Allocution du Président de la République devant "l'Executive Club" à Stockholm, Suède.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant "L'Executive Club".

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Stockholm, Suède, le mardi 11 avril 2000

Sire,

Votre Altesse Royale,

Madame la Présidente,

Permettez-moi de vous dire combien je suis heureux d’être aujourd’hui, à votre invitation, parmi vous. D’abord, je voudrais vous souhaiter un bon anniversaire pour " l’Executive club " qui a aujourd’hui vingt ans et qui est une institution qui est connue et respectée.

Je suis heureux de parler devant ce club, aujourd’hui. Heureux de voir que la Présidente parle un français parfait même si, de temps en temps, elle dérape sur l’anglais. Et je ne m’étonne pas que la Présidente soit également présente en France, et dans l’une des plus belles régions de mon pays, dans le Lubéron. Je souhaite que vous y passiez, Madame la Présidente, des moments de réflexion et de détente les plus agréables possibles.

Je suis heureux de cette occasion de parler devant " l’Executive club ". J’y vois un symbole important. Je suis venu ici à l’invitation de Sa Majesté, avec comme idée de redonner aux relations entre la Suède et la France -deux pays qui ont une forte identité nationale et qui entendent que cette identité soit respectée-, plus de chaleur à ces relations. Certes, après avoir été faibles et fraîches, elles se sont considérablement développées depuis 1995 et l’entrée de la Suède dans l’Union européenne. Nous avons vu nos relations politiques, culturelles, scientifiques, économiques se développer énormément.

Je suis tout à fait persuadé que, dans les années qui viennent, ces relations vont encore se développer. Pour une raison simple, c’est parce que nous avons, Suédois et Français, en fait, une vision très proche sur les problèmes majeurs de notre temps. Ce que doit être l’Europe, une Europe respectueuse de nos identités mais nous donnant la possibilité d’exister dans un monde cohérent, celui de la globalisation. Un monde où sont respectés les Droits de l’Homme, où l’environnement est défendu et je disais encore hier au Premier ministre, M. Persson, combien la France serait attentive à soutenir les positions de la Suède dans ce domaine à l’occasion de la présidence suédoise. Un monde pacifique et démocratique.

Tout ceci, nous l’avons fortement en commun. Par conséquent, nous avons toutes les raisons de développer notre entente. Il n’y a, à mes yeux, aucun doute pour que cela se passe ainsi.

Enfin, je voudrais souligner, car il arrive comme cela des occasions qui mettent en exergue des grands desseins, combien j’ai été heureux d’apprendre la signature par la SAS d’un important marché pour ce qui concerne les Airbus, 22 je crois. Et j’ai regardé avec émotion le stylo en or que m’a montré le Président de la SAS à l’occasion du déjeuner, aujourd’hui, avec lequel avait été signé cet accord. Cela aussi, c’est une contribution à une Europe dynamique, moderne, forte et unie. Je me réjouis donc de cette décision prise par votre grande compagnie nationale.

Je voudrais remercier aussi toutes celles et tous ceux qui ont organisé cette rencontre et en particulier les hommes d’affaires suédois qui viennent d’ailleurs de nous présenter à Sa Majesté, à Son Altesse Royale et à moi-même les conclusions du séminaire de travail qu’ils ont tenu ce matin et dont j’ai tiré, à mon tour, deux conclusions. La première, qui était la convergence dans nos approches de ces problèmes et dans notre vision des choses et, deuxièmement, la volonté très manifeste de poursuivre et d’approfondir notre coopération. Ce qui se traduit, notamment, par une nouvelle réunion qui se tiendra, me disait M. Beffa, l’année prochaine à Paris.

En confrontant leurs expériences respectives, en partant des coopérations déjà nouées, mais aussi des succès et également des difficultés rencontrées, nos hommes d’affaires ont exploré de nouvelles perspectives pour la relation économique suédo-française. Mais plus largement, ils apportent une contribution importante à l’ambitieux programme adopté par l’Union européenne à Lisbonne, il y a trois semaines, et dont j’observe qu’elle était dans son essence très proche de ce que les grands chefs d’entreprise m’ont exprimé, de même que les grands syndicalistes, pour ce qui concerne l’avenir économique et social de notre continent.

