Discours du Président de la République à l'occasion des rencontres internationales organisées par la fédération internationale des personnes âgées.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de l'année internationale des personnes âgées : rencontres internationales organisées par la fédération internationale des personnes âgées.

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CNIT, Paris la Défense, le vendredi 10 septembre 1999

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Le siècle qui s'achève aura été marqué par une formidable expansion démographique. Jamais la terre n'aura porté autant d'enfants. Aujourd'hui encore, le rajeunissement de la population est à l'oeuvre sur plusieurs continents. Dans les pays développés, la génération du baby boom est aux commandes. Partout, les problèmes des jeunes, de leur formation, de leur insertion, sont légitimement au coeur des préoccupations.

Mais une société se juge aussi à sa capacité à donner toute leur place aux plus anciens. En mettant l'année 1999 sous le signe des personnes âgées, les Nations Unies ont voulu contribuer à ce que chacun de nos pays en prenne mieux conscience. C'est une initiative utile, à laquelle la France est heureuse de participer. Pour que notre réflexion collective progresse, je souhaite et je proposerai que la question du vieillissement actif soit également débattue lors du prochain Sommet du G8.

Parmi tout ce qui restera de notre siècle, l'histoire retiendra certainement ce formidable progrès humain, sans précédent depuis le commencement des temps, qui a permis à l'espérance de vie de doubler en cent ans. C'est une véritable révolution. Elle entraîne une modification radicale des perspectives de l'existence. Elle implique une transformation profonde des différents âges de la vie, une transformation dont les effets vont continuer à se développer au cours des prochaines décennies.

Au rythme où la durée de la vie continue à progresser, un rythme d'un trimestre par an, les experts estiment aujourd'hui que la moitié des Françaises qui naîtront à partir de l'an 2000 deviendront centenaires. En France, le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans aura quadruplé d'ici cinquante ans.

Mais l'essentiel, au moins autant que la prolongation de la vie, c'est la préservation des capacités physiques et intellectuelles face aux atteintes du vieillissement. L'âge restera toujours facteur d'expérience et de sérénité ; il sera de moins en moins source de fatigue, d'affaiblissement, voire d'incapacité. Si toutes les ressources de la recherche scientifique et de la médecine continuent à être mobilisées, et il faudra pour cela que les performances de notre système d'assurance-maladie soient confortées, la santé et la vie réaliseront encore de formidables conquêtes sur la maladie et sur le temps. Les récents progrès de la recherche contre le cancer, la grande aventure des thérapies géniques, les avancées de ces dernières années dans le traitement du sida, le développement d'une médecine de prévention justifient l'espoir et l'optimisme.

Nous pouvons donc regarder avec confiance cet avenir, un avenir où la volonté d'agir, le dynamisme et l'appétit de vivre vont encore gagner du terrain sur la vieillesse. Un avenir où la dépendance, la maladie, la perte de la mémoire et bien d'autres défis de la sénescence, seront peu à peu relevés.

Les transformations qu'implique dans le monde entier l'allongement de la durée de la vie sont nombreuses et profondes. Heureuses, positives, parfois contradictoires aussi, elles ne sont pas suffisamment comprises, analysées, prises en compte.

Les frontières entre les âges ont été bousculées. On ne vieillit plus comme autrefois. A un âge où l'on était souvent épuisé naguère, on est encore jeune aujourd'hui. Notre organisation sociale tarde à s'en apercevoir. Elle tarde à en tirer les conséquences.

Les problèmes auxquels nous sommes confrontés dépassent de très loin la seule question du financement des retraites. Ce qui est en cause, c'est en réalité notre capacité à ouvrir la voie à une autre organisation de la société. Si nous voulons tout à la fois relever les défis du vieillissement, accroître notre dynamisme, et préserver notre cohésion et nos équilibres, nous devons engager des transformations sociales très profondes.

Il s'agit d'abord de renouveler, d'enrichir et d'assouplir les conditions de l'activité professionnelle aux différents âges de la vie, de donner à chacun de meilleures chances pour l'emploi, la promotion et l'adaptation aux mutations technologiques. Demain, nous travaillerons autrement.

