Discours du Président de la République à l'occasion de l'ouverture officielle de "TERRE ATTITUDE".

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de l'ouverture officielle de "TERRE ATTITUDE".

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Pomacle, Marne, le jeudi 16 septembre 1999

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président du Centre national des jeunes,

Messieurs les Présidents,

Monsieur le Maire de Pomacle,

Mesdames, Messieurs,

Je suis, ceux qui me connaissent savent que ce n’est pas là une formule de politesse, très heureux de me retrouver parmi vous à l'occasion d'un événement exceptionnel.

Je voudrais d’abord féliciter toutes celles et tous ceux qui ont donné beaucoup d'eux-mêmes, de leur intelligence, de leur coeur, pour que "Terre Attitude" et le championnat du monde de labour connaissent une immense réussite et nul ne peut douter en vous voyant que c’est, et que ce sera jusqu’à dimanche le cas, une superbe manifestation. La France est fière d'accueillir une manifestation de cette ampleur.

Parce que cet événement a une portée internationale, comme nous le montrent les drapeaux qui viennent d’être hissés, je souhaite affirmer à cette occasion le rôle et la place que la France doit tenir dans le monde d’aujourd'hui et dans celui de demain, en matière agricole et alimentaire.

Il est d'autant plus nécessaire de préciser nos grandes orientations que nous sommes à la veille d'un nouveau cycle de négociations dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.

Au mois de mars dernier, lors du Sommet de Berlin, les chefs d'Etat et de Gouvernement européens sont parvenus à un compromis sur la réforme de la politique agricole commune.

Vous savez l'engagement qui a été le mien lors de ce sommet difficile. Je suis conscient naturellement du caractère imparfait du compromis auquel nous sommes parvenus. Mais il a néanmoins permis de définir une position à quinze avant l'ouverture des négociations à l'OMC. A l'intérieur comme à l'extérieur de l'Europe, la France entend que soient respectés les fondements de la politique agricole commune.

Il y a au moins trois grands principes sur lesquels nous ne pouvons pas transiger.

D'abord la France est l'un des plus grands pays exportateurs de produits agricoles et de denrées alimentaires. Cette vocation exportatrice, nous devons bien entendu la conserver. Nous voulons même la conforter. Il ne serait de l'intérêt de personne de laisser une grande puissance, si respectable et amicale soit-elle, régner sans partage sur les marchés alimentaires de la planète.

Ensuite, la vocation mondiale de l'agriculture française ne se limite pas à des considérations économiques. Personne ne peut rester inactif face aux centaines de millions d'enfants, de femmes et d'hommes qui souffrent de la faim dans le monde. Avec les capacités et le savoir-faire dont nous disposons, nous avons le devoir de leur venir en aide et nous entendons poursuivre cette mission.

Enfin, et c'est pour moi fondamental, la France veut plus que jamais promouvoir un modèle agricole et alimentaire garantissant la qualité des produits, la sécurité sanitaire des consommateurs et le respect de l'environnement. Ce point est essentiel et c'est dans ce cadre que s'inscrivent des débats passionnés comme ceux qui ont lieu en ce moment à propos de l'alimentation animale, de l'utilisation d'hormones dans la production de viande bovine ou du développement des OGM, ces fameux organismes génétiquement modifiés.

A cet égard, deux conceptions s'opposent. Pour les uns, une production doit être autorisée et sa commercialisation ne peut être entravée dès lors qu'il n'a pas été démontré qu'elle pouvait être dangereuse. C'est la position, notamment, de nos amis américains.

Pour les autres, au contraire, la mise en oeuvre d'une technique ou la diffusion d'un produit ne peuvent intervenir que s'il est prouvé qu'ils ne présentent pas d'inconvénient pour la santé, pour la santé humaine et aussi pour l'équilibre écologique. C'est le principe de précaution que défend la France et qui m'a conduit à proposer, lors du dernier sommet du G8, la création d'un Haut Conseil scientifique mondial pour la sécurité de l'alimentation.

L'opposition de ces deux conceptions pose une question majeure qui doit être au coeur des débats du prochain cycle de négociations commerciales.