A Lisbonne, nous sommes en effet tombés d’accord sur un programme de réformes économiques et sociales de grande ampleur. C’est la première fois depuis que la communauté existe qu’elle se penche sérieusement sur ces problèmes et qu’elle fait des propositions unanimes, de nature politique, et réalistes, c’est-à-dire après avoir eu une vraie concertation avec les forces économiques et sociales

Sa mise en oeuvre rencontrera ici ou là des difficultés, naturellement. Mais une volonté commune des 15 s’est exprimée clairement. Nous irons de l’avant, car nous ne pouvons plus laisser dans nos pays des talents, des ressources humaines inemployés. Nous devons trouver des solutions pour réduire le plus vite possible le chômage qui frappe encore quinze millions de travailleurs dans l'Union. Il ne s'agit pas seulement de faire émerger une "nouvelle économie" ; il s’agit de renforcer le dynamisme de l’Europe tout entière, son esprit de créativité, d’ouverture, d’initiative, tout en renforçant sa cohésion sociale. C’est là un exercice tout à fait naturel pour les Suédois et que nous souhaitons étendre à l’ensemble de l’Union.

L’ordre du jour est tracé. Des objectifs précis ont été arrêtés dans de nombreux domaines. Désormais le succès de la démarche entreprise à Lisbonne repose sur une prise de conscience et sur une mobilisation de tous. Tous les acteurs de nos sociétés et, bien entendu, les entreprises doivent y apporter leur vision, leurs idées, leurs projets et votre contribution est indispensable.


Je voudrais dire ma satisfaction devant l’intensité croissante de nos relations économiques, pour lesquelles, je l’évoquais tout à l’heure, l’entrée de la Suède dans l’Union européenne a marqué un véritable tournant.

Au plan commercial, les échanges entre nos deux pays se sont constamment accrus depuis cinq ans, passant de 28 milliards de francs en 1993 à plus de 53 milliards l’an dernier, près du double. Aujourd’hui, la Suède est l’un de nos grands partenaires commerciaux. Relation marquée par l’équilibre et par l’importance des échanges interindustriels.

On peut dire qu’à travers la coopération de nos grands groupes comme de nos petites et moyennes entreprises, la relation suédo-française est à la pointe de ce que doit devenir l’industrie européenne, des rapprochements qu’elle doit encourager, pour être compétitive dans la grande course économique mondiale. A ce titre, j’ai eu l’occasion de demander récemment au Président de la Commission d’être très attentif à ce que des décisions prises au sein de la Commission par tel ou tel commissaire ne soient pas en contradiction avec cet objectif de développement qui implique, certes, que la concurrence soit respectée, mais qu’elle le soit au plan mondial ou au plan européen, et non pas, de façon mal interprétée, au plan national.

Rapprochement qui doit aussi s’opérer dans la recherche, pour lancer les grands projets technologiques européens et susciter une véritable synergie européenne. Et je me réjouis de l’ampleur prise, en seulement quelques années -cinq ans-, par nos échanges d’étudiants et de chercheurs. Hier, j’étais à l’université de Stockholm. J’ai rencontré quelques-uns de ces jeunes Suédois et Français qui, chaque année, par centaines maintenant, participent à ces échanges. Naturellement, je les ai encouragés à poursuivre dans la voie qu’ils ont choisie, celle de la mobilité, de l’ouverture à de nouvelles méthodes et de la coopération avec le monde de l’entreprise.

Déjà, Suédois et Français contribuent ensemble aux grands succès technologiques et commerciaux de l’Europe, qu’il s’agisse d’Ariane ou du programme Airbus, dont je viens de parler et dont je souhaite redire à nouveau combien je me suis réjoui des décisions prises. C’est un magnifique symbole d’une Europe qui gagne et qui allie la maîtrise technologique et la compétitivité économique !

Partenaires, nous le sommes aussi, et de plus en plus, en matière d’investissements. La Suède est depuis longtemps un important investisseur en France. Mais elle pourrait l’être davantage. C’est près de Paris, en 1903, que le groupe SKF, connu dans le monde entier pour ses roulements à bille, a ouvert sa première filiale à l’étranger. Aujourd’hui, ce sont près de 65 000 salariés français qui travaillent dans les 450 implantations françaises d’entreprises suédoises. 65 000 !

Il en va de même des investissements en Suède. Leur stock a plus que triplé depuis 1995, preuve, s’il fallait encore en chercher, du dynamisme de notre Union, même si ces investissements sont encore fortement insuffisants puisque la France n’est qu’à la dixième place des investisseurs en Suède, ce qui n’est pas normal.

