Discours du Président de la République à la mairie de Marseille.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à la mairie de Marseille.

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Marseille, Bouches-du-Rhône, le vendredi 12 novembre 1999

Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs les Elus, Monsieur le Préfet, Mesdames et Messieurs,

Je tiens tout d'abord, Monsieur le Maire, à vous remercier pour vos paroles pleines d'amitié et à saluer une fois de plus votre enthousiasme, que je connais bien et qui est particulièrement mis au service de votre ville.

Vous venez de le rappeler, Monsieur le Maire, le Premier ministre espagnol et moi nous étions vos invités, il y a tout juste trois ans. Et déjà les Marseillais, leur municipalité, leur Maire nous avait réservé un accueil que je n'ai pas oublié. J'ai été très heureux que Monsieur José Maria Aznar, qui avait pris ses fonctions quelques mois seulement avant notre sommet, ait eu ici, dans la Cité phocéenne, son premier contact avec les Français. Qu'il ait reçu d'emblée ici, à Marseille, avec la chaleur et l'enthousiasme des vôtres, le témoignage de l'amitié de la France ! Et il me parle souvent de ce voyage à Marseille qui l'avait frappé et marqué.

Oui, Marseille sait recevoir. Elle le fait, riche de vingt-six siècles d'histoire. Une histoire bien connue ici, sans aucun doute, mais peut-être moins bien ailleurs et c'est dommage parce qu'elle est fascinante. Il est peu de cités dans le monde qui peuvent se prévaloir d'une telle ancienneté. Vingt-six siècles au long desquels Marseille a pris l'habitude et le goût des rencontres.

Marseille, " Porte de l'Orient " ouverte aux vents du large. La " ville -vous le disiez- aux 111 quartiers ", mosaïque de cultures et de civilisations, au confluent des peuples. Marseille où, depuis toujours, partent et arrivent les hommes de toute la Méditerranée et de contrées plus lointaines encore. Marseille qui a érigé l'accueil en principe de vie. Marseille qui, depuis vingt-six siècles, cultive ses deux passions : la liberté et l'échange, et qui conjugue, avec bonheur et succès, la tolérance et le dialogue. Vingt-six siècles, Monsieur le Maire, où s'est forgée l'âme fraternelle et généreuse de Marseille.

La liberté déjà, l'esprit rebelle, et le goût de la rencontre, la curiosité de l'autre, quand, selon la légende, Gyptis, fille du roi Nann, délaissant ceux de ses compatriotes qui la courtisaient, choisit le Grec Protis pour époux. Protis, l'étranger venu de loin, et qui reçut en cadeau de son beau-père, pour y fonder une ville, ce bout de terre qui allait devenir Marseille.

La liberté, l'aventure, pour les jeunes marins, partis de leur Ionie natale, dans cette Grèce d'Asie Mineure où leur cité-mère, Phocée, leur était devenue trop étroite, et qui escaladèrent pour la première fois, il y a 2 600 ans, la butte Saint-Laurent où ils allaient fonder Massalia.

On imagine quel merveilleux spectacle s'offrit à leurs yeux. Au nord, le grand large, bleu intense, bordé par les rochers blancs de cette chaîne de l'Estaque qui inspirera par la suite tant de peintres, de Cézanne aux fauves, de Braque et Derain aux cubistes. A l'ouest, les roches éclatantes des îles du Frioul, où se dressera un jour le château d'If. Au sud, à leurs pieds, la longue calanque où ils avaient ancré leurs navires bien à l'abri, à l'abri des vents et qui deviendra le Vieux Port avec, en arrière plan, le haut piton calcaire que coiffera Notre-Dame-de-la-Garde. Et à l'est, tout au fond, tout au fond de la calanque, le marais du Lacydon d'où montera la Canebière, artère symbole de Marseille.

Il y a un caractère marseillais fort, indépendant, rétif aux tutelles, rebelle souvent aux décisions venues d'ailleurs. On a pu parler du caractère " insulaire " des Marseillais. C'est sans doute que Marseille est fille des flots, des vents, qu'elle a gardé le goût du large -" Toi, toujours en partance ", écrit Jules Supervielle- Marseille dont rien ne saurait brider les élans. C'est aussi parce qu'elle a dû beaucoup se battre.

Affronter ceux qui la convoitaient : les légions de César, les pirates grecs ou barbaresques, tantôt les Francs de Charles Martel, tantôt les Maures ; plus tard, les Catalans du roi d'Aragon, ses rivaux, puis les Impériaux de Charles Quint.

