Discours du Président de la République à l'occasion de l'inauguration du nouveau bâtiment du Parlement européen.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, prononcé à l'occasion de l'inauguration du nouveau bâtiment du Parlement européen.

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Strasbourg, Bas-Rhin, le mardi 14 décembre 1999

Madame la Présidente,

Messieurs les Présidents des Institutions européennes,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Mesdames, Messieurs,

Je tiens tout d'abord, Madame la Présidente, à vous remercier pour votre accueil amical et chaleureux.

Votre élection à la Présidence du Parlement, l'été dernier, est venue couronner votre passion de grande Européenne. Quinze années de mandat électif vous ont gagné le respect de vos collègues et, au-delà, de toutes celles et de tous ceux qui se battent pour l'Europe.

Je veux aussi évoquer après vous, la haute figure de Louise Weiss, dont cette enceinte porte le nom. Alsacienne, ses origines étaient aussi allemandes, autrichiennes, tchèques. Elle a toute sa vie plaidé pour l'Europe. Dans ce siècle si souvent tragique, elle a cru, contre vents et marées, à la réconciliation et à l'union de nos peuples. Vous le savez peut-être, c'est à ma demande qu'en 1979, elle avait alors 86 ans, cette militante inlassable de la cause des femmes et de celle de l'Europe avait accepté de briguer son premier mandat électif. Son engagement trouvait alors sa consécration dans votre assemblée.





Cette inauguration, Mesdames, Messieurs, marque une date dans l'histoire de votre Parlement. Quel chemin parcouru depuis la première réunion, en 1952, de l'Assemblée commune de la Communauté européenne du charbon et de l'acier ! Et depuis la première élection des députés européens au suffrage universel direct, il y a de cela déjà vingt ans !

Renforcé chaque jour dans sa légitimité et dans son rôle, le Parlement se devait d'acquérir son autonomie par rapport au Conseil de l'Europe qui lui a offert l'hospitalité pendant près d'un demi-siècle. Il était souhaitable, il était nécessaire qu'il dispose enfin de son propre bâtiment.

Je veux saluer toutes celles et tous ceux qui ont travaillé à cet immense chantier : les architectes, la Société d'aménagement et d'équipement de la région de Strasbourg, les entreprises, les techniciens, les ouvriers qui ont participé à cette grande aventure pendant quatre années et qui ont donné ce Palais à l'Europe et à sa représentation.

Je remercie les collectivités territoriales -la région Alsace, le département du Bas-Rhin, la Ville de Strasbourg- qui, en concertation avec l'Etat, ont apporté leur soutien à cette réalisation.

Si souvent écartelée dans l'Histoire, au coeur des rivalités continentales, Strasbourg incarne aujourd'hui l'idéal de paix et de démocratie de tout notre continent. En accueillant votre Parlement mais aussi le Conseil de l'Europe avec la Cour des Droits de l'Homme, Strasbourg est devenue en quelque sorte la capitale de la citoyenneté européenne.

Nous devons aujourd'hui réfléchir aux moyens de faire vivre nos différentes capitales dans une Europe élargie. Les liaisons entre les villes-sièges, comme avec les Etats-membres, doivent être aussi denses et aisées que possible. Nous connaissons vos demandes, et soyez assurés qu'à la place qui est la mienne, avec le gouvernement français, je m'emploie à les satisfaire.

Lorsque votre Assemblée a pris possession des lieux, il y a bientôt six mois, on a beaucoup dit et on a écrit sur ce nouveau bâtiment et sur les difficultés qu'il a connues dans les premières semaines. Des préoccupations légitimes se sont exprimées, partagées par tous ceux -parlementaires, administrateurs, fonctionnaires, journalistes, techniciens, visiteurs aussi- qui travaillent et qui circulent ici. Ce sont là, j'en suis persuadé, des défauts de jeunesse, probablement difficilement évitables quand on songe à l'importance de ce chantier. Ils se résorbent progressivement, grâce aux mesures énergiques que vous-même, Madame la Présidente, avec votre Secrétaire général, avez prises dès votre entrée en fonction.

Et bientôt, j'en suis sûr, chacun aura trouvé ici ses marques. Bientôt, ne s'exprimera plus que, je l'espère, l'admiration devant ce bel édifice, qui donne à votre Parlement un siège digne de la mission que lui confient les traités.





Mission éminente, Mesdames et Messieurs les parlementaires, et qui ne cesse de s'étendre. Votre institution, où s'exprime la voix de nos peuples, est présente dans tous les débats qui animent l'Europe. Et l'année qui s'achève aura été, sans conteste, l'année du Parlement européen.

