Allocution du Président de la République à l'occasion de la présentation des voeux aux Forces vives.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la présentation des voeux aux Forces vives.

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Palais de l'Elysée, le jeudi 7 janvier 1999

Monsieur le Premier Ministre,

Mesdames, Messieurs,

Le premier hommage de la République aux forces vives de la Nation remonte à la Libération. C'était en même temps un appel, celui du Général de Gaulle, invitant tout ce que la France comptait alors d'énergies productives à se rassembler dans un immense effort de reconstruction.

Seul dans la Nation, l'Etat ne peut rien. Il a besoin que l'ensemble des dynamismes à l'oeuvre dans notre société, soient mus par une même ambition.

Cette ambition aujourd'hui, c'est l'Europe. L'Europe pour la France. Une belle ambition. Une ambition raisonnable. Une ambition nécessaire pour nous donner les meilleures chances de progrès économique et social et pour préserver notre présence et notre capacité d'action dans le monde. Une ambition de paix, sur un continent qui, au cours de ce siècle, aura été déchiré par les deux guerres les plus meurtrières de l'histoire.

Nous pouvons maintenant parler de l'euro au présent. Pourtant, combien de doutes, combien d'efforts avant d'y être parvenus. Ce succès, nous le devons au travail des Français et à la persévérance de leurs gouvernements successifs. Ce ne fut pas facile !

Mais l'euro est un commencement plutôt qu'un achèvement. Forte de sa monnaie unique, l'Europe offrira de meilleurs prix aux consommateurs, de nouvelles possibilités de développement à nos entreprises. L'euro nous a déjà protégés de la crise financière internationale. Il fait de notre continent un pôle de stabilité, définitivement à l'abri de ces dévaluations compétitives entre nous qui, dans le passé, ont fait tant de mal à notre économie.

L'euro est un puissant accélérateur de changements, un véritable générateur d'ambitions. Il ne suffit pas de nous y être préparés. Il faut encore mettre la France en capacité d'en tirer tous les bénéfices pour l'avenir. Nous sommes bien placés pour le faire. Nous devons poursuivre les grandes réformes qui feront de nous et qui doivent faire de nous les meilleurs en Europe, et c'est possible : avoir les meilleures entreprises - très souvent elles le sont déjà -, les meilleurs produits, les meilleurs services publics, mais aussi un très bon système éducatif, un très bon système juridique et une fiscalité stimulante. Tôt ou tard, l'euro nous conduira à diminuer les impôts et, pour cela, à rendre plus efficace notre dépense publique.

Les entreprises ne sont pas les seules à être confrontées à la concurrence internationale. Les Etats, les systèmes publics, les territoires, le sont aussi. La création des emplois de demain sera fonction de notre capacité globale d'attraction. C'est pourquoi il est nécessaire de conduire une vigoureuse réforme de l'Etat, de renforcer la démocratie locale et d'adapter nos services publics.

L'Euro nous amène aussi à consolider notre modèle social. Celui-ci n'est pas un poids, c'est une force. Pour le préserver, l'Europe doit s'engager résolument sur la voie d'une harmonisation qui constituera le meilleur rempart contre tout risque de dumping social. La direction a été tracée dès 1996 avec le modèle social de la France et son mémorandum. L'Europe sociale est en marche. A Luxembourg, en 1997, comme à Vienne, il y a quelques semaines, et notamment sous l'impulsion de la France, les dirigeants européens n'ont cessé de la faire progresser en donnant la priorité à l'emploi. Les partenaires sociaux, qui s'y sont engagés depuis déjà longtemps, doivent nécessairement y prendre toute leur place.

Au moment où nous franchissons ces nouvelles étapes, le monde change à un rythme que nous n'avions jamais connu. Les nouvelles technologies accélèrent la mondialisation de l'économie. Le temps de la société de l'information est instantané. La vitesse d'action et de réaction, la capacité d'adaptation au changement, deviennent des exigences incontournables. Aucun grand pays ne pourra plus se permettre de laisser filer le temps.

Le développement des technologies de l'information est également porteur d'un grand espoir dans la lutte contre le chômage, notamment le chômage des jeunes. Elles seront dans les prochaines années, l'un des moteurs de la croissance et de l'emploi. C'est dans l'informatique et la communication que les entreprises embauchent le plus de personnels qualifiés. L'essor de ces secteurs est tel qu'ils sont déjà confrontés à une pénurie de main-d'oeuvre. La formation aux nouvelles technologies est un impératif national.

A plus court terme, nous devons prendre très au sérieux le "bogue" de l'an 2000. Tout doit être mis en oeuvre, notamment dans les grands services publics indispensables à la vie de la Nation, pour éviter un dérèglement majeur de nos systèmes informatiques.

Préparer l'avenir, c'est aussi prendre toute la mesure des évolutions de notre démographie. Nous ne pouvons nous résigner au déclin. Notre politique familiale doit être toujours plus ambitieuse. Cela exige que la place des femmes dans notre société soit mieux reconnue. Leur engagement dans la vie professionnelle doit être pleinement pris en compte, en établissant l'égalité des salaires et des carrières et en favorisant la garde des enfants. C'est ainsi qu'on permettra aux familles d'avoir les enfants qu'elles désirent.

Notre population active continue encore de progresser fortement, mais il n'en ira plus de même dans quelques années.

Au début du siècle prochain, les générations nombreuses de l'après-guerre quitteront le monde du travail au moment où des générations moins nombreuses y entreront. Il faut se préparer dès maintenant à un profond renversement de perspectives. Aujourd'hui, par exemple, les jeunes entrent de plus en plus tard dans la vie active. Cela leur permet d'améliorer leur niveau de formation. Mais dans bien des cas, c'est surtout en raison de la difficulté de trouver du travail. Dans dix ou quinze ans, beaucoup pourront sans doute choisir de s'engager plus tôt dans le métier. Il faudra alors que la formation tout au long de la vie et la validation des acquis professionnels leur garantissent des possibilités nouvelles de promotion et d'adaptation.

De même, aujourd'hui, les deux tiers des Français quittent le monde du travail avant d'avoir atteint l'âge de 60 ans. Mais quand la population active cessera d'augmenter, les salariés pourront travailler encore quelques années. Beaucoup le souhaiteront. Ils en auront la capacité et le goût. On aura besoin de leur expérience. Ce sera pour eux un moyen d'augmenter leurs droits à la retraite. Déjà, un nouvel âge actif est en train de naître, le plus souvent en dehors du milieu professionnel, témoin des progrès de la santé et de l'engagement croissant des jeunes retraités dans la vie de nos sociétés.

Dans tous les pays où le chômage régresse, notamment aux Etats-Unis et en Europe du Nord, on observe déjà un allongement naturel de la vie professionnelle pour ceux qui le veulent bien entendu.

La sauvegarde des retraites s'inscrit dans ce contexte. Elle appelle de nouvelles réformes, dans la concertation : consolider la retraite par répartition, garantir l'avenir des pensions du secteur public, aujourd'hui menacées par de graves déséquilibres financiers, mettre en place une véritable épargne retraite. En orientant cette épargne vers nos entreprises, nous permettrons aussi à des capitaux français de défendre nos emplois et de protéger notre économie. Dans un monde aujourd'hui ouvert, où les capitaux circulent librement, avec une volatilité parfois déconcertante, ce sera pour la France un atout essentiel.

Toutes ces adaptations exigent que nous sachions rassembler nos forces. Rechercher l'intérêt national, ce n'est pas écraser les intérêts collectifs - ceux des entreprises, ceux des salariés -, c'est vouloir les faire converger vers un but commun : le bien commun. Il n'y a pas de progrès possible sans dialogue social, sans respect des accords conclus entre partenaires sociaux. La France a beaucoup à faire dans ce domaine. Dans notre monde, personne ne peut espérer gagner seul. Le dialogue social est plus que jamais un impératif, et la cohésion sociale une nécessité absolue.

Engagée il y a trois ans, la refondation de notre sécurité sociale doit être consolidée et prolongée par l'instauration d'une véritable assurance maladie universelle, si tout le monde en est d'accord. L'assurance maladie doit devenir un droit personnel. C'est ainsi que nous résoudrons les problèmes de protection sociale liés par exemple au chômage, aux séparations ou à certaines situations d'exclusion, notamment pour les jeunes.

La lutte contre l'exclusion doit , bien sûr, être fermement poursuivie. Au-delà des lois, seule la mobilisation de tous peut faire reculer cette souffrance sociale que ni la croissance économique ni les systèmes collectifs d'assistance ne sont parvenus à réduire. Une solidarité moins anonyme et plus fraternelle doit être organisée. Elle fera appel à l'engagement personnel de celui qui apporte son aide au nom de la collectivité, mais aussi à la responsabilité de celui qui reçoit. Elle exige d'être organisée au plus près des réalités vécues, là où les personnes et les familles en difficulté sont le mieux connues, là où les solutions les plus concrètes peuvent être trouvées, en réexaminant régulièrement les situations personnelles. Il faut pour cela renforcer le rôle et les moyens des élus aux côtés des associations qui accomplissent déjà un travail remarquable.

Le mouvement associatif est particulièrement dynamique dans notre pays. Et il n'y a pas de crise de bénévolat, mais il y a, semble-t-il, une certaine lassitude, un certain découragement. Les responsables et les dirigeants associatifs sont confrontés à de plus en plus de contraintes administratives. Ils ont de plus en plus de responsabilités, y compris juridiques. Il faut leur offrir une meilleure protection et leur permettre de se consacrer en toute sérénité à leur mission associative.

Le maintien de la cohésion sociale suppose aussi beaucoup de sérénité et de sagesse dans le traitement des questions de société. C'est vrai en ce qui concerne la politique de la famille. C'est vrai pour l'école. C'est vrai en ce qui concerne l'éthique, par exemple quand se posent des questions aussi graves que l'accompagnement de la fin de la vie. Et c'est vrai dans bien d'autres domaines. Il faut toujours, quand le respect de la personne humaine est en cause, il faut prendre du recul, se donner le temps de la réflexion, poser les bonnes questions, écouter longuement et sans a priori tous les points de vue, toutes les familles de pensée, prendre les éclairages juridiques nécessaires, éviter de heurter, refuser d'exclure et de jeter l'anathème. C'est alors, et alors seulement, que la décision peut intervenir. Ces exigences permettent d'avancer en respectant les équilibres fondamentaux de la société. C'est également dans cet esprit que doit être préparé le réexamen des lois sur l'éthique biomédicale prévu pour cette année.


Partout en France, je constate une formidable envie d'agir et de créer, une soif de comprendre, un désir plus fort de croire en l'avenir, quelles que soient les difficultés, le besoin de réussir. Je vois à l'oeuvre de nouvelles énergies qui transforment peu à peu notre pays. Si nous savons les encourager, les libérer, étendre leurs champs d'action par le renouveau du dialogue social, l'allègement des charges et l'ouverture de notre vie publique, alors, oui, la France sera bien partie pour le siècle qui vient ! Elle le devra à l'ardeur et au travail de ces forces vives qu'ici vous incarnez.

A vous toutes et à vous tous, à vos familles, à ceux que vous représentez, je voudrais, en terminant, vous souhaiter une très heureuse et très fructueuse année 1999 !

Je vous remercie.





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