Discours du Président de la République devant le Parlement européen au terme de la présidence française de l'Union européenne.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant le Parlement européen au terme de la présidence française de l'Union européenne, suivi de ses réponses aux interventions des Présidents de groupes parlementaires.

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Strasbourg, Bas-Rhin, le mardi 12 décembre 2000

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Parlementaires européens,

Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour vous présenter le bilan de la présidence française de l'Union et pour mesurer les progrès accomplis au cours de ces quelques mois.

Vous connaissiez nos ambitions. Je les avais évoquées dans cette enceinte, le 4 juillet dernier. Je pense que nous avons été en mesure de remplir nos engagements et j'ai conscience que ce résultat doit beaucoup à la contribution du Parlement européen.


Je reviens de Nice après quatre jours d'intenses négociations conduites avec le Premier ministre. Je viens devant vous, qui représentez les peuples d'Europe, pour vous exposer d'abord les résultats de la conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions.

Les enjeux étaient considérables, et nous sommes satisfaits d'être parvenus à un accord qui avait été impossible à obtenir il y a trois ans ; satisfaits d'avoir surmonté les difficultés qui rendaient si étroite la voie vers l'objectif recherché : remplir les engagements pris à Helsinki envers les pays candidats sans défaire l'Union, permettre à l'Europe de demain de continuer à fonctionner avec efficacité.

Je crois pouvoir dire que ce contrat est rempli. Je sais bien que le Traité de Nice ne répond pas à toutes les ambitions du Parlement européen. Mais ce Traité, je crois, est le meilleur accord possible compte tenu des contraintes qui existaient.

Il répond au défi qui nous était lancé : donner à l'Union la capacité de décider et d'agir après que l'Europe aura procédé à un élargissement sans précédent. Il est équilibré. La négociation a été rude mais il n'y a eu ni vainqueur ni vaincu.

À Amsterdam, il y a 3 ans et demi, le difficile équilibre entre représentativité et efficacité n'avait pas pu être trouvé. Il l'a été à Nice, grâce aux efforts consentis par tous les États. Il est vrai que certains ont accepté d'en faire plus que d'autres. Il faut leur rendre hommage. Il faut saluer aussi l'esprit européen qui a finalement permis de sortir de Nice en ayant réglé les questions non résolues à Amsterdam et en ayant posé des jalons pour l'avenir. Nous l'avions promis : il n'y a pas de "reliquats" de Nice.

Nous avions le souci que la Commission reste, au coeur de l'Union, une institution forte, capable de propositions ambitieuses. En décidant la suppression du deuxième commissaire, en décidant le plafonnement différé du nombre des commissaires à moins de 27, avec une rotation strictement égalitaire, le traité de Nice garantit à la fois la vocation de la Commission à incarner l'intérêt de l'Union et aussi son efficacité. Celle-ci sera également accrue par les pouvoirs nouveaux donnés à son Président, désormais élu à la majorité qualifiée, ce qui est un progrès réel.

Le nombre de domaines dans lesquels le vote s'effectuera à la majorité qualifiée était, je le sais, considéré par le Parlement comme une priorité de cette négociation. C'était aussi l'une des questions les plus difficiles. Mais des progrès ont été accomplis. Ils sont réels, même s'il ne vont pas aussi loin que la Présidence, qui a fait preuve, je le crois, à titre national d'une grande ouverture, l'aurait souhaité. Je vous demande, en appréciant les résultats de Nice, de ne pas sous-estimer ce qui a été acquis. Une trentaine de dispositions supplémentaires sont passées à la majorité qualifiée et nous avons avancé sur la justice et les affaires intérieures, le commerce extérieur et la cohésion, chapitres sur lesquels plusieurs États membres avaient pourtant au début des négociations des réserves très fortes. La Présidence a regretté que le même consensus n'ait pu se dégager dans les domaines de la fiscalité et des affaires sociales.

L'accord trouvé sur la question du nombre des voix des États membres au Conseil est équilibré. La repondération était imposée par l'élargissement mais elle prend aussi en compte le souci légitime de voir les États les moins peuplés continuer à apporter toute leur contribution, qui est essentielle, à la marche de l'Union.