Je souhaite beaucoup que ceci soit entendu et répété par les hommes d’affaire français, qui sont à la pointe du progrès pour le développement des relations entre nos deux pays, afin qu’ils convainquent les investisseurs français qu’ils doivent investir davantage en Suède et que c’est là un investissement utile et un investissement d’avenir.

Cet essor de nos échanges, cette imbrication croissante de nos économies, sont dus pour l’essentiel au grand marché unique européen et à sa puissante dynamique. Mais pour nous, Français, et, je le sais, pour vous aussi Suédois, l’Europe est bien plus que cela. C’est un projet de société, ce sont des valeurs partagées et qu’ensemble nous devons à la fois défendre et développer.


La construction européenne progresse au rythme des plus décidés, des plus engagés de ses membres. Ce sont eux qui repoussent sans cesse les limites de l’Europe. Il leur revient de faire partager à leurs partenaires leurs convictions et leurs priorités pour l’Union.

Vous le savez, la France va présider l’Union européenne le 1er juillet prochain, et c’est la Suède qui lui succédera au premier semestre 2001. Eh ! Bien, nous devons saisir l’opportunité de nos deux présidences successives pour faire valoir notre vision commune de l’Europe. J’ai présenté ce matin au Riksdag les priorités de la présidence française. Je voudrais revenir avec vous sur nos objectifs dans le domaine économique pour faire progresser l’emploi. Nous en avons longuement parlé avec le Premier ministre suédois, hier, et nous avons décidé d’articuler nos présidences en créant, notamment, au niveau de nos ministres des Affaires européennes, un groupe permanent de travail informel nous permettant de bien rendre cohérentes nos deux démarches.

Priorité au respect des grands équilibres économiques et, en premier lieu, à l’assainissement des finances publiques. La Suède, qui en une législature, a su passer d’un lourd déficit à un excédent structurel des comptes de l’Etat constitue, à cet égard, un exemple envié et, je dirais, une référence pour ses partenaires. La France, qui mène son propre effort d’assainissement, partage la même conviction qu’il faut rompre la spirale des déficits et de la dette car nous savons que c’est la condition première de la pérennité d’une croissance qui est revenue désormais partout en Europe.

Priorité à la cohésion sociale et à l’emploi. Comme la France, la Suède a élaboré au long du temps un modèle social fort, auquel elle est, à juste titre, profondément attachée. Et elle veut promouvoir la dimension sociale de l’Union européenne.

Le Conseil de Lisbonne a souligné la convergence entre nos deux pays quant aux moyens de consolider la croissance au sein de l’Union et de retrouver un haut niveau d’emploi. Je voudrais évoquer, naturellement, le renforcement de la coordination des politiques économiques ainsi que la mise en oeuvre d’une politique active de l’emploi reposant sur des objectifs quantifiés. Politique qui doit notamment s’appuyer sur l’éducation et la formation tout au long de la vie, pour faciliter l’accès ou le retour à l’emploi du plus grand nombre et pour éviter que l’introduction d’internet et des nouvelles technologies soient un nouveau facteur d’exclusion du monde du travail pour ceux qui ne pourraient pas y accéder pour des raisons techniques ou pour des raisons touchant à l’illettrisme.

Nous vivons une véritable révolution avec le formidable développement des industries de l’information et de la communication. La Suède est tout à fait en pointe dans ce domaine comme dans d’autres. C’est une période de changement accéléré de nos structures économiques et industrielles. Nous devons encourager l’innovation, comme vous le faites, et faire entrer nos sociétés de plain-pied dans l’économie de demain. C’est une tâche exigeante qui requiert des efforts, des explications et des adaptations.

Priorité accordée à la recherche. Cet effort doit être mené à la fois au plan national et au plan européen, grâce au 6e programme cadre communautaire de recherche et de développement technologique. La Suède, qui vient en tête des pays de l’OCDE pour son effort en faveur de la recherche, constitue un exemple fort, une référence. Comme vous, nous pensons que le rôle de la puissance publique doit être relayé par la synergie entre universités et entreprises au travers d’accords ambitieux.

Priorité à une croissance respectueuse de l’environnement. C’est une demande pressante de nos concitoyens et c’est aussi une nécessité. La marée noire qui a touché la France cet hiver constitue un nouvel avertissement. Dans ce domaine, la Suède a été un précurseur. Elle a été un militant éclairé. Ensemble, nous devons faire de l’environnement et aussi, d’ailleurs, plus largement, de la sécurité de l'alimentation, une dimension essentielle des politiques européennes. Je répète ce que j’ai dit ce matin au Premier ministre, Göran Persson : " que la France appuiera sans réserve les efforts et les initiatives que la Suède a décidé d’engager lors de sa présidence pour ce qui concerne la défense de l’environnement ".

