Discours du Président de la République lors de l'ouverture du VIIIe sommet de la Francophonie

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République lors de l'ouverture de la VIIIème Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement des pays ayant le français en partage.

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Moncton (Canada) le vendredi 3 septembre 1999.

Mesdames,
Messieurs,

Permettez-moi de remercier, le Premier Ministre du Canada, cher Jean Chrétien, Le Premier Ministre du Nouveau-Brunswick, Madame la Vice-Présidente de la République socialiste du Vietnam, qui a passé aujourd'hui le flambeau qu'elle a porté pendant deux ans avec beaucoup d'élégance, de compétence et de talent, Je voudrais aussi saluer et remercier les Chefs d'État et de Gouvernement présents, le Secrétaire Général des Nations Unies, Le Secrétaire Général de la Francophonie, Et vous toutes et vous tous, jeunes, moins jeunes, Et permettez-moi aussi de remercier particulièrement nos amis Acadiens et aussi nos amis de tout le Canada, pour leur hospitalité.

Quelle joie pour nous tous, francophones, d'être ici, au coeur du pays acadien, pour un Sommet dédié à la jeunesse ! Dans une région du monde où notre langue a retrouvé toute sa place, après s'être maintenue au prix d'un combat acharné, d'une résistance quotidienne à l'assimilation, année après année, génération après génération, famille après famille. Dans une région qui est aussi à la pointe de ces nouvelles technologies de l'information dont la maîtrise est désormais une condition pour réussir et affirmer sa culture. Quel symbole d'être ici, dans ce Canada qui recherche et invente les règles d'un savoir-vivre ensemble pacifique et tolérant ! Ce Canada, terre des premières nations, des francophones, des anglophones, qui offre aujourd'hui l'exemple de la diversité culturelle et linguistique assumée et valorisée.

Nous voulons une francophonie fraternelle, qui participe activement à l'enracinement dans le monde de la paix, de la démocratie, du respect des droits de l'Homme en même temps qu'elle contribue à bâtir un développement économique, social, culturel, qui soit à la fois fort et juste. Une francophonie épanouie, qui affirme ses valeurs sur la scène internationale à l'heure où s'élaborent de nouvelles règles du jeu universelles. Une francophonie déterminée, qui se donne les moyens de se faire entendre. A Cotonou puis à Hanoï, pour donner toute ses dimensions à notre mouvement, nous avons adopté de grandes réformes. Et je remercie chaleureusement notre Secrétaire général, Boutros Boutros-Ghali, qui déploie son talent, son énergie, sa compétence, pour mobiliser le formidable potentiel francophone : une cinquantaine d'États souverains, présents sur tous les continents, des centaines de millions de femmes et d'hommes, un poids économique équivalent à celui du Commonwealth. Oui, rassemblés, organisés, nous pourrons mieux faire entendre notre voix originale dans les affaires du monde, une voix qui ne cessera de clamer l'égale dignité des hommes et le refus de l'exclusion. Oui, nous avons un rôle à jouer ensemble, pour que l'irréversible mondialisation des activités humaines respecte nos identités et donne la place qui lui revient à notre langue commune, comme à toutes les langues, des plus modestes aux plus prestigieuses par le nombre de celles et de ceux qui les parlent, ces langues qui, chacune, expriment une part du génie de l'humanité Dans toutes les institutions internationales, nous devons multiplier les concertations entre francophones, à l'image de ce que nous avons fait à la veille du Sommet de Rio en 1992 ou lors de la négociation sur la Cour Pénale Internationale. Nous devons, dans chaque organisation, imposer solidairement le respect du français, placer des cadres de qualité, encourager l'apprentissage de notre langue par les fonctionnaires internationaux. Et je sais que nous pouvons compter sur la compréhension, la sympathie et le soutien de notre ami M. Kofi Annan, que je salue avec plaisir et que je remercie chaleureusement de sa présence parmi nous.

En novembre, va s'ouvrir à Seattle le nouveau cycle de négociations sur les règles du commerce international. Les enjeux sont considérables. Pour l'accès des pays en développement aux principaux marchés. Pour la promotion des normes sociales. Pour la protection de l'environnement. Pour la sécurité des consommateurs. Pour l'avenir de la diversité culturelle dans le monde. Afin de promouvoir nos intérêts, de défendre fermement l'exception culturelle, la diversité culturelle, conduisons ensemble cette grande affaire ! Que nos experts se rencontrent pour la préparer ! Que nos ministres se consultent régulièrement sur tous les problèmes qu'elle pose. Nous devons prendre l'habitude de travailler ensemble sur toutes les autres questions où la coopération et la solidarité peuvent faire bouger les choses. Je pense à la conférence mondiale contre le racisme en 2001, à la lutte contre la drogue ou le crime organisé, à la lutte pour l'environnement, à celle, permanente et nécessaire, pour le respect des droits de l'Homme. Sur tous ces sujets et sur bien d'autres, nous pouvons, en nous mettant d'accord, casser les logiques étroitement régionales, les confrontations stériles entre le Nord et le Sud, progresser vers des positions équilibrées, respectueuses de chacun et de chacune de nos identités. Oui, la Francophonie peut incarner une dimension essentielle et originale du monde multipolaire de demain.