Il s'agit aussi de répondre aux besoins de santé et d'autonomie des personnes les plus âgées, pour leur éviter d'être coupées du reste de la société, et pour préserver leur liberté, leur bien-être et leur bien-vivre.

Il s'agit enfin de traiter la question des retraites avec lucidité, dans un souci d'unité, en étant justes et responsables, et en donnant à chacun les moyens d'une plus grande liberté de choix.





Un nouvel âge actif est en train de naître, un âge où l'homme, en pleine possession de ses moyens, peut espérer agir à sa guise et profiter pleinement de sa liberté.

Cet âge peut, bien sûr, rester celui du repos, des loisirs, parfois des voyages. C'est le choix de beaucoup de Français, un choix qui, de plus en plus souvent, s'accompagne d'autres activités, notamment associatives.

Mais ce nouvel âge actif, compte tenu de l'évolution de la démographie, de l'économie et de l'emploi telle qu'elle se dessine, devrait être aussi celui d'une reconquête du travail, pour tous ceux qui le souhaitent, et pour le temps qu'ils souhaitent.

Alors que l'humanité aborde aujourd'hui de nouveaux rivages, notre société, depuis un quart de siècle, n'a eu de cesse de rendre plus précoce l'âge de la fin de l'activité. Si, pour chacun d'entre nous, la vieillesse biologique commence de plus en plus tard, on a vu se diffuser cette idée fausse que, pour l'économie, 50 ans c'est déjà presque vieux. On a eu tendance à exclure les anciens du monde du travail. Près des deux tiers des Français l'ont déjà quitté quand ils atteignent leur soixantième anniversaire. Ce n'est pas normal.

Dans un environnement plus favorable, de nombreux Français choisiraient volontiers de continuer à travailler. Il y a certainement place pour une meilleure répartition des temps de la vie entre emploi et retraite, une répartition plus progressive, permettant des allers retours.

On attribue la responsabilité de l'éviction des anciens à la crise de l'emploi et à l'accélération des mutations technologiques. Le bouleversement des compétences est certes réel. Il périme les qualifications les mieux établies. Il éloigne de l'emploi les travailleurs sans formation. Dans certains cas, c'est un véritable rouleau compresseur. Mais cela n'explique pas tout. L'exclusion des salariés les plus âgés est aussi, et peut-être même surtout, la conséquence d'une gestion des ressources humaines qui n'anticipe pas suffisamment.

A l'échelle individuelle comme à celle de la société, cette situation conduit à un immense gaspillage humain, d'autant plus que l'emploi des jeunes ne s'en trouve pas du tout conforté : notre pays présente, en effet, la triste particularité de cumuler l'un des taux d'activité des salariés âgés les plus faibles des pays industrialisés et l'un des taux de chômage des jeunes les plus élevés. La puissance publique, les partenaires sociaux, et bien sûr les entreprises elles-mêmes, doivent en prendre conscience. Le recours systématique aux préretraites n'est pas une solution, c'est en réalité l'aveu d'un échec collectif. Pour beaucoup d'hommes et de femmes, l'horizon s'est refermé. La possibilité d'opter pour la poursuite de l'activité a dans bien des cas été effacée. C'est une liberté qui disparaît. Nous devons la rétablir, ouvrir de nouvelles possibilités de choix, inventer de nouvelles formules pour répondre à la diversité des aspirations et des situations.

Je sais bien que la préretraite est souvent accueillie comme une libération et non comme une mise à l'écart. Beaucoup de travailleurs ont le désir d'arrêter le plus tôt possible une activité pénible quand ils sont entrés très jeunes dans la vie active. Au fur et à mesure que l'âge vient, certains cadres éprouvent eux aussi un malaise croissant au sein de la communauté de travail, et parfois même un sentiment de marginalisation. En effet, la place laissée aux salariés les plus expérimentés dans l'organisation du travail est trop réduite, trop mal étudiée, pour leur donner toujours envie de continuer.

Pourtant, si nous le voulons vraiment, nous pourrons faire évoluer les compétences et les emplois assez tôt pour que notre économie puisse s'enrichir d'une participation accrue des aînés qui le veulent à l'activité. Pour cela, il faudra remettre l'homme au premier rang des préoccupations.

