Allocution du Président de la République au Palais fédéral, à Berne, Suisse.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au Palais fédéral.

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Berne, Suisse, le mercredi 28 octobre 1998

Monsieur le Président du Conseil Fédéral,

Madame la Vice-Présidente,

Messieurs les Conseillers Fédéraux,

Mesdames et Messieurs,

Monsieur le Président, je tiens à vous remercier de votre accueil et de vos paroles de bienvenue toute empreinte d'amitié, d'humour et de culture. En vous écoutant parler de la Suisse et de la France, chacun aura compris que notre histoire est une histoire de famille.

Avec ses passions, ses rapprochements et ses affrontements. De Louis XI, soutenant la lutte des cantons pour l’indépendance, à François 1er combattant les Suisses pour s’ouvrir l’Italie. Des tués de Marignan aux morts des Tuileries. Des philosophes des Lumières, réfugiés chez vous, aux armées de la Révolution française et de l’Empire violant les libertés de la Suisse.

Une histoire de famille, avec ses moments de joie et ses moments difficiles, ses enthousiasmes et ses réserves, l’éloignement auquel succèdent les retrouvailles et la volonté aujourd’hui de construire ensemble. Tout nous y invite.

Les femmes et les hommes qui nous réunissent : ces 120 000 résidents français en Suisse ; ces 150 000 citoyens suisses installés en France ; ces 70 000 Français qui chaque jour passent la frontière pour venir travailler chez vous.

Il y a aussi cette culture que nous avons en partage. Nous, Français, avec beaucoup de vos compatriotes, parlons et aimons la même langue. Nos échanges intellectuels et artistiques ont toujours été d’une extrême intensité. Nos universités et nos centres de recherche développent une importante coopération. Nous voulons aller plus loin encore.

Il y a notre partenariat économique. Avec 11 % de parts de marché, nous sommes, vous l'avez mentionné tout à l'heure Monsieur le Président, votre deuxième fournisseur et votre deuxième client. Et nous sommes conscients de la nécessité de renforcer notre présence en Suisse alémanique.

De nouvelles coopérations se dessinent. Dans le domaine des transports terrestres, avec les traversées transalpines, avec les projets de TGV sur Genève, Bâle ou Zurich, mais également dans le domaine des transports aériens.

Nos investissements réciproques sont considérables. Aux 200 filiales françaises en Suisse, essentiellement dans le secteur des services, répondent les quelque 1 000 filiales d’entreprises helvétiques installées en France, dont 4 00 implantations industrielles.

Et puis notre dialogue politique devient chaque jour plus dense, plus confiant, plus profond. Ici même, il y a quinze ans, mon prédécesseur, le Président François Mitterrand, avait souhaité par sa visite, la première depuis celle que vous avez évoquée brillamment, depuis 1910, le Président Mitterrand avait souhaité réparer un oubli historique .

C’est chose faite. Nos rencontres au niveau le plus élevé se multiplient. Nous nous sommes connus, Monsieur le Président, en 1996 à l’occasion de ma visite à l’Organisation Internationale du Travail à Genève. La même année, je recevais à Paris le Président Delamuraz. Je souhaite ici rendre hommage à cet homme d’Etat chaleureux et courageux qui aimait la France et qui était aimé. Il y a un an, au Sommet francophone de Hanoi, j’ai retrouvé le Président Koller qui conduisait avec autorité la délégation suisse. Et me voilà, Monsieur le Président, votre invité à Berne. C’est une nouvelle occasion d’un échange de vues sans complexe et amical entre nos deux pays.

Chaque jour, ce dialogue fructueux se prolonge entre nos gouvernements, nos ministres, nos administrations. Mais surtout, nos collectivités territoriales ont su, à Bâle-Mulhouse, autour de Genève, transformer notre frontière en trait d’union.

C’est une vraie solidarité que nouent la Suisse et la France dans de nombreux domaines : l’enseignement et la culture mais aussi l’environnement, la justice, les transports et bien d’autres. Il n’y a pas de limites au champ de notre coopération et je souhaite que nos deux gouvernements la renforcent encore avec dynamisme et avec imagination.

Il faut aller plus loin en matière judiciaire. Rapprochons-nous, comme nous avons su le faire ces dernières années, dans la lutte contre les trafics de drogue, contre la corruption et le blanchiment de l’argent sale, contre l’immigration clandestine et pour combattre le terrorisme. Face à ces menaces, la Suisse et les pays de l’espace Schengen sont convenus de coordonner plus encore leurs contrôles aux frontières.

Il faut aller plus loin aussi en matière de sécurité et de défense. Nous travaillons ensemble à la formation des personnels, dans le cadre du Centre de Politique de Sécurité de Genève, élément essentiel de la participation de la Suisse au partenariat pour la paix. Nous multiplions désormais les exercices communs, et participons ensemble au déminage des pays qui sont victimes du fléau des mines anti-personnel.

