Discours du Président de la République pour le cent cinquantenaire de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris lors du colloque "L'Hôpital au XXIe siècle".

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, pour le cent cinquantenaire de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris lors du colloque "L'Hôpital au XXIe siècle".

Imprimer

Palais de l'UNESCO, Paris, le mardi 7 décembre 1999

Monsieur le Maire de Paris, Président de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris,

Mesdames et Messieurs,

Vous célébrez aujourd'hui cent cinquante ans d'une formidable aventure humaine au service des malades. Mais en ouvrant le débat sur l'hôpital au XXIe siècle, c'est l'avenir que vous choisissez de regarder et non pas le passé, c'est la personne qui souffre plutôt que l'institution qui la prend en charge. Permettez-moi de vous en féliciter. Ce choix est celui d'une communauté hospitalière toujours en mouvement. J'y vois aussi la marque de votre directeur général, Monsieur DURRLEMAN, homme de pensée et de réalisations, dont je tiens à saluer l'action efficace et déterminée au service de votre belle institution.

La mission de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris dépasse de très loin le cadre géographique de l'Ile-de-France ; le Maire de Paris a eu raison de le souligner tout à l'heure, cette mission est nationale. Depuis longtemps, le rayonnement de vos équipes hospitalières s'étend même au-delà de nos frontières, dans le monde entier. Cela vous donne des responsabilités particulières, des devoirs ; ils sont la rançon de votre réussite collective. Les pouvoirs publics ont toujours été attentifs à préserver cette réussite. Il importe qu'ils le demeurent. C'est ainsi que la France pourra maintenir son ambition hospitalière qui exige capacité d'adaptation et aptitude à relever les nombreux défis humains, sanitaires et technologiques auxquels l'hôpital est confronté.

Mais un anniversaire, ce peut être aussi l'occasion d'un retour aux sources. Et aux sources de l'Assistance publique, il y a une tradition d'hospitalité et de secours, une tradition d'accueil des plus démunis, des plus vulnérables, des plus petits, une volonté de s'attacher autant aux soins des âmes qu'à celui des corps, bref une exigence éthique.

Il y a également une exigence d'excellence, qui impose au service public hospitalier d'offrir à chacun les meilleurs soins compte tenu de l'état des connaissances, sans, bien sûr, aucune distinction entre les malades. Cette exigence s'exprime notamment par la qualité d'une recherche qui a toujours su maintenir et se maintenir à la pointe du progrès.

Ma vision de l'avenir de l'hôpital s'inscrit dans cette approche ; elle repose sur un idéal auquel la communauté hospitalière est attachée depuis toujours, celui du service public.

Dans un environnement profondément transformé par les techniques nouvelles, l'hôpital du XXIe siècle devra par dessus tout veiller à demeurer fidèle à sa vocation : accueillir et soigner ceux qui souffrent. Il devra rester ce lieu d'humanité hérité de l'histoire. Le lieu de la naissance. Le lieu des soins et de la guérison. De plus en plus souvent, aussi, celui des dernières heures de la vie.




L'hôpital va à la rencontre de l'homme dans ce qu'il a de plus fragile. Il est le refuge où chacun peut faire l'aveu de sa propre vulnérabilité, un foyer de compréhension, de confiance, d'espérance, de générosité.

Mais, en même temps, l'hôpital est au coeur d'avancées scientifiques et de performances techniques sans cesse renouvelées.

Une surveillance électronique de plus en plus sophistiquée s'est installée au lit du malade. Des systèmes d'information toujours plus puissants permettent de réaliser les meilleurs diagnostics et de mobiliser les meilleures expertises pour la guérison.

Au cours des dernières décennies la médecine a fait davantage de conquêtes contre la maladie que pendant les siècles précédents. Tout indique que ces progrès vont encore s'accélérer dans les prochaines années.

L'imagerie, la biologie, la génétique percent peu à peu les secrets des maladies les plus résistantes aux progrès des connaissances. La médecine prédictive est en train de naître. Chaque jour, de nouveaux traitements sont mis au point. Ils se sont attaqués avec un certain succès au sida. Demain, ce sont le cancer, les maladies cardio-vasculaires, les myopathies, et bien d'autres affections encore, qui céderont du terrain.