La démission collective de la Commission, au printemps dernier, à la suite du rapport du Comité des sages suscité par votre institution, a signé la fin d'une époque. Elle a mis un terme à une perception peut-être trop technocratique, trop secrète de la construction européenne. Votre contrôle vigilant de l'utilisation des fonds européens a montré votre volonté d'exercer vos pouvoirs dans leur plénitude.

Il faut en finir une fois pour toutes avec l'idée que le Parlement européen n'a que peu de pouvoirs. Au fil des traités qui jalonnent la route de l'Union, le Parlement européen n'a cessé d'étendre le champ de ses compétences et de ses responsabilités. Doté d'abord de pouvoirs budgétaires, le Traité de Maastricht lui a conféré le statut de co-législateur. Statut renforcé depuis l'entrée en vigueur, il y a quelques mois, du Traité d'Amsterdam.

Avec l'extension de la co-décision, rares sont les domaines qui échappent aujourd'hui à votre intervention. Et les citoyens européens, qui ont suivi avec attention les auditions des candidats, préalables à la désignation de la nouvelle Commission, ont pu mesurer le rôle de votre institution, mais aussi l'impartialité et la compétence apportées par chacune et chacun d'entre vous dans le processus de nomination des Commissaires européens.

Qu'il me soit permis, à cette tribune, de saluer l'ampleur et la qualité du travail qui s'accomplit ici, qu'il s'agisse de vos commissions, de vos sessions plénières, ou du Comité de conciliation entre votre assemblée et le Conseil, véritable creuset où se forge la loi européenne.

Ce travail quotidien de législation et de contrôle est devenu une part essentielle de la vie de notre Union, sans pour autant entamer les prérogatives du Conseil ni celle de la Commission. Car nous avons tous la volonté de respecter l'équilibre institutionnel prévu par les Traités.

Et votre rôle est appelé à se développer davantage avec la nouvelle réforme des institutions que le Conseil européen vient d'engager à Helsinki et permettez-moi de saluer la Présidence sortante qui a fait un travail extrêmement remarquable pour le succès du dernier sommet à Helsinki. Parallèlement à l'extension envisagée du vote à la majorité qualifiée à de nouveaux domaines, il me paraît en effet naturel que votre Parlement voie s'élargir ses compétences de co-législateur aux mêmes domaines.

Il est nécessaire que vous puissiez faire entendre votre point de vue sur cette réforme institutionnelle. C'est votre voeu. Le Conseil européen vient de prendre des dispositions à Helsinki en ce sens. C'est dans un esprit d'ouverture que je veillerai à leur application pendant la présidence française de l'Union qui, je l'espère, permettra de conclure les travaux de la Conférence intergouvernementale.

Et je me réjouis, Madame la Présidente, qu'après l'expérience réussie que nous venons de vivre à Helsinki, vous puissiez à nouveau, lors de chaque Conseil européen, mener un véritable dialogue avec les chefs d'Etat et de Gouvernement et ne plus faire simplement un discours de présentation.

Votre assemblée est une institution qui monte en puissance au sein de l'Union. Mais trop d'Européens méconnaissent encore votre rôle. En témoigne, hélas, la faible participation de nos concitoyens aux élections européennes dans presque tous les Etats membres.

Unissons donc nos efforts pour mieux faire connaître votre Parlement ! Unissons nos efforts pour que, dans toute l'Europe, le mode de scrutin rapproche les citoyens de celles et ceux qui les représentent à Strasbourg. Adoptons enfin un véritable statut des députés, respectant toutes les prérogatives de votre Parlement.

Tout cela aiderait nos concitoyens à mieux se reconnaître dans leurs représentants. Tout cela les encouragerait à renforcer leur dialogue avec leurs parlementaires européens. Vous-même, Madame la Présidente, donnez l'exemple, en multipliant vos interventions publiques, en expliquant sans relâche la vocation de votre institution, en donnant de votre Parlement une image forte, volontaire et généreuse. Et, c'est vrai, vous avez la passion contagieuse !





Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Cet effort pédagogique ne doit pas se limiter à une meilleure perception de votre assemblée.

Chacun le sent bien : ce qu'il faut maintenant, pour rallier nos concitoyens, dans leur coeur comme dans leur esprit, c'est aussi changer l'idée même qu'ils se font de l'Europe.