Ouvrir un nouvel avenir aux travailleurs de plus de 50 ans, c'est la condition d'un épanouissement qui, pour un grand nombre d'hommes et de femmes encore jeunes, continuera longtemps à se mesurer aux fruits du travail ou de l'engagement social.

C'est en intégrant ce type de priorités qu'une société progresse et se modernise, en donnant à chacun de nouvelles chances d'accomplissement personnel et volontaire.

Il est certes utile et judicieux d'encourager les jeunes retraités à s'orienter vers des activités bénévoles et des responsabilités sociales par lesquelles leur énergie et leur expérience trouvent à s'exprimer et à se renouveler, au service de tous. Le travail des associations de "seniors", en plein développement ces dernières années, est à tous égards remarquable, qu'il s'agisse d'aider à l'insertion des jeunes, de conseiller les créateurs d'entreprise, ou encore de contribuer au développement des pays pauvres. Je les connais ces associations, je les respecte, je les appuie et je souhaite que l'Etat et les collectivités publiques fassent de plus en plus appel à elles. Elles représentent une voie d'avenir qui jouera un rôle croissant au soutien de notre cohésion sociale.

Mais l'avenir est aussi au travail, un travail dont les formes et le contenu évolueront en fonction de l'âge et de l'expérience, mais qui demeurera un travail rémunéré, une véritable activité professionnelle. On a coutume de dire que la retraite se prépare. C'est en effet une nécessité. Mais avant de regarder vers la retraite, apprenons à préparer aussi la poursuite de l'activité pour ceux qui en auront le désir. La formation tout au long de la vie, l'évolution des emplois et des qualifications, une utilisation intelligente des travailleurs les plus expérimentés au service de l'intégration des plus jeunes, le développement de nouvelles formes de temps partiel sont autant de voies à explorer, en prenant garde d'éviter les mesures faussement protectrices qui freinent l'embauche des salariés de plus de cinquante ans.

Aucun plan de rajeunissement de la pyramide des âges d'une branche d'activité ne devrait plus être soutenu ni même accepté par les pouvoirs publics s'il n'apporte pas les plus sérieuses garanties sur ces différents points. Il n'est pas normal que l'Etat vienne constamment effacer les conséquences sociales de gestions à courte vue.

Pour les décennies à venir, nous ne pourrons en rester à cette sorte de fatalité qui voudrait que tout soit joué à la sortie des écoles et des universités.

C'est en donnant de nouvelles armes à chaque salarié pour affronter les changements du monde, en attribuant à chacun de nouveaux droits au perfectionnement bien après la fin des études, en reconnaissant la valeur des acquis obtenus par l'expérience et la formation professionnelles, que l'on donnera à tout homme et à toute femme au travail les meilleures chances de pouvoir poursuivre son activité au delà des échéances-couperet -et cela, bien entendu, s'ils le souhaitent- qui lui sont opposées de nos jours.

C'est également ainsi que notre société ouvrira à tous ses membres de nouvelles perspectives de promotion sociale.

S'il l'on veut construire une société plus ouverte à un nouvel âge actif, il faut faire changer le travail sur toute la durée de la vie.

Rendre un avenir professionnel à ceux qui en sont privés aujourd'hui est d'autant plus nécessaire que, nous le savons bien, au début du siècle prochain, la population active des principaux pays d'Europe diminuera, quand elle n'a pas déjà commencé à le faire.

Dans quelques années, pour soutenir le développement de l'économie, nos pays auront besoin du travail de toutes celles et de tous ceux qui seront désireux de poursuivre leur activité. On a peine à le croire aujourd'hui, car nous sommes encore très fortement marqués par plusieurs décennies de chômage. Mais le travail est en train de changer, les besoins de l'économie évoluent. La société de l'information et des services prend le relais de la société industrielle. Dans certains grands pays, aux États-Unis, en Europe du Nord, une évolution se dessine déjà. Elle est perceptible en France aussi, dans plusieurs professions. On commence à réévaluer l'apport des anciens à l'activité économique, leur savoir-faire, leur capacité d'expertise et de conseil. On mesure mieux leur aptitude à renforcer la cohésion et l'efficience de la communauté de travail, leur fonction médiatrice et pacificatrice. Pour peu qu'on fasse l'effort de penser l'avenir, soyez-en certains, il sera plus accueillant aux travailleurs âgés.