L'univers hospitalier devient plus complexe à mesure qu'il intègre toutes ces nouveautés. La formation doit suivre, la recherche précéder. Ce double défi justifie pleinement le choix d'une transmission des savoirs et d'une organisation de la recherche clinique fondées sur l'activité hospitalo-universitaire. Vous réussissez à relever ce défi permanent qu'est l'intégration de la recherche, de la formation et du soin. C'est le modèle français. Un modèle qui a fait ses preuves mais qui doit savoir aussi évoluer pour s'adapter aux priorités de la santé publique et permettre le renouveau de certaines disciplines aujourd'hui déficitaires.

L'hôpital demeure la première source du savoir médical. C'est pour lui une exigence primordiale. Il doit faire en sorte que la médecine puisse répondre aux attentes de la société, pour le présent et pour l'avenir.

Cela passe par une modernisation des études médicales, afin de donner une place plus importante, dès la première année, à la dimension humaine et éthique de la fonction médicale et de mieux valoriser la formation des généralistes, sans affaiblir celle des spécialistes.

Face au développement sans précédent des technologies, l'évaluation et l'accréditation devront stimuler l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, sur tout le territoire. C'est un des grands mérites de la réforme de 1996 que d'avoir ouvert cette voie d'excellence. L'efficacité médicale de l'hôpital dépendra de plus en plus de la maîtrise collective de savoir-faire, de compétences et de techniques en évolution permanente.

Ces progrès n'atteindraient pas leur plein effet s'ils ne permettaient pas aussi une réorganisation de l'activité hospitalière autour de la personne du patient.

Je crois en effet essentiel d'organiser ce "retour au lit du malade" vers lequel tendent déjà tant d'efforts des personnels soignants, médecins mais aussi, et peut-être surtout, personnels infirmiers et aides-soignants, dont on attend chaque jour davantage.

Les nouvelles technologies ne doivent pas seulement apporter un surcroît de qualité et de sécurité. Elles doivent libérer du temps pour être plus présents au chevet de celui qui souffre, plus attentif à ses besoins. Il est vital que la modernisation de l'hôpital et la recherche d'organisations nouvelles s'accompagnent d'une réflexion collégiale permettant de mettre en place un meilleur service des personnes hospitalisées. C'est à mes yeux une exigence éthique incontournable.

Des organisations nouvelles doivent être imaginées. L'hôpital de demain sera d'autant plus fidèle à sa vocation humaine qu'il saura aussi sortir de ses murs pour permettre à davantage de malades d'être soignés dans leur environnement familial et de poursuivre une existence normale, ou aussi proche que possible de la normale.

La diminution continue du nombre moyen de journées d'hospitalisation et les progrès remarquables de l'hospitalisation à domicile montrent que la communauté hospitalière a déjà commencé à prendre ce chemin. En témoigne notamment le développement de la prise en charge extra-hospitalière du sida, mais aussi la pratique, désormais largement diffusée, de la chimiothérapie ou de la dialyse à domicile.


L'innovation dans le domaine de la santé, loin de toujours peser sur les coûts, doit aussi permettre, par la recherche d'une plus grande efficience, de dégager des ressources pour continuer à rendre le progrès médical accessible à tous.

Toutes les potentialités de l'ordonnance de 1996, dont les principes ne sont plus contestés aujourd'hui, doivent être utilisées pour mettre en place des réseaux permettant d'assurer la continuité des soins donnés aux malades, de la ville à l'hôpital et de l'hôpital à la ville. Je souhaite que les coopérations se développent tous azimuts, en tirant tout le parti possible des systèmes d'information de santé. Il faut cesser d'opposer entre elles les différentes formes d'exercice médical. C'est au contraire en s'appuyant sur leurs complémentarités, des complémentarités qui ne peuvent qu'augmenter, que notre système de santé produira tout à la fois une meilleure efficacité médicale et un plus grand confort de traitement pour les malades. Demain, la télémédecine et la téléchirurgie ouvriront plus encore l'hôpital sur son environnement et rapprocheront activités hospitalières et médecine de ville.

Rendre le progrès médical accessible à tous, c'est aussi mieux prendre en compte les réalités régionales dans la politique hospitalière.

