Discours prononcé par M. Jacques CHIRAC Président de la République au Forum nordique (Stockholm)

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au forum nordique

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Université de Stockholm - Suède, le lundi 10 avril 2000

Monsieur le Président de l’Université de Stockholm,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs, Universitaires, Chercheurs et Etudiants,
Chers Amis,

Merci à vous, Monsieur le Président, qui nous recevez si chaleureusement. Merci de vous être exprimé en Français. Permettez-moi de vous dire que j’y ai été sensible et permettez-moi aussi de vous féliciter pour la qualité de votre français. Je regrette naturellement de ne pas pouvoir vous rendre la politesse et de ne pas pouvoir m’exprimer en suédois, ce qui m’aurait fait un immense plaisir, compte tenu de l’amour que je porte à votre pays que je connais bien ? et depuis très longtemps. Mais, malheureusement, je n’ai jamais appris sa langue. Mais je vous redis ma reconnaissance.

Merci, Monsieur le Président, de votre invitation à dialoguer avec les étudiants et les chercheurs de nos deux pays qui travaillent ensemble. Qui font grandir la relation franco-suédoise. Qui l’enrichissent par leurs projets scientifiques. Et qui lui donnent toute sa dimension humaine et affective.

Merci de me faire les honneurs de votre université, ce haut lieu de la connaissance dans un pays, le vôtre, qui a fait de l’enseignement, du savoir et du progrès ses priorités depuis longtemps. Et la belle expression dont vous usez pour désigner un amphithéâtre universitaire, "Aula Magna", la grande enceinte, témoigne que ce cap a été pris voici bien longtemps, plus de cinq siècles, avec la fondation par l’archevêque Jakob Ulvsson de l’université d’Uppsala, Monsieur le ministre, où, très vite, à côté de la théologie, l’on enseigna la médecine et les sciences. Dans le même temps, les maîtres de forge suédois perfectionnaient leurs procédés, devenant ce qu’on appellerait aujourd’hui les " leaders européens " de l’acier.

Vieille histoire ! Et c’est ce choix ancien de la formation, de la recherche, des sciences appliquées à l’industrie qui a permis le miracle suédois, l’irruption de votre pays parmi les grandes puissances industrielles européennes et mondiales. C’est ce choix qui a permis, au XXe siècle, l’extraordinaire croissance de la Suède, la plus forte de tout le continent, en dépit d’une géographie et d’une nature parfois difficiles.

Exemplaire, la Suède l’est en consacrant, plus qu’aucun autre pays au monde, une part importante de ses ressources au secteur de la recherche-développement : 4% de votre produit national brut au lieu de 2,5% en moyenne dans l’Union européenne. Exemplaire, votre pays l’est par les liens étroits et originaux qui unissent universités, entreprises, fondations et collectivités publiques. Cette synergie a permis à la Suède de renouveler constamment son appareil de production. Comme en témoigne votre réussite dans le domaine des nouvelles technologies de l’information. Enfin, vous avez développé une organisation de la recherche, une approche du travail en équipe efficaces et performantes. Cette dynamique puissante ne peut qu’attirer chez vous de nombreux étudiants et chercheurs européens, parmi lesquels de plus en plus de Français.

Aujourd’hui, ce sont 700 jeunes Français qui fréquentent vos universités et vos écoles d’ingénieurs, dont la moitié sont déjà des scientifiques confirmés qui ont souhaité poursuivre ici leurs projets de recherche. Ils n'étaient qu'une centaine il y a dix ans. C’est dire l’accélération de nos échanges ! Et cela, dans tous les secteurs, des plus traditionnels aux plus avancés, comme les télécommunications, l’informatique, la biochimie ou les sciences de l’environnement.

A tel point que, sur la plupart de vos campus, à Lund, Luleå, ici, à l’université de Stockholm, et même au sein de l'Ecole royale polytechnique, les jeunes Français forment maintenant l'une des toutes premières communautés étrangères. A tel point que la presse suédoise parlait récemment, je l’ai lue, traduite, d’une véritable " invasion française ". Invasion pacifique et amicale, à laquelle répond d’ailleurs la venue en France, notamment dans nos grandes écoles d’ingénieurs, d’un nombre important de jeunes Suédois.