Jalouse de ses prérogatives et de ses libertés, elle a tenu tête aux prétentions de ses évêques, des abbés de Saint-Victor, des comtes de Provence.

Elle a bravé les rois de France. Louis XI, héritant de la Provence en 1481, confirme ses privilèges et ses franchises. Les guerres de religion la trouvent plus indépendante que ligueuse. Il faut attendre le règne de Louis XIV et l'affirmation de l'absolutisme pour la voir entrer vraiment dans le royaume de France.

Par passion de la liberté, Marseille est révolutionnaire. Dès mars 1789, elle se soulève contre l'iniquité fiscale. Le 5 novembre, elle renonce à tous ses privilèges. En avril 1790, elle a sa prise de la Bastille, quand tombent les forts royaux. Elle a son jour de gloire lorsqu'en juillet 1792, les 517 patriotes marseillais entonnent dans Paris le " Chant de guerre de l'armée du Rhin " : " La Marseillaise ".

Au nom de la liberté, avant Paris, Marseille s'insurge contre la tyrannie de la Convention montagnarde et paie le prix du sang. Parce qu'elle aime la liberté, Marseille se défie des Bonaparte comme des Bourbon et elle entre tôt en République.

Oui, Monsieur le Maire, la très longue histoire de Marseille est une épopée de la liberté. Elle est aussi une invitation au voyage, à la découverte et à la rencontre.

La découverte, la rencontre, lorsque les Massaliotes, navigateurs hors pairs, partent explorer l'Adriatique, la mer Tyrrhénienne, l'Ibérie. Lorsqu' entreprenant de commercer avec toute la Méditerranée, avec les Ligures, leurs voisins, avec les Etrusques, avec Carthage. Lorsqu'ils remontent le Rhône et la Saône. Lorsqu'ils créent des colonies : Antibes, Agde, Nice, Arles.

C'est un Massaliote, Pythéas, qui, franchissant les colonnes d'Hercule et affrontant Oceanos, est le premier Grec à atteindre la Grande-Bretagne, dont il fait le tour complet avant de remonter vers les Orcades, les îles Féroé et l'Islande. Au même moment, un autre Massaliote, Euthymène, descend les côtes d'Afrique jusqu'au Sénégal.

Marseille aime la mer et la sillonne. Au long des siècles, elle conquiert des marchés de plus en plus éloignés, ouvrant des comptoirs à Majorque, en Afrique du Nord, au Levant avec lequel, par décision de Colbert, les Phocéens ont le monopole du commerce.

Par décision de Colbert aussi, la ville s'agrandit. Son port gagne en profondeur et regarde plus loin. Plus loin, ce sont les Antilles, l'Afrique occidentale, les Indes. Avec l'ouverture du canal de Suez, le trafic phocéen s'étend à l'Extrême-Orient, tandis que ses bateaux font désormais régulièrement la liaison avec New-York. Au début de ce siècle, Marseille est le premier port d'Europe occidentale et l'un des tout premiers centres industriels français.

Elle est l'une des toutes premières portes d'entrée dans notre pays. Un lieu d'accueil. Un lieu de passage et de brassage des hommes et des cultures.

Elle l'est depuis toujours. C'est chez elle, une tradition, un patrimoine, -je dirais- un génie. " Marseille, boulevard du monde ", écrivait Albert Londres. Marseille que les nazis, qui détestaient en elle le formidable creuset, le mélange réussi de tant de nations et de cultures, ont voulu détruire.

Monsieur le Maire, les Marseillais se souviennent qu'ils sont de partout. Ils comprennent mieux que quiconque celles et ceux qui arrivent ici dans l'espoir d'une vie meilleure ou par soif de liberté. En même temps, ils sont fiers de leur ville. Cette hospitalité et cet orgueil, cette passion contagieuse de Marseille expliquent que, progressivement -car bien sûr il y a eu des problèmes et il continue d'y en avoir-, la Cité phocéenne ait su intégrer les vagues successives d'arrivants. Qu'elle ait su se faire aimer de tous pour les fédérer en cette véritable patrie qu'est Marseille.

C'est le sens, Monsieur le Maire, que les Marseillais ont voulu donner -je crois- au 26ème centenaire de leur ville et notamment à cette magnifique parade de " Massalia " que vous évoquiez tout à l'heure, qui a marqué un temps si fort de l'histoire de votre ville et dont, comme vous venez de le dire, nous allons rencontrer ensemble, ce soir, les responsables et les acteurs.