Il ne serait pas acceptable que des Français puissent craindre de ne pas être bien soignés pour la seule raison qu'ils habitent une région où l'offre de soins serait insuffisante, mal coordonnée ou de moindre qualité.

Beaucoup de chemin reste pourtant à faire pour que l'organisation hospitalière garantisse l'égalité de tous devant la santé. Certes, une plus grande cohérence est recherchée. Mais les logiques de planification aveugle ont la vie dure. Elles sont toujours à l'oeuvre. Une certaine péréquation est indispensable. Mais elle doit être conduite avec beaucoup de discernement. Affaiblir ce qui fonctionne pour pouvoir augmenter les dépenses ailleurs sans garantir un profit direct pour les malades serait de mauvaise méthode. Le but n'est pas de dépenser plus là où l'on dépense le moins, mais d'améliorer partout la qualité de l'offre de soins, son homogénéité.

Au moment où chacun s'accorde à reconnaître la nécessité d'améliorer l'offre hospitalière dans les régions les moins bien dotées, il serait en outre paradoxal de remettre en cause systématiquement les services de proximité.

Des activités médicales déclinent, remplacées par d'autres qui progressent. Les besoins de santé et les technologies médicales changent. Chacun est prêt aujourd'hui à faire 10 ou 20 kilomètres de plus, voire davantage, pour accéder aux meilleurs soins et aux équipements les plus modernes. Mais on a aussi de plus en plus besoin, tout près de chez soi, qu'un accueil médicalisé soit assuré, notamment pour des parents âgés auprès desquels il faut pouvoir être aussi présent que possible.

Le vieillissement de la population crée une demande de services qui mêle intimement aide à la personne, soutien affectif et psychologique et assistance médicale. Nous devons nous organiser pour y répondre. Les enjeux de la dépendance demeurent insuffisamment traités. J'ai déjà eu l'occasion d'exprimer mon souhait qu'une nouvelle étape puisse s'engager dans la prise en charge de ce problème. C'est une question essentielle pour l'avenir de notre société.

Toutes ces évolutions nous imposent de réfléchir à l'adaptation de nos établissements. Elle doit être conduite dans la concertation, en apportant aux personnels les garanties qu'ils attendent légitimement. Chacun sait bien que les métiers de la santé sont des métiers plein d'avenir, car les besoins vont croissant. Mais, pour satisfaire ces besoins, il faut sans cesse évoluer, offrir les services nécessaires là où ils sont nécessaires, maîtriser les coûts, veiller à ce que chaque franc dépensé soit réellement utile à la santé des malades.

Cette exigence d'adaptation et de qualité, cette responsabilité de tous dans le bon usage des ressources de l'assurance-maladie, gage d'un égal accès au progrès médical, c'est cela la grandeur du service public.

La réforme hospitalière, qu'il importe plus que jamais de poursuivre, n'a pas eu d'autre objet que de faciliter cette indispensable évolution de nos hôpitaux au service des malades, dans une démarche qui repose sur le dialogue et sur le contrat.

En mettant en place les agences régionales de l'hospitalisation, nous avons voulu permettre la mise en oeuvre d'une politique hospitalière de proximité, moins technocratique, plus souple, adaptée aux besoins de chaque région. Cette réforme est en train de faire ses preuves.

La politique hospitalière ne peut être décidée par simple voie d'autorité. L'esprit de la réforme, c'est le contrat. Il doit devenir le principal instrument d'une politique hospitalière déconcentrée, soucieuse de l'équilibre de nos territoires, et entièrement tournée vers la recherche du meilleur soin. C'est par le contrat que de nouveaux projets permettront de répondre aux besoins les moins bien couverts. C'est par le contrat que les regroupements de services et la coopération entre hôpital public, cliniques privées et médecine libérale devront progresser pour améliorer la qualité et la sécurité des soins. C'est aussi par le contrat, à l'intérieur même de l'hôpital, dans des centres de responsabilité qui pourront regrouper plusieurs services, que de nouveaux projets devront être mis en oeuvre, dans un esprit de liberté et de responsabilité.


Mais, de même que la médecine ne peut se réduire à sa dimension technique, la politique hospitalière ne peut se résumer à la recherche de la meilleure allocation des ressources. Ce serait oublier l'essentiel, c'est-à-dire la dimension humaine du service public hospitalier.

