Discours de M. Jacques CHIRAC Président de la République à l'occasion de la réception des maires de la Mayenne (Laval)

DISCOURS DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, A L'OCCASION DE LA RECEPTION DES MAIRES DE LA MAYENNE

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PREFECTURE DE LAVAL - MAYENNE

JEUDI 24 FEVRIER 2000

Monsieur le Ministre, Président du Conseil Général, Mon Cher Jean,

Monsieur le Ministre, Maire de Laval, Mon Cher François,

Messieurs les Parlementaires,

Mesdames et Messieurs les Maires, Conseillers Généraux et Conseillers Régionaux,

Au terme de cette première étape dans votre beau département, je souhaitais vivement avoir la possibilité de vous rencontrer et je suis heureux que vous ayez pu répondre à mon invitation, je vous en remercie. Cette belle journée, pour moi, riche de beaucoup d'échanges, m'aura permis de voir à l'oeuvre, ce que vient d'évoquer Jean Arthuis, l'esprit d'initiative des Mayennais et aussi de mesurer l'attachement qu'ils portent, je le savais, à leur terre.

Ce soir, je voudrais devant vous, une fois encore, vous parler de notre démocratie. En Mayenne, son dynamisme est frappant.

La vie démocratique donne parfois le sentiment d'être monopolisée par le débat partisan, par les compétitions électorales, par les commentaires et les analyses de l'actualité politique, par les spéculations théoriques sur l'architecture constitutionnelle et chacun sait que le génie français n'est jamais à court d'idées dans ce domaine.

Des réformes institutionnelles, il en faut bien sûr, quand elles sont nécessaires au renouveau de la vie démocratique, par exemple pour accroître la place des femmes en politique, pour limiter le cumul des mandats, ou pour franchir de nouvelles étapes dans le renforcement de la démocratie locale.

Mais ce n'est pas dans cette direction qu'il faut chercher les principales réponses au désenchantement et à la lassitude que l'on voit poindre chez beaucoup de nos compatriotes. Les comportements d'abstention, ou au contraire d'extrémisme, par lesquels s'exprime bien souvent un certain éloignement des Français à l'égard de leur vie publique, doivent être traités avant tout par un regain, des valeurs et de l'éthique républicaines et par le changement de certains comportements.

Nous devons nous appuyer sur tout ce qui témoigne de l'enracinement et de la vitalité de notre tradition civique, libérer les énergies qui sont à l'oeuvre dans notre société, et qui le font au niveau local, leur permettre de s'exprimer davantage au service de la cité.

Vous savez ce que démocratie veut dire. La démocratie, vous ne vous contentez pas de l'observer, vous contribuez largement à la faire vivre. Et vous êtes bien placés pour savoir qu'elle est aussi un travail car, justement, ce travail de la démocratie, c'est vous, les maires, qui l'assumez, au quotidien, avec nos concitoyens, avec les élus municipaux, avec les responsables économiques et sociaux, en relation bien sûr, avec les représentants de l'Etat.

Être maire ce n'est pas une récompense, ce n'est pas une sinécure et ce n'est pas une carrière non plus. Être maire, c'est tout simplement un service. Un service pour les autres. Un service pour la communauté. Un service pour l'intérêt général. Un service que l'on rend en acceptant ses contraintes, avec toute la disponibilité qu'elles impliquent, et en acceptant aussi de se soumettre à l'exigence d'efficacité que nous imposent nos concitoyens.

Les Français connaissent leur maire. Les Français aiment leur maire. Et c'est mérité.

Je crois que cette proximité, cette correspondance très forte entre l'action municipale et les attentes des Français sont riches d'enseignements pour l'exercice de toute responsabilité politique. Parce que vous êtes au plus près des réalités, il est bien naturel que vous ayez, en quelque sorte, un temps d'avance sur d'autres quand il s'agit de discerner l'évolution des mentalités, des modes de vie, des besoins de nos compatriotes. Plus que jamais, la commune est et doit être le laboratoire vivant de la citoyenneté.

Si nous voulons que notre démocratie se renouvelle en profondeur, il faut que la vie publique puisse s'identifier à des valeurs fortes : service, engagement, efficacité, sens de la responsabilité et de l'exemplarité. Ces valeurs, il vous revient de les mettre chaque jour en pratique et généralement, très généralement, c'est ce que vous faites.

Le service, je viens d'en parler. Il faut rendre à l'action publique sa vraie nature : la poursuite de l'intérêt général, au-delà des intérêts particuliers, et bien sûr au-delà des appétits de carrière, de reconnaissance, ou de notoriété qui altèrent l'image de la politique, la dénaturent, neutralisent les énergies et peuvent faire échouer les meilleurs projets.

