Allocution du Président de la République lors de l'inauguration du laboratoire P4 "Jean MERIEUX".

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République : Inauguration du laboratoire P4 "Jean MERIEUX".

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Lyon, Rhône, le vendredi 5 mars 1999

Cher Docteur Mérieux,

L'Institut bactériologique créé par votre père en 1895 ressuscite aujourd'hui à Gerland avec le Centre européen de recherche en virologie et immunologie. Dans ce Centre, le laboratoire P4 de haute sécurité perpétue, en portant son nom, le souvenir de votre fils Jean pour lequel, ici, nous avons tous une pensée affectueuse. Ce laboratoire est votre oeuvre et dessine deux grands traits de votre personnalité. Une profonde et constante générosité, une volonté d'être utile qui font de vous un ami de l'homme qui souffre. Une imagination aussi et une audace qui vous amènent à voir loin et grand en bravant les modèles tout faits. Tous, ici, nous rendons hommage à votre créativité.

Monsieur le Premier Ministre,

Messieurs les Ministres,

Mesdames, Messieurs les Elus,

Mesdames, Messieurs,

André Malraux, évoquant la créativité de l'artiste, disait que " les formes appelées à demeurer dans la mémoire des hommes sont des formes inventées ". Le physicien, qui scrute la matière, pourrait aussi faire sienne cette phrase ; le biologiste, lui, face à la vie, ne le pourrait sans ajouter immédiatement que toute forme inventée par l'homme conduit la nature à se réinventer elle-même. Ainsi, l'antibiotique amène la résistance à l'antibiotique.

Depuis des millénaires, l'homme vit cette compétition avec les autres espèces. Depuis une poignée d'années, il avait cru pouvoir estimer qu'il les avait vaincues, au point de parler de protéger, voire de réintroduire, nos anciens prédateurs. Depuis hier, il s'aperçoit qu'il n'est pas seul au sommet de la création, que des microbes familiers qu'il croyait assagis reviennent le hanter et que des microbes nouveaux apparaissent dans toute leur cruauté.

Ces microbes sont les maîtres du temps. Les bactéries furent les seuls protagonistes de la première moitié de l'histoire de la vie sans connaître par la suite la moindre régression de leur diversité.

Ils sont de patients colonisateurs de l'espace. Non seulement leurs habitats et leurs métabolismes sont déjà les plus variés qui soient mais nous leur préparons nous-mêmes des terrains où ils peuvent amplifier leur action.

Amplification par les guerres civiles, les exodes et les camps de réfugiés qui pulvérisent le peu de structures médicales qui existent. Amplification par l'urbanisation accélérée et ses bidonvilles qui concentrent tant de populations dans si peu d'hygiène. Amplification aussi le long de certaines côtes océaniques, ultimes points d'arrivée de tous les déchets du monde et qui sont devenues, par endroits, de véritables soupes microbiennes.

Enfin et surtout, les microbes, virus, bactéries et parasites sont, par leur incessante et folle capacité à se transformer, les aveugles champions de l'ingénierie génétique. Certes, leurs mutations sont souvent délétères pour eux-mêmes mais leur fréquence est si élevée qu'inévitablement une mutation apparaît qui les rend plus dangereux ou qui leur permet de tourner ces défenses que nous avons édifiées.

Face à la menace microbienne, les hommes ne sont forts que de la conscience qu'ils ont d'eux-mêmes et de leur intelligence. Cette intelligence, source d'incessantes mutations des idées, est vassale de cette conscience dont Hegel disait qu'elle est la terre natale de la vérité.

Cette conscience, et la lucidité qu'elle nourrit, a plusieurs aspects. Les uns éclairent une situation, les autres charpentent une action. Je ne les analyserai pas, ici, bien sûr mais je rappellerai les plus importants d'entre eux.

Conscience d'abord que la mondialisation des microbes est une réalité. En cette fin de siècle, nous vivons surtout la mondialisation comme financière, économique et industrielle. Nous la percevons aussi dans les phénomènes climatiques, El Nino par exemple, et dans l'environnement, effet de serre, trou d'ozone, ressources en eau... Nous commençons tardivement à nous rendre compte qu'elle est aussi, par les voyages, les migrations, les exodes, microbienne. Ce qui revient à dire que toute maladie infectieuse peut nous mettre tous en péril.

Conscience ensuite que la moitié de la population mondiale est touchée par un large éventail de maladies infectieuses et parasitaires. Et que l'intérêt du monde industriel pour le développement de molécules thérapeutiques pouvant soulager les souffrances de tant de millions d'hommes et de femmes est, pour le moins, modeste. Un vaste réservoir de maladies infectieuses est ainsi laissé avec une recherche insuffisante et une mobilisation industrielle insignifiante. Ce qui revient à dire, cette fois, que de nombreuses maladies, tolérées ou négligées, nous mettent tous en péril.

Aujourd'hui, demain, deux attitudes se lient donc dans une solidarité nouvelle face à ces maladies. D'un côté, l'indispensable vision humanitaire faite de compassion, de justice et de partage. De l'autre, non moins indispensable, la protection de nos propres sociétés. Il est impossible de délivrer les pays d'Europe de l'Ouest et d'Amérique du Nord sans délivrer les pays d'Afrique et d'Asie. La délivrance ne pourra être que globale et, disons-le avec force, elle ne sera jamais définitivement acquise.