Il faut conserver à l'activité hospitalière son sens profond au service de l'homme, combattre le risque d'une déshumanisation des soins.

Je pense par exemple à l'accueil de l'enfant. Beaucoup a été fait pour que les enfants malades soient moins séparés de leurs parents, en aménageant des chambres qui permettent la présence de la mère ou en facilitant un hébergement à proximité de l'hôpital. On a vu aussi se multiplier les initiatives pour que l'enfant malade retrouve le plus possible, à l'intérieur de l'hôpital, des conditions de vie et d'activité proches de celles du dehors. Les bénévoles ont une part essentielle à ces progrès et le public se mobilise généreusement pour leur venir en aide. Cette démarche, qu'illustre notamment la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France, est une démarche exemplaire.

L'hôpital du XXIe siècle devra également faire de la lutte contre la douleur un impératif quotidien. La question se pose avec une particulière acuité pour les enfants. Notre pays a tardé, c'est vrai, à s'engager sur cette voie, mais une prise de conscience a eu lieu et se développe aujourd'hui. Reste à diffuser plus largement les pratiques en dehors du cercle des pionniers, des spécialistes et des premiers convertis. Par la volonté du législateur, la lutte contre la douleur fait désormais partie des missions de l'hôpital. Cette reconnaissance doit partout devenir réalité.

Plus récemment, l'accompagnement de la fin de la vie est lui aussi devenu une obligation du service public hospitalier. La médecine palliative constitue la vraie réponse à la souffrance de malades confrontés à l'évolution d'un mal incurable, à leur angoisse et à celle de leur famille. L'expérience de tous ceux qui se sont généreusement engagés dans cette grande et forte aventure en témoigne. Ce qui les anime, c'est toujours un projet de vie, un projet de fin de vie bien sûr, mais pas un projet de mort.

L'hôpital doit enfin être attentif à créer les conditions d'un accueil plus chaleureux des personnes en situation de détresse. Les services hospitaliers sont souvent désemparés face à ces malades qui s'expriment parfois difficilement et qui se présentent souvent seuls, fréquemment la nuit, sans toujours réussir à formuler une demande précise. L'hôpital ne peut pas les rejeter. Il doit s'impliquer davantage dans cette mission. C'est aussi une question de formation, d'expérience et d'attention.




Scruter l'avenir est un art difficile, qu'il faut aborder avec humilité. La part de l'inattendu se révèle toujours plus importante qu'on ne le croyait. Pourtant, s'il y a une vérité qui ne se dément jamais, c'est celle qui fait reposer le succès de toutes les grandes entreprises collectives sur la mobilisation d'hommes et de femmes mus par une même ambition et portés par un idéal qui dépasse chacun d'eux.

L'hôpital a la confiance des Français. A une époque où beaucoup d'institutions, trop lointaines, trop figées, trop exclusivement tournées vers elles-mêmes, sont contestées, c'est un fait suffisamment rare pour être relevé. Oui, l'hôpital a la confiance des Français et maintenir cette confiance sera pour vous l'un des grands enjeux du siècle à venir.

Je suis sûr que vous y parviendrez, car la communauté hospitalière est vivante. Elle est ouverte à la transparence et au changement. Elle est également riche d'une diversité exceptionnelle. Aux côtés des gestionnaires hospitaliers, des médecins et des personnels soignants, ouvriers, personnels d'administration et de service, ingénieurs et pharmaciens font de l'hôpital une ville dans la ville où se regroupent autour des professionnels de santé de très nombreux métiers.

Quelle que soit la tâche qui est confiée aux personnels de l'hôpital, leur unité, leur force, vient de ce qu'ils concourent tous, souvent avec émotion, toujours avec dévouement, à une oeuvre magnifique au service de ceux qui souffrent. C'est la raison de ma confiance dans votre capacité d'adaptation aux exigences du XXIe siècle, un siècle qui, pour vous, a déjà commencé, avec une certaine avance sur beaucoup d'autres secteurs d'activité.

Les techniques changeront ; les valeurs qui fondent votre engagement, elles, ne changeront pas. Votre fidélité à ces valeurs, à cet engagement, est la clé de l'avenir de l'hôpital. Sachez rester ce que vous êtes et cet avenir sera bien assuré.

Je vous remercie.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2005-01-24 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité