Allocution du Président de la République à l'occasion du dîner d'État offert en l'honneur du Président Tchèque.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du dîner d'État offert en l'honneur de M. Vaclav HAVEL, Président de la République Tchèque.

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Palais de l'Elysée, le mardi 2 mars 1999

Monsieur le Président,

Très cher Vaclav HAVEL,

Chère Madame,

Aujourd'hui, Monsieur le Président, vous êtes l'hôte de la France et des Français. Des Français qui vous admirent et qui vous aiment. Il y a deux ans, ma femme et moi étions vos invités. Les moments que nous avons vécus sont de ceux qui ne s'oublient pas. Vous aviez voulu marquer d'un éclat particulier l'intimité retrouvée entre la République tchèque et la France. Nous avions longuement évoqué votre grand projet : aider votre pays à rejoindre sa famille, l'Europe. Les choses s'esquissaient à peine. Et nous voilà déjà au seuil d'échéances historiques.

Dans quelques jours, la République tchèque entrera dans l'Alliance atlantique. Et très bientôt, elle sera membre de l'Union européenne. Elle s'y prépare activement. Et nous, Français, sommes heureux de lui apporter tout notre soutien.

Oui, Monsieur le Président, quel chemin parcouru par votre pays en moins d'une décennie ! Il fallait pour cela qu'un homme exceptionnel l'y entrainât. Exceptionnel par son courage, sa volonté, sa force de caractère et celle de ses convictions. Un homme en qui se reconnait tout un peuple. Vous, Monsieur le Président, dont la vie, les épreuves parlent pour tous les vôtres. Vous qui incarnez le destin de votre nation, son long calvaire. Ses souffrances et ses espoirs. Son goût irrépressible de la liberté. Son combat héroïque et finalement victorieux.

Jadis, le spectacle et l'atmosphère si particulière de Prague, son passé tantôt souriant tantôt tragique, invitèrent Châteaubriand à méditer - je le cite - sur " le sort des hommes, la mort des empires, les desseins de la providence, les enchaînements de l'Histoire ". Cette Histoire qui s'est souvent écrite dans le sang et l'injustice.

Je pense à la honteuse démission des démocraties à Munich, à l'occupation nazie et à son cortège de souffrances. Je pense à 1948, à votre élan démocratique et à votre rêve européen brisés -vous-même n'aviez pas quinze ans. Je pense au Printemps de Prague écrasé par la force et l'invasion étrangères. Je pense à cette descente du peuple tchèque aux " abîmes de la désespérance ".

Dans cette longue nuit, vous n'avez cessé de résister. Malgré l'oppression et les persécutions, vous n'avez cessé de témoigner de l'enfer imposé à tout un peuple et aussi de son refus de s'abandonner. Vos compatriotes, dans les épreuves, ont forgé leur âme nationale. Comme vous-même, ils gardaient au coeur la belle formule de Masaryk : " la vérité vaincra ".

Et elle a vaincu. Ce fut, à l'automne 1989, la " Révolution de velours ", la réconciliation des Tchèques avec eux-mêmes, la pleine restauration de votre pays et, au-delà, celle de l'Europe tout entière.


L'Europe qui peut enfin se rassembler. Devenir un espace de sécurité et de paix. Un continent de démocratie, de tolérance et de liberté. Un facteur de solidarité, de progrès et de cohésion. Un foyer à nouveau rayonnant de civilisation et d'humanisme. Un carrefour des hommes et des cultures.

Et la France se réjouit de vous voir rejoindre les grandes institutions de notre continent. En 1991, ce fut le Conseil de l'Europe. Aujourd'hui, c'est l'entrée de la République tchèque dans l'Alliance atlantique. La France, qui a soutenu votre adhésion, est heureuse de vous y accueillir.

