Intervention du Président de la République devant les collaborateurs français des institutions multilatérales à Washington.

Intervention de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant les collaborateurs français des institutions multilatérales.

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Washington, États-Unis d'Amérique, le jeudi 18 février 1999

Monsieur le Directeur Général,
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Ministre de l’Economie et des Finances,
Mesdames et Messieurs les administrateurs,
Mes chers compatriotes du Fonds Monétaire International, de la Banque Mondiale, de la Banque Interaméricaine de Développement et d’Intelsat,
Mesdames, Messieurs,

Je salue avec beaucoup de plaisir et je remercie chaleureusement Michel CAMDESSUS, Jim WOLFENSOHN et Enrique IGLESIAS qui m’ont offert cette occasion de vous rencontrer. Je suis heureux de vous voir ce soir, dans cette "Galerie" du Fonds monétaire, pour vous dire mon estime et ma reconnaissance, vous qui avez choisi de consacrer tout ou partie de votre vie professionnelle au service des institutions multilatérales.

Ma visite, avez-vous, dit Monsieur le Directeur Général, est la première d’un chef d’Etat français au sein des organisations de Bretton Woods. Je voudrais que vous sachiez que ce n’est pas un geste de circonstance. Il revêt pour moi une grande importance. C’est un acte de confiance et c’est aussi un acte d’exigence à l’égard des institutions que vous servez.

Je voudrais tout d’abord saluer le travail accompli. J’en mesure les difficultés et les charges. Vos organisations ont bien servi le développement mondial. Il n’y a aucun doute à ce sujet. Et la France, vous le savez, a confiance dans vos institutions, dont nous savons qu'elles doivent évoluer bien sûr et s'adapter pour répondre toujours mieux aux besoins du XXIe siècle.

Le monde d’aujourd’hui est très différent de celui de l'après-guerre qui vous a vu naître, ou plus exactement qui a vu naître vos institutions. La mondialisation des marchés, des capitaux et des économies est devenue une réalité et le besoin de coopération, de concertation, de mutualisation des risques est plus que jamais nécessaire. Il vous confère d’éminentes et nouvelles responsabilités.

Plus encore que par le passé, vous devez animer ces lieux de réflexion, d’anticipation, d’impulsion, de décision. Nous avons besoin d’une meilleure régulation mondiale et vous devez en être les premiers acteurs. Représentant l’ensemble de la communauté des Nations, vous en avez la légitimité. Voilà pourquoi la France se prononce en faveur de l’augmentation des ressources qui sont nécessaires à vos missions. Que ce soient les quote-parts ou les financements de la facilité d’ajustement structurelle renforcée au FMI, l’AID à la Banque Mondiale ou les ressources de la Banque interaméricaine de développement.

C’est d’abord sur vous que l'on doit compter pour que le monde soit mieux organisé, plus sûr et que les facteurs d’instabilité et d’exclusion soient réduits autant que possible.

Mais il doit y avoir une contrepartie à l'accroissement de vos responsabilités et à la confiance que les gouvernements placent en vous : les grandes orientations de vos institutions doivent être définies par les autorités politiques qui sont vos actionnaires. A côté des conseils d'administration dont le rôle demeure irremplaçable, les ministres en charge doivent, plus qu’hier, donner l’impulsion et assurer le contrôle démocratique des orientations prises. C’est dans cet esprit que la France a proposé de transformer le Comité intérimaire du Fonds monétaire international pour le doter de pouvoirs de décisions comme le prévoient ses statuts et a proposé qu’il en soit naturellement de même pour le Comité de développement de la Banque mondiale.

Vous avez cette chance de pouvoir travailler avec toutes les Nations, toutes les sensibilités, toutes les cultures. Vous devez cultiver cette diversité des expériences, des recrutements, des modes de pensée pour leur permettre d’embrasser toute la réalité du monde. C’est la raison pour laquelle je suis profondément attaché à la présence française dans vos institutions, et ceci à tous les niveaux.

Je suis bien entendu très heureux et très fier que la communauté internationale fasse confiance à des Françaises et à des Français pour diriger certaines de vos organisations. Je ne citerai pas tous nos compatriotes qui ont marqué de leur empreinte le demi-siècle écoulé. Je voudrais simplement, ce soir, témoigner à Michel CAMDESSUS, dont je connais les éminentes qualités de coeur et d'esprit, ma grande estime et ma reconnaissance pour le travail qu’il accomplit à la tête du Fonds Monétaire International. Et je voudrais vous dire combien je suis heureux de vous voir ici si nombreux. Votre présence souligne la vitalité de la communauté française. Grâce à vous, notre pays est présent par sa culture et fait entendre son message dans ce qu'il a d'universel. Je forme le voeu que vous soyez encore plus nombreux au service de la communauté internationale et, Monsieur le Ministre de l'Economie et des Finances, ici présent, le sait, j'y suis très attentif.