Priorité à l’ouverture et à notre pleine participation au commerce international. L’Union européenne, qui est la première puissance commerciale et industrielle du monde, doit en effet aborder de façon offensive et sans complexe le prochain cycle de négociations à l’OMC. Je sais le prix que la Suède, économie ouverte et grande puissance industrielle exportatrice, attache au succès de cette nouvelle étape. J’ai eu l’occasion de m’en entretenir longuement tant avec le Premier ministre qu’avec le ministre du Commerce. La France, qui a fait, elle aussi, le choix résolu de la mondialisation, y est également prête mais attentive toutefois à ce que les négociations avancent dans un esprit d’équité et de solidarité, notamment à l’égard des pays en développement.

Mais j’ai observé que ce souci était totalement partagé par les autorités suédoises, les autorités d’un pays exemplaire dans le monde de la solidarité internationale puisque le seul, aujourd’hui, à respecter l’engagement pris il y a vingt ans par la communauté internationale d’affecter 0,7% de son produit intérieur brut à l’aide publique au développement. Je voudrais saluer la Suède pour cet effort de solidarité qui n’est, hélas, pas suivi par beaucoup de pays dans le monde.

Enfin, je voudrais vous dire un mot de l’euro. L’euro était indispensable à l’unification du grand marché européen. Son lancement a été, je crois qu’on peut le dire, un grand succès. C’est une monnaie solide. Reposant sur des économies fortes, l’euro doit être fort. Je sais les efforts importants que mène actuellement le gouvernement suédois pour éclairer les choix à venir de votre pays. Je ne voudrais pas, naturellement, m’immiscer ni de près ni de loin dans les discussions qui ont lieu en Suède à ce sujet, nous avons eu les mêmes en France, et je respecte les avis des uns comme des autres, mais je crois que l’Union monétaire serait renforcée par l’adhésion de la Suède et que cette adhésion marquerait un nouveau progrès de l’Europe.




Vous le savez, la Suède et la France se sont vraiment, je l’ai répété, redécouvertes au sein de l’Union européenne. Et vous, responsables économiques et dirigeants d’entreprises, avez été à la pointe du partenariat franco-suédois qui a pris en quelques années des dimensions spectaculaires. Merci à chacune et à chacun des chefs d’entreprise suédois et français qui, notamment dans des instances qui ont été créées ou qui existaient comme " l’Executive club ", ont participé à cette prise de conscience et à ce développement.

Maintenant c’est l’Europe, qu’à la faveur de nos deux présidences successives, nous pouvons faire progresser, dans la voie de la croissance et de l’emploi. Cette Europe de l’innovation, de l’initiative, du dynamisme, les Etats peuvent l’encourager, la favoriser. Mais ce sont les entreprises, les commerçants, les artisans, les industriels, l’ensemble des salariés, qui vont la faire vivre et qui vont la réaliser.

C’est un message de confiance dans l’avenir de l’Europe que je souhaite vous transmettre aujourd’hui. Le dynamisme et la créativité de l’Europe sont bien réels. Les jeunes Suédois et les jeunes Français, que j’ai rencontrés hier, fourmillent de projets et d’initiatives. Ils sont de plus en plus nombreux à échanger leurs vues. Favorisons les créations d’entreprise. Favorisons leurs initiatives.

Dans une économie marquée par des changements rapides et des mutations technologiques majeures, la clé de la réussite est, plus que jamais, de faire confiance à l’homme et de renforcer la forte solidarité entre nous. C’est le gage des succès économiques et du progrès social.

Et je suis heureux de le souligner ici, en Suède. La Suède qui a fait depuis longtemps et avec tant de succès le pari de la formation des hommes et du savoir. La Suède qui a su développer les liens, mieux que partout ailleurs, entre entreprises et universités. La Suède qui est l’un de nos grands partenaires technologiques et industriels. La Suède qui, avant les autres, a investi la société de l’information et qui nous a montré la voie.

Voilà simplement, Madame la Présidente, ce que je voulais vous dire en remerciant encore votre club, l’assistance, et en disant à Sa Majesté et à Son Altesse Royale combien nous sommes tous, ici, sensibles à leur présence.




QUESTION - Monsieur le Président de la République, vous avez fait allusion dans votre discours aux négociations commerciales au niveau international. Ceci est un aspect de la globalisation dont tout le monde parle et qui suscite parfois de vives émotions et de fortes réactions. Nous l’avons vu à Seattle, avec un nombre de démonstrations fortes contre la globalisation, et vous l’avez parfois dans votre propre pays, avec les paysans qui sont mécontents d’un transport ici ou là. Comment pensez-vous que nous puissions réagir au niveau politique et au niveau économique au phénomène de la globalisation, de le faire mieux comprendre et de s’adapter aux chocs qui vont venir ?

LE PRÉSIDENT - Vaste sujet. D’abord, je crois que la mondialisation, la globalisation est inévitable. Elle ne s’arrêtera pas. Elle est liée à l’évolution des technologies, notamment de l’information et de la communication. Donc, elle se développera.

Deuxièmement, elle est porteuse de beaucoup d’avantages et notamment de croissance, donc de richesse. Il faut donc l’encourager, en tous les cas ne rien faire pour la freiner.

Troisièmement, elle est également comme toute manifestation humaine, porteuse de dangers. Le danger, c’est de laisser au bord de la route ceux qui ne peuvent pas aller assez vite.

Dans les pays : les hommes et les femmes qui ne s’adaptent pas suffisamment rapidement, soit par manque de capacité personnelle, soit par manque de formation et qui restent au bord de la route. Grand danger. Je prends Internet, c’est la première grande révolution de l’écriture depuis Gutenberg, mais cela veut dire que ceux qui ne lisent et qui n’écrivent pas sont exclus.

Dans les années 80, l’Europe n’a pas vu venir l’exclusion par le chômage. Il faut qu’elle soit attentive à ne pas ignorer ce qui pourrait devenir une exclusion par l’illettrisme. Si l’on ne sait pas lire sur les écrans, on est exclu. Donc, il faut faire attention.

C’est vrai aussi pour les pays où nous pouvons voir, naturellement, les pays riches et dynamiques qui se développent et les pays qui restent sur le bord du chemin. Et comme ils sont très nombreux, c’est une situation qui est moralement inacceptable et politiquement très dangereuse dans les tous les domaines.

Nous avons eu une illustration de cette erreur d’appréciation lorsque le Président américain, lisant probablement un discours que quelqu’un lui avait fait, avait dit, en s’adressant aux Africains, " maintenant c’est trade, not aid ". Stupide ! Parce qu’il est évident qu’on ne peut pas faire du commerce avec des gens qui n’ont pas le minimum de structures nécessaires pour développer leur société. S’il n’y a pas de routes, s’il n’y a pas d’hôpitaux, s’il n’y a pas d’écoles, il n’y a naturellement pas de commerce. C’est pourquoi j’avais répondu, à l’époque, non, c’est " aid for trade ".

Il faut faire attention aux effets pervers de la globalisation, et donc être attentif à l’humaniser. C’est la première réflexion.

La deuxième, c’est qu’il ne faut pas s’inquiéter de ce qui s’est passé à Seattle. D’abord, je crois qu’il faut bien comprendre qu’on ne recommencera pas ce qui s’est passé à Marrakech pour le premier round de négociations. A Marrakech, on a eu, en réalité, un accord entre les Etats-Unis et l’Europe. On ne s'est pas du tout préoccupé des pays émergents ou des pays en développement. Quand on a eu terminé, on leur a dit, voilà l’accord, signez ici et comme vous ne savez probablement pas écrire, mettez une croix. Oui, c’est cela qui s’est passé ! Cela a marché une fois, cela ne marchera pas deux fois. Maintenant, ils ont compris. Et donc, il faut bien être convaincu qu’un accord sur l’Organisation mondiale du commerce, cela suppose un accord avec les pays en développement.

Deuxièmement, il y a eu, vous l’avez dit, une situation particulière à Seattle. Naturellement, il y a eu des divergences de vues. Mais je crois surtout que Seattle avait été très, très mal organisé et que c’est la raison pour laquelle cela a échoué, la raison principale. Donc, il va falloir reprendre ces choses, rapidement, mais de façon sérieuse et raisonnable, avec une bonne organisation du travail.