Générosité, fraternité, union de tous dans le respect des différences. Confiance aussi dans l'avenir. L'avenir, Monsieur le Maire, qui est l'obsession de Marseille.

Marseille que vous voulez plus belle, plus forte, plus rayonnante. Où vous vous attachez à faire revenir l'activité, l'emploi et la sécurité qui leur est étroitement liée. Où vous développez mille projets, vous en avez évoqué certains, pour attirer l'activité, les entreprises, les arts.

C'est d'abord le succès de la zone franche urbaine, c'est vrai, qui a permis le doublement en trois ans des entreprises et des postes de travail implantés dans les quartiers nord de Marseille.

Cette politique de développement de certains quartiers, c'est votre équipe et vous même Monsieur le Maire, qui l'avez mise en place lorsque vous étiez ministre de l'Aménagement du territoire, de la Ville et de l'Intégration dans le Gouvernement d'Alain Juppé. Ici, ses résultats sont exemplaires. Et vous l'avez rappelé tout à l'heure, elle a permis la création de trois mille emplois.

C'est aussi la réussite de votre programme " Marseille-Economie ", stratégie de reconquête économique de la ville, étalée sur cinq ans, qui comporte notamment une politique foncière et immobilière ambitieuse. Vous avez engagé la réhabilitation des friches industrielles. Vous avez développé une offre foncière compétitive, vous avez maintenu une fiscalité attrayante. Vous avez multiplié les infrastructures et les services aux entreprises. Et vos efforts portent leurs fruits. Depuis quatre ans, ce sont plusieurs milliers d'entreprises, grands groupes ou PME, qui se sont implantées ou créées à Marseille.

Ce sont vos encouragements au commerce et au développement de nouveaux secteurs d'activité, comme le tourisme. Ce sont vos efforts pour moderniser votre port, premier port de France et de Méditerranée, troisième port d'Europe, et qui concentre plus du cinquième des emplois privés à Marseille.

Enfin, c'est " Euroméditerranée ", première opération d'intérêt national en cours à laquelle Renaud MUSELIER, votre Premier Adjoint, apporte tout son dynamisme, sa compétence et sa conviction. Cet immense chantier, déjà bien engagé, doit remodeler le visage industriel de Marseille, au coeur même de la ville, et contribuer avec le soutien de l'Etat, de l'Union Européenne et de l'ensemble des collectivités concernées, à accroître le rayonnement international de votre cité.

En même temps, Marseille donne une autre image d'elle-même. Vous avez la volonté, Monsieur le Maire, de la rendre plus séduisante, plus attirante. En y proposant une nouvelle qualité de vie. En rénovant l'habitat. En offrant de nouveaux services qui rapprochent la commune de ses administrés. En créant des espaces verts, vous les avez cités, et en allégeant le trafic automobile dans Marseille. En renforçant, en liaison avec l'Etat et aussi avec les collectivités concernées, la sécurité de vos concitoyens.

Mais la priorité de votre équipe municipale, c'est, je crois, la jeunesse. Parce que, pour reprendre votre formule, " quand une ville perd sa jeunesse, le coeur n'y bat plus ".

Vous faites revenir les jeunes en centre ville. En construisant cinémas et théâtres. En développant les centres de loisir et de création. En ouvrant à la rentrée prochaine, vous l'avez évoqué, la nouvelle Faculté-Canebière. La jeunesse de Marseille, nous l'avons vue en liesse pendant la Coupe du Monde de Football. Nous l'avons vue aussi défiler avec fierté lors de la parade de Massalia. Nous la voyons s'imposer dans la musique d'aujourd'hui. Elle est pleine d'imagination, de force et d'enthousiasme. Elle doit être encouragée.

Vous avez aussi l'ambition de rendre à Marseille la place que son histoire et son génie lui réservent dans le dialogue méditerranéen. De restaurer Marseille dans ses responsabilités de capitale du grand sud européen.

L'Europe du sud, Marseille la connaît pour l'avoir réalisée bien avant que se construise l'Europe, pour en avoir été un peu le centre, des décennies avant le Traité de Rome.

Lorsqu'en 1957, les dirigeants de l'Europe des Six, avec une extraordinaire vision de l'avenir et de nos intérêts, lancent l'aventure de la Communauté, l'Europe, à Marseille, n'est pas une idée neuve. Depuis longtemps, Marseille parle toutes les langues de l'Europe du sud : l'italien bien sûr, mais aussi l'espagnol, celui des Républicains réfugiés chez nous et pour beaucoup d'entre eux, ici même, et le portugais et le grec qui sont langues de marins. Mais aussi langues de la Méditerranée et notamment des civilisations arabes d'en face et de partout.

Oui, Marseille est le symbole de cette Méditerranée que nous voulons : ouverte et en paix, prospère et généreuse. Marseille, trait d'union entre les terres et les hommes, tête du pont que nous voulons jeter au-dessus de ce qui est notre mer.

Vous le savez, la France nourrit un grand dessein : bâtir une communauté méditerranéenne et, pour cela, rompre la logique d'affrontements armés et de rivalités économiques qui, depuis si longtemps, gouverne cette région du globe ou une partie de cette région. La France pense que ce qui rapproche nos peuples -leur voisinage, leur long compagnonnage, intellectuel, scientifique, artistique, deux millénaires d'échanges commerciaux et humains, la religion, pour peu qu'on la vive comme elle doit l'être, dans un esprit de tolérance et de partage-, que tout cela doit l'emporter enfin sur ce qui, dans le passé, les a séparés. Il faut bousculer l'Histoire. Il faut que la Méditerranée retrouve sa vraie vocation : la rencontre, l'échange, le développement, la paix. Il faut que les grandes civilisations, dont elle a été le berceau, se redécouvrent et coopèrent.

Voilà pourquoi la France a lancé, la première, vous le savez, l'idée de la Conférence euro-méditerranéenne qui a ouvert à Barcelone, il y a tout juste quatre ans, le grand chantier de l'espace méditerranéen avec l'ensemble des nations du pourtour méditerranéen, l'Europe et l'ensemble des nations.

L'enjeu est immense : l'avenir de la paix, de la stabilité et de la liberté, de la prospérité sur nos deux rives. L'objectif est clair : réduire la fracture, l'incompréhension, les disparités, qu'elles soient démographiques, économiques, culturelles ou politiques, entre les Etats et les populations de cette région.

L'Union européenne, sous l'impulsion de la France, s'est donnée les moyens financiers de cette ambition. Et ce ne fût pas sans mal, car la tentation, la dérive vers l'Est, des moyens de la communauté était grande. Il s'agit d'aborder de front tous les aspects de notre partenariat. Partenariat économique, pour faire de la Méditerranée une zone de prospérité partagée. Culturel, en organisant le dialogue entre nos peuples, notamment nos jeunesses. Mais partenariat politique d'abord, pour construire enfin un espace de paix. La paix sans laquelle rien n'est possible, ni la coopération, ni le développement, ni le progrès des femmes et des hommes.

En proposant à Barcelone l'élaboration d'un pacte euro-méditerranéen de stabilité, la France a souhaité rapprocher les Etats respectant des règles communes, des Etats d'accord entre eux sur des mesures de confiance et décidés à les appliquer dans leurs relations, dans leurs bons voisinages, dans le règlement pacifique des différends. La sécurité de la région dépend d'abord de la stabilité interne des Etats qui la composent et de leur capacité à mettre en oeuvre, entre eux, des mécanismes de diplomatie préventive.

Il faut être lucide. Depuis quatre ans, le processus engagé à Barcelone n'a pas tenu ses promesses, pour plusieurs raisons. D'abord, bien sûr, les difficultés du processus de paix au Proche-Orient dont tout dépend. Le fait que la volonté politique, malheureusement, n'ait pas toujours été au rendez-vous.

Eh bien, la France, qui prendra, vous l'avez rappelé tout à l'heure, le 1er juillet prochain la présidence de l'Union européenne, est pour sa part bien résolue à relancer le rapprochement euro-méditerranéen et à lui faire franchir des étapes décisives. J'ai proposé que dans un an très exactement, et naturellement, si les progrès attendus du processus de paix au Proche-Orient le permettent, se tienne le premier sommet de tous les chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union européenne et de la Méditerranée, qui ne se sont jamais réunis, jusqu'ici les réunions se tenaient au niveau des ministres des Affaires étrangères. Et ce sommet, Monsieur le Maire, je souhaite effectivement qu'il ait lieu ici, à Marseille, il ne pourrait être mieux.

Marseille qui, depuis vingt-six siècle, a su fondre ses communautés en une seule et incarne avec force la fraternité. Marseille qui croit en l'avenir parce que l'avenir se joue dans l'ouverture au monde. Alors, oui Monsieur le Maire, pour le renouveau de Marseille qui se fait aujourd'hui sous votre impulsion avec votre équipe, vous pouvez compter sur mon soutien.

Merci de votre accueil auquel je suis, une fois de plus, sensible.





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