J'ajoute que la légitimité démocratique des décisions du Conseil sera garantie et que celui-ci pourra bien fonctionner. Les mécanismes mis en place, qu'il s'agisse de la clause de vérification démographique ou de la clause dite de la "majorité d'États", n'affecteront pas la capacité de l'Union à prendre des décisions.

J'en viens maintenant à l'un des résultats les plus positifs de la CIG. Il concerne la procédure des coopérations renforcées qui a été largement facilitée dans les premier et troisième piliers. Ces coopérations seront toujours ouvertes à tous. Elles respecteront naturellement l'acquis communautaire et le cadre institutionnel. Mais en les assouplissant, nous permettons qu'elles soient réellement utilisées. Nous avons ainsi la garantie que l'Europe pourra, en toute hypothèse, aller de l'avant, à un rythme rapide. L'ouverture des coopérations renforcées dans le deuxième pilier est également une avancée.

Je relève aussi que cette CIG s'est traduite par une extension des pouvoirs et des compétences du Parlement européen : le nouveau dispositif prévu à l'article 7, sur la procédure d'alerte en matière de droits fondamentaux, confie un rôle très important à votre institution ; une base juridique nouvelle est prévue pour le statut des partis politiques européens ; et le Parlement se voit confier le statut de requérant institutionnel prévu à l'article 230 du Traité. Ce sont des avancées notables, même si je mesure bien que les progrès de l'extension de la codécision sont en retrait par rapport à vos attentes, comme d'ailleurs celles de la Présidence.


Enfin, au-delà de la CIG, le besoin s'est fait sentir d'engager un débat approfondi sur quelques thèmes essentiels pour l'avenir de l'Union européenne.

Plus l'Europe avance, plus nous avons le devoir d'améliorer sa légitimité démocratique, la lisibilité et la transparence de ses institutions, de clarifier la répartition des compétences entre l'Union et les États membres. C'est ainsi que l'Europe répondra aux aspirations de ses peuples. En vue de favoriser ces objectifs, une réflexion sur l'avenir de l'Europe va être engagée. Le Conseil européen l'a décidé. Le Parlement européen y sera naturellement étroitement associé. Elle devrait déboucher en 2004.

Ainsi, nous répondrons à des préoccupations qui se sont fortement exprimées dans la période récente. Ce processus ne constituera en aucun cas une condition préalable à l'élargissement il ne le retardera donc pas.

Tels sont, brièvement résumés, les résultats des travaux institutionnels menés à Nice. Ils feront progresser l'Europe et je me réjouis que les pays candidats les aient accueillis de manière très positive ces derniers jours. Cet accueil témoigne que nous avons répondu à leur attente.


Car l'élargissement est bien la grande affaire de l'Europe ! C'est à la fois un immense défi et aussi une étape historique vers la réunification du continent. La Présidence française a apporté toute sa contribution au progrès des négociations. Trente nouveaux chapitres ont été clos, y compris dans quelques-uns uns des domaines les plus complexes de l'acquis communautaire. Et certains pays, qui viennent seulement d'engager les négociations, montrent d'ores et déjà leur capacité à rattraper des candidats plus anciens.

À Nice, sur la base de l'excellent travail effectué par la Commission, nous nous sommes fixés une feuille de route pour les dix-huit prochains mois. C'est la preuve que l'Union entend aller de l'avant. C'est un signal fort qui a été bien accueilli lors de la réunion de la Conférence européenne, jeudi dernier.




Ces six derniers mois, c'est également dans la voie de la croissance et de l'emploi que l'Europe a progressé.

Nous avons poursuivi l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, renforcé la coordination de nos politiques économiques au sein de l'eurogroupe et accéléré notre préparation commune à l'entrée de l'euro dans la vie quotidienne des citoyens européens.

Ces dernières semaines trois progrès importants ont été réalisés. D'abord, la conclusion des anciennes et difficiles négociations sur le paquet fiscal, avec la fiscalité de l'épargne.

Ensuite, l'adoption de l'agenda social européen au terme d'un vaste processus de consultations, notamment des partenaires sociaux. L'Union s'est ainsi dotée d'un programme de travail fixant sur cinq ans objectifs et rendez-vous, dans les domaines du droit du travail, de la protection sociale, de la mobilité, de la formation tout au long de la vie, et de la lutte contre les discriminations et l'exclusion.

Enfin, l'adoption, non sans difficultés, du volet social de la société européenne est intervenue à Nice. C'est l'aboutissement d'un projet vieux de trois décennies. La Présidence française est heureuse d'avoir pu dénouer les fils de cette négociation.

Et puis, l'Union a commencé à mettre en oeuvre les décisions de Feira sur la nouvelle économie et la croissance. Nous étions convenus d'une baisse significative des coûts d'accès à internet : c'est fait, l'Union a décidé le dégroupage de l'accès à la boucle locale. Nous voulions instaurer un brevet communautaire : l'Union a engagé sa mise en place et introduit les dispositions juridiques nécessaires dans le Traité.




Mesdames et Messieurs les Parlementaires, la France, pour sa Présidence, avait aussi l'ambition de répondre aux préoccupations des citoyens européens.

À Nice, nous avons proclamé la Charte des droits fondamentaux de l'Union. Ce texte a une très grande valeur politique. On en mesurera dans l'avenir toute la portée et je rends hommage à votre assemblée qui a largement contribué à son élaboration. Grâce à cette Charte, notre Union se renforce, mieux assurés des valeurs de dignité, de liberté, de paix et de solidarité qui la fondent. Nous allons maintenant lui donner le plus large écho et réfléchir rapidement à son statut. Je sais combien votre Parlement y est attaché.

Sous cette Présidence, l'Union a aussi donné un nouvel élan à l'Europe de la culture et des étudiants. Il y a deux mois, nos ministres de l'éducation ont adopté un plan d'action pour la mobilité, un plan de 42 mesures. Et nous nous sommes convenus d'une dotation substantielle de 400 millions d'euros pour le programme Media Plus, qui est tellement important pour le cinéma et l'audiovisuel européen et que, vous le savez, toute la profession attendait.

Peut-être vous en souvenez-vous, j'avais évoqué ici même le souhait de la France de faire mieux prendre en compte par l'Union la spécificité du sport et sa fonction sociale. C'est le sens de la déclaration adoptée à Nice et de la réflexion engagée pour coordonner à l'échelle européenne la lutte contre le dopage.

Ancrer l'aventure européenne dans les coeurs, c'est garder aussi visage humain à cet ensemble qui se construit. Préserver ce à quoi chacun demeure légitimement attaché : un environnement familier, l'équilibre de nos territoires, une qualité de vie. Je pense aux services d'intérêt économique général. Et la Présidence se réjouit que la réflexion engagée au sein de la Commission et du Conseil ait abouti, à Nice, à l'adoption d'une déclaration qui souligne le rôle essentiel de ces services dans le maintien de la cohésion sociale et territoriale de l'Europe.


Enfin, au cours des six mois écoulés, la Présidence s'est résolument engagée pour que l'Union réponde mieux au besoin de sécurité de nos concitoyens. Elle a une ambition : que l'Europe soit plus protectrice.

C'est ainsi qu'à Nice, nous avons jeté les bases d'une Autorité alimentaire européenne indépendante. Chacun aujourd'hui pense bien sûr aux conséquences de l'épidémie de " vache folle ". Il fallait d'abord rétablir la confiance des consommateurs. Au prix de mesures immédiates, ardemment défendues par la France, et adoptées lors du dernier Conseil agricole, comme l'interdiction des farines carnées dans l'alimentation animale et la généralisation des tests de dépistage de l'ESB. Nous ne devons pas non plus oublier les éleveurs et toutes les professions de la filière bovine qui sont profondément affectées par cette crise.

Chacun pense également à la sécurité maritime. Il y a un an, l'Erika sombrait au large des côtes françaises. Malgré la formidable mobilisation des bénévoles et des pouvoirs publics, le littoral souffre encore des conséquences de ce naufrage. Et, il y a quelques semaines, c'est le chimiquier Ievoli Sun qui s'abîmait près des îles anglo-normandes. De telles catastrophes provoquées par la négligence humaine ne doivent plus se reproduire.

Au cours des derniers mois, l'examen des excellentes propositions de la Commission a considérablement progressé. Votre assemblée s'est résolument engagée le 30 novembre sur un premier " paquet " de mesures, qui sera soumis à nouveau la semaine prochaine aux ministres des Transports. Il revient maintenant à la présidence suédoise dont, je le rappelle, l'environnement est l'une des priorités, de faire aboutir le deuxième train de propositions qui comporte notamment la création d'une agence européenne de sécurité maritime. À titre tout à fait exceptionnel et compte tenu de l'urgence, le Conseil de Nice a appelé les États membres à mettre en oeuvre par anticipation, et comme une première étape, les éléments de ce dispositif qui auront fait l'objet d'un accord politique.

Parmi les menaces, il y a, chacun le sait, le réchauffement climatique. À La Haye, l'Union européenne s'est mobilisée pour un accord crédible et efficace, à la mesure de l'urgence et de l'importance de l'enjeu. Elle a su démontrer sa cohérence au service des engagements de Kyoto. Elle poursuivra sans relâche ses efforts pour convaincre ses partenaires de s'engager à leur tour. Nous devons aboutir, l'année prochaine, à un accord qui engage enfin la nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Contre le crime organisé, l'Union a aussi progressé : directive sur la lutte contre le blanchiment des capitaux ; mise en oeuvre d'une action concertée à l'encontre des pays et territoires non-coopératifs identifiés par le GAFI ; extension des compétences d'Europol à la lutte contre l'argent sale et création d'une école européenne de police. Tels sont les principaux éléments d'un dispositif cohérent et complet.

C'est dans ce contexte que l'unité provisoire de coopération judiciaire Eurojust a vu le jour, préfigurant l'organisme de coopération judiciaire pénal dont la création, prévue l'an prochain, est d'ores et déjà inscrite dans le Traité.




Enfin, la présidence française nourrissait pour l'Europe une ambition internationale.

Une ambition de long terme : donner à l'Union les moyens de peser sur les grandes affaires du monde, de faire entendre sa voix et d'être capable d'agir. C'est le projet de politique étrangère et de défense commune. Et une ambition plus immédiate : manifester sans délai la détermination politique des Quinze à faire valoir leurs propres intérêts lorsque des enjeux européens sont en cause. Je pense en particulier au eud-est de l'Europe.

Dans ces deux ambitions, nous avons progressé.

D'abord, nous avons conclu à Nice le cycle engagé aux Conseils européens de Cologne et d'Helsinki. Nous nous étions fixés des objectifs. Ils ont été atteints. Il y a un an nous avions défini les capacités militaires dont l'Union européenne devait se doter, d'ici 2003, pour être capable de prévenir et de gérer les crises envisagées par le Traité. Les États membres se sont désormais engagés sur une contribution en forces et en moyens militaires. Au-delà des troupes proprement dites, l'Union européenne disposera des moyens de commandement, de projection et de renseignement nécessaire à la conduite d'opérations interarmées complexes.

Ce bras armé, l'Union compte s'en servir en pleine harmonie avec les dispositifs de l'OTAN et, le cas échéant, avec le soutien de ceux-ci. En se renforçant, l'Europe renforce à l'évidence l'Alliance atlantique.

En outre, à Nice, l'Union européenne a mis en place les instances permanentes nécessaires à la définition et à la conduite d'une politique étrangère et de sécurité commune : un Comité politique et de sécurité, un Comité militaire et un État-major européens. Il a été décidé d'inscrire dans le traité la création du Comité politique et de sécurité. Véritable cheville ouvrière du dispositif, il recevra par délégation le pouvoir de décision lorsque la gestion d'une crise le justifiera. La révision du Traité sur ce point confirme l'importance et le caractère irréversible des décisions arrêtées à Nice.


Sans attendre leur mise en place, nous souhaitions aussi que l'Union soit mieux entendue sur les grands sujets internationaux qui mettent en jeu ses intérêts.

