Allocution du Président de la République d'ouverture du sommet de la Commission de l'océan Indien.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, Président de la Commission de l'océan Indien.

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Saint-Denis de la Réunion, le vendredi 3 décembre 1999

Messieurs les Présidents,

Monsieur le Premier ministre,

Messieurs les représentants des organisations internationales et régionales,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs les représentants du département de la Réunion,

Mesdames et Messieurs,

Mes Chers Amis,

Permettez-moi tout d'abord de vous souhaiter la bienvenue, en France, dans ce département de la Réunion dont je veux, en notre nom à tous, remercier les habitants et les élus pour leur accueil. Je tiens également à saluer les hautes personnalités représentant les organisations internationales, qui ont bien voulu répondre à notre invitation.

Au moment d'ouvrir ce sommet, je veux également rendre hommage aux pères fondateurs de notre organisation, Messieurs les Présidents des Seychelles et de Madagascar, Monsieur le Premier ministre de Maurice. Ils ont fait oeuvre de précurseurs en engageant le rapprochement d'Etats certes voisins, mais séparés par la mer, et si différents, par leurs dimensions, leurs populations, leurs économies. Précisément, ils ont vu dans cette coopération le moyen de rompre, dans une certaine mesure, l'isolement de l'insularité. Les différences, ils les ont perçues comme autant de chances d'enrichissement mutuel. Ils ont compris très tôt que les atouts de chacun pouvaient faire la force de tous.

C'était une idée novatrice, au début des années 80, lorsque le projet d'organisation régionale prit corps, c'était une idée qui a fait son chemin depuis, à l'échelle du continent, comme d'ailleurs un peu partout dans le monde.

C'est ainsi qu'est née, le 16 janvier 1984, la Commission de l'océan Indien. Réunissant d'abord Madagascar, Maurice et les Seychelles. Puis, en 1986, les Comores et la France, avec le département de la Réunion.

Proximité géographique et insularité donnaient tout son sens à l'adhésion de la Réunion, partie de l'archipel des Mascareignes. Mais son entrée dans la COI dépassait ce cadre.

En adhérant à la Commission de l'océan Indien, la France marquait son attachement à cette région où elle est présente depuis plus de trois siècles. Elle marquait sa volonté d'accompagner le développement des pays qui lui sont proches et chers et dont elle demeure un partenaire privilégié et fidèle. Elle témoignait sa confiance dans une forme originale de coopération associant en son sein pays du sud et pays du nord. C'était, de plus, établir un lien particulier avec l'Union européenne, qui reconnaît à la Réunion le statut de "région ultrapériphérique" de l'ensemble européen.

Restait encore à se fixer des objectifs et, pour les atteindre, à se donner des moyens, des structures, un programme. En 1989, notre organisation dessinait son cadre opérationnel. En 1991, la Conférence des chefs d'Etat et de Gouvernement, réunie à Madagascar, adoptait un plan d'action.

Aujourd'hui, la Commission de l'océan Indien peut se prévaloir d'acquis répondant aux attentes de ses fondateurs. Monsieur le Secrétaire général de la Commission de l'océan Indien nous fera le point, dans quelques instants, sur l'état des projets engagés sous l'égide de notre organisation. Ils concernent des domaines aussi variés que l'environnement, les communications, l'éducation, les échanges régionaux.

Je voudrais, pour ma part, mettre en valeur ce qu'a apporté la COI, en dépassant le cadre de chacun des Etats membres, en les engageant dans des actions communautaires, en les incitant à prendre en compte, dans leur propre intérêt, la dimension régionale des grandes questions auxquelles ils sont confrontés.

L'un des apports essentiels de la COI me paraît être l'amorce d'un dialogue entre ses membres. Ils ont ainsi appris, dans un cadre consensuel, à partager des expériences, à agir de manière concertée, jetant les bases d'une dynamique communautaire. C'est en tissant des liens multiples, entre les hommes, les institutions, les réglementations, en dépassant les particularismes et les égoïsmes nationaux que se crée peu à peu cette solidarité qui donne toute sa valeur au principe même de la coopération régionale.

Comment ne pas relever que ce dialogue a été facilité par l'appartenance des Etats membres au monde francophone ? Un dialogue qui s'appuie sur une communauté de langue, plus des deux tiers de nos compatriotes respectifs parlent français, et une communauté de valeurs, un même attachement à la démocratie, aux droits de l'Homme, à la fraternité, à la paix, à la liberté d'entreprendre.

Comment ne pas évoquer aussi les relations établies avec l'Union européenne qui ont donné à la COI des moyens d'actions ? Environ 80 millions d'euros ont été versés au titre des trois derniers Fonds européens de développement et les imputations sur le VIIIe FED sont amorcées. Au total, les fonds européens que la France alimente à hauteur de 24,6% ont assuré leur financement, pour près de 90%, aux projets de la COI. Et permettez-moi, en votre nom, de saluer la constance de son engagement.