La France considère que chacun doit faire des efforts, qu’elle en fera aussi, notamment dans des domaines qui lui sont sensibles, je pense par exemple au textile ou à l’agriculture, mais qu’il doit y avoir une vision globale, une évolution globale, une approche globale. On ne peut pas couper les négociations en tranches et faire en sorte que chacun prenne son petit morceau. C’est une négociation globale.

Enfin, c’est ma dernière observation, nous sommes, nous Français, mais je sais que les Suédois sont également attentifs à cet aspect des choses, extrêmement attachés à ce que soit respectée la diversité culturelle. Nous ne pouvons pas accepter les prétentions de nos amis américains qui consisteraient à ce que les biens culturels soient traités comme des biens agricoles, avec tout le respect que nous avons pour la production agricole, vous le savez. Ce n’est pas possible. Donc, nous considérons que chaque pays a vocation à décider lui-même les mesures de soutien nécessaires pour sa production culturelle et que ceci n’est pas susceptible de tomber dans le grand marigot central de la négociation.

Voilà ce que je pouvais vous dire.

QUESTION - Monsieur le Président de la République, nous nous sommes occupés jusqu’ici des problèmes économiques. Il y a aussi le volet politique, surtout en ce qui concerne le travail de l’Union européenne. En effet, c’est un objectif politique qui a été à la base de la création des Communautés, à savoir assurer une fois pour toute la paix en Europe après tant d’échecs terrifiants et les guerres. Je crois que vous employez en français le mot " jamais plus cela ". C’est à la base même des efforts qui ont mené à la création de l’Union européenne.

Je voudrais vous poser une question qui a trait à l’évolution de l’Union européenne dans le domaine politique et militaire. Lors des réunions du Conseil européen, l’année passée à Cologne et à Helsinki, il a été décidé de mettre en place certaines structures militaires qui permettront à l’Union d’intervenir efficacement pour deux buts précis importants, pourtant limités, à savoir solution de conflits et gestion de crises. La Suède va collaborer de plein coeur avec la France pendant nos présidences respectives pour mettre en oeuvre ce projet ambitieux.

C’est un projet qui intéresse vivement l’opinion suédoise et, dans quelques cas, qui préoccupe cette opinion, vu notre position hors des alliances militaires. J’ajoute que nous ne nous servons plus du terme neutralité pour caractériser notre politique, ce qui est peut-être un signal, et peut-être un signe d’une réflexion nouvelle sur le rôle de la Suède dans le nouvel environnement régional et global.

Ma question est la suivante, si vous regardez, Monsieur le Président, les développements après Cologne et après Helsinki, dans une perspective longue, disons très longue, est-ce que vous estimez souhaitable, voire possible qu’ils aboutissent à la création d’une véritable défense européenne territoriale ?

LE PRÉSIDENT - Merci de poser une question sur un sujet à la fois politique et à mes yeux essentiel. Je voudrais d’abord dire que, pour moi, pour nous, Français, il n’est pas question de juger, et a fortiori de contester, la position de la Suède dans le domaine militaire. La position est ce qu’elle est, et par conséquent nous la respectons. J’ajoute que nous la comprenons.

Aujourd’hui, par ailleurs, il nous semble qu’un grand ensemble comme l’Europe, environnée de risques de crises ou de conflits, ne peut pas ne pas se doter des moyens d’intervenir. Il ne s’agit pas naturellement de faire la guerre, comme on a pu la connaître dans le passé. Nous n’avons aucune intention agressive à l’égard de quiconque. Il s’agit de faire respecter des valeurs ou de faire revenir la paix. Pour cela il nous faut des moyens. Et pour dire la vérité, je ne vois pour ma part aucune contradiction entre la préoccupation suédoise quant, je dirais, à la neutralité, pour simplifier -ce n’est plus le mot peut-être qui convient aujourd’hui-, je ne vois aucune contradiction entre cette position suédoise, je le répète que je respecte, et l’existence des moyens nécessaires pour agir afin de maintenir la paix ou d’éviter les crises, ou d’intervenir lorsque les raisons humanitaires l’exigent. Je ne vois pas de contradiction.

Alors, peut-être nous sommes-nous mal exprimés au départ, notamment lorsque nous avons fait la déclaration de Saint-Malo avec les Britanniques. Peut-être n’avons nous pas pris suffisamment la peine d’expliquer. J’observe que, sous l’impulsion des ministres des Affaires étrangères -je salue ici le ministre français des Affaires étrangères qui s’est beaucoup investi dans cette affaire-, les positions de la Suède, de la France, de l’Angleterre et de l’Allemagne se sont beaucoup rapprochées. Je crois que les autorités suédoises ont compris qu’il n’y avait pas de contradiction entre leur philosophie et l’existence de moyens de sécurité et que, par conséquent, nous devrions arriver d’ici la fin de cette année, sous présidence française, à un accord en ce qui concerne la défense européenne.

Et vous me demandez, en terminant, mais est-ce que vous croyez qu’au total et à moyen ou long terme une défense européenne est nécessaire ? Ma réponse est oui. Parce que l’histoire, dans toutes les civilisations, et je dirais depuis les origines, ne donne pas d’exemple d’union humaine qui ait résisté à une crise forte si elle n’avait pas les moyens de se défendre. On ne peut pas tout attendre de l’extérieur. Il faut avoir les moyens de se défendre. Non pas d’attaquer, mais de se défendre. Cela, c’est l’histoire du monde qui nous le dit. Et donc, je crois à l’impérieuse nécessité d’une défense européenne dans des conditions, pour ce qui nous concerne, que nous sommes tout prêts à évaluer et à discuter avec, notamment, nos amis Suédois.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que vous me permettez de continuer sur le sujet européen ? Depuis le début de la Communauté, déjà en 1957, la relation entre la France et l’Allemagne a été la clé, le moteur de la construction européenne. Sans vouloir imposer aux autres toutes leurs vues, cela a été tout de même l’élément essentiel. Où en est aujourd’hui la relation entre la France et l’Allemagne qui a créé, entre autre, à Maastricht, l’Union monétaire, l’euro, qui est tout de même une très, très grande réussite de l’avis de tous. Mais, où en est cette relation aujourd’hui ?

LE PRÉSIDENT - C’est un problème complexe. Je ne pense pas que cela soit dans le sens que vous imaginez. Ma conviction profonde, et aussi, je crois pouvoir le dire, la position du Chancelier allemand, c’est que la construction européenne exige une entente franco-allemande. L’entente franco-allemande n’est pas suffisante, mais elle est nécessaire.

Naturellement, il y a très longtemps que j’observe le fonctionnement de l’Europe dans diverses fonctions, celles que la Présidente a bien voulu rappeler tout à l’heure avec beaucoup de gentillesse. Alors je vois ce qui se passe. Quand la France et l’Allemagne prennent une initiative et, finalement, donnent un peu l’impression de vouloir imposer leurs vues, alors un certain nombre de nos partenaires disent : " comment, c’est encore l’affaire franco-allemande, ils nous agacent, pourquoi est-ce qu’ils veulent tout décider ? ". Ce que je comprends. Mais vous observerez que quand il y a un problème, qu’on n'arrive pas à en sortir, ce qui arrive régulièrement, deux fois par an, au moment de tous les conseils européens, si l’Allemagne et la France ne prennent pas une initiative, alors tous nos partenaires disent " mais comment, c’est à la France et à l’Allemagne de prendre une initiative, s’ils ne font rien, on n’en sortira pas, pourquoi est-ce qu’ils ne prennent pas une initiative ? ". C’est toujours comme cela. Il faut faire avec les choses comme elles sont.

Je peux donc vous dire que, premièrement, la relation franco-allemande est excellente. Elle ne pose aucun problème. Deuxièmement, que je crois que c’est une nécessité.

Je vais vous donner un exemple d’actualité. J’ai eu un long entretien, hier et aujourd’hui, avec le Premier Ministre, Göran Persson. Nous avons décidé que si nous voulions que la présidence française soit un succès, ce qui est notre intérêt à nous, Français, mais ce qui est aussi l’intérêt de la Suède, qui n’a pas intérêt à récolter un échec français naturellement, et à s’en débrouiller, nous avons décidé, donc, d’articuler nos présidences et de bien travailler ensemble. Nous faisons un groupe de travail informel commun au niveau des ministres des Affaires européennes et de leurs collaborateurs pour régler tout ce qui pourrait être réglé ensemble. C’est-à-dire apporter l’appui de la Suède à la France pendant la présidence française et l’appui de la France à la Suède pendant la présidence suédoise. J’ai tout de suite dit au Premier ministre suédois que nous avons également un groupe de travail avec les Allemands. Et donc, quand nous viendrons, nous parlerons en notre nom de président, mais aussi au nom de l’Allemagne, ce qui naturellement est un grand avantage pour le Premier ministre suédois dans le cadre de la préparation de sa propre présidence, parce que cela lui simplifie les choses.