L'Europe, nos peuples la jugent souvent technocratique, lointaine ou abstraite. Nous entendons leurs reproches : les traités et les réglementations sont peu lisibles ! L'Union ignore trop les préoccupations quotidiennes ! Elle est souvent source de contraintes ! Elle ne respecte pas assez le principe de subsidiarité ! Mais en même temps elle ne s'occupe pas assez des grands fléaux comme le chômage, l'exclusion, la drogue, le crime ! Ensemble, répondons à ces critiques !

Nous devons bien sûr faire davantage pour mieux coordonner nos politiques économiques, renforcer notre modèle social, bâtir un seul espace de liberté, de sécurité et de justice.

Mais d'abord nous devons expliquer toujours mieux à nos concitoyens tout ce que l'Union leur apporte déjà, tout ce qu'elle leur garantit, comment elle les protège et leur permet de vivre mieux. Leur expliquer, simplement, comment elle fonctionne.

Cet effort d'explication, nous l'avons engagé, avec tous les moyens nécessaires, pour l'euro. Son apparition sous forme de billets et de pièces va bouleverser les mentalités et aussi les habitudes de nos peuples. Elle va les amener, dans leur vie de tous les jours, à penser et à agir en européens. Cette véritable révolution culturelle, nous la préparons activement et le passage à l'euro a été bien perçu par nos peuples. Parce que nous nous sommes donné les moyens de l'expliquer et de le faire comprendre.

Nous devons adopter la même pédagogie, multiplier nos campagnes d'information pour faire mieux comprendre le projet européen dans son ensemble, mieux comprendre nos institutions, mieux comprendre nos politiques. Pour conduire cet effort nécessaire, il faudra dégager des moyens budgétaires. Il faudra aussi une véritable mobilisation de la part de tous les responsables politiques. Et vous, élus du suffrage universel, devrez être en première ligne pour montrer le chemin.



Mais pour emporter l'adhésion de tous, Mesdames et Messieurs les députés, nous devons aussi être capables de donner à l'Europe sa vraie dimension. Il nous faut édifier une Europe citoyenne, dont chacun se sente petit à petit acteur. Bâtir une identité commune, dans le respect des identités nationales. Dans le respect des peuples qui composent l'Union, dans le respect de leurs langues, de leurs cultures.

L'Europe, nos peuples ne veulent pas s'y dissoudre et s'y perdre. Au contraire, à travers elle, chacun veut exister davantage. Nous devons réussir la construction de cette grande maison commune où chacun doit néanmoins se sentir chez lui. Une maison où tous vivent ensemble, solidairement, mais où chacun garde ses repères familiers.

Nous emporterons l'adhésion en privilégiant ce qui nous rapproche. Une certaine idée de l'homme, de sa liberté, de sa dignité, de ses droits. Un modèle social, ancré dans notre histoire commune et fondé sur une tradition de négociation collective, une protection contre les aléas de l'existence, un Etat garant de la cohésion sociale.

Voilà pourquoi la France souhaite que, sous sa présidence, soit adoptée la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Votre Parlement jouera un rôle essentiel dans son élaboration, aux côtés des Etats et des parlements nationaux. Et ce texte, avec ses droits et ses devoirs, donnera son cadre, ses références, son corpus à la citoyenneté européenne.

Cette citoyenneté, c'est aussi un même attachement à nos identités, à nos histoires ; une longue tradition de correspondances entre nos cultures nationales, nos penseurs, nos artistes. Une tradition qui remonte au Moyen-Age et qui nous a donné l'humanisme. Bref, tout ce qui fonde notre civilisation européenne. N'oublions jamais que l'Europe est née sur les terres de l'esprit.

C'est cette Europe-là que nous devons faire vivre et grandir pour faire aimer l'Europe.

Et d'abord, par notre jeunesse. Voilà pourquoi la France fera de l'éducation et des savoirs, des échanges entre universités et laboratoires, une priorité de sa présidence. Pour permettre aux jeunes, étudiants, chercheurs ou techniciens, jeunes diplômés en quête d'emploi ou jeunes travailleurs, d'ouvrir leur horizon à l'Europe tout entière. A cette fin, la France présentera à ses partenaires un programme ambitieux et concret d'encouragement à la mobilité. Nous devons aider les nouvelles générations à forger leur conscience européenne.





Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs,

Vous êtes les parlementaires qui allez faire entrer l'Europe dans le prochain millénaire. C'est vous qui, avec les Etats membres, avec la Commission, allez préparer l'Europe aux grands défis de l'avenir.

Gardons-nous de tracer aujourd'hui les contours de l'Europe finie. L'Europe est un projet. Elle est aussi un processus. Même les plus audacieux des pères fondateurs n'avaient pas imaginé l'euro. Mesurons avec fierté le chemin accompli. Réfléchissons ensemble à nos ambitions pour demain.

Notre histoire nous oblige. Avec la Renaissance et pendant cinq siècles, l'Europe a su bâtir une civilisation rayonnante. Puis le choc de nationalismes exacerbés et la négation radicale de nos valeurs ont entraîné notre continent, et avec lui monde, dans deux guerres terribles qui ont cassé, effacé l'Europe. Depuis cinquante ans, avec opiniâtreté et avec succès, nous réunissons les conditions d'une nouvelle renaissance européenne.

Les Européens doivent désormais apprendre à réconcilier leur histoire et leur géographie. Pendant quarante ans, l'Union européenne n'a pas eu à dessiner ses frontières : elles lui étaient imposées par les chars du pacte de Varsovie, le long du rideau de fer. En s'ouvrant à 13 pays candidats, qui seront plus tard rejoints par ceux, je l'espère, des Balkans occidentaux, l'Union affirme sa vocation à rassembler toute la famille européenne. Grande ambition.

J'invite ceux qui reprochent aux dirigeants européens de manquer parfois de courage et d'ambition à réfléchir quelques instants au défi que représente l'intégration progressive, et indispensable, dans l'Union de quelque 200 millions d'hommes et de femmes appartenant à une vingtaine de pays.

Avant d'ouvrir sa porte, l'Union devra réformer ses institutions. Le chantier que nous avons engagé à Helsinki est nécessaire. Mais nous savons déjà qu'il ne constitue qu'une étape. Nous devrons approfondir nos réflexions sur les conséquences à long terme de ces élargissements.

Et le défi est considérable : comment faire vivre une communauté de peuples aussi différents par leur niveau de vie mais aussi par leur expérience de la construction européenne ? Comment le faire, tout en poursuivant l'approfondissement indispensable de nos politiques communes ? Ne faut-il pas réfléchir à une mise en oeuvre plus flexible de nos progrès, comme nous l'avons déjà fait avec Schengen, puis avec l'euro ?

Cette Europe qui s'élargit et qui s'approfondit doit progressivement assumer toutes ses responsabilités sur la scène du monde. Les Européens le souhaitent. Le drame du Kosovo nous l'a montré. Ils veulent une Europe puissante. Une Europe capable d'apporter toute sa contribution à la construction d'un monde prospère et en paix. Une Europe qui s'affirme comme l'un des pôles majeurs de l'équilibre mondial.

L'Union est déjà le premier ensemble économique et commercial de la planète. Elle s'est dotée de l'euro, l'autre grande monnaie, à côté du dollar. Elle a affiché sa cohésion, sa détermination et sa capacité à défendre ses intérêts et son modèle, et à le faire d'une seule voix, lors des discussions de l'OMC à Seattle.

Cette capacité, l'Union doit désormais l'affirmer aussi dans le domaine de la politique étrangère et de la défense. Le Conseil européen d'Helsinki a marqué un important progrès. D'autres devront intervenir dans l'année qui vient.

Cette montée en puissance de l'Europe et la perception qu'en ont nos grands partenaires contribuent à conforter l'image que nos concitoyens se font de l'Europe et d'eux-mêmes.





Voilà, Mesdames et Messieurs, les tâches auxquelles nous, dirigeants politiques et représentants élus de l'Union, devons nous atteler.

La France aura, après le Portugal, l'honneur et la responsabilité de présider l'Union l'an prochain et de conduire l'Europe au seuil du troisième millénaire. Ses priorités rejoignent, je le sais, celles de votre assemblée : Europe des hommes, de la connaissance, de l'innovation ; Charte des droits fondamentaux ; réforme des institutions et élargissement ; défense européenne. Soyez assurés de la détermination de mon pays à vous associer pleinement aux travaux et aux débats de sa présidence.

Dans un an très exactement, je reviendrai dans cet hémicycle pour faire avec vous le bilan de ces six mois. Nous mesurerons alors les progrès accomplis. J'ai la conviction qu'ensemble, partageant la même vision de l'Europe, poursuivant les mêmes ambitions pour l'Union, nous aurons su lui faire franchir de nouvelles étapes. Nous aurons su lui conférer un surcroît d'efficacité, de solidarité, d'identité. Nous l'aurons, en un mot, rapprochée de nos peuples.

Ainsi va l'Europe. Plus vite et plus loin qu'on ne le dit. Le XXIe siècle verra, j'en suis sûr, l'affirmation d'une Europe humaniste et prospère, puissante et pacifique, au premier rang des acteurs de la scène mondiale. Oui, le XXIe siècle doit être, et sera, celui d'une renaissance européenne.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie.





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