Mais, pour l'incarner, elle doit être un combattant exemplaire, un combattant efficace au service de la paix, au service de la démocratie, des libertés, des droits de l'Homme, du développement, de la bonne gouvernance. Ces deux dernières années ont marqué d'importants progrès. Sous votre impulsion, cher Boutros Boutros-Ghali, avec les représentants personnels qui vous entourent et vos collaborateurs, dont je salue le dévouement, la Francophonie a participé à des initiatives en vue du règlement de plusieurs conflits. Je pense notamment à l'Afrique Centrale, qui souffre de façon incompréhensible et absurde, où, aux côtés des Nations Unies et de l'Organisation de l'Unité Africaine, nous devons tout faire pour que cessent des conflits d'un autre âge et pour que revienne enfin la paix. La Francophonie a également contribué au bon déroulement d'opérations électorales. A la mise au point d'importants accords de réconciliation nationale, comme elle l'a fait tout récemment au Togo. Dans plusieurs pays, elle met en oeuvre d'utiles programmes de perfectionnement des institutions et de renforcement de l'État de droit. L'Organisation Internationale de la Francophonie est devenue un acteur important qui collabore efficacement avec les Nations Unies, avec l'OUA, avec la Ligue Arabe, avec le Commonwealth, avec les grandes organisations du monde d'aujourd'hui. Mais nous avons encore bien du chemin devant nous : trop de tensions régionales, de conflits internes, de coups de force inacceptables, de processus démocratiques inachevés témoignent de ce chemin à parcourir.

Pour progresser, nous devons aller plus loin dans trois directions. D'abord, renforcer le dialogue entre le Secrétaire général et les membres de notre organisation. Il en ressent, je le sais, le besoin et je pense qu'il a raison. Pour cela, nous devons trouver des formules souples et pragmatiques, à partir des instruments à notre disposition. Ensuite, développer notre action au service de la démocratie et des droits de l'Homme. Nos ministres ont recommandé, lors de leur réunion de Bucarest, l'organisation prochaine d'une conférence à ce sujet. C'est une nécessité. Je pense aussi que le moment est venu de mettre effectivement en place l'Observatoire de la Démocratie, sous l'autorité du Secrétaire général. Nous aurions ainsi un instrument efficace pour progresser. Enfin, nous devons donner à notre Secrétaire général les moyens budgétaires et humains nécessaires à ces missions.

Cette nouvelle dimension politique de la francophonie est une priorité. Mais elle ne doit pas nous détourner de nos coopérations multilatérales traditionnelles. La France, pour ce qui la concerne, maintiendra, au cours des deux prochaines années, le montant de ses contributions. Outre les actions de consolidation de l'État de droit et de la démocratie, quatre domaines de coopération doivent, me semble-t-il, être retenus. Nos programmes doivent d'abord être conçus en fonction des besoins et des ambitions des jeunes générations.

La première priorité doit revenir à l'éducation de base et à la formation tout au long de la vie. Notre première richesse, évidemment, c'est l'Homme. Notre première préoccupation, ce sont nos enfants. Notre première responsabilité c'est de leur assurer un avenir, par l'apprentissage des connaissances qui leur donneront accès aux instruments modernes du savoir. A l'heure de la société de l'information, l'avenir appartiendra à ceux qui sauront en maîtriser les outils et s'adapter aux évolutions techniques et scientifiques. Ensemble, nous devons y réfléchir et demander à nos opérateurs de bâtir des programmes efficaces avec les bailleurs de fonds nationaux et internationaux. J'appelle l'Organisation Internationale de la Francophonie à s'associer avec la Banque Mondiale et l'Unesco pour élaborer, en partenariat avec les pays qui le souhaiteraient, un plan ambitieux de rénovation des systèmes d'enseignement et de formation. C'est la priorité des priorités. Et tout le reste en dépend.