Et vous comprendrez, enfin, que je fasse mention de la participation du département de la Réunion qui développe une coopération régionale dynamique, tant bilatérale que multilatérale, développée en association avec de nombreux acteurs : administrations et collectivités locales, établissements publics, chambres de commerce et organismes consulaires, ONG, associations, entreprises. Cette coopération qui est destinée à se développer, constitue un axe important de la politique de coopération de la France dans l'océan Indien.

Oui, la Commission de l'océan Indien a créé des liens particuliers, mis en place un cadre institutionnel, et engagé, avec le soutien de grands partenaires, un programme de projets divers. Mais il faut sans aucun doute aller plus loin, dans l'esprit de notre charte, qui est le fondement de notre organisation.




Depuis la naissance de la COI, l'environnement international s'est considérablement modifié. Avec l'éclatement de l'ancien bloc de l'Est, une ligne de fracture du monde a disparu. Le système démocratique tend à l'universalité, avec les problèmes d'adaptation qu'il peut poser aux pays qui s'en trouvaient les plus éloignés.

D'autres grandes questions, qui transcendent le cadre des Etats, appellent aussi des réponses : celles de la sécurité, de la stabilité, de la prévention des crises, de l'environnement, de la lutte contre les fléaux que sont notamment la grande criminalité, la drogue et le blanchiment de l'argent sale.

Les pays de l'océan Indien, comme ceux de l'Afrique, ne sont plus des enjeux entre deux blocs, mais des acteurs du nouvel espace politique et économique mondial. Il faut s'y affirmer, en affronter les défis, en tirer les avantages.

Le Livre Blanc de l'Union européenne sur l'avenir de la COI a ouvert des pistes de réflexion, proposé une stratégie globale pour les dix ans à venir et défini des objectifs, institutionnels ou financiers, approuvés par le XVe Conseil de la COI en avril 1998.

Le moment est venu pour les Etats membres de la Commission de l'océan Indien de s'interroger sur le devenir institutionnel de leur organisation régionale s'ils veulent promouvoir des politiques communes dans les domaines pour lesquels il y a désormais nécessité d'agir, ensemble, de manière concertée. Nous aurons à nous prononcer sur les adaptations de notre organisation qu'impliquerait un élargissement de son rôle.

Plus que jamais, c'est le cadre régional qui paraît en mesure de répondre aux menaces qui pèsent sur la sécurité et la stabilité des Etats. Les troubles qui surviennent, en Afrique, en Asie, en Europe, montrent l'inquiétante résurgence de conflits qui, de proche en proche, touchent les pays d'alentours. Les pays africains ont pris conscience de la nécessité de se donner les moyens de la prévention et du règlement de ces crises, sous l'égide de l'ONU et de l'OUA. La France soutient ces initiatives. Il faut que, de leur côté, les pays de la région de l'océan Indien en prennent conscience. La COI est notamment préoccupée par la situation qui prévaut chez certains de ses membres.

Il faut aussi se préoccuper davantage de la protection de nos populations. Nous devons nous donner pour mission, en cas de catastrophe naturelle ou humanitaire, de réagir dans les plus brefs délais, de mettre tous nos moyens en commun et d'apporter l'aide nécessaire.

Plus encore que par le passé, la constitution d'ensembles structurés s'impose pour s'adapter au contexte nouveau de la mondialisation.

Les pays qui entendent s'associer doivent s'efforcer d'avancer au même rythme sur la voie du progrès économique.

Celui-ci passe nécessairement par des efforts de bonne gestion, par cette bonne gouvernance qui consolide les économies émergentes, assure la paix civile, la stabilité des Etats, et suscite la confiance des investisseurs. Il passe aussi par des réformes structurelles qui permettent aux pays de s'ouvrir davantage sur le monde.

Les Seychelles et Maurice recueillent aujourd'hui les fruits de politiques qui ont donné à leurs économies les moyens de progresser. Madagascar, après s'être dotée d'institutions assurant une meilleure stabilité, grâce notamment à la décentralisation, renoue avec la croissance. Il faut espérer que la République fédérale islamique des Comores pourra prochainement mettre fin aux désordres qui perturbent son développement depuis plusieurs années.

Mais la mobilisation des seules ressources nationales n'est pas à la mesure de tous les défis : défi démographique, quand près de la moitié de la population de nos îles a moins de vingt ans, défi culturel, pour combattre l'illettrisme et offrir une formation à chacun, défi économique et social, pour lutter contre la pauvreté et offrir à tous des conditions d'existence décentes, défi écologique pour concilier croissance et respect de l'environnement exceptionnel de cette région.

C'est pourquoi la France estime que l'aide publique au développement reste un élément essentiel de la solidarité internationale. Elle mène, vous le savez, croisade dans toutes les enceintes pour que les pays les plus riches assument pleinement leur devoir de solidarité à l'égard des pays les plus démunis, ce qu'ils font de moins en moins et ce que nous déplorons. En conduisant de bons projets, la Commission de l'océan Indien a su tirer le meilleur parti de cette aide dans des domaines très divers. Nous devons néanmoins veiller à ce que notre action garde toute sa cohérence et toute son efficacité.