Je veux mentionner tout particulièrement la collaboration exemplaire nouée de longue date, dès les années 80, par notre région Lorraine et les deux Provinces Nord de la Suède. Nous avons eu l’occasion tout à l’heure de visiter le stand qui a été dressé juste à l’entrée de cet amphithéâtre. J’ai trouvé que c’était une initiative qui a vingt ans maintenant, mais qui est tout à fait dans le droit fil de ce que nous devons créer entre nous. Le chemin parcouru est remarquable. En quelques années, ce sont plusieurs centaines de jeunes scientifiques et techniciens originaires de ces deux régions de Suède et de France, notamment dans les disciplines médicales, dans le secteur des mines ou dans celui du bois, qui ont pu parfaire leurs connaissances et leurs expériences. En même temps, ils tissaient un réseau d'amitiés très serré. Et solide, comme on a pu le voir en décembre dernier, lorsque la Lorraine, comme bien d'autres régions de France, a dû faire face aux conséquences de la tempête. Les Lorrains n'oublieront jamais leurs amis suédois, professionnels de la forêt et du bois, venus spontanément leur apporter leur concours dans cette dramatique épreuve.

Notre dynamique d'échanges, le Forum nordique, qui tient aujourd’hui sa deuxième édition, en est un élément essentiel. Il permet aux établissements d’enseignement scientifique et technologique de faire le point sur notre coopération, de conclure de nouveaux accords plus ambitieux, d’améliorer leurs cursus. Et il organise la rencontre de nos jeunes chercheurs avec les entreprises suédoises, françaises, européennes, qui vont pouvoir aborder avec eux leurs perspectives de recrutement.

Eh bien, ce qui se passe ici ; les choix que vous avez faits, et d’abord celui de la mobilité et de l’ouverture à de nouvelles expériences et à de nouvelles méthodes ; les partenariats développés ; cette synergie entre la formation la recherche et l'industrie ; tout cela doit devenir la règle, à l’heure où l’Union européenne entre dans la société de l’information.

Il y a trois semaines, le Conseil européen de Lisbonne a marqué une étape importante. Les chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union ont lancé un message de dynamisme et de confiance. Confiance dans notre capacité à installer une croissance durable et riche en emplois, respectueuse du modèle social européen. Ceci est une exigence que Suédois et Français partagent. Confiance dans notre aptitude à relever les défis de la "nouvelle économie", à faire le choix de l'innovation.

Notre objectif doit être de faire jeu égal avec les Etat-Unis dans le domaine de l'internet. Aujourd'hui 80% des échanges sur Internet sont réalisés à partir des plus grands sites américains de commerce électronique. Et l'on connaît la force de l'investissement recherche et l'efficacité de la valorisation industrielle outre-Atlantique.

Mais, nous aussi, nous avons des atouts. Nous sommes à la pointe, nous, Européens, de la recherche : la télévision numérique, les terminaux intelligents, c’est en Europe qu’ils ont vu le jour et qu’ils progressent le mieux. C’est l’Europe et, c’est notamment la France, qui a inventé et développé la carte à puce. Elle offre actuellement, la meilleure sécurité dans les transactions et les Européens, avant tout le monde, l’ont adoptée. C’est la promesse d’un formidable développement du commerce électronique sur notre continent.

Et bien sûr, il y a la forte position de l’Europe dans le domaine des téléphones portables. Avec des opérateurs qui font le pari d’Internet. Avec des téléphones mobiles de nouvelle génération qui seront des supports d'internet. Avec un taux de pénétration unique dans le monde : deux Suédois sur trois, bientôt deux Français sur trois, possèdent un téléphone portable.

