Discours du Président de la République à l'occasion du Xe anniversaire de la Convention relative aux droits de l'Enfant.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du Xe anniversaire de la Convention relative aux droits de l'Enfant.

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La Mutualité, Paris, le lundi 8 novembre 1999

Mon Cher David, Madame la Ministre, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,

La Convention relative aux droits de l'Enfant constitue une étape essentielle de notre combat pour l'accomplissement universel des droits de l'Homme. C'est pourquoi je suis heureux d'être ce soir avec vous et parmi vous.

La question juste et généreuse que vient de poser David touche à un problème majeur, celui du travail des enfants, celui, plus général, de l'exploitation des enfants, où que ce soit et quelle que soit la forme de cette exploitation.

Les images qui nous viennent chaque jour du monde entier nous disent cruellement la détresse de millions d'enfants de notre terre, affamés, blessés, martyrisés, tous ces enfants écrasés de souffrance, exploités, sans famille et sans toit, livrés à la brutalité et à la violence des adultes, livrés aussi à la drogue ou à la pédophilie.

Face à ce scandale inexprimable, la résignation est interdite et l'impuissance est coupable.

Sur tous les continents, votre force de révolte et d'indignation a déjà mis en mouvement des hommes, des femmes et des enfants engagés de tout leur coeur, de tout leur être pour mettre fin à des crimes qui constituent la négation même de notre humanité. La France prend toute sa part de ce combat. Et, bien sûr, elle ne désarmera pas.

La Convention des droits de l'Enfant, vous l'avez portée depuis ses origines. Elle exprime une volonté universelle de ne plus laisser faire. Elle nous engage à agir, à être efficaces, à nous mettre fraternellement au chevet d'une enfance meurtrie, au crépuscule d'un siècle qui s'est voulu aussi celui du progrès économique et social et celui des droits de l'Homme.

Peu de conventions internationales sont portées par autant de force morale. Partout où les droits de l'Enfant sont foulés au pied, l'humanité est souffrante.

À vous tous, membres du comité français de l'UNICEF et de la Ligue des Droits de l'Homme, je voudrais dire que la France est fière de votre engagement personnel. Grâce à vous, l'UNICEF, expression de la solidarité internationale en faveur de l'enfance, est mieux à même de remplir sa tâche




Où en sommes-nous, en ce dixième anniversaire ? Dans nos pays développés, la situation de l'enfant a fait de tels progrès au cours du siècle qui s'achève, que nous sommes parfois tentés de considérer comme résolue la question des droits de l'Enfant.

Pourtant, et l'intervention de David m'y invite, c'est bien vers les enfants de France que je voudrais d'abord me tourner ce soir.

Une Nation qui ne s'interrogerait plus sur la place qu'elle réserve à l'enfance, dans ses valeurs comme dans son mode de vie, se condamnerait à l'égoïsme, au repli et à la dureté.

De fait, dans notre société aussi, la situation de l'enfant reste fragile parfois précaire. Elle subit le contrecoup des tensions de la vie moderne. Une vie qui ne sait pas toujours faire la part du temps de l'enfance. Une vie qui ne reconnaît pas assez le temps de la maternité, le temps d'être parents.

Notre société est-elle suffisamment accueillante à l'enfant ? A-t-elle suffisamment le souci de le faire grandir d'aplomb, fort de l'amour qu'il reçoit et de l'éducation qui lui est donnée ? L'enfant est le miroir du monde que les adultes forgent et lui imposent. Il en est aussi le témoin, souvent impuissant, et parfois la victime, toujours vulnérable.

S'il est vrai que, depuis l'installation de la République, il a été mis fin dans notre pays au travail forcé des enfants, si l'instruction publique a été rendue accessible à tous, si désormais la protection sanitaire et sociale des enfants est en général bien assurée, beaucoup reste à faire pour créer un environnement plus favorable à leur épanouissement.

Aujourd'hui encore, les enfants sont les premières victimes de la précarité, précarité économique bien sûr mais aussi, et ce n'est pas sans lien, précarité familiale. ATD quart-monde, à l'occasion de la journée mondiale contre la misère, les compagnons d'Emmaüs, lors de leur cinquantième anniversaire, pour ne prendre que des évènements récents, viennent de le rappeler avec beaucoup de force.

On ne peut qu'être préoccupé par la persistance d'un taux élevé, beaucoup trop élevé, d'illettrisme, qui est presque toujours source d'exclusion et de violence, et ceci malgré l'importance des moyens que la Nation consacre à l'éducation nationale. Nul ne peut se résigner à une telle situation. C'est un déni de droit car, à l'heure d'internet, sans la lecture, sans l'écriture, l'insertion dans la société devient impossible.

Plus bouleversant encore est le phénomène de la maltraitance : dans notre pays, -si j'en crois les statistiques autorisées- plus de 80 000 enfants en danger ont été signalés en 1998. Il est certain que ces chiffres sont pour partie le reflet d'une attention accrue portée à un phénomène longtemps caché, parfois toléré. Mais au-delà de l'indignation, les violences faites aux enfants exigent toujours plus de prévention, toujours plus de vigilance de la part de ceux qui peuvent en être témoins et qui ne doivent pas se taire, toujours plus de rigueur de la part des pouvoirs publics.

Fort heureusement la famille tient bon, quoi qu'on en dise parfois, et c'est heureux. Elle reste la meilleure garantie de l'épanouissement de l'enfant, de son développement intellectuel et affectif et aussi de son apprentissage de la citoyenneté.

Il faut lui faire confiance. Il faut la soutenir à travers les épreuves. Elle constitue le socle du développement de l'enfant, elle le protège, elle est le lieu des solidarités vitales.




Cette attention plus grande aux enfants de notre pays, je souhaite qu'elle s'exprime aussi avec la plus grande force à l'égard du reste du monde, dans l'esprit de fraternité agissante que vous cultivez, cet esprit que nous voulons voir mieux partagé au siècle prochain.

En trente ans, le monde a connu une croissance sans précédent dans son histoire. Le revenu moyen a triplé, l'espérance de vie augmenté de dix ans, tandis que l'analphabétisme reculait dans le monde et que les campagnes de vaccination contribuaient à l'éradication de maladies jusque-là endémiques. L'enfant a été, naturellement, le premier bénéficiaire des victoires remportées contre la maladie et contre la malnutrition.

Pourtant, la persistance de la grande pauvreté, souvent sa croissance, la lenteur avec laquelle, trop souvent, les fruits du développement atteignent les populations les plus défavorisées, maintiennent dans la misère des centaines de millions d'enfants.

Morts prématurées, dont sont victimes autour de 12 millions d'enfants par an, indigence et sous-alimentation endémiques, travail forcé confinant à l'esclavage qui frappe 250 millions de moins de quinze ans, analphabétisme pour 130 millions de jeunes d'âge scolaire, telle est encore la réalité dans bien des régions du monde.

Aider les pays les plus pauvres à construire un système de santé efficace et un système scolaire universel, ce n'est pas seulement répondre à un besoin humanitaire, c'est aussi poser les fondations du développement. La mobilisation au service de l'enfance constitue l'un des plus sûrs moyens d'arracher les hommes au sous-développement.

La communauté internationale doit, dans le même temps, intensifier la lutte contre l'exploitation des enfants. En adoptant en juin dernier la convention contre les pires formes de travail des enfants, elle s'est dotée d'un nouvel instrument. L'asservissement des enfants est désormais hors-la-loi et nous devons maintenant l'éradiquer.

Comment y parvenir, avec efficacité et sans un protectionnisme déguisé ? Par un dialogue compréhensif, mais exigeant et vigilant avec les pays en développement. Par l'action de la société civile, travaillant sur le terrain, dans un esprit de partenariat. En veillant à ce que nos entreprises ne cautionnent pas l'esclavage des enfants lorsqu'elles travaillent ou achètent à l'étranger - c'est l'esprit de la proposition de loi dont nous parlait David à l'instant. En améliorant, dans le même temps, les conditions de l'accès des pays en développement au marché mondial. Tout cela, nous devrons en parler en détail, notamment lors des négociations qui vont s'ouvrir, dans quelques jours, à l'Organisation mondiale du commerce. Nous devrons convaincre les pays en développement que la croissance économique est favorisée par des lois sociales bien conçues, comme le prouve notre propre histoire et d'ailleurs les expériences faites par certains d'entre eux.

Autre forme révoltante de mise en esclavage, la prostitution enfantine, portée par le tourisme sexuel, et qui se développe rapidement. Ce phénomène abject engage avant tout la responsabilité de nos pays. C'est d'eux que viennent la plupart des usagers de ce marché de la honte. Je tiens, pour ma part, à ce que le protocole en cours de discussion sur ce sujet puisse entrer en vigueur le plus rapidement possible. Et je tiens à ce que la France, avec ses partenaires européens, intensifie son action contre les réseaux pédophiles internationaux.

Enfance bafouée par la misère, enfance sacrifiée à la violence. Chaque année, 50 millions d'enfants sont victimes des guerres et des conflits armés. Enfants tués ou blessés lors des combats, enfants mutilés par les mines antipersonnel, enfants traumatisés. Enfants orphelins. Enfants réfugiés, privés de patrie. Enfants-soldats, qui seraient aujourd'hui, nous dit-on, 300 000, et que l'on oblige à se battre et à tuer.

L'action humanitaire a démontré son efficacité. Elle soulage des souffrances immenses. Elle alerte l'opinion publique internationale. Mais il faut aller plus loin. Réaffirmer que les violations massives du droit humanitaire sont des crimes contre l'humanité. Obtenir la ratification universelle de la Convention d'Ottawa. Achever la négociation du protocole sur les enfants-soldats.




Il nous reste à parcourir un long chemin avant de parvenir à l'idéal que nous fixe notre loi universelle, l'idéal d'un monde où l'enfant trouve naturellement les moyens de son épanouissement, quels que soient le lieu de sa naissance, son sexe, sa race, sa religion, son origine sociale. Un monde, en vérité, où les droits de l'Homme seraient accomplis.

Le bilan du premier Sommet mondial de l'enfance sera établi en 2001 à New-York. Je veillerai personnellement, pour ce qui nous concerne, à sa préparation et je souhaite pouvoir m'y rendre, pour que la France contribue à donner une impulsion nouvelle à notre combat.

Notre convention, tous les États sauf deux l'ont ratifiée, reconnaissant ainsi qu'elle fixe indiscutablement la loi universelle. Dix ans après, nous devons continuer à agir pour que la réalité suive le droit.

Ce nouveau sommet devra être préparé en très étroite liaison avec vous. Votre expérience, vos analyses, vos recommandations, vos indignations aideront les États et les organisations internationales à mieux assumer leurs responsabilités.

Soyons exigeants et les progrès de la conscience universelle permettront que l'espérance et la confiance retrouvée fassent disparaître le regard douloureux de tant d'enfants aujourd'hui blessés par la vie. Le temps de l'enfance est court. Il ne se rattrape pas. Sachons agir avec le sentiment permanent de l'urgence !

Je vous remercie.





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