Pour sa part, la France a décidé d'adapter et de rationaliser son dispositif de coopération, tout en continuant à exprimer sa solidarité avec les pays que l'histoire lui a fait rencontrer de longue date. L'Afrique et l'océan Indien resteront ainsi au coeur de la "Zone de solidarité prioritaire" qui définit désormais la coopération publique au développement de la France.

Notre organisation doit aussi diversifier ses sources de financement en faisant appel à d'autres institutions, comme c'est déjà le cas, mais cela pourrait être davantage, avec la Banque mondiale et l'UNESCO.

Nous savons que la croissance, la création de richesses, passent par l'épanouissement de la libre entreprise, l'investissement privé, l'accroissement des échanges de biens et de services.

Voilà pourquoi notre Commission veut engager son Programme régional intégré de développement des échanges, afin d'instaurer une zone de libre échange. C'est en construisant la Communauté puis l'Union, en levant leurs barrières douanières et en faisant le grand marché unique, que les pays de la vieille Europe sont devenus l'une des premières puissances économiques du monde, pour ne pas dire la première. L'ouverture des frontières, et la saine concurrence qui en a résulté, ont constitué un formidable stimulant pour les économies européennes. Partout, d'ailleurs, des regroupements régionaux se dessinent : en Afrique australe, c'est la SADC ; en Afrique de l'Ouest, c'est la CEDEAO ; en Afrique de l'Est, c'est la COMESA à laquelle appartiennent d'ailleurs également les Comores et Maurice ; en Amérique du Sud, c'est le MERCOSUR ; en Asie, c'est l'ASEAN ou la SARCC.

L'océan Indien est depuis des siècles le lieu d'intenses échanges. Ses pays ont raison de s'engager dans l'aventure de l'intégration régionale. Ensemble, ils seront plus forts pour défendre leurs intérêts, pour s'adapter, réussir leur mise à niveau et prendre part au grand mouvement d'échanges qui marque notre temps. Même si, pour le moment, le commerce à l'intérieur de la Commission de l'océan Indien demeure insuffisant, en raison notamment de la trop grande similitude des productions économiques. Sans doute conviendrait-il d'impliquer davantage les acteurs directs, et d'abord les entreprises, dans cette stratégie de développement d'un grand marché régional. C'est un point que nous pourrions approfondir.




Un vaste champ d'actions se dessine devant nous. Mais nous devons aussi réfléchir ensemble aux actions et aux programmes qui pourront faire entrer les pays de l'océan Indien dans l'univers des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Les enjeux sont considérables, à la fois économiques, culturels, sociaux. Il s'agit de former les générations à venir à des techniques et à des matériels dont la maîtrise sera, au XXIe siècle, c'est-à-dire demain, une condition essentielle de la réussite des entreprises et des hommes. Il s'agit d'ouvrir au plus grand nombre les trésors de l'art, de la littérature, de la pensée, des techniques et des sciences, désormais disponibles sur tous les écrans d'ordinateur. L'Université de l'océan Indien préfigure le maillage éducatif et culturel que nous devons tisser à l'échelle de notre Organisation pour assurer la diffusion du savoir et permettre l'accès du plus grand nombre aux matériels et aux réseaux de l'information.




L'océan Indien, zone-charnière entre l'Afrique et l'Asie, a forgé, par d'exceptionnels brassages humains et au-delà des particularismes, une véritable identité communautaire : historiens et géographes nous apprennent que les civilisations se développent autour d'une mer, d'un océan, tels la Méditerranée de l'Antiquité, ou le Pacifique aujourd'hui, par laquelle s'ordonnent les relations et les échanges. La COI en est le symbole le plus tangible. D'autres associations existent : l'IOR (Indian Ocean Rim), avec ses 19 membres, et dont je salue ici le Secrétaire général, a aussi une vocation indianocéanique et pourrait, un jour, s'ouvrir à l'ensemble des pays riverains, raison pour laquelle la France souhaite d'ailleurs y participer.

Pourtant, la COI nous paraît devoir garder un rôle bien à elle, en raison de la spécificité de ses membres, avec leur double identité, indianocéanique et francophone. Il y a place, à côté des vastes regroupements, pour des organisations de voisinage, d'autant plus fortes qu'elles reposent sur des solidarités anciennes ayant une réalité, des intérêts communs évidents, une pratique institutionnelle déjà bien établie. C'est une bonne base pour aller plus avant sur la voie de l'intégration régionale, pour être mieux armé en vue d'engager un dialogue avec des organisations ayant un champ plus vaste.

Permettez-moi, avant de terminer, de rendre hommage au rôle décisif des trois Secrétaires généraux successifs de notre organisation, qui ont contribué à assurer au quotidien son développement. Ils ont chacun construit un étage de l'édifice et lui ont donné sa forme actuelle.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention et je déclare donc ouverte la Conférence des chefs d'Etat et de Gouvernement de la Commission de l'océan Indien.

Je donne maintenant la parole à notre Secrétaire général.





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