Allocution du Président de la République à l'occasion de la rencontre avec les hommes d'affaires français et nigérians.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la rencontre avec les hommes d'affaires français et nigérians.

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Abuja, Nigéria, le samedi 24 juillet 1999

Monsieur le Président Shonekan,
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Parlementaires, notamment les Parlementaires français, présents ici,
Mesdames et Messieurs les chefs d’entreprise,
Mesdames, Messieurs,
Mes chers Amis,

Je me réjouis, et le mot est faible par rapport à ce que je ressens, de me trouver parmi vous ce matin pour ce qui, dans mon esprit, est un temps fort de ma visite d'Etat au Nigeria, la première, cela a été rappelé, d'un chef d'Etat français, et je suis fier de cela : l'échange de vues de la communauté d'affaires nigériane et française, avec nous, avec ma délégation, est en effet un moment auquel j’attache une grande importance.

Le Nigeria et la France se situent à un moment très important de l'histoire de leurs relations. Ces relations sont anciennes, mais la France, pendant longtemps, avait en réalité focalisé ses relations avec les pays qui entretenaient avec elle de vielles et anciennes amitiés, c’est-à-dire les pays de l’Afrique francophone. La France a évolué et elle souhaitait s’élargir, élargir le choix de ses relations et, naturellement au premier rang des pays avec lesquels elle souhaite les renforcer, il y a le Nigeria. Avec le retour à la démocratie, qui est un événement de grande portée historique ; avec la politique d'assainissement entreprise par le Président OBASANJO ; avec votre concours à tous, les relations entre nos deux pays peuvent connaître un nouvel et grand essor.

Le Nigeria est, à l’évidence, le pays le plus important de l’Afrique, un pays majeur dans le monde de demain, par l’importance de sa population, par l’ancienneté de sa civilisation, par son rayonnement culturel, par son poids politique et par son dynamisme économique. Du Nigeria dépendent en grande partie la paix et la prospérité de toute une partie d’une grande région du continent. Le Nigeria joue déjà un rôle décisif dans la solution des crises. Il peut être, dans l’avenir, une locomotive essentielle de l'économie africaine. Et je suis convaincu que, dans ce cadre, la France peut constituer pour le Nigeria un partenaire économique privilégié.


Je voudrais tout d’abord présenter rapidement à nos amis nigérians notre pays, une France que beaucoup connaissent déjà et que beaucoup souhaitent voir dans leurs relations d’affaires.

La France est un pays moderne et dynamique, c’est la quatrième puissance économique du monde. C’est le pays le plus peuplé d'Europe après l'Allemagne, c’est l'un des marchés les plus ouverts de la planète. La France est également le quatrième investisseur mondial (et même le premier par tête d’habitant). Son agriculture est la plus importante d'Europe, et la seconde du monde après celle des Etats-Unis, ses industries excellent dans les domaines de pointe comme les biotechnologies, les télécommunications, l’espace ou l’aéronautique. Son secteur tertiaire occupe la deuxième place du monde par la qualité de ses infrastructures et de ses communications, par l’importance de sa recherche, par la vigueur de sa technologie, par la formation de ses hommes.

Au Nigeria, la France est déjà implantée, et bien implantée, mais nous pouvons, ensemble, mieux faire, dans le domaine de la coopération économique. Nous sommes le quatrième partenaire commercial de votre pays et, comme le rappelait le Président tout à l’heure, l'un des tout premiers investisseurs. Plus de 100 entreprises françaises et près de 3000 Français contribuent à l'économie nigériane. J'ajoute, ce qui n’est pas très connu, que la France, à travers le Fonds européen de développement, est, de loin, dans le monde, le premier donneur d'aide publique au Nigeria : elle est en effet le principal contributeur de ce fonds du développement, puisqu’elle apporte 25% à elle toute seule des ressources mises dans ce fonds par les quinze pays de l’Union européenne. Ce qui signifie quelque 600 millions d'euros actuellement disponibles pour le Nigeria.

De plus, de vastes perspectives s'ouvrent dans le domaine de l'aide bilatérale. Le gouvernement français a revu, récemment, avec moi, la liste des pays qui peuvent bénéficier de nos moyens d’aide et de coopération, nos moyens privilégiés. Et nous avons décidé d’inscrire le Nigeria dans notre zone de solidarité prioritaire. Ce qui va, demain, faciliter grandement, nos opérations, notamment dans le domaine de l’aide et de la coopération.

Vous savez également l’importance que j’attache, et le Président l’a souligné, au problème de l’endettement auquel vous êtes aujourd’hui confrontés. Le Nigeria est un géant dont la vie et le développement conditionnent celui d’une part importante de l’Afrique, je l’ai dit, mais un géant qui doit tirer avec lui un boulet. Ce boulet, ce sont les quelque 30 milliards d'euros de sa dette extérieure. Je m’en étais longuement entretenu avec le Président OBASANJO, quand il était venu à Paris, avant même son investiture officielle. Et je lui avais dit que j’entendais bien intervenir auprès du G7, qui se réunissait quelques jours après à Cologne, pour expliquer à nos partenaires que notre intérêt était que le Nigeria et son économie puissent décoller le plus rapidement possible. C’était notre intérêt politique pour enraciner la démocratie. Ce qui exige que le peuple nigerian voie la contrepartie des efforts faits dans le domaine de la bonne gouvernance. C’était notre intérêt parce que, dans un monde où les échanges s’accélèrent, les échanges de toute nature s’accélèrent, il est bien évident que lorsque le Nigeria se porte bien, ce qui est autour se porte bien. Mais lorsqu’il se porte mal, ce qui est autour se porte mal. Et cela a des conséquences directes sur l’ensemble de la communauté internationale, dont l’intérêt, je le répète, est que le Nigeria soit une locomotive de l’économie africaine.

Alors, on m’a fait valoir au G7 que le Nigeria ne faisait pas partie des pays les plus pauvres et pour lesquels des mesures, sur la proposition d’ailleurs de la France, étaient prises en matière d’annulation de leurs dettes. Mais j’ai indiqué que nous avions fait quelques exceptions, que toute règle supposait, si elle voulait être réaliste, qu’il y ait des exceptions. Et que, de mon point de vue, le Nigeria justifiait, pour les raisons que j’ai évoquées, une exception de cette nature. Et le G7 a bien voulu prendre cette proposition en considération, je m’en réjouis. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont été saisis, pour ce qui les concerne, pour la partie multilatérale de l’aide. J’ai rencontré le directeur général du Fonds monétaire international et je le rencontrerai à nouveau, le 30 juillet, pour discuter avec lui des modalités d’une action destinée à convaincre définitivement nos partenaires et à engager le Fonds monétaire, ce qui est nécessaire pour passer ensuite au Club de Paris, comme l’évoquait à l’instant le Président, au Club de Paris où le Nigeria peut compter sans réserve sur l’aide active de la France pour obtenir le meilleur résultat possible. Mais il faut d’abord passer le cap du Fonds monétaire et c’est ce que nous nous employons à faire actuellement.

Il m’est agréable de saisir cette occasion pour dire tout le bien que je pense de la communauté d'affaires française au Nigeria. Vous avez su, mes chers Compatriotes, créer ici, dans des circonstances qui ont été parfois difficiles, une présence française qui est exemplaire à tous égards : elle est fondée sur la compétitivité. Vous vous êtes accrochés pendant les périodes difficiles, vous êtes restés, vous n'avez pas abandonné nos amis nigerians. Vous avez maintenu ici la France, et vous avez ainsi fait comprendre de façon éclatante quelque chose d’essentiel : la France n'a pas abandonné et elle n'abandonnera pas l'Afrique. Je tiens à rendre particulièrement hommage à la ténacité et au dynamisme des entrepreneurs français.

Vous constituez, en effet, le fer de lance, la masse critique à partir de laquelle la présence économique française au Nigeria doit rebondir. Il nous faut investir ici dans de nouveaux domaines. J'ai demandé au CIAN et au MEDEF, dont je salue ici les représentants, d'envoyer au Nigeria, avant la fin de l'année, une "mission lourde" d'hommes d'affaires français dont le but sera précisément de définir cette "nouvelle frontière" de notre présence au Nigeria : ce pourrait être, notamment, l'agroalimentaire, les produits pharmaceutiques, la maintenance industrielle et bien d'autres domaines que nous pourrons définir ensemble à cette occasion. Je pense, en particulier, au domaine du gaz auquel le Président OBASANJO, à juste titre, veut donner une priorité. Et M. ROUSSIN m’indiquait qu’il était d’accord pour l’organisation de cette mission. Je rappelle que le total des investissements français au Nigeria est de l'ordre de 2 milliards d'euros, c’est-à-dire plus de 2 milliards de dollars, ce qui équivaut à l'ensemble de nos investissements dans la sous-région. Eh bien, il faut que ce chiffre fasse un bond en avant.

A vous, Mesdames et Messieurs les hommes d'affaires et les femmes d’affaires nigerians, je demande de nous aider, et par conséquent de nous comprendre. Il ne pourra pas y avoir d'augmentation des investissements étrangers, et donc français, si certaines garanties ne sont pas fournies aux investisseurs. Ceux-ci iront tout naturellement dans les pays où ils trouveront ces garanties. Ils doivent pouvoir faire fructifier leur argent et rapatrier leurs bénéfices dans des conditions normales. Ils doivent pouvoir conserver, dans les entreprises franco-nigerianes, une présence humaine suffisante qui représente souvent à leurs yeux une garantie de gestion et offre en même temps à ces entreprises l'avantage d’un certain savoir-faire. Je sais que c’est là l’une des préoccupations, aussi, du Président OBASANJO.

Je sais également qu'étant tous concernés par le redressement de l'économie nigeriane, vous militerez dans ce sens, et je vous en suis reconnaissant. Nous y avons tous intérêt car cela contribuera à attirer les investisseurs français et les autres, des investisseurs qui, comme vous, ont besoin de fournitures régulières d'électricité, d'un système téléphonique performant, de sécurité des transports, bref de toutes les conditions nécessaires à la bonne marche d'une économie. A cet égard, je voudrais saluer l'oeuvre remarquable accomplie, sous la direction et l’impulsion du Président SHONEKAN, dans le cadre de "vision 2010". Au moment d'entamer cette nouvelle phase de son développement, le Nigeria a la chance de disposer ainsi d'un instrument qui va pouvoir lui servir de guide pour le redressement.

Enfin, à la communauté d'affaires nigeriane, je dirai que nous vous incitons aussi à investir chez nous : la France, je le répète, est l'un des pays les plus ouverts du monde. Elle est le quatrième pays d’accueil des investissements internationaux, et même probablement le troisième. De nombreuses opportunités se présentent dans tous les secteurs.


Mes chers Amis, nous n’en sommes qu’au début d’un processus, d’un processus de coopération fondé d’abord et avant tout sur le respect mutuel et l’amitié sincère. Et je suis convaincu qu’il existe un grand potentiel de développement pour un partenariat entre le Nigeria, grande et vieille nation, et la France qui l’est aussi. Ensemble, nous ferons tout pour que les relations entre le Nigeria et la France connaissent un nouvel essor, un grand essor, à l’aube du XXIe siècle.

Voilà mon voeu et je suis déterminé à tout faire, pour ce qui me concerne, pour qu’il devienne une réalité !

Je vous remercie.

Et je suis tout prêt à répondre, comme m’y a engagé le Président, à quelques questions.

QUESTION - Je suis le représentant du Crédit lyonnais. Je voudrais parler du développement des échanges avec l’Europe. La totalité des réserves en devises du Nigeria sont pour le moment conservées en dollars. Ne serait-il pas logique, depuis la création de l’euro, qu’une partie de ces réserves soient aussi conservées en euro ?

LE PRÉSIDENT - Je dirai d’abord qu’il s’agit là d’une décision qui relève des seules autorités monétaires du Nigeria, que je me garderai bien de faire la moindre ingérence dans la politique monétaire du pays. Je comprends parfaitement que les autorités monétaires, qui viennent de voir surgir cette nouvelle monnaie qui est appuyée sur l’économie la plus puissante du monde, celle de l’Union européenne, regardent d’abord les évolutions. Les financiers sont des gens prudents. Enfin, ils devraient l’être en tous les cas, ils le sont même souvent. Par conséquent, j’imagine que le gouverneur de la Banque centrale du Nigeria prend tout à fait normalement son temps avant de prendre ses décisions. Mais j’imagine que, comme beaucoup d’autres banques centrales, l’euro y trouvera une bonne place.

QUESTION - Je représente un certain nombre d’entreprises françaises au Nigeria. Le secteur de l’énergie a été délaissé dans le passé. Les entreprises de services telles qu’ EDF pourraient faire quelque chose pour résoudre ce problème. Il y a un certain nombre d’entreprises qui sont présentes sur le continent africain, mais pas au Nigeria.

LE PRÉSIDENT - D’abord, sur le plan général, je l’ai dit tout à l’heure, il y a une présence française importante depuis longtemps au Nigeria. Il est certain que les perspectives aujourd’hui ouvertes, notamment par les autorités nigerianes qui sont déterminées à améliorer les conditions du développement économique, sont de nature à encourager davantage l’étranger, la communauté internationale et en particulier la France, à investir dans le développement du Nigeria. Cela ne fait aucun doute. Dans ce contexte, je considère avec vous que le secteur de l’énergie est un secteur très important. J’aurai certainement l’occasion à maintes reprises d’encourager les organismes compétents à investir dans ce secteur ici. D’autant plus que le Président OBASANJO me disait hier, lors de nos entretiens, que le pétrole était très important. Mais qu’il souhaitait qu’on ne pense pas qu’au pétrole. Il y avait, ici, des possibilités dans le domaine du gaz qui sont considérables et qui ne sont pas exploitées à la leur juste valeur. Il m’a dit qu’il souhaitait qu’il y ait un redressement de la situation dans ce domaine. Bref, je l’ai trouvé très attentif à tout ce qui se passe dans le domaine de l’énergie en général et du gaz en particulier. Je ne manquerai pas de me faire le porte-parole de ce souci auprès des personnalités que je verrai.