Tout d'abord dans le sud-est de l'Europe, il fallait dire plus clairement quels étaient les objectifs des Européens et quelles étaient leurs attentes. Je crois que ce message a été bien compris lors du Sommet de Zagreb qui a réuni pour la première fois les pays des Balkans occidentaux et les Quinze. La perspective d'une adhésion à l'Union européenne a été offerte et chacun a reconnu que ce chemin était également celui de la paix, des droits de l'Homme et de la coopération régionale. Le Sommet de Zagreb n'a certes pas résolu toutes les difficultés, mais il a fixé un cap grâce au processus de stabilisation et d'association. Il a consolidé les progrès de la démocratie. Il a tracé une perspective conforme aux valeurs qui fondent la démarche européenne.

Par ailleurs, la Conférence euro-méditerranéenne de Marseille a montré, en dépit hélas de la crise du Proche-Orient, combien tous les participants étaient attachés au maintien et à la rénovation du processus de Barcelone. Et l'on peut se réjouir que l'Union ait été en mesure d'annoncer qu'elle y consacrerait quelque 13 milliards d'euros sur sept ans, y compris les prêts naturellement de la BEI.




Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Parlementaires européens,

Ce semestre, je crois pouvoir le dire aujourd'hui, a vu notre Union se renforcer, en se préparant à accueillir de nouveaux membres, à réunir la famille, maintenant que nous sommes assurés de pouvoir fonctionner ensemble. Se renforcer aussi dans le coeur de nos concitoyens, sur le terrain des valeurs, celui de la croissance et de l'emploi, celui de la solidarité, celui de la sécurité et de la préservation du modèle social européen. Se renforcer et gagner en audience sur la scène internationale.

Ces avancées doivent être portées au crédit de l'ensemble des institutions. Je veux ici saluer la qualité des relations de travail entre États membres au sein du Conseil. Je veux saluer la Commission et son Président, M. Romano PRODI. Saluer sa détermination à faire aboutir les initiatives et les projets qui figuraient au programme de la présidence.

Mais ici, dans cette enceinte, en mon nom, au nom du Premier ministre et du Gouvernement, je veux d'abord remercier votre assemblée pour sa contribution. Il était essentiel que le Parlement européen, qui fait entendre la voix et les ambitions des citoyens, soit pleinement associé aux décisions qui engagent l'avenir de tous. La France y a prêté une attention particulière. Vous avez souvent vu M. MOSCOVICI et les autres ministres, puisque la présidence du Conseil est intervenue 68 fois, à un niveau politique, lors de vos sessions plénières et en commissions.

Pour cette coopération, pour votre soutien et aussi pour votre accueil, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Parlementaires européens, la Présidence française vous remercie.




Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

J'ai naturellement écouté avec le plus grand intérêt les observations qui ont été présentées par l'ensemble des groupes au travers des interventions de leurs Présidents. Je ferai simplement quelques observations, laissant ensuite le soin à M. MOSCOVICI le soin de répondre à toutes les questions portant sur des sujets particuliers.

Après avoir entendu le Président POETTERING, je voudrais faire une réflexion d'ordre général. Je comprends et je partage l'ambition d'une assemblée comme la vôtre qui est, par vocation, par définition, d'affirmer une vision de l'Europe de demain, je dirais d'après-demain, et de faire en sorte qu'une impulsion soit donnée en permanence à cette évolution et à la mise en oeuvre de cette vision. Je le comprends parfaitement, c'est votre rôle, je dirais, votre fonction.

Et puis, naturellement, il y a la réalité des choses, la réalité quotidienne, la possibilité pour des opinions publiques représentées par leurs gouvernements d'accepter le rythme de cette évolution, voire leurs objectifs. J'ai été frappé à maintes reprises, dans la construction européenne et notamment dans les discussions de Nice, par l'affirmation de tel ou tel chef d'État ou de Gouvernement, me disant, bien sûr, on pourrait aller dans cette direction mais il se trouve que l'opinion publique, chez moi, ne l'acceptera pas. Alors, accessoirement, c'est naturellement la position politique de mon Gouvernement qui est en cause mais, au-delà, et c'est plus grave, c'est la procédure d'adhésion, par la voie du référendum ou par celle de l'approbation parlementaire, qui risque de sanctionner une évolution désapprouvée et qui, par là même, conduirait à l'arrêt de la construction européenne. Et c'est cela le danger. Je ne citerai personne, naturellement, mais tel ou tel chef d'État ou de Gouvernement sur des problèmes délicats, le disent, avec juste raison. Et ils sont les mieux à même de l'apprécier en tant que représentants démocratiquement désignés de leur peuple, d'apprécier ce qui est supportable ou pas supportable par leur opinion publique.