Face aux attaques complexes des microbes, nous devons prendre conscience qu'il n'y a pas de défense unique et simple. Mais, au contraire, une défense, elle aussi complexe, intégrant ses expressions dans nombre d'activités humaines, santé publique bien sûr, mais aussi éducation, pratiques culturelles, urbanisation et logistique... ; une défense se différenciant suivant la maladie infectieuse à laquelle on s'attaque.

Nous devons prendre conscience que jamais les efforts nationaux à eux seuls ne pourront suffire à relever ce défi. Une coopération internationale vigoureuse et intensive s'impose donc, aux côtés ou au sein de l'Organisation mondiale de la santé, fédérateur naturel de nos efforts. C'est d'ailleurs à Lyon, en 1996, lors du sommet des pays les plus industrialisés que j'avais pris l'initiative de lancer la réflexion sur le thème des maladies infectieuses. Je voulais que les Sept en montrant leur détermination donnent à cette coopération une forte impulsion.

Prenons enfin conscience qu'aussi bien conçue que soit cette défense dans sa conception et son organisation, elle ne donnera de résultats que si elle s'appuie sur des hommes bien formés et en nombre suffisant. Ici, des médecins, infirmiers, vétérinaires mais aussi des logisticiens pour les actions humanitaires et les systèmes de réaction rapide aux épidémies. Là, des épidémiologistes capables, sur le terrain, de tout faire : remonter au premier malade, cerner le microbe responsable, rechercher ses vecteurs. Ailleurs, des équipes mobiles de vaccination, des équipes d'éducation sanitaire des mères tant il est désormais clair que l'éducation maternelle est un facteur essentiel de régression de la morbidité et de la mortalité infantiles. Dans toutes ces directions, depuis quarante ans, Charles Mérieux a " inventé des formes ", rassemblé et motivé des hommes, pour en former d'autres. Face aux dizaines de millions d'hommes menacés, son exemple ne peut-il pas, ne doit-il pas nous inspirer tous ?

Face à des microbes qui, grâce à leur aveugle capacité de mutation, font la course en tête, je disais, il y a un instant, que notre force est notre propre capacité de mutation, d'invention d'idées, d'objets, de méthodes. Capacité de mutation, lucide, raisonnée ou intuitive, en un mot, intelligente.

Parler de notre intelligence, de notre capacité à analyser et comprendre, à imaginer et agir, c'est rappeler que la recherche fondamentale est au coeur d'une défense dont j'ai dit qu'elle devra englober, dans le monde entier, bien des facettes de l'activité humaine. La recherche fondamentale doit répondre à quatre grandes familles de questions. Comment se comportent les microbes dans leurs milieux naturels et, en particulier, dans notre propre organisme ? C'est le champ d'une écologie microbienne qui, en grande partie, reste à créer. Qu'est-ce que la virulence ? Eh bien, des facteurs, mal appréhendés encore, décident de son niveau. Comment l'hôte se défend-il ? C'est dans l'étude de cette réponse immunitaire que, me semble-t-il, nous avons le plus progressé. Comment, enfin, le pathogène acquiert-il sa résistance aux antibiotiques ? Question aiguë quand les infections nosocomiales en milieu hospitalier, et communautaires en ville, commencent, hélas, à peser lourd.

Lorsque le docteur Charles Mérieux décide de construire le laboratoire P4 destiné à l'étude des microbes pathogènes et à la mise au point de vaccins ; lorsque, à la place qui est la mienne, je veille personnellement à ce que, sans tarder, la France se dote, à Evry, d'un Centre de grand séquençage et d'un Centre de génotypage et qu'elle propose à ses chercheurs un vaste programme de recherches en microbiologie sur les questions que je viens d'évoquer, c'est parce que, comme vous tous ici, nous savons qu'il faut agir mais aussi parce que nous voulons rappeler que tout commence par la recherche fondamentale. Et qu'elle aussi, cette recherche, se construit.

Et elle se construit à Lyon. Le laboratoire P4 est associé avec l'Institut fédératif de recherche sur les maladies émergentes qui regroupe d'excellentes équipes de l'INSERM. Près d'ici, l'Ecole normale supérieure, l'Institut de biologie et de chimie des protéines, laboratoire propre du CNRS, le Centre national d'études vétérinaires et alimentaires, sont d'autres éléments constitutifs d'un ensemble scientifique cohérent et efficace. Et je sais que, demain, l'Université Claude Bernard, le CNRS et l'Ecole normale vont, ensemble, créer un Institut de biologie du développement.

Monsieur Raymond Barre, d'abord en tant que Premier ministre puis comme Maire de Lyon, avec tous ceux qui l'entourent, et tout particulièrement Madame Anne-Marie Comparini, avec nombre d'entre vous, a ainsi multiplié le prestige et la puissance scientifique de Lyon qui devient, il l'a dit à juste titre, la " biocapitale " de l'Europe du Sud. Qu'il me soit permis de lui dire que la France est fière de ce que fait Lyon.

Je vous remercie.





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