Quand le calcul se mêle à l'exercice des responsabilités, quand le souci d'un confort de court terme l'emporte sur les impératifs d'intérêt général, quand les querelles de clochers, les polémiques, les difficultés entre les territoires ou les clans prédominent, alors la démocratie est pervertie. En revanche, quand le courage est à l'oeuvre, quand aucune difficulté n'est éludée, quoi qu'il en coûte, quand le souci de l'avenir de la communauté est placé au premier rang des préoccupations, même s'il y faut aussi beaucoup de pédagogie, de sens du dialogue, alors la vocation de la démocratie, sa vocation de service désintéressé de la collectivité, est respectée.

Avec le service, il y a l'engagement, le sens de l'engagement. J'entends souvent s'exprimer une vision de notre société que je crois profondément fausse. On peut dire bien sûr que l'individualisme a gagné du terrain au cours des dernières décennies. L'urbanisation y est pour beaucoup. L'allongement des études aussi, qui va dans le sens d'une plus grande autonomie des hommes et des femmes de notre temps. Mais de là à caractériser notre société par l'égoïsme et le repli sur soi, par le refus de la solidarité et le rejet des contraintes, il y aurait beaucoup plus qu'un pas, il y aurait un contresens. Bien des signes montrent en effet la générosité et le formidable besoin d'agir qui sont à l'oeuvre dans notre corps social, et en particulier chez les jeunes.

Regardez la vitalité de la vie associative et l'importance du bénévolat dans tous les domaines : la lutte contre l'exclusion, l'emploi, les activités sportives et culturelles, l'éducation et les services sociaux. Les Français s'engagent. Ils donnent de leur temps. Ils sont en fait disponibles pour l'action collective, pour peu qu'on les y encourage et qu'on les y aide.

Ce n'est pas un hasard si la liberté d'association est historiquement le premier principe fondamental à avoir été reconnu par le Conseil constitutionnel. Nous célébrerons l'an prochain le centième anniversaire de la loi de 1901. Plus que jamais, la liberté associative est d'actualité. Je souhaite que cet anniversaire soit l'occasion de la fortifier encore en améliorant le cadre offert au bénévolat. J'approuve les initiatives parlementaires qui ont été prises en ce sens.

De ce bénévolat, la vie municipale peut témoigner, non seulement parce que l'action associative participe à l'animation locale, mais aussi parce qu'elle est très souvent l'école de l'engagement au service des habitants de la commune.

Ce qu'exprime ce sens de l'engagement, si vigoureux dans la réalité vécue de notre société, c'est d'abord la volonté d'être utile. L'engagement va aujourd'hui de pair avec le besoin d'efficacité. Les Français veulent que les choses avancent concrètement et, au besoin, ils sont prêts à les faire avancer eux-mêmes.

La politique n'intéresse plus nos compatriotes de la même façon qu'autrefois. C'est un fait ! Mais cela ne veut pas dire qu'ils s'en désintéressent, bien au contraire. Seulement, ils s'y intéressent autrement, avec le souci de réaliser des projets, d'obtenir des résultats visibles, d'améliorer leurs conditions de vie et leur environnement, d'aider leurs enfants, de faire progresser par des actes de nouvelles solidarités.

L'important, c'est de reconnaître que les rapports que les Français entretiennent désormais avec la chose publique sont aussi un signe de leur exigence et de la maturité de notre démocratie. S'ils s'investissent moins dans la politique avec l'espoir de transformer la société par le haut, c'est parce que la France a profondément changé, que les conditions de l'efficacité ont changé. Ce n'est plus uniquement du sommet que partent les impulsions pour se diffuser ensuite jusqu'à la base, Jean Arthuis vient de le dire à juste titre, par une mise en garde, à laquelle j'adhère sans réserve. Notre société se transforme à tous les niveaux de responsabilité, partout en même temps. Elle ne se réforme plus par voie d'autorité. Elle change par le dialogue et par le contrat. Les initiatives et les actions, individuelles et collectives, jaillissent de tous les lieux de vie et c'est ainsi que les choses évoluent aujourd'hui, d'où l'extrême nécessité de la décentralisation, de la déconcentration et de l'évolution des esprits.

L'Etat ne peut plus prétendre détenir seul les clés qui ouvrent les portes de l'avenir. Ces clés, les Français, pour une large part, les ont reprises. Ils attendent de la puissance publique qu'à côté de ses missions régaliennes, elle soutienne leurs initiatives, qu'elle dégage le passage pour leur permettre d'avancer, que l'Etat cesse de peser sur l'activité et sur l'emploi par trop de réglementations et de prélèvements, qu'il devienne un facilitateur de projets, qu'il accompagne les initiatives, les stimule et les soutienne.

L'Etat devrait aussi songer un peu moins à régenter l'économie et la société et un peu plus à se gérer lui-même, pour lever les hypothèques qui pèsent sur l'avenir et pour offrir aux Français les meilleurs services publics et les meilleurs équipements, au moindre coût pour la collectivité. L'exigence de l'efficacité, c'est d'abord cela.

Dans ce nouveau contexte, si l'engagement s'est naturellement déplacé, il n'a évidemment pas disparu. Vous le vivez chaque jour, qu'il s'agisse de créer des emplois, de mettre en place de nouveaux services ou de faire progresser une solidarité responsable : la volonté d'être utile met en mouvement les Français.

Ce mouvement, les pouvoirs publics doivent l'encourager en reconnaissant la diversité des situations et des réalités et en donnant aux acteurs de terrain un véritable droit à l'expérimentation, à l'innovation et à la différence. Le siècle qui commence ne peut plus être celui de l'uniformité. Il ne peut plus être celui du centralisme intellectuel et politique qui a survécu à toutes les décentralisations administratives et qui est encore dans les têtes quand il a déjà cessé d'être dans les textes. Je veux un Etat qui aide, pas un Etat qui objecte.

Le corollaire du principe d'efficacité, c'est bien sûr la responsabilité. Si l'on préfère l'initiative et la créativité aux solutions toutes faites et aux règles imposées, si l'on refuse de rester les deux pieds dans le même sabot, si j'ose dire, en attendant tout de l'Etat, si l'on est prêt à sortir des sentiers battus pour faire avancer un projet, régler des difficultés, venir en aide à ceux qui en ont besoin, il y a bien sûr une implication personnelle qui conduit à accepter de prendre des risques et à assumer pour soi la part d'inconfort qui est le propre de l'action.

L'élection est la forme la plus achevée de la responsabilité. Elle distingue nettement la sphère publique de la sphère privée, où s'appliquent d'autres formes de responsabilité. Mais aucun élu n'attend l'élection suivante pour se soumettre à la critique et au jugement de ses concitoyens. C'est jour après jour qu'il met sa responsabilité en jeu. Cette responsabilité permanente de celui qui donne de son temps au service des autres et travaille quotidiennement sous leur regard, c'est l'honneur de la démocratie.

Prenons garde de ne pas laisser s'y substituer, par une pénalisation excessive de la vie publique, un contrôle judiciaire qui n'a en réalité de signification qu'en cas de négligence grave ou de délit intentionnel. C'est le sens de la proposition de loi dont le Sénat a pris l'initiative. L'amélioration des mécanismes d'indemnisation des particuliers est une nécessité quand l'action publique entraîne involontairement des dommages. C'est le moyen de renforcer la responsabilité des collectivités publiques sans restreindre pour autant la capacité d'initiative des élus, capacité qui pour être renforcée, reconnue, soutenue, implique également, comme Jean Arthuis l'a évoqué à l'instant, l'exigence d'un véritable statut de l'élu.

Mesdames et Messieurs les Maires,

Notre démocratie a encore beaucoup à apprendre de la démocratie locale.

Cela ne dispense pas vos collectivités de continuer elles aussi à évoluer, en restant toujours attentives à l'esprit de notre temps et aux demandes des Français. Vous avez su vous regrouper et mutualiser vos forces pour développer l'intercommunalité et rendre ainsi un meilleur service à vos concitoyens. Il a fallu, pour cela, que vous sachiez vaincre les résistances et unir vos énergies à celles de vos voisins. C'est exactement ce que fait la France en Europe, et cela n'a pas toujours été facile non plus, notamment pour faire l'euro. Mais l'important, n'est-ce pas d'abord ce qui permet à une collectivité de se fortifier, de préparer et de maîtriser son avenir ? C'est notre objectif national, c'est notre objectif européen. Ce qui fait la vigueur d'une démocratie, ce ne sont pas seulement les institutions qui la représentent, c'est son aptitude à relever les grands défis qui se posent à la société. Je pense à la sécurité. Je pense à l'emploi et au développement économique. Je pense aussi à la solidarité et à l'avenir de notre protection sociale. Dans aucun de ces domaines, ni les pouvoirs publics ni les élus ne réussiront seuls. C'est en renforçant les pouvoirs locaux mais aussi en articulant plus efficacement l'intervention de l'Etat et celle des collectivités territoriales que les solutions les plus efficaces seront trouvées. Je sais que vous êtes prêts à les imaginer et à les expérimenter, je l'ai observé et je vous le dis, c'est ainsi que la France progressera !

Je vous remercie.





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