Nous devons nous projeter dès maintenant dans cet univers. Il créera des libertés nouvelles. Il permettra d'enrichir le contrat entre les générations. Il élargira le champ du possible. Il évitera les solutions imposées. A des classes d'âge qui s'étaient préparées à faire contre mauvaise fortune bon coeur, il ouvrira d'autres perspectives que la résignation. C'est une nouvelle chance à saisir. Elle ne viendra pas toute seule. Il faut s'y préparer.





Cependant, rien ne pourra faire que la vieillesse soit effacée. Ni les changements d'organisation sociale, ni le progrès scientifique, ni le rêve éternel d'une jeunesse retrouvée, qui a inspiré au génie humain tant d'oeuvres de l'esprit, ne pourront empêcher qu'après l'expérience de ce nouvel âge actif, âge de bonheur, de liberté et de paix, viennent aussi, parfois, des temps plus difficiles, des temps que nous appréhendons tous pour nos proches comme pour nous-mêmes. Pour être plus tardive et plus heureuse, la vieillesse n'en reste pas moins porteuse de souffrance.



Dans notre pays, cette souffrance n'est plus au premier chef celle du dénuement, même si la situation matérielle des personnes âgées n'est pas toujours aussi favorable qu'on le dit, notamment pour les veuves. Au lendemain de la guerre, près des deux tiers des travailleurs âgés ne bénéficiaient d'aucune retraite. En 1970, plus de 2 millions d'entre eux étaient encore au minimum vieillesse. Les choses ont bien changé depuis. Un magnifique effort de solidarité entre les générations a été accompli. Vieillesse n'est plus synonyme de pauvreté. Il y a là un formidable progrès, un acquis à défendre et à transmettre aux générations futures.



D'autres souffrances n'ont pas reculé au même rythme. Parfois même, elles se sont aggravées. Je pense à la souffrance affective et morale, d'abord, car un nombre croissant de personnes âgées vivent dans la solitude, et en particulier les femmes. En France, une femme sur deux vit seule après 75 ans. Il faut prendre conscience de cette réalité humaine. Elle n'est pas suffisamment reconnue par notre société.



Mais la souffrance de l'âge, c'est aussi la dépendance, la peur qu'elle inspire.

Elle survient heureusement beaucoup plus tard qu'autrefois, à un âge qui continue à reculer ; mais elle est aussi devenue plus fréquente en raison de la multiplication des situations de très grand âge. Notre société a encore du mal à affronter ce phénomène. Il le faudra bien, cependant, si l'on veut éviter l'injustice, l'insécurité et, parfois, l'abandon.

Heureusement, quand vient la solitude, quand vient la dépendance, le plus souvent la famille est là, toujours aussi forte malgré les changements du monde, une famille à laquelle les personnes âgées continuent à beaucoup apporter ; une famille qui leur donne en retour beaucoup plus qu'on ne le croit.

La solidarité se démontre d'abord au travers des liens du sang. Aucune forme d'entraide, aucun système de sécurité sociale, aussi nécessaires soient-ils, ne pourront jamais égaler la solidarité familiale.

Je souhaite que nous sachions mieux reconnaître et encourager le travail familial auprès des personnes âgées, pour qu'elles puissent autant que possible rester à la maison ou au foyer de leurs enfants. Le soutien à ce type d'engagement sera source d'économies pour la société. Mais surtout, il évitera aux personnes âgées dépendantes de s'éloigner de leurs proches et de devoir se détacher des mille petites choses qui font la trame du quotidien, ces mille petits riens qui savent si bien retenir la vie. L'aide des enfants au domicile de leurs parents vieillissants est déjà la principale forme de soutien apporté aux personnes âgées confrontées à la perte d'autonomie. Mais beaucoup de familles qui souhaiteraient assister des parents dépendants ne le peuvent pas. Nous devons les y aider.

