'est ensuite affirmée et consolidée. La perspective de l’euro puis sa réalisation ont permis de la fortifier et de la préserver largement des turbulences que l'Europe et le monde ont connues, notamment à la suite de la crise asiatique de 1997 et 1998. L’euro est sans aucun doute pour nous un atout majeur.

L'évolution récente est de nature à nous rendre ardeur et optimisme. Mais rien n'est définitivement acquis. Une croissance durable ne se constate pas à l'avance, pas plus qu'elle ne se décrète ; vous l’avez dit vous-même, elle se gagne. Et, pour nous, elle se gagne d’abord en France.

Nous devons réduire ce qu'il y a de conjoncturel et de volatil dans la croissance actuelle et augmenter ce qu'elle comporte de structurel et de fort.

Le rattrapage des retards d'investissement accumulés depuis le début des années quatre-vingt-dix est à peine commencé. Sa poursuite sera un gage important de croissance durable. L'essor très rapide des technologies de l'information va dans le même sens.

Mais si nous voulons que la "nouvelle économie" comme on dit aujourd’hui profite aux Français, à tous les Français, il faut faire des choix, et d'abord celui de l'innovation. Ne pas se résigner à subir une domination technologique qui se transformerait insensiblement en domination économique puis culturelle. Aujourd'hui, 80 % des échanges sur internet sont réalisés à partir de quatre sites américains de commerce électronique. Aux Etats-Unis, les dépôts de brevets sont douze fois plus nombreux qu'en France. Bien sûr, l'Europe reste dans la course. Ses atouts sont intacts. Le téléphone mobile, la télévision numérique, la carte à puce, les terminaux intelligents sont des pôles d'excellence français et européens. Nous pouvons donc jouer un rôle de premier plan dans la conception de l'internet de la seconde génération. Les changements du monde sont rapides. Il faut saisir les chances qui nous sont offertes aujourd'hui.

Cela suppose une approche globale de la société de l'information, une politique qui actionne tous les leviers. Familiariser les enfants à l'ordinateur dès l'école primaire. Former les jeunes aux technologies de l'information en ouvrant de nouvelles filières à tous niveaux de qualifications. Donner aux Français un droit personnel à la formation tout au long de la vie. Soutenir la recherche. L'orienter vers l'entreprise et vers la création d'activité. Encourager les entreprises de croissance. Leur donner accès aux meilleurs financements. Multiplier les initiatives locales pour populariser l'utilisation de l'internet. Veiller au respect de la concurrence pour faire échec aux positions dominantes qui stérilisent la créativité et empêchent les baisses de tarifs.

Et surtout faire droit à des exigences qui s’imposent de plus en plus : la mobilité, le changement, la prise de risque, l'initiative, l'autonomie, la créativité, la diversité, la rapidité, l'imagination. Ces qualités sont celles qui font réussir. Il faut les cultiver. Il faut les récompenser. C'est ainsi que nous irons à la conquête de l'avenir. En refusant l'inertie. En secouant l'ankylose qui condamne une partie du corps social à rester à l'écart du mouvement général. En renonçant à une approche étatique de l'évolution de la société, aujourd'hui trop éloignée de la réalité vivante de notre pays.

Cette belle aventure de la modernisation, nous ne pouvons pas la mener seuls. Elle ne passe pas par l’empilement de nouvelles réglementations nationales. Elle se joue à l'échelle de l'Europe. Qu'il s'agisse de développer des programmes de recherche ambitieux, de mettre en place des pôles universitaires d'envergure mondiale, de construire des autoroutes de l'information performantes et rapides, de développer de nouvelles coopérations industrielles ou de définir des normes protectrices pour le commerce électronique, nous ne serons vraiment armés, vraiment puissants, que si nous sommes ensemble. C'est la raison pour laquelle la France a vivement appuyé l'idée de réunir à Lisbonne, en mars prochain, un Conseil européen extraordinaire consacré à la réforme économique, à l'emploi et à l'innovation. J'y défendrai une stratégie européenne ambitieuse au service de la nouvelle économie. Je souhaite un engagement collectif en faveur de la modernisation et de la rénovation de l’Europe économique et sociale.

Assurer une croissance durable suppose aussi que nous sachions traiter dès maintenant les problèmes qui hypothèquent l'avenir des Français. Je pense à notre modèle administratif, qu'il faut cesser de considérer comme intangible. Près de la moitié des agents de l'Etat partiront à la retraite au cours des dix prochaines années. C'est une occasion unique de repenser les priorités de l'Etat et ses formes d'action, pour éviter de reproduire à l'identique un système qui a vocation à avancer au rythme de la nation et du monde. Nous ne pouvons nous résoudre à demeurer, comme une récente étude de l’OCDE vient de le montrer, le pays en queue de peloton pour les contraintes administratives de toute sorte qui pèsent sur l’activité des entreprises.

Je pense à notre protection sociale, fragilisée par la dérive des dépenses d'assurance maladie et par les retards pris par la modernisation de l'hôpital public.

Je pense aussi aux perspectives alarmantes de l'évolution de nos régimes de retraites, dont le véritable traitement reste à venir. Il sera d'autant plus difficile que nous aurons tardé à le mettre en oeuvre.

La préférence pour le présent et ses facilités a toujours un coût pour l'avenir. Face aux responsabilités, chacun doit en être conscient.

Je pense enfin aux réglementations et aux charges qui contrarient l'activité et l'emploi. Même si le recul manque pour pouvoir mesurer objectivement les effets à moyen terme des 35 heures, il est certain que cette mesure, telle qu'elle est mise en oeuvre, ne sera pas sans effet sur le dynamisme de notre économie.