Alors, faire l'Europe le plus vite possible, c'est très bien mais si l'on doit buter sur un refus qui met tout en cause et qui conduit à ce que tout s'arrête, cela ce n'est pas bien du tout. Il faut courir le plus vite possible mais il faut faire attention d'éviter les obstacles qui conduiraient à faire que l'on s'étale. Donc, il y a là un art difficile ou chacun doit jouer son rôle. Il appartient aux gouvernements, je le répète, démocratiquement désignés par leurs peuples pour les conduire, de voir quelles sont les limites qu'ils peuvent franchir ou non et le rythme qu'ils peuvent accepter dans un ensemble. Et il appartient à d'autres, et notamment au Parlement, notamment à la Commission, de donner l'impulsion nécessaire, de donner la vision et de faire en sorte de convaincre.

Autrement dit, il faut naturellement décider mais il faut aussi convaincre et des décisions qui ne convainquent pas ne servent pas à grand chose. C'est une nuance, simplement, que je voulais apporter à l'ensemble des observations négatives faites sur le résultat du sommet de Nice, parce que je sais très bien que s'il n'y avait pas eu d'accord, ce qui a été possible jusqu'à la dernière minute, je sais très bien ce qu'il se serait passé. C'est qu'on aurait arrêté l'élargissement, et ça, c'était la pire des situations dans laquelle nous pouvions nous trouver. L'objectif qui était le nôtre c'était d'abord et avant tout de nous mettre en situation de permettre l'élargissement. Eh bien, nous y sommes parvenus. Alors, que cela ne satisfasse pas toutes les ambitions légitimes et généreuses et justifiées, et que je partage, que l'on peut avoir, c'est vrai. Mais il y a aussi un moment où le réalisme, d'une façon ou d'une autre, s'impose. Cela c'était une réflexion d'ordre général.

Deux réflexions particulières à la suite de ce qu'a dit M. POETTERING sur les insuffisances des progrès de la majorité qualifiée. La présidence les a regrettées, ces insuffisances. Elle-même avait des réticences et s'est imposée un effort important pour que la France progresse dans des secteurs qui étaient pour elle particulièrement sensibles. Je regrette que tout le monde n'ait pas pu adopter la même attitude mais, là aussi, il y a le problème des peuples concernés et des responsabilités que peuvent ou ne peuvent pas prendre leurs représentants.

N'oublions pas que, s'agissant de référendum, certains pays ont voté de façon négative, d'autres ont voté, je me réfère à Maastricht, de justesse et, donc, il y a aussi une limite qui doit être appréciée.

Ma deuxième observation, je ne voudrais pas qu'on puisse laisser dire, Monsieur le Président POETTERING, je ne sais pas d'où vous avez tenu vos informations, je ne voudrais pas qu'on puisse laisser dire qu'un projet avait donné moins de voix à la Pologne qu'à l'Espagne. Il y a eu une erreur technique qui fait qu'un instant -Monsieur, vous me permettez, j'étais en charge de la chose, alors votre ironie sur un sujet de cette nature me paraît déplacée-, il y a eu une erreur technique sur un papier, un instant, qui était en réalité une erreur de frappe. Et le papier a été immédiatement retiré et on a remis, naturellement, les chiffres. Personne n'aurait pu imaginer que quelqu'un puisse proposer, notamment au niveau de la présidence française - on connaît les liens, par ailleurs, que la France a depuis toujours avec la Pologne-, que quelqu'un aurait pu imaginer que l'on donne un handicap à la Pologne par rapport à l'Espagne alors qu'elles ont le même nombre ou à peu près de citoyens. Je tiens à le dire pour qu'on ne laisse pas se propager de fausses nouvelles.