Enfin, je voudrais profiter de notre rencontre pour vous dire ce que je pense du nécessaire renforcement de la stabilité financière internationale et de l'indispensable lutte contre la pauvreté et l’exclusion.

Le monde a besoin de stabilité pour la croissance. Certes nous n’éviterons jamais tout à fait les crises. Mais nous devons tout faire pour les prévenir et pour en limiter les effets.

La crise financière qui s’est développée depuis près de deux ans et dont nous avons pu, hélas, mesurer les graves conséquences, a montré la fragilité de notre système. Aujourd’hui, dans notre monde globalisé, aucun pays n’est à l’abri des chocs qui frappent ses partenaires.

La communauté financière, c'est vrai, a su se mobiliser et faire face, notamment grâce à la forte intervention du FMI et à celle de la Banque Mondiale, avec le soutien financier du G7. L’Europe et la France ne sont restées, naturellement, ni inertes ni indifférentes. Vous le savez, nous avons pris toute notre part des efforts nécessaires.

Mais au-delà des réponses à court terme, il nous faut des réponses plus ambitieuses en sachant d'abord résister à deux tentations.

La première, c’est de faire de la mondialisation la source de tous nos maux. Je ne suis pas de cet avis, bien sûr. Il ne faut pas stigmatiser une évolution qui est à l'origine de la croissance exceptionnelle du commerce international. C’est la mondialisation des échanges et des capitaux qui a largement favorisé la très forte croissance du monde. C’est elle qui a permis d’intégrer rapidement dans l’économie mondiale des pays qui, il y a dix ans encore, appartenaient à un système rigide d’économie étatisée et centralisée. C’est elle qui a permis l'émergence de nombreux pays.

Le deuxième écueil à éviter est de recourir à des solutions archaïques et inadaptées. Reconnaissons-le, la libéralisation des marchés s’est faite dans un certain désordre. Les systèmes bancaires sont souvent restés trop fragiles pour assurer les tâches qui leur incombaient. Pour autant, ce n’est pas du côté de la frilosité, du repli sur soi ou d’approches dépassées que nous trouverons la voie. Les problèmes que nous devons régler ne relèvent pas de réponses idéologiques mais de solutions pragmatiques. Il ne s’agit pas de revenir sur la liberté des mouvements de capitaux ni de recloisonner la vie économique. Il ne s’agit pas de rechercher un nouveau protectionnisme financier qui serait rapidement suivi par un nouveau protectionnisme commercial dont nous serions tous naturellement les victimes.

La prise de conscience de nos fragilités a été tardive, et elle est douloureuse. Tirons-en les conséquences et construisons rapidement la " nouvelle architecture financière internationale " dont nous avons besoin. En clair, refondons le système de Bretton Woods.

Nous savons quelles réformes doivent être accomplies. Bien sûr il faut d’abord mettre en oeuvre de bonnes politiques économiques dans chacun de nos Etats. C’est un préalable. Mais il faut aussi renforcer les obligations des Etats et des institutions financières internationales en matière de transparence. Il faut accroître nos capacités de prévention des crises. Il faut adopter un vrai " code de la route " pour la circulation des capitaux, un code qui s’applique à tous, y compris aux fonds d’investissement spéculatifs et aux centres " off shore ". Il faut mieux associer le secteur privé à la solution des crises. Il faut identifier et définir le rôle du " prêteur en dernier ressort " du système financier internationial.

1998 a été l’année de la réflexion et de l’endiguement de la crise. 1999 doit être l’année des décisions et des réformes, et je compte particulièrement sur le Fonds monétaire international pour être " en pointe " dans ce domaine. Car le monde reste fragile.

J’attends beaucoup des prochaines réunions du Comité intérimaire du Fonds, du Comité de développement de la Banque et de la réunion annuelle de la Banque interaméricaine de développement que j'aurai le plaisir d'accueillir, dans quelques jours, à Paris. Et ce sera pour moi l'occasion de rendre un hommage particulier et sincère, dans notre capitale, à Monsieur Enrique IGLESIAS. Je le ferai de bon coeur.

Le sommet du G7 de Cologne, en juin prochain, consacrera une large partie de ses travaux aux réformes en préparation. Et vous savez que la France a proposé que se tienne à Paris, si possible à l’automne, un sommet rassemblant notamment les chefs d’Etat et de Gouvernement des pays membres du Comité intérimaire du Fonds monétaire pour adopter solennellement les réformes et pour leur donner la légitimité internationale qu’elles requièrent, ceci intéressant bien sûr les deux grandes institutions.