Donc, si vous voulez, l’accord franco-allemand n’est pas un accord d’autorité. Ce n’est pas une volonté de s’imposer. C’est un système qui existe et qui est nécessaire pour le bon fonctionnement de l’Europe. Il faut l’utiliser avec solidarité, sans arrogance naturellement, mais il faut l’utiliser.

QUESTION - Monsieur le Président de la République, lors de la conférence de presse d’hier, vous avez constaté ensemble avec Monsieur Persson que c’est pour tous les pays européens une tâche primordiale que de faire entrer la Russie dans le travail de collaboration et d’intégration européennes. Mais vous avez constaté aussi que les événements tragiques en Tchétchénie créent pour le moment un problème, un dilemme. C’est là pour la politique étrangère de la Suède une tâche primordiale, qui s’occupait justement de l’entrée de la Russie en Europe. Mais au-delà de ce problème actuel de Tchétchénie qui, espérons-le, va se résoudre par les moyens pacifiques et politiques, quelle est votre vision du rôle de la Russie, de la nouvelle Russie, de la Russie de Poutine dans la structure européenne de sécurité qui doit être le but final de nos efforts communs

LE PRÉSIDENT - Je voudrais d’abord dire que nous partageons, nous Français, sans réserve, la position exprimée par le Premier ministre et le Gouvernement de Suède. La Russie est une très grande puissance, une très grande nation, un très grand pays, un grand peuple qui a connu un accident historique, qui est dans une situation très difficile, mais qui, naturellement, se redressera, parce que c’est un grand peuple et une grande nation. Nous avons donc tout intérêt, pour la stabilité de l’Europe et du monde, à faire en sorte que ce redressement soit le plus rapide possible. Il suppose la restauration de l’Etat, l’élimination des mafias. Il suppose l’approfondissement ou l’enracinement de la démocratie. Il suppose que la Russie soit un pays pacifique. Il suppose qu’elle fasse les réformes nécessaires.

Le Président Eltsine avait engagé la Russie sur cette voie de la démocratie, de la paix, des réformes. Il avait sa manière à lui de faire les choses, mais il les avait ainsi engagées. Le Président Poutine, je le pense, poursuivra dans cette voie. En tous les cas, c’est notre conviction.

Je le répète, notre intérêt c’est de l’aider. D’où, d’ailleurs, une initiative qui a été prise récemment par le ministre français des Affaires étrangères, qui a envoyé une lettre à ses collègues européens pour définir les modalités du partenariat euro-russe. Je sais que cette lettre a été très bien reçue, ici à Stockholm.

Evidemment, il y a cette affaire tchétchène qui nous préoccupe tous. Et je dirai, pour des raisons d’opinion publique, peut-être plus encore en France qu’ailleurs. C’est vrai, l’opinion publique en France a réagi de façon négative et critique, plus, je crois, que tous les autres pays de la Communauté et même de la communauté occidentale. Nous sommes obligés aussi de tenir compte de notre opinion publique.

C’est la raison pour laquelle la France a été probablement le pays le plus actif, pas probablement, a été le pays le plus actif pour essayer de faire pression sur les Russes afin qu’ils ouvrent un peu la Tchétchénie à l’examen des autres, notamment sur le plan humanitaire, sur le plan de l’information, etc. Et deuxièmement, pour qu’ils cherchent une solution politique à ce problème qui n’a pas de solution militaire. Je ne crois pas qu’il puisse y avoir une solution militaire d’un conflit qui dure depuis des siècles, qui implique des maquis, dans des pays extrêmement difficiles d’accès. Je ne crois pas qu’il y ait une solution autre que politique. Quelle est cette solution ? Je n’en sais rien. Peut-être faut-il faire rapidement des élections pour qu’il y ait des gens avec qui les Russes puissent discuter de ce qui est une partie de leur territoire par ailleurs. Comment, par là-même, essayer d’éliminer le terrorisme intégriste qui est indiscutable.

Donc, nous sommes très favorables à cela. Et nous souhaitons que les Russes puissent progresser dans cette direction.

Mais enfin, au-delà de ce que j’espère être un problème qui trouvera sa solution en Russie, nous sommes très attentifs à ce qu’il y ait un vrai partenariat entre l’Europe et la Russie, pour que la Russie soit le plus vite possible une grande puissance pacifique, démocratique et prospère.





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