M. CRESPO a évoqué la Charte. La Présidence française est tout à fait ouverte à l'intégration de la Charte dans les Traités. Certains pays n'y sont pas favorables, vous le savez. Il n'avait jamais été envisagé que cette question figure à l'agenda de Nice. C'est un problème qui avait été, dès l'origine, reporté sous la responsabilité de la présidence suivante.

Puis, vous avez évoqué, Monsieur le Président, comme d'ailleurs un certain nombre d'autres orateurs, les défauts de la méthode. D'abord, je souscris tout à fait à votre approbation sur la méthode de la convention. Je vais vous dire tout à fait la vérité : lorsque j'ai appris la méthode qui avait été choisie pour l'élaboration de la Charte, la méthode de la convention, j'étais sceptique et je dois dire que la réalité m'a démontré que j'avais tort, puisque cela a été un très beau succès. Ce qui veut dire que la méthode était bonne. Je le crois, j'ai eu l'occasion de le souligner, notamment à Nice. Il faut dire aussi que la conduite de la Convention par le Président HERZOG a été tout à fait exemplaire, ce qui, naturellement, a également facilité les choses. Mais, enfin, la méthode était bonne.

Il y a sans aucun doute une réforme de la méthode à rechercher. Je sais d'ailleurs que la Commission, et le Président PRODI l'a rappelé tout à l'heure, doit faire des propositions, et c'est vrai qu'il faut en faire. C'est vrai qu'il n'est pas normal de travailler des jours et des nuits, de faire travailler des collaborateurs qui ne se couchent pas pendant trois jours ou pratiquement pas et espérer concevoir des décisions ou prendre des décisions dans la sérénité. Je crois que c'est exact.Évidemment, il y a toute la préparation antérieure. Elle n'a pas été inutile puisqu'elle a permis d'éviter la remontée à Nice de toute une série de sujets, qui ont été traités avant. Je pense au paquet fiscal, à l'agenda social, à d'autres encore. Mais, enfin, pour l'essentiel, et c'est dans la nature des choses, les chefs d'État et de Gouvernement se réservent d'attendre la dernière minute pour prendre leurs décisions ou pour accepter un compromis et ne céderont jamais à des collaborateurs dans une phase antérieure la possibilité de le faire. Il y a donc là un problème de méthode et je crois, comme vous le dites et comme l'ont dit plusieurs orateurs, qu'il doit y avoir une réforme de ces méthodes.

Le Président COX a rendu un hommage chaleureux à la Commission et je ne peux que souscrire à cet hommage. Et il a tout de même rappelé une affirmation du Président PRODI, à laquelle je souscris tout particulièrement et qui me ramène à mon premier propos : " soyons ambitieux ", a dit le Président PRODI, " mais tempérons notre ambition à l'aune de la réalité ". Cela, c'est la sagesse et il faut toujours s'en souvenir, oui et c'est vrai.

M. LANNOYE a parlé d'échec pour l'élargissement. Qu'est-ce que cela aurait été s'il n'y avait pas eu d'accord ! En ce qui concerne l'élargissement, donc, je crois que c'est un peu excessif de parler d'échec. D'ailleurs, tous les pays concernés ont été unanimes à approuver tout ce qui s'était fait à Nice.

Il a évoqué également le recul du Parlement européen. J'ai évoqué tout à l'heure un certain nombre de progrès qui ont été faits, je ne vais pas revenir maintenant dessus. Il n'y a peut-être pas tous les progrès que vous souhaitiez, c'est évident, mais, là aussi, il y a quelques pays qui font des réserves. Mais il n'y a eu aucun recul et jamais le Parlement européen n'aura été, je crois qu'on peut le dire, je parle sous le contrôle de la Présidente et des responsables, n'aura été autant associé et consulté qu'il l'a été pendant la présidence française. Je le note simplement pour le préciser.

M. WURTZ a évoqué la marée humaine à Nice. Si l'on fait exception, naturellement, des quelques trublions irresponsables qui se sont manifestés avec des intentions qui n'avaient rien à voir avec le progrès de la pensée humaine, c'est vrai qu'il y a eu une grande et belle participation, notamment provoquée par la Confédération européenne des syndicats et que, là, il n'y a eu aucune espèce de difficulté ou de problème. J'ai estimé que c'était là une participation au débat général car il est exact que nous devons essayer d'améliorer les conditions d'un débat plus général, d'un débat qui donne plus de place à la société civile, ne serait-ce que pour donner un peu d'oxygène à notre réflexion. C'est souvent difficile à faire, précisément parce qu'il y a des gens qui n'ont pas toujours et obligatoirement les mêmes arrière-pensées que d'autres. Mais à partir du moment où il y a le thème de la mondialisation, où celui-ci doit être très largement débattu au niveau des opinions publiques, il faut trouver le moyen pour que tout le monde puisse, d'une façon ou d'une autre et dans la sérénité, s'exprimer. La mondialisation est inévitable, elle est porteuse de progrès considérables, en terme de niveau de vie, en termes de progrès social, en termes de développement économique, bien entendu, ce qui conditionne tout, mais la mondialisation, si l'on n'y prend pas garde, est porteuse également de dangers très lourds, comme l'exclusion, l'exclusion de certains pays, et même d'un nombre croissant de pays, l'exclusion, dans les pays, d'un nombre croissant d'hommes et de femmes. Elle est porteuse de dangers considérables pour ce qui concerne l'équilibre de notre écosystème, la faculté que nous pouvons avoir à léguer un environnement convenable à nos successeurs, elle est porteuse de dangers en ce qui concerne le développement, en raison notamment des techniques modernes de communication, de la cybercriminalité. Il y a des dangers importants et on est obligé à la fois de maîtriser et d'humaniser la mondialisation. C'est vrai que beaucoup de responsables se laissent un peu entraîner dans ce domaine par le culte de la théorie et il convient, que d'une façon ou d'une autre, l'ensemble des opinions publiques puissent se prononcer aussi dans cette affaire et, sur ce point, je reconnais la valeur des arguments présentés par M. WURTZ.

Je remercie mon ami Charles PASQUA d'avoir bien voulu rendre hommage à ma forme physique, je l'en remercie, cela ne m'étonne pas. Ce qui m'étonne davantage, c'est la nature-même, philosophique, de sa critique. Parce qu'au fond, qu'est-ce qu'il nous dit ? Il nous dit : dans ces enceintes et à Nice, vous avez pris des décisions vides ou d'application lointaine. Et d'ajouter : vous avez arrêté une poignée d'objectifs que les États sont libres d'appliquer s'ils le veulent. Alors, cela ne devrait pas vous inquiéter et cela ne justifie pas votre affirmation selon laquelle ces décisions vides et d'application lointaine ou ces objectifs que l'on applique ou que l'on n'applique pas seraient des abdications démentes de la souveraineté des nations d'Europe. Là, vous voyez, il y a comme une contradiction, je n'arrive pas exactement à suivre mais enfin je connais la subtilité et j'apprécie la subtilité de la pensée de Charles PASQUA, que je connais depuis longtemps, qui est pour moi un ami et, par conséquent, j'essaierai de réfléchir de façon approfondie pour comprendre réellement la nature de son cheminement.

Pour ce qui concerne M. de GAULLE, là, je dois dire que je ne suis pas du tout en mesure d'entrer dans les subtilités et les nuances de son propos. Donc, je lui laisse l'entière responsabilité de ses affirmations.

M. SAINT-JOSSE a évoqué le déficit du débat public. J'ai déjà répondu sur ce point et je souscris tout à fait à ce qu'il a dit sur la nécessité d'améliorer considérablement le débat public. Je ne reviens pas sur ce que j'ai dit, je l'ai déjà dit. C'est vrai que trop souvent les citoyens se sentent étrangers à ces décisions qui sont prises dans des instances qu'ils ne connaissent pas et que, cela, c'est un des défis que nous devons relever.

Enfin, je dirai à M. HAGER que l'instrument des coopérations renforcées est un instrument, je le crois, utile pour permettre à l'Europe d'avoir une dynamique et d'éclairer la voie comme je le disais tout à l'heure, je crois, le Président Romano PRODI. Et pour ma part, j'y suis très favorable.

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie.





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