Notre Alliance célébrera le 25 avril, avec le Sommet de Washington, son demi-siècle d'existence. Ensemble, réfléchissons à son organisation. Des évolutions encourageantes se dessinent avec la lente montée en puissance de l'Europe de la défense. Avec le sentiment que les Européens doivent mieux assumer leurs responsabilités, comme ils ont commencé de le faire au Kosovo. En renforçant le pilier européen de l'Alliance, nous donnerons un meilleur équilibre et une nouvelle vigueur à notre partenariat transatlantique.

A Washington, veillons aussi à ce que la porte de l'Alliance reste grande ouverte à ceux qui veulent la rejoindre. Veillons au renforcement des liens de coopération avec ceux qui sont ses nouveaux partenaires. Ne substituons pas à celle de Yalta de nouvelles lignes de fracture sur notre continent. Je suis d'accord avec vous, Cher Vaclav HAVEL, pour dire - et je vous cite - que " la fin de l'hégémonie soviétique ne signifie pas que les peuples de l'ancienne URSS devraient être coupés de l'Europe et chassés au-delà de ses frontières ".


Et puis, il y a votre autre grande ambition, celle de l'entrée de la République tchèque dans l'Union européenne. L'an dernier, les négociations d'adhésion se sont enfin engagées. Elles permettront à votre pays d'occuper bientôt toute sa place dans notre Union.

Là encore, vous pouvez compter sur le soutien résolu de la France. Nous saluons vos efforts. Et nous sommes à vos côtés pour qu'ils réussissent dans les délais les plus brefs.


Mon souhait, et je sais Monsieur le Président que c'est aussi le vôtre, est d'enraciner l'Europe dans le coeur des hommes. D'assurer la participation démocratique des peuples à la construction de l'Union. De développer l'Europe de la culture et de l'esprit. De promouvoir le modèle social européen. Nous voulons aussi que l'Europe monte en puissance sur la scène mondiale. Qu'elle s'impose dans les discussions internationales, pour prendre le meilleur de la mondialisation tout en maîtrisant les forces aveugles qu'elle peut générer.

Et pour faire avancer cette vision commune de l'Europe et du monde, nous, Tchèques et Français, pouvons bâtir sur notre amitié et notre dialogue séculaires.

Notre dialogue politique d'abord. Un dialogue toujours confiant, comme le montrent nos entretiens d'aujourd'hui, après tous ceux que nous avons eus à Prague ou lors de vos nombreuses visites chez nous.

Notre dialogue culturel aussi. Vous avez autour de vous, ce soir, Monsieur le Président, d'éminents représentants de ce monde de l'esprit qui n'a jamais accepté ni frontière ni rideau de fer. Rodin, Claudel, Breton, Camus et tant d'autres vinrent à Prague trouver l'inspiration. En retour, la France est heureuse et fière d'avoir accueilli jadis Mucha et Kupka, puis Milos Forman, Milan Kundera et bien d'autres, dont certains sont présents ce soir.

Enfin, notre partenariat économique, qui a fait d'extraordinaires progrès depuis dix ans. Les nombreux dirigeants d'entreprises qui participent à notre dîner en portent témoignage. Trois cents filiales françaises emploient dans votre pays plus de 30 000 personnes. C'est bien la manifestation de cette solidarité qui nous unit désormais et c'est bien le signe de la confiance de la France dans vos succès et votre avenir.

Et c'est en pensant à cet avenir qui nous verra demain réunis au sein de l'Alliance atlantique, après-demain dans l'Union européenne, c'est en pensant à notre communauté de destin que je vais maintenant lever mon verre.

Je le lève, Monsieur le Président, en votre honneur, en l'honneur d'un grand homme d'Etat, qui est aussi et d'abord un humaniste et un combattant de la liberté. Je forme, cher Vaclav HAVEL, des voeux ardents pour votre personne, pour votre santé. Je lève mon verre en l'honneur de Madame Vaclav HAVEL à qui je présente mes très respectueux et très affectueux hommages. Je le lève en l'honneur des hautes personnalités tchèques et françaises qui nous font ce soir l'amitié de leur présence. Je le lève au bonheur et à la prospérité du peuple tchèque et aux liens fraternels qui l'unissent au peuple français.





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