Nous devons en particulier faire en sorte que le temps passé à s'occuper de parents très âgés donne accès au temps partiel ou à des congés, au même titre que le congé parental. C'est ce que j'ai appelé le congé de solidarité familiale. Dans une société moderne, personne ne refusera de travailler davantage à certaines périodes de la vie, mais il y a au contraire des moments où il est nécessaire de pouvoir prélever du temps sur le travail. Il nous faut avancer vers plus de souplesse, de respiration, admettre la diversité des situations et des besoins, ne plus se contenter de distribuer uniformément du temps libre, faire progresser une autre conception des temps de la vie. C'est un nouvel horizon pour la liberté et pour la solidarité, un nouveau champ ouvert à la négociation sociale.

Mais si la solidarité familiale doit être cultivée, il faut aussi être attentif au formidable besoin d'indépendance exprimé par les personnes âgées.

Dans notre culture, la solidarité de parents à enfants va de soi, même quand les enfants deviennent adultes. Sans cette solidarité active, notre société n'aurait pu surmonter les temps difficiles qu'elle a connus depuis le début des années quatre-vingt.

La solidarité à l'égard des anciens est bien réelle elle aussi. Il n'en est pas moins vrai que de nombreux parents vivent dans la crainte et même la hantise d'obérer l'avenir de leurs enfants. Ils ne veulent pas devenir une charge. Ils ne veulent pas entraîner les jeunes générations dans la traversée douloureuse de leur propre dépendance. Ils veulent rester libres et laisser libres leurs enfants. Cette appréhension, cette exigence doivent être comprises. C'est un des motifs pour lesquels les personnes âgées veulent avec raison que notre société s'organise pour affronter le risque de la dépendance sans en reporter le poids sur les générations actives.

Vous savez que cette cause me tient personnellement à coeur depuis longtemps. 700 000 personnes souffrent d'une dépendance sévère. Ce qui était pour moi un premier pas a été franchi en 1997, avec la création de la prestation spécifique dépendance, qui vient s'ajouter aux efforts déjà consentis par l'assurance-maladie et les caisses de retraite. Cette nouvelle prestation a tardé à monter en régime. Je souhaite que le Gouvernement et les conseils généraux redoublent d'efforts.

Mais nous devons aller plus loin. Le traitement de la dépendance, devenu l'une des principales préoccupations des familles, devra être considéré comme un impératif prioritaire. Plusieurs possibilités ont été envisagées. Elles vont du développement d'une protection complémentaire laissée à l'initiative de chaque individu à la création d'un cinquième risque de sécurité sociale, comme en Allemagne. On peut aussi penser à une extension de la prestation spécifique dépendance gérée par les départements, en l'assortissant de nouvelles garanties d'équité et de justice. Ce n'est pas une question facile, nul ne l'ignore. Quel que soit le système retenu, l'objectif doit être d'élargir les conditions de l'aide, qu'il s'agisse du degré de perte d'autonomie ou du critère de ressources, pour pouvoir soutenir un nombre croissant de personnes âgées.

Je crois nécessaire que le grand débat engagé en 1998 à l'initiative de nombreuses associations s'élargisse et devienne national. Il permettra de déterminer avec les représentants des retraités et du monde associatif les voies d'une réforme conciliant solidarité entre les générations, responsabilité familiale et détermination de la part d'effort demandé aux personnes âgées elles-mêmes, un effort aujourd'hui considérable, excessif, voire insupportable quand surviennent les formes les plus sévères de la dépendance. Il ne faut pas oublier que le poids financier de la dépendance reste actuellement largement à la charge des personnes âgées elles-mêmes, sans aucune forme de mutualisation.

Mais nous ne pourrons réellement progresser sur cette voie sans avoir consolidé l'avenir des retraites et celui de l'assurance-maladie. Trop d'incertitudes subsistent encore sur ces deux sujets, nous privant de lisibilité pour le futur. Tout progrès contre la dépendance qui s'accompagnerait d'une érosion de la protection sociale dans d'autres domaines serait évidemment un marché de dupes. C'est quand le socle redevient solide qu'il est possible de recommencer à construire. Prolonger l'incertitude sur les retraites, c'est retarder le jour où il deviendra possible de traiter en profondeur le problème de la dépendance. Les attentes montent. Les besoins sont là. Ils ne pourront rester longtemps sans réponse.





La question de l'avenir des retraites est une priorité. Je souhaite qu'elle soit abordée lucidement, sans pessimisme excessif mais avec le sens des responsabilités. La France doit prendre les mesures nécessaires pour garantir les droits des retraités de demain sans réduire ceux des retraités d'aujourd'hui.

Un effort considérable a déjà été fait pour les salariés du secteur privé, tant pour leur retraite de base que pour leur retraite complémentaire. Il prouve que, dans ce domaine comme dans tant d'autres, la réforme est possible, qu'elle peut être comprise.

A partir de 2006, les générations nombreuses de l'après-guerre partiront à la retraite. Cette échéance est maintenant très proche. C'est pourquoi nous devons réagir rapidement.

Songez que, pour 10 actifs, nous avons actuellement 4 retraités, mais qu'il y en aura vraisemblablement 7 en 2040. Or, dans un système de répartition, ce sont les actifs qui financent les pensions des retraités, en même temps qu'ils acquièrent leurs propres droits. Moins d'actifs, plus de retraités, cette équation d'apparence simple est la cause d'un des plus graves problèmes de société que nous ayons à résoudre. Par ailleurs, en raison de l'amélioration des carrières professionnelles, les retraites de demain seront en moyenne plus élevées que celles d'aujourd'hui. C'est une bonne chose, mais cette double évolution entraînera évidemment un coût élevé pour la collectivité.

Il nous revient de dire comment nous entendons répartir cette charge entre les générations. Ne pas répondre dès maintenant à cette question, c'est accepter qu'elle soit tranchée à la dernière minute par l'augmentation brutale des prélèvements obligatoires, par la diminution des droits à pension, ou par les deux à la fois.

Quand les retraites du régime général ont été réformées, en 1993, il a été possible de limiter à un trimestre chaque année l'augmentation de la durée de cotisations nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Si l'on avait attendu cinq ans de plus, il aurait fallu doubler le rythme de l'effort. Dans un domaine aussi important, où tout est inscrit à l'avance dans la vérité des chiffres, retarder les décisions, c'est concentrer le poids des changements sur quelques années, au risque de les rendre insupportables. Chacun le sent bien, plus on attendra, plus les mesures à prendre seront difficiles.

Je crois pourtant que le défi des retraites peut être relevé. Il l'a déjà été avec succès chez nos principaux voisins.

Je souhaite que la réforme à venir s'inspire de principes simples : la liberté, la justice, la solidarité, le sens de l'intérêt général.



La liberté, ce serait de pouvoir choisir vraiment l'âge de son départ à la retraite.

Je suis profondément convaincu que l'incitation est toujours préférable à l'obligation. Dans le monde moderne, c'est une évidence. L'allongement de la durée d'activité ne doit pas, ne peut pas être une contrainte. Il est inscrit dans l'histoire des progrès de la santé et de l'espérance de vie, une histoire qui continue de s'écrire inlassablement. Je souhaite que la réflexion s'oriente vers la reconnaissance d'un libre choix de l'âge de la retraite. Si, comme je le pense, l'aspiration à travailler plus longtemps rejoint demain les besoins de l'économie et la situation sociale, et si la société s'organise en ce sens, une grande partie du chemin vers cette liberté nouvelle pourra se faire naturellement.

Chacun devra pouvoir calculer ce à quoi il aura droit en fonction de l'âge auquel il décidera de quitter la vie active. Chacun devra pouvoir continuer à augmenter ses droits même quand il aura atteint la durée maximale de cotisations actuelle.

La consolidation de la retraite par répartition est une priorité, mais la liberté c'est aussi de pouvoir compléter ses droits par une épargne retraite attractive, une épargne à laquelle les employeurs seront incités à contribuer, sans hypothéquer, bien sûr, les ressources des régimes de base et des régimes complémentaires.