Et surtout, le marché européen présente un fort potentiel de développement. La Suède est parmi les tout premiers pays d’Europe à avoir fait, et avec succès, le choix des nouvelles technologies. Aujourd’hui, votre pays dépasse les Etats-Unis pour l’équipement informatique et l’utilisation d’internet. Mais ailleurs, la demande est encore importante. Mes compatriotes ne sont encore que 10% à naviguer sur le net et seulement un foyer français sur quatre est équipé d'un ordinateur à domicile. Cette situation, finalement, est une chance. Il y a un vrai besoin auquel la recherche et l’industrie doivent répondre.

Nous devons mener une politique volontariste de soutien aux laboratoires et aux entreprises innovantes afin de construire une Europe créative, réactive. C'est pourquoi nous avons décidé à Lisbonne de mettre en place un fonds européen de capital-risque. D'intégrer les marchés financiers des Etats de l'Union. De parvenir dès 2001 à la création d'un brevet communautaire unique qui réduira sensiblement le coût de la protection de nos inventions.

Mais tout cela nous oblige aussi à repenser nos systèmes de formation.

La priorité doit être d'ouvrir à tous l'accès aux technologies de l'information : celles-ci sont une chance, une source d'intégration et de cohésion sociale. Elles facilitent la communication entre les hommes et contribuent fortement au développement de l'emploi.

Mais elles présentent aussi un risque. Celui d'un véritable "fossé numérique" qui séparerait ceux qui ont accès aux technologies et les autres. Dans les années 80, nos sociétés n'ont pas toujours vu monter l'exclusion sociale. Elles doivent anticiper aujourd'hui ce nouveau risque d'exclusion. Exclusion intellectuelle, géographique ou entre les générations.

Aussi notre premier effort doit porter, dès l’école, sur les apprentissages fondamentaux. Nous devons éradiquer l’illettrisme. Les personnes qui avaient des difficultés d'écriture ou de lecture trouvaient, il n'y a pas si longtemps encore, leur place dans la société. Mais la société de l’information est une société de l’écrit, qui connaît aujourd’hui sa plus grande révolution depuis Gutenberg, après deux ou trois décennies où l’on a privilégié l’image et non pas l’écriture. Et l’illettrisme sera davantage demain encore source d'exclusion à l’heure du clavier et de la correspondance électronique.

A Lisbonne, nous avons pris des engagements. Celui d’abord, d’emmener une part beaucoup plus importante de chaque classe d’âge vers le lycée ou de lui faire acquérir une vraie et solide formation menée jusqu’à son terme.

Ensuite, nous avons décidé de donner toute leur place aux technologies de l’information dès l’école. Cet effort, nous devons l’engager maintenant. On estime que, dans nos pays, les activités liées à la société de l’information représentent pratiquement un point de croissance. Et c’est aujourd’hui que les entreprises ont besoin d’embaucher. Celles de la " nouvelle économie ". Mais celles aussi des secteurs traditionnels qui font de plus en plus appel aux nouvelles technologies dans leur propre gestion.

80% des entreprises considèrent désormais les connaissances en informatique comme leur premier critère de recrutement. Et nous savons qu'elles rencontrent souvent de grandes difficultés à trouver puis à garder des collaborateurs compétents. Il y a un besoin urgent à former des hommes et des femmes qualifiés dans ce domaine.

A Lisbonne, nous avons décidé que, d’ici la fin 2001, toutes les écoles de l’Union devront disposer d’un accès à internet et que, très vite, tous leurs enseignants devront maîtriser ces nouvelles technologies et accompagner leur apprentissage.

Parallèlement, nous nous sommes engagés conjointement à faire baisser les coûts d’accès. Et pour cela, à ouvrir plus largement à la concurrence nos réseaux locaux de télécommunications. Nous sommes convenus aussi de nous équiper massivement en réseaux interconnectés à haut débit et à faible coût.

Et cette chance que représente la "nouvelle économie", il faut l'offrir à tous les travailleurs. On le voit bien, le chômage est souvent lié à un manque de qualification. En France, par exemple, plus d’un tiers des chômeurs ne sont pas allés au-delà du collège, 20% n’ont aucun diplôme. Eh bien, nous devons repenser et enrichir nos systèmes de formation.