La question est de savoir si, au nom de la libéralisation des échanges internationaux, on peut imposer à des pays d’importer et de commercialiser des produits dont leurs peuples ne veulent pas, compte tenu des risques qu'ils présentent. Plus globalement, comment faire en sorte que le commerce, moteur de la croissance mondiale, respecte les règles et les disciplines élaborées par d'autres organisations sur des sujets aussi importants que la santé, mais aussi l'environnement, les normes sociales, la culture ? Il ne s’agit pas de créer des contraintes supplémentaires. Il s’agit de respecter des règles du jeu qui soient cohérentes. Cette question est au coeur de l'évolution de nos sociétés, d’une société marquée par la mondialisation.

La mondialisation est une réalité. Elle comporte de nombreux aspects positifs. Mais elle doit se faire dans le respect de la dignité et de la différence de toutes les femmes et de tous les hommes de notre planète. La liberté des uns ne doit pas s'exercer au détriment de la liberté des autres.

Pour moi, pour la France, le développement -souhaitable par ailleurs, bien sûr- des échanges internationaux ne peut en aucun cas s'imposer au détriment de la diversité des peuples. Il ne s'agit pas d'uniformiser le monde, mais de l'harmoniser en tenant compte des spécificités des populations qui le composent, de leurs cultures, de leurs traditions, de leurs aspirations et de leurs modes de vie. C'est à cette condition que doit se poursuivre la libéralisation du commerce international.

Ces grands principes trouvent ici, aujourd'hui, dans le cadre de "Terre Attitude", une traduction et une application concrètes. C'est au nom de ces principes que l'Europe en général et la France en particulier doivent faire prévaloir les exigences de leurs consommateurs, leur modèle agricole et alimentaire et les équilibres de leurs territoires.

D'abord, les consommateurs : ils souhaitent disposer à des prix raisonnables d'un choix diversifié de produits alimentaires présentant les plus hautes garanties de qualité et de sécurité.

Cette volonté est parfaitement légitime et la France est, dans le monde, l'un des pays qui peut le mieux y répondre.

La qualité de nos produits, et d’ailleurs de notre gastronomie, jouit d'une réputation internationale. Quant à la sécurité alimentaire, je n'hésite pas à dire que la France constitue une référence mondiale en la matière.

Bien sûr, il y a parfois des agissements inadmissibles qui inquiètent à juste titre les Français. Mais précisément ces pratiques scandaleuses sont mises à jour parce que nous avons un dispositif de vigilance et de contrôle qui est particulièrement efficace.

Il faut, bien entendu, renforcer encore cette vigilance en responsabilisant davantage tous les acteurs de la filière alimentaire. Mais d'ores et déjà, rappelons que les cas de toxi-infection alimentaire sont beaucoup, beaucoup moins nombreux chez nous que dans tous les autres pays et notamment ceux qui sont parfois cités en exemple ou qui veulent nous donner des leçons.

J'insiste sur ce point : il faut faire plus, il faut faire mieux, il faut perfectionner notre dispositif, il faut assurer une transparence et une information totales à l'égard des consommateurs, mais en dépit de quelques affaires dont les coupables doivent être sévèrement sanctionnés, la France est l'un des pays où les risques alimentaires sont, et de loin, les mieux maîtrisés.

Par ailleurs, c’est l'une des raisons pour lesquelles nous n'entendons pas nous laisser imposer quelque imprudence que ce soit, qu'il s'agisse de la viande aux hormones ou des organismes génétiquement modifiés.

Nous ne refusons pas le progrès mais nous voulons qu'il soit au service de l'homme, de tous les hommes, et qu'il s'accompagne de toutes les garanties nécessaires.

Le modèle agricole et alimentaire français répond à ces attentes des consommateurs. Et je tiens à rendre hommage aux agriculteurs pour le travail fantastique qu'ils ont accompli au cours des dernières décennies et qui est sans équivalent dans aucune autre profession.

Il y a peu en effet de professions, pour ne pas dire aucune, qui ont réussi, en si peu de temps, une mutation aussi considérable.

Cette mutation se poursuit et à l'exigence de performance économique, de qualité et de sécurité sanitaire s'ajoute aujourd'hui, plus qu'hier encore, le respect de l'environnement. C'est un nouveau défi que les paysans se doivent de relever, non pas en entretenant l'illusion qu'il faut revenir à des techniques du passé, mais au contraire en appliquant les solutions les plus modernes pour concilier les impératifs de l'économie et de l'écologie.

Les agriculteurs gagneront ce nouveau pari, je n'en doute absolument pas. Mais ils attendent, en contrepartie que leurs efforts soient rémunérés à leur juste prix, ce qui, hélas, est loin d’être toujours le cas.

L'agriculteur veut naturellement vivre du fruit de son travail et il faut pour cela qu'il puisse vendre ses produits à un prix convenable, lui permettant de payer ses charges et d'assurer son revenu. Or, nous savons bien que dans certains secteurs agricoles, à certains moments, la vente ne couvre même pas les coûts de production. Une telle situation provoque des réactions de colère, parfois inacceptables dans leur forme, mais qui s'expliquent, sur le fond, par le souhait des paysans d'obtenir pour leur travail "le juste prix", c'est-à-dire une plus juste part du prix payé par le consommateur.

Nous devons offrir cette perspective aux jeunes agriculteurs, à ceux qui se sont installés récemment ou qui ont l'intention de le faire, afin qu'ils puissent envisager l’avenir avec la confiance sans laquelle on ne fait rien de bon.

Ils reçoivent une formation de plus en plus poussée. Ils ont un niveau de compétence de plus en plus élevé. Ce sont eux qui réussiront cette "agriculture raisonnée" correspondant aux voeux des Français et aux intérêts de la France.

Et je tiens à dire au Centre national des jeunes combien j'apprécie son action, faite, et depuis longtemps mais chaque année davantage, de clairvoyance, d'enthousiasme et de volonté.

Je veux saluer en particulier son président qui nous accueille aujourd’hui, Pascal COSTE. C’est un Corrézien chez qui je retrouve ces valeurs d’intelligence, de coeur et de courage auxquelles je suis profondément attaché. Lui et son équipe sont exemplaires de ce que sont nos jeunes et de ce qu'est l'agriculture de la France.

Devant vous tous, mais aussi à l'intention de toute la collectivité nationale, je veux souligner avec force que l'activité agricole est vitale pour notre pays. Non seulement parce qu'elle permet de nourrir la population, parce qu'elle est porteuse directement et indirectement de nombreux emplois, parce qu'elle est un pilier de notre économie et de notre commerce extérieur, mais encore parce qu'elle joue un rôle irremplaçable pour l'équilibre de notre territoire.

Ce territoire est pour la France une chance exceptionnelle. Ce n'est pas un hasard si nous sommes le pays le plus visité du monde, celui qui accueille chaque année le plus de touristes étrangers. Nous disposons d'un patrimoine culturel et naturel d'une richesse et d'une diversité considérables. D'est en ouest, du nord au sud, des côtes bretonnes aux alpages savoyards, de la plaine de Beauce au plateau de Millevaches, du bocage normand aux côteaux de Champagne, forêts et champs, villes et villages se complètent pour modeler le visage de la France, de la France de métropole et d’outre-mer.

Cette complémentarité constitue notre force. Il n'y a pas, chez nous, d'antagonisme ni même de contradiction d'intérêt entre les agglomérations urbaines et les espaces ruraux.

La ruralité correspond à une aspiration profonde, historique et moderne de notre peuple. Pas seulement parce qu'il y trouve ses racines. La ruralité n'est pas une nostalgie, elle n'est pas une valeur du passé inadaptée à notre époque. Elle est d’abord une éthique : l’homme ne vit pas sans la terre, il vit avec la terre et se nourrit de la terre. La culture humaine et la culture de la terre sont en réalité indissociables. Nous sommes tous des paysans au sens éthique du terme. L’éthique paysanne est le lien entre le passé, nos racines et notre histoire, le présent, notre responsabilité et l'avenir, nos aspirations.

La ruralité est le lieu privilégié de la nature à laquelle aspirent tous nos concitoyens et en particulier les citadins. On le constate aussi bien dans l'évolution de la demande alimentaire que dans la nécessaire et unanime volonté de défendre l'environnement. La nature est l'une des valeurs que l'humanité veut promouvoir pour le futur. Nos espaces ruraux en sont les premiers dépositaires.

Valeur essentielle pour chacun d'entre nous, la ruralité l'est encore plus pour ceux qui la vivent chaque jour. Elle l'est pour les paysans qui, par leur activité, valorisent les territoires ruraux et qui, conscients de leurs responsabilités, le font avec passion et sauront le faire de mieux en mieux : il n'y a pas de pays sans paysans. Elle l'est également pour bien d'autres catégories professionnelles : les forestiers, les artisans, les commerçants, les entreprises de toutes tailles, les services publics qui rendent cet espace rural vivant et dynamique, bien d’autres encore.

Chacun y a sa place. Et il faut respecter les modes de vie et les traditions auxquels les populations sont attachées. Ainsi la chasse dont on a beaucoup parlé, de même d’ailleurs que la pêche, gérée dans le respect de l’équilibre écologique et pratiquée de manière responsable, joue un rôle majeur dans la protection de la nature et la préservation des espèces. Personne ne peut ignorer que, historiquement, elle est un élément constitutif de la ruralité.

Il serait vain d’opposer les villes et les campagnes, les citadins et les ruraux. C'est une attitude archaïque qui correspond à une vision dépassée de notre société.

L'avenir est au contraire à un meilleur équilibre, à une plus grande complémentarité entre les uns et les autres. Il y a aujourd'hui, dans certains quartiers, dans certaines grandes cités, des problèmes très graves et très difficiles qui auraient pu être évités si, dans les cinquantes dernières années, une répartition plus harmonieuse de la population et un urbanisme plus humain avaient permis de mieux maîtriser les mouvements de concentration urbaine.

Alors, ne recommençons pas les erreurs du passé. Saisissons les nouvelles chances qu'offre la ruralité.

C'est vrai qu'autrefois la ville était le seul lieu d'expression de la modernité. On y trouvait les grandes activités commerciales, les services, les loisirs, l'occasion de contacts que seule pouvait procurer la présence d'une population nombreuse. Et loin des grandes villes, les bourgs et les villages apparaissaient à l'écart des opportunités urbaines, de leur vitalité culturelle, de leurs innovations, de leur mouvement.

Ces temps sont révolus.

Déjà, le développement des moyens de transport les plus modernes a modifié notre rapport à l'espace : les distances ne se mesurent plus en kilomètres mais en temps passé. Beaucoup de progrès sont encore possibles, pour peu qu'il y ait une véritable volonté d’aménagement du territoire.

Mais il y a une autre révolution en cours et qui change complètement la notion que l'on peut avoir de l'isolement. Les télécommunications, l'informatique, les satellites bouleversent l’organisation sociale.

Aujourd'hui, tous les villages peuvent être reliés entre eux et chacun peut avoir accès à toute la planète instantanément.

Pour ne citer qu'Internet : c'est la fin de l'isolement géographique, c'est la possibilité d'être, à tout moment et en tout lieu, en contact avec le monde entier et de travailler dans une commune rurale comme on le ferait à Paris, à Tokyo ou à New York, mais avec une toute autre qualité de vie. Chacun peut avoir ses préférences, mais le choix existe et l'exode rural n'est plus une fatalité.

La modernité est au service de la ruralité. Et la ruralité est un nouveau champ de diffusion de la modernité. La ruralité, telle que l’exprime votre démarche " Terre-Attitude ", c’est à la fois une ambition -prendre en charge son destin et le faire en harmonie avec la terre- et une humilité : dans la chaîne des générations, l’homme hérite et transmet la terre comme un bien vivant. C’est un rapport réel et non virtuel à la terre et à la vie. C’est dans nos communautés humaines un sens de la responsabilité fondé sur le respect, le respect de l’autre et de la diversité.

Pour moi, cette attitude représente un nouveau rapport au temps, un nouveau rapport à l’autre. C'est pourquoi elle sera l'une des réponses aux défis du XXIe siècle.

La France a de ce point de vue des atouts uniques. A elle de bien les jouer, à elle d'en tirer le meilleur parti en faisant respecter, en Europe et face au reste du monde, un modèle agricole et des valeurs qui sont porteuses d'espérance.

Au-delà de leurs intérêts légitimes, les jeunes agriculteurs nous ont montré ici que ce qu’ils entendent défendre, c’est avant tout une vision moderne de la société, une vision généreuse de la société et je les en remercie.





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