Les attentes sont grandes. Les chefs d’Etat et de Gouvernement sont devant leurs responsabilités dans ces domaines. Pour ma part, j’entends les exercer pleinement.

Depuis le 1er janvier 1999, notre pays, avec dix de ses partenaires de l’Union européenne, dispose d’une nouvelle monnaie : l’euro. Sa création, j’en suis persuadé, est un facteur de stabilité internationale.

L’euro est promesse de croissance et d’emplois si nous mettons en oeuvre les politiques économiques, sociales et structurelles adaptées. L’Europe doit être une zone de forte croissance. Première puissance économique de la planète, elle doit jouer tout son rôle d’entraînement dans la croissance mondiale.

Les évolutions entre l’euro, le dollar et le yen domineront, à l’évidence, la scène internationale. On ne peut aspirer à la stabilité financière du monde et, en même temps, accepter l’instabilité des changes. Nous devons rendre les relations de change le plus stable possible. C’est une tâche très difficile. Nous devons progresser ensemble pour maintenir un environnement mondial favorable à la croissance, au moment même où de nombreux pays émergents effectuent des efforts considérables pour sortir de leurs difficultés.

Le renforcement de la stabilité doit aller de pair avec la lutte contre la pauvreté et les conséquences sociales des crises. C'est un problème politique. La croissance et le développement sont les bases de la démocratie et nous savons que les démagogies trouvent un terreau fertile quand la confiance dans l’avenir est ébranlée. C’est pourquoi Fonds monétaire ou, Banque mondiale, banques de développement doivent agir dans la même direction. La mondialisation doit se faire au bénéfice de l’homme et de son épanouissement, sinon elle n’a pas de justification. Nous devons prendre garde à ce que la mondialisation ne laisse aucun pays au bord du chemin ou que le monde fasse en sorte de lui tendre la main pour qu’il puisse retrouver les autres.

C’est le sens de l’action que mène la France en faveur de l’aide publique au développement. Préoccupée par la baisse inquiétante des efforts consentis, la France milite dans toutes les enceintes pour une solidarité effective entre les nations.

Et c’est le sens de nos initiatives et de nos démarches pour qu’une solution soit trouvée au lancinant problème de la dette des pays les plus pauvres. Des progrès ont été accomplis, ils ne suffisent pas. Il faut aller plus loin. Et je souhaite que le Sommet de Cologne marque de nouvelles avancées. Je souhaite que nous y exprimions notre détermination à alléger de façon décisive le fardeau de leur dette. Ce problème, traité au sein du Club de Paris, est de plus en plus l’affaire de vos institutions. Il faudra donc des efforts équilibrés et partagés par tous pour le régler.

Et dès la prochaine réunion du G7, au niveau des ministres des Finances, c’est-à-dire après-demain, la France proposera, par la voix de M. STRAUSS-KAHN, une initiative fondée sur trois principes : une plus grande générosité à l’égard des pays endettés, une beaucoup plus grande générosité ; une répartition équitable des efforts entre les pays créanciers, ce qui n’est que justice, et un effort sérieux des pays concernés pour une meilleure gestion, une meilleure gouvernance.

Et je voudrais ici saluer la vision généreuse et l'action de Monsieur Jim WOLFENSOHN. Et sous son impulsion, la nouvelle stratégie globale de la Banque Mondiale met bien l’accent sur les dimensions sociales, sociologiques, environnementales du développement. Il a raison. Oui, il faut privilégier l’éducation et le développement humain. Développer l’état de droit. Lutter contre la corruption. Aider à une meilleure gestion des ressources publiques.

Cette solidarité internationale doit se traduire par une vraie priorité donnée aux pays les plus pauvres, notamment à l’Afrique.

Voilà les ambitions de la France : lutter contre la pauvreté, prévenir les crises et mieux assurer la stabilité financière et monétaire pour une croissance mondiale plus forte, plus équilibrée, au bénéfice de tous et d’abord au bénéfice de la démocratie, qu’évoquait tout à l’heure si fortement et si justement M. CAMDESSUS. En un mot, comme l’a très justement dit le Président CLINTON, "humaniser la mondialisation".

Je sais, mes Chers Compatriotes, que vous mettez tous vos talents, tout votre coeur et toute votre intelligence au service des nécessaires progrès de notre monde. Vous êtes des acteurs essentiels de la solidarité internationale. Je vous encourage à poursuivre votre action. C’est ainsi, au total, que vous servirez le mieux notre pays.

Je vous remercie.





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