Avec la formation tout au long de la vie, chacun, s’il le souhaite, se verra offrir une nouvelle chance, celle notamment d'accéder aux instruments de la société de l’information. Nous ne connaissons pas encore la plupart des technologies qui seront utilisées dans dix ans. Alors que 90% des travailleurs auront été formés avant leur apparition.

Voilà pourquoi tous les citoyens européens devront pouvoir bénéficier d’un droit personnel à la formation. Valable tout au long de la vie. Conservé dans tous les emplois successifs. Et donnant accès aux qualifications les plus pointues. Dans le même esprit, nous nous sommes engagés à mettre en place un modèle de curriculum vitae européen susceptible d’être utilisé par ceux qui souhaitent élargir leurs perspectives de carrière à l’Union tout entière.

Car, aujourd’hui, la mobilité s'impose. Ce sera, dès le 1er juillet, un objectif de la présidence française de l’Union européenne.

Le Conseil européen de Lisbonne l'a en effet chargée de définir, d'ici le Conseil européen de Nice, les moyens d’encourager la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs. Les moyens d'instaurer un espace européen commun de la culture et du savoir.

Ce mouvement, l'Europe l’a déjà lancé à travers de grands programmes : " Socrate et Erasmus ", " Leonardo ", " Jeunesse pour l’Europe ", qui ont permis de doubler les échanges universitaires au sein de l’Union. Mais nous devons aller beaucoup plus loin. Nous fixer un objectif ambitieux : encourager la mobilité de plusieurs millions d’étudiants chaque année.

Nous y parviendrons en harmonisant diplômes et cursus au sein de l’Europe, dans le respect bien sûr de l’autonomie de chaque établissement qui fait toute la richesse de notre tissu universitaire. En augmentant substantiellement le nombre et le montant des bourses allouées à la mobilité. En organisant un véritable réseau d’échanges d’enseignants à l’échelle de l’Union européenne et donc en levant les obstacles liés notamment aux statuts, aux carrières, aux droits sociaux. Et en donnant résolument une ouverture européenne à l’enseignement supérieur, avec, par exemple, l’obligation pour chaque étudiant d’effectuer un semestre ou de passer certains de ses examens dans un autre pays de l’Union.

Cette mobilité, nous l’atteindrons aussi en mettant en place dans chacun de nos Etats, dès l’école, un véritable plurilinguisme qui permette à chacun de quitter le lycée en maîtrisant, outre sa langue maternelle, deux autres langues. Nous y arriverons en développant un programme européen ambitieux d’assistants en langues.

Et c'est en mettant en place cet espace européen de la connaissance que nous séduirons les étudiants du monde entier, ceux notamment des pays émergents. Nous devons savoir les accueillir et les attirer par la qualité de nos formations. Il serait très dommage pour la recherche européenne et pour notre influence dans le monde que tant de talents se cultivent et s’investissent ailleurs qu’en Europe, et je pense en particulier aux universités américaines. Si les Etats-Unis ont pris une telle avance, c’est en grande partie parce qu’ils ont su développer un système universitaire attractif et performant.

Monsieur le Président, Monsieur le ministre, mes chers amis,

Cette ambition que s’est fixée l’Europe, les mutations qu’elle doit entreprendre pour se hisser au premier rang de notre " village planétaire ", vous en faites chaque jour l’expérience. Chaque jour, vous montrez qu’elle a choisi la bonne voie.

Il y a cinq siècles, l’Europe prenait la tête du combat pour l’homme. Parcourant un continent sans frontières, les étudiants de nos grandes universités répandaient partout les idées de raison et de progrès, et enracinaient la confiance dans la science. Renouant avec cette liberté d’antan, nos étudiants affirment notre conscience européenne. En même temps, ils suscitent l’indispensable dynamique qui permettra à l’Europe de demeurer au premier plan de la scène du monde. Et d’abord d’investir la société de l’information. Pour y faire entendre sa voix. Pour y défendre une vision généreuse de l’homme. Pour assurer son progrès économique et social et offrir sa chance à chaque Européen.

Oui, il faut que renaisse l'Europe des universités et des laboratoires, cette "République immense d'esprits cultivés" dont parlait Voltaire. Je vous remercie.





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