Pour compléter ce plan, la Francophonie devrait prendre l'initiative d'un vaste programme de jumelage d'établissements d'enseignement, expression concrète de notre solidarité, à l'image, par exemple, de ce qu'ont fait les lycées de Hanoï et de Sceaux. La deuxième priorité, ce sont nos langues, et d'abord le français. Le plurilinguisme n'offre pas seulement une chance de dialogue et donc d'enrichissement.

Il est aussi un précieux atout, une nécessité pour réussir dans un monde où triomphent les échanges de personnes, de biens, d'idées. Où s'effacent les frontières traditionnelles. Où les notions d'espace et de temps sont bouleversées. Où savoir communiquer dans l'une des grandes langues mondiales devient une condition du succès. Tout doit être fait pour que demain, chaque enfant acquière les bases solides, soit avec un manuel, soit avec les formes nouvelles de l'enseignement à distance.

C'est pourquoi notre troisième priorité, ce sont tout naturellement les nouvelles technologies. 80% des sites présents sur la toile sont actuellement en anglais, alors que seulement un habitant sur dix de la planète s'exprime dans cette langue. Il est impératif d'investir massivement les réseaux mondiaux d'information. Notamment pour faciliter le dialogue de nos jeunes, le jumelage de nos universités et de nos écoles. Nous devons intensifier notre effort dans le cadre du Fonds des inforoutes qui a prouvé son efficacité. Nous devons, Monsieur le Secrétaire général, développer une coopération opérationnelle avec les États ou les organisations qui incarnent les autres grandes langues de communication mondiale. Offrons à nos jeunesses, sur ces nouveaux réseaux, la riche palette de la diversité linguistique et culturelle de notre village planétaire. C'est possible. C'est une question de volonté, d'imagination, d'organisation beaucoup plus qu'une question d'argent.

La quatrième priorité, c'est la culture, ou plutôt nos cultures, des cultures dont chacun de nos pays est à juste titre si fier. Elles expriment notre créativité, nos sensibilités, nos différences, nos identités. Elles doivent être davantage soutenues, encouragées. Et le meilleur service que nous puissions rendre à nos créateurs, c'est de faciliter, de façon dynamique et moderne, leur accès aux marchés mondiaux, pour qu'ils soient vus, lus, entendus. Pour qu'ils accèdent à une diffusion universelle. * Pour mettre en oeuvre ces priorités, nous devons conduire résolument l'adaptation permanente de nos modes d'action et la rénovation de nos opérateurs. Notre Agence, sous l'autorité de son Administrateur général, a engagé la réforme de ses structures. Elle doit maintenant procéder à l'examen critique de ses programmes et de ses méthodes, afin de s'assurer qu'elle intervient à bon escient, au moindre coût et là où personne d'autre ne peut mieux faire.

Elle doit rechercher des ressources complémentaires auprès de bailleurs de fonds tels que la Banque mondiale, l'Union européenne, les collectivités locales, mais aussi les entreprises et le secteur associatif. Nous devons soutenir l'Agence dans cet effort. J'ai, pour ma part, eu l'occasion de m'en entretenir avec les présidents de la Banque mondiale et de la Commission européenne. Cette logique d'évaluation s'impose à tous ! L'évaluation qui a été conduite à l'AUPELF-UREF, à la demande de notre Secrétaire général, a permis un examen approfondi et objectif de la situation. Elle a relevé des faiblesses qu'il faut maintenant corriger. Le Secrétaire général nous fera rapidement des propositions et nos ministres prendront, avant la fin de l'année, les mesures qui feront de notre opérateur, à l'orée du prochain siècle, un fleuron de nos coopérations multilatérales. Et j'appelle l'AUPELF-UREF et toutes les universités francophones à collaborer pleinement à cette indispensable refondation. C'est dans cet esprit que la France maintiendra ses efforts financiers et humains. TV5 nous offre l'exemple réussi d'une démarche résolument réformatrice.

Aujourd'hui TV5 doit transformer l'essai en adoptant une nouvelle approche sur le continent américain et en développant les programmes nouveaux qu'appelle une chaîne de télévision moderne et mondiale. Quant à l'Association des Maires Francophones, dont j'ai eu le bonheur de fêter hier à Québec le XXe anniversaire, elle a su nouer, entre grandes métropoles francophones, avec un budget modeste, une coopération d'une grande efficacité, au service direct et concret des populations de nos grandes villes. Au-delà de cette Association, je voudrais saluer le rôle indispensable et sans cesse croissant de la coopération décentralisée et de toutes les associations qui nous offrent le visage de la générosité et de la fraternité. * Oui, il y a une générosité et une fraternité francophones. Nous partageons entre nous plus qu'une amitié, nous partageons une même vision de la civilisation, de la paix, de la liberté, du développement.