De plus en plus, la réduction de la durée du travail sera rendue possible par le progrès technologique. A côté du salaire et des conditions de travail, elle constitue une aspiration pour beaucoup de salariés. Mais il n’est jamais bon de procéder de manière uniforme et obligatoire car, dans notre société, les situations, les besoins et les aspirations sont très divers.

Le poids du financement de la loi, l'augmentation des coûts qu'elle implique, les difficultés pour beaucoup de PME qui ne rempliront pas les conditions pour bénéficier de compensations financières, les contraintes juridiques nouvelles imposées aux entreprises, l'ensemble de ces facteurs, sont autant d'incertitudes et de risques.

Les pouvoirs publics ont su, au milieu des années quatre-vingt, abandonner les vieilles approches dirigistes. Ils ont fait disparaître le contrôle des prix et le contrôle des changes. Ils ont renoncé à l'arme du blocage des salaires, utilisée pour la dernière fois en 1982. Ils ont engagé un processus indispensable de privatisation qui se poursuit encore aujourd'hui.

En revanche, dans le champ des relations du travail, nous n'avons pas su tirer les conséquences des évolutions profondes de notre société. La loi doit jouer pleinement son rôle pour définir les garanties nécessaires à la protection des salariés, mais il est temps d'ouvrir plus largement la voie au dialogue social et à la liberté contractuelle, de faire confiance aux partenaires sociaux, de leur permettre de dégager, à tous les niveaux, des solutions d'organisation innovantes, adaptées à la variété des situations, des métiers et des entreprises.

Au XXIe siècle, l'économie de croissance sera une économie de l'initiative, de l'imagination et de la diversité, pas une économie de l'obéissance, de la contrainte réglementaire et de l'uniformité. Ce qui marchait hier et avant-hier ne marche plus de la même façon aujourd'hui, et ne marchera plus du tout demain. Il est temps d'en prendre conscience, de s'émanciper des schémas anciens et de s'engager pleinement dans la société nouvelle, si riche d'énergies créatrices, que nous voyons se développer sous nos yeux.

Ce monde en continuel mouvement exige de voir loin, d'anticiper, d'agir vite, de conduire les réformes nécessaires. C'est dans les périodes de croissance que l'on dispose des marges de manoeuvre pour réformer. Attendre ou ne pas prendre de dispositions à la hauteur des enjeux, ce serait perdre des chances pour notre pays. Ce qu'il faut léguer aux générations à venir, ce ne sont pas des dettes et des impôts, c'est un potentiel de croissance et de progrès.

Il s’agit de créer les nouvelles conditions d'une prospérité partagée en étant conscient qu’un contexte économique international favorable ne peut seul régler nos problèmes.

La pérennité de la croissance ne va pas de soi ; elle ne sera acquise que si nous savons prendre dès maintenant les dispositions nécessaires pour l’assurer. Il est de notre responsabilité à tous de le faire.

Dans un monde où la liberté et la fluidité des ressources financières est la règle, nous n’avons toujours pas su créer les bases d’un capital français puissant pour développer nos entreprises sur notre propre territoire et maintenir en France nos centres de décision. Le Commissariat général au plan vient encore de le démontrer, la question de la nationalité de l’entreprise se pose aujourd’hui avec la même force qu’hier. Que seront réellement les entreprises françaises lorsque la majorité du capital sera dans les mains d’actionnaires étrangers ? Il y a urgence à agir.




Mesdames et Messieurs,

Votre vision est faite d’audace, parce que l’avenir n’est jamais une situation acquise. Faisons preuve ensemble d’ambition, de lucidité et de responsabilité pour donner à notre pays plus de force, plus de souveraineté, plus de liberté demain. Dans un monde qui n’a jamais autant remis en cause les rentes de situation, la France doit savoir anticiper les changements.

Associons toutes nos forces, dans les entreprises, dans la société, dans l’Etat pour faire gagner notre pays. Intéresser l’ensemble de vos collaborateurs à l’avenir de notre économie, c’est la clé de la réussite. Réformons et renforçons la participation, l’actionnariat salarié. Mettons en place des outils performants, transparents et largement diffusés de motivation des cadres et de vos autres collaborateurs. L’actionnariat ne doit pas être réservé aux Français les plus aisés. Donnons à tous ceux qui le souhaitent la possibilité d’être actionnaires de leur entreprise.

En France, comme chez nos principaux partenaires européens, nous voyons le chômage reculer, de nouvelles activités se créer, une nouvelle économie émerger. Avec tous les Français, je m’en réjouis. C’est l’ambition de tout responsable politique que de contribuer, à sa place, à créer les conditions durables d’un emploi et d’une activité pour chacun. C’est pourquoi j’ai voulu l’euro, pour que le crédit soit moins coûteux et pour que l’Europe soit plus ouverte à nos exportations. C’est pourquoi j’ai voulu le rétablissement de nos finances publiques qui est nécessaire au développement de l’activité et de l’emploi.

Le contexte international est porteur. La croissance européenne devrait de nouveau être forte cette année. L’expansion peut être durable si nos pays prennent les bonnes décisions pour préparer l’avenir. Je constate chaque jour le dynamisme de nos compatriotes se renforce. Une véritable activité pour chaque Français, c’est désormais une ambition accessible. Cela dépend de nous, de notre capacité de réforme, de notre capacité à regarder loin.

Voilà, Mesdames, Messieurs, ce que je souhaite pour notre pays, et pour les Français. Dans une économie du mouvement telle que celle d’aujourd’hui, nous avons plus que jamais besoin de votre audace.

Je vous remercie.





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