QUESTION - S’agissant du Club de Paris, pouvez-vous encore faire plus pour le rééchelonnement de la dette et faire avancer ce dossier ?

LE PRÉSIDENT - Je vous ai dit, chère Madame, que j’étais l’un des avocats très actifs de la réduction de la dette nigeriane parce que je crois, je le répète, que c’est l’intérêt du Nigeria, mais que c’est notre intérêt à tous. Lorsque je plaide ce dossier, je ne n’ai pas simplement l’impression de plaider le dossier du Nigeria, mais plus largement celui de cette région de l’Afrique et celui des intérêts de toutes celles et de tous ceux qui ont avec le Nigeria des relations économiques.

Je répète que, s’agissant du Club de Paris, vous aurez avec la France un avocat très attentif, très actif. L’expérience le prouve, très efficace. Mais avant de passer au Club de Paris, je le répète, la loi veut qu’il y ait un accord du Fonds monétaire international. C’est donc à ce niveau que se situe d’abord la négociation. Je vous ai dit que j’avais déjà rencontré sur ce sujet le directeur général du Fonds monétaire international et que j’allais le rencontrer à nouveau sur le Nigeria le 30 juillet prochain. J’espère que nous allons avancer. Mais c’est un point de passage obligé avant d’aller au Club de Paris. Vous pouvez être assurée en tous les cas de mon dévouement pour cette cause.

QUESTION - Je suis le Président d’un groupe d’entreprises qui fait partie du groupe Bolloré-transport. Ce n’est pas une question, mais je voudrais vous exprimer ma reconnaissance. La question des transports est une question essentielle dans la vie de tout le pays. C’est particulièrement vrai au sujet de la question de la pauvreté. Le coût des transports influence la conduite, la mise en oeuvre d’un programme qui pourrait être investi dans les transports.

LE PRÉSIDENT - Je n’ai pas naturellement votre compétence dans le domaine des transports, mais je ne peux qu’approuver votre affirmation selon laquelle le coût des transports a une influence directe sur une politique de lutte contre la pauvreté et pour l’amélioration du bien être. Chacun, naturellement, le comprend. Plus les biens peuvent parvenir, plus le commerce peut se développer et plus la richesse s’accroît et plus la pauvreté diminue. Je suis donc très favorable à tous les investissements dans les transports de toute nature. La France a d’ailleurs dans ce domaine un souci permanent qu’elle a d’abord appliqué chez elle, puisque vous savez que la France est, je crois, le premier pays en ce qui concerne la densité et la qualité des transports de toute nature. C’est une des raisons qui font de la France un lieu privilégié pour les investissements étrangers.

Je voudrais également vous dire que j’apprécie le fait qu’il ait été souligné en début de propos la nouvelle période qui s’ouvre. Je crois que c’est une nouvelle période pour le Nigeria, pour son développement dans le cadre de la démocratie, de l’investissement, de la gestion, je dirais, plus équilibrée des affaires. Et c’est une nouvelle période pour les relations entre nos deux pays, par la volonté du Nigeria qui souhaite renforcer ses relations avec la France, et qui l’a prouvé en décidant il y a quelques temps, décision confirmée par l’actuel gouvernement, de donner au Français une place de choix dans votre pays, ce à quoi nous avons été extrêmement sensibles. C’est vrai pour la France qui a parfaitement conscience de l’importance capitale de votre pays, notamment pour une Afrique qu’elle aime et pour les pays qui vous entourent, qui sont des pays francophones avec lesquels nous avons des liens très forts.

QUESTION - Pierre VALENTINI, du groupe Panhard. Depuis plus de 25 années, les entreprises de défense françaises ont pris une place éminente au Nigeria en équipement de marine, de transmission, d’hélicoptères, de défense aérienne et de blindés légers. Depuis 5 ans, ces matériels n’ont plus été approvisionnés ni en assistance, ni en rechanges. La reprise rapide d’une remise en état opérationnel du matériel et de la formation technique du personnel ont-elles pu être abordées ?

LE PRÉSIDENT - Elles ont naturellement été abordées. Elles feront l’objet d’un examen détaillé à l’occasion d’une très prochaine rencontre que nous avons programmée entre les deux ministres de la Défense.





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