Nous sommes partenaires pour l’équipement de nos armées. Et je me réjouis que vous ayez choisi tout récemment la technologie française, qu’il s’agisse d’assurer la surveillance radar de votre territoire ou de doter vos forces d’hélicoptères français.

Au moment où la France conduit la réforme de ses forces armées, nous suivons avec attention vos réflexions et vos efforts pour adapter votre défense aux nouvelles menaces.


Mais notre relation avec la Suisse est plus que celle d’un voisin, d’un ami ou d’un frère. A nos yeux, la Suisse incarne, avec constance, un modèle de sagesse des peuples, je vous le disais tout à l'heure en voiture. Un rêve d’indépendance, avec la lutte fière et obstinée des cantons liés en un pacte perpétuel contre le Saint Empire, jusqu'à la reconnaissance au XVe siècle de leur souveraineté.

Un rêve de liberté puisqu’ici, dès le XIVe siècle, on instaura la démocratie et le suffrage populaire.

Un rêve de tolérance pour les hommes qui, au long des siècles, fuyant les persécutions, la tyrannie, trouvèrent refuge chez vous. Une hospitalité dont nous, Français, avons si souvent bénéficié : protestants chassés par la révocation de l’Edit de Nantes, libéraux en délicatesse avec Napoléon, républicains en difficulté avec le Second Empire, et tous ceux qui reçurent l’assistance des vôtres lors des guerres qui ensanglantèrent notre siècle.

Un rêve de paix. Avec la Suisse, fidèle à sa neutralité, avocate inlassable de l’entente et de la coopération entre les nations. Avec Genève, qui abrita la SDN et qui est aujourd’hui un siège prestigieux de l’Organisation des Nations Unies. Et, vous le savez, Paris apporte un soutien résolu et sans réserve à la Genève internationale. Avec, aussi, vos efforts en faveur de la sécurité que vous avez vous-même incarnés, Monsieur le Président, quand, il y a deux ans, vous conduisiez les travaux de l’OSCE.

Un rêve généreux enfin, avec l’admirable tradition humanitaire de votre pays que fait vivre dans le monde entier le Comité International de la Croix Rouge.

C’est parce qu’aux yeux des Européens la Suisse porte tous ces rêves, que l’Union européenne, à la veille d’échéances vitales, souhaite que vous vous rapprochiez d’elle.

Au lendemain de la guerre, la France a fait avec d’autres, et d’abord l’Allemagne, le choix de la construction européenne. Tournant le dos aux déchirements du passé, nous voulions ancrer la paix et la démocratie sur notre continent, bâtir la solidarité et la prospérité. Il fallait pour cela mêler nos destins.

Ce fut, par-delà les clivages politiques et les choix de société, la volonté constante des dirigeants de la Communauté puis de l’Union européenne. Le 1er janvier prochain, nous allons franchir une nouvelle étape avec l’euro. Parallèlement, nous avons engagé l’élargissement le plus ambitieux de l’Union, pour qu’enfin les pays, demeurés si longtemps interdits d’Europe, rejoignent leur famille. Mais, pour cela, l’Union doit réformer ses Institutions, repenser son fonctionnement, réfléchir aux principes de collégialité, de subsidiarité.

La Suisse peut l’y aider. Elle a fait, au long des siècles, des choix courageux, audacieux, singuliers. Elle s’est construit une identité politique unique en Europe : statut de neutralité permanente et armée ; Confédération respectueuse des droits des cantons ; exécutif collégial ; protection des droits du peuple souverain grâce aux " votations " et aux " initiatives " ; recherche systématique du consensus.

La Confédération a souhaité, dans un premier temps, se tenir à l’écart du processus de construction européenne, préférant progresser doucement mais sûrement dans la voie d’accords sectoriels, voulus comme une étape technique, avant l’adhésion pleine et entière à l’Union. Adhésion qualifiée d’objectif stratégique par votre gouvernement, comme vous l'avez rappelé M. le Président, conscient que la décision revient finalement au peuple suisse et à lui seul.

Sans entrer dans votre débat, permettez-moi de faire entendre une voix amie, celle de la France. Permettez-moi de vous dire combien votre expérience, votre culture politique, vos valeurs peuvent être précieuses à l’Europe. Une Europe dont la Suisse partage depuis toujours le destin.

Cette année, la Confédération célèbre le 150e anniversaire de sa Constitution. Au même moment, c’est toute l’Europe qui se souviendra de ce grand mouvement d’émancipation, de ce grand tourbillon des idées et des hommes qui marqua l