Au-delà de l'appoint de revenus qu'elle pourra générer pour les retraités, elle facilitera le maintien de nos centres de décision économique sur le territoire national. C'est un enjeu dont les Français ont désormais pris conscience. Aujourd'hui, une part importante du capital de nos entreprises, notamment des grandes, une part parfois dominante, est détenue par des fonds de pension étrangers. C'est dangereux. C'est le jeu de la mondialisation et c'est le signe que nos entreprises sont rentables et compétitives. Mais pourquoi les retraités français seraient-ils les seuls à devoir rester à l'écart de cette participation aux performances de l'activité nationale ? Pourquoi la France devrait-elle se priver d'institutions d'épargne-retraite apportant un soutien stable à la stratégie de nos entreprises, à leur développement et à celui de l'emploi ? En clair à leur indépendance.



A côté de la liberté, il y a la justice.

La justice, c'est d'abord de préserver les droits de tous les travailleurs qui sont déjà en retraite. Ils ont cotisé toute leur vie. Beaucoup ont travaillé durement, à une époque où la pénibilité de certaines tâches était beaucoup plus grande qu'aujourd'hui. Ils ont mérité la sécurité que leur garantit le préambule de notre Constitution. Ils doivent pouvoir compter sur un avenir stable.

La justice, c'est aussi de répartir équitablement les efforts. Dans quinze ans, le financement d'une pension de l'Etat posera un problème cinq fois plus important que celui d'une retraite du secteur privé. Si l'on veut sécuriser les droits futurs des fonctionnaires, si l'on veut leur éviter les mesures trop sévères auxquelles tout immobilisme les exposerait dans la décennie à venir, il faut, là aussi, savoir prendre à temps, et dans la concertation, les mesures qui s'imposent.

Le service public a des exigences que la Nation doit respecter. Ces exigences justifient un statut, des protections. Celles-ci n'ont pas été instituées seulement pour l'avantage particulier de ceux auxquels elles s'appliquent, mais dans l'intérêt même du service de l'Etat, pour lui apporter des garanties de continuité et de neutralité. Je souhaite que le rôle et les missions de la puissance publique soient pleinement reconnus par la société, et je serai particulièrement attentif à ce qu'on ne laisse pas se creuser un fossé artificiel entre deux France. Ce serait le cas si les principaux efforts étaient demandés aux salariés du secteur privé, d'abord pour leurs propres retraites, ensuite pour celles des autres, par de nouveaux prélèvements. Ce serait profondément injuste et dangereux pour notre cohésion sociale.



Le principe de solidarité est également essentiel. Il faut tout à la fois préserver la solidarité entre les générations, et la solidarité en faveur des familles. L'une et l'autre seraient menacées si l'on faisait porter les efforts sur le niveau des cotisations des actifs et sur les avantages familiaux.

J'ai rappelé les données de la démographie. Quelle société voulons-nous ? Une société active, dynamique, entreprenante ? Ou une société bridée dans son élan par le poids de prélèvements croissants ? Choisir cette deuxième voie en faisant supporter par des actifs de moins en moins nombreux les ajustements qu'appelle la situation de nos régimes de retraite ne serait pas responsable.

La solidarité entre les générations est le fondement du système de retraite par répartition, auquel les Français sont à juste titre profondément attachés. Prenons garde de ne pas la mettre en cause !

Il est également essentiel que les réformes nécessaires à la sauvegarde de nos régimes de retraite ne pénalisent pas les familles. Ce serait le cas si les paramètres familiaux pris en compte pour le calcul des retraites étaient reconsidérés. Ceux qui ont une famille à charge peuvent rarement constituer un patrimoine pour leurs vieux jours. Pourtant, à travers leurs enfants, ils auront contribué à financer les retraites de tous. De surcroît, pour les femmes, notre système est déjà loin de compenser les pertes de droits qu'elles ont subies pour élever leurs enfants. Il ne faudrait pas que les avantages familiaux deviennent une variable d'ajustement. Ce serait ouvrir la voie à une solidarité à rebours. Il serait tout de même paradoxal qu'on en vienne à pénaliser la famille pour traiter un problème dont une des causes profondes est justement l'affaiblissement de la natalité.