Nous avons voulu, ici, à Moncton, engager notre grand dialogue avec la jeunesse. Et je salue les jeunes qui se sont exprimés avec coeur, conviction et intelligence tout à l'heure, et avec beaucoup de talent aussi. Être jeune, en effet, c'est chercher le sens des choses. C'est questionner l'avenir. C'est faire les grands choix de l'existence. Les jeunes ont l'âge des engagements, au service des autres, au service d'un idéal. Eh bien, cette générosité et cette fraternité francophones doivent les convaincre que la francophonie peut répondre à leurs aspirations et leur apporter les outils de la modernité dont ils ont besoin. Je salue les jeunes, venus en grand nombre à Moncton, des quatre coins du monde, et porteurs de volonté, d'engagement, de générosité et d'espérance. Je salue très amicalement toutes celles et tous ceux qui sont parmi nous. Nous les avons entendus à Bamako, à Genève, à Paris aussi, où je les recevais le 22 mars dernier. Nous avons écouté leurs porte-parole et nous les retrouverons pour la séance de travail à laquelle nous devons attacher une importance toute particulière. Il nous reviendra de traduire en actions de coopération leurs propositions les plus intéressantes. Pour que notre mouvement soit davantage le leur. Pour qu'ils en assument la relève. Pour qu'ils y aient toute leur place. Pour faciliter leur apprentissage de la citoyenneté. Pour leur permettre de réaliser leurs projets. Pour les aider à être les meilleurs à l'orée du XXIe siècle. Les jeunes attendent de nous une réponse à la mesure de leurs élans, des élans qui sont ceux du coeur et de l'enthousiasme. Ne les décevons pas !

La jeunesse, c'est plus de la moitié de la population de nos pays. Nous lui devons un avenir. Nous devons créer les conditions de son épanouissement. Et la francophonie, c'est aussi cette solidarité qui nous fait agir ensemble pour que recule l'exclusion. Pour que chacun mange à sa faim, accède aux soins, reçoive l'éducation et la formation, vive dans la liberté et dans la dignité. Pour que chaque jeune ait confiance en l'avenir. La France ne cesse, dans toutes les enceintes, de l'Union européenne au G7, et très souvent aux côtés du Canada, de plaider en faveur du maintien de l'indispensable aide publique au développement et de la solidarité entre les nations.

En juin, à Cologne, le Sommet du G7 a pris une initiative forte pour alléger la dette des pays les plus pauvres et leur permettre de se consacrer à leur développement. En tant que membre du G7, j'entends personnellement veiller, avec mes collègues, à ce qu'elle soit rapidement mise en oeuvre, afin que les trois quarts des pays éligibles aient pu en bénéficier avant la fin de l'année prochaine. Et la France se bat en ce moment pour obtenir un renouvellement satisfaisant des Accords de Lomé entre l'Union européenne et les pays ACP. Notre dialogue sur ces questions doit être plus intense, plus nourri, à l'image de la réunion de Monaco entre nos ministres de l'économie. Nous devons encourager le Forum francophone des Affaires. Nous devons aussi rassembler nos forces sur la scène internationale et, chaque fois que possible, défendre ensemble nos dossiers auprès du FMI, de la Banque mondiale, des banques de développement. * Mes chers amis, Quand je regarde en arrière, quand je mesure le chemin parcouru en trente ans, depuis la création de l'ACCT à Niamey, j'éprouve un sentiment de fierté et de confiance. Nos grands anciens avaient fondé la Francophonie sur la promotion de notre langue et la coopération technique. Nous avons su la doter des institutions dont elle avait besoin pour s'affirmer comme un pôle d'influence et de solidarité crédible dans le monde multipolaire de demain. Nous avons su lui donner ses dimensions politique, sociale, économique, culturelle. Nous avons l'ambition de la projeter sur tous les réseaux de la société de l'information et de préserver, avec d'autres, la diversité culturelle du monde. Le combat pour la langue française n'est pas un combat défensif, c'est un combat offensif et moderne pour la richesse et l'épanouissement de l'ensemble des pays qui forment le monde de demain.

Notre message est un message de paix, de tolérance. Notre combat est un combat pour l'Homme, sa liberté, sa dignité, son épanouissement. Notre ambition est celle d'une société internationale juste, ouverte et solidaire.

Voilà le message, le combat, l'ambition, les valeurs qu'avec notre langue nous voulons promouvoir, pour notre jeunesse, dans le siècle qui s'avance.

Mes chers amis, je vous remercie.





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