J'ai dit, enfin, que la réforme devait être conduite dans l'intérêt général. Ce n'est pas sans lien, bien sûr, avec les principes que je viens de développer : l'intérêt général, c'est d'abord de sauvegarder nos régimes de retraites sans entraver le dynamisme économique de la France, en préservant la cohésion de notre société.

Je le répète, les décisions à prendre engagent notre avenir collectif bien au delà des enjeux financiers qu'il nous faut relever. La France de demain ne sera pas la même selon les choix qui seront faits. Il est essentiel d'en prendre conscience. On ne règlera pas le problème des retraites sans une autre organisation de notre société.

Cessons de réduire les difficultés de notre époque à leur dimension arithmétique ou budgétaire ! Il s'agit de bien autre chose. Il s'agit de la place que nous ferons à chaque génération dans une société pour tous les âges qui soit aussi une société de progrès et de croissance.

L'intérêt général, c'est aussi d'engager notre renouveau démographique, sans lequel toutes les ressources de notre intelligence et de notre inventivité ne suffiront pas à rétablir l'équilibre entre les générations.

Il est vital de redonner une véritable ambition familiale à notre pays. Le combat de la natalité n'est pas perdu d'avance. Notre faiblesse démographique ne doit pas être considérée comme un fait accompli.

Nous le savons bien, de nombreux couples n'ont pas autant d'enfants qu'ils le souhaitent. C'est en allégeant les contraintes que la vie moderne fait peser sur le développement des familles - difficulté de l'installation des jeunes, retard des premières naissances, difficulté de combiner responsabilités familiales et activité professionnelle... - que nous parviendrons à rétablir notre dynamisme démographique. Affronter le problème des retraites sans considérer aussi ceux de la jeunesse, des couples et des familles, c'est refuser de s'attaquer à l'une de ses causes structurelles les plus profondes. Or, le seul renouvellement des générations, sans parler d'expansion démographique, résoudrait une part très importante de nos difficultés à l'horizon du prochain quart de siècle.





Mesdames, Messieurs,

Une société s'approche de l'équilibre quand la sagesse des aînés nourrit la confiance des jeunes, quand la transmission des savoirs et des expériences entre les générations se fait de manière naturelle, quand la solidarité entre les âges, une solidarité réciproque, est vécue comme une évidence. L'achèvement d'une civilisation ne se mesure pas seulement à sa réussite économique. Elle se mesure aussi à sa capacité à faire participer à l'activité économique et sociale les différents âges de la vie, ainsi qu'au respect et à l'attachement manifestés aux anciens.

Tout ce que nous ferons pour conserver ou rétablir la place des anciens au coeur de la société et au coeur de la famille, nous le ferons pour eux, bien sûr, mais nous le ferons aussi pour l'harmonie de la société tout entière.

Vous êtes aujourd'hui une force nouvelle, une force d'avenir, un avenir plus ouvert aux personnes âgées. Des responsabilités importantes pèsent sur votre génération : vos propres aînés comme vos enfants ont de plus en plus besoin de vous, souvent en même temps. Votre rôle social ne cesse de grandir. Si la représentation de vos intérêts n'a pas progressé au même rythme, ce que je déplore, je m'attache à la conforter. J'ai avec vos représentants réunis au sein du Comité national des retraités et des personnes âgées des échanges réguliers et fructueux.

J'ai souhaité vous exposer aujourd'hui mes convictions profondes sur des questions dont certaines engagent les générations montantes autant et peut-être même davantage que les vôtres. La société française n'est pas une addition de catégories fermées définies par l'âge ou par la profession. Préserver sa cohésion est un de mes premiers devoirs. Sur des questions aussi essentielles que la prise en charge de la dépendance ou l'avenir des retraites, qui engagent la responsabilité politique au sens le plus élevé du terme, cet impératif doit toujours être présent à notre esprit. Mais ce qui, demain, pourrait menacer la cohésion sociale, ce ne sont pas les décisions qui pourraient être prises pour traiter les problèmes, c'est au contraire la situation que provoquerait tout immobilisme. Pour ma part, je suis déterminé à continuer à faire appel à la sagesse des générations que vous incarnez pour convaincre l'ensemble des Français de la nécessité vitale du mouvement. C'est à eux de l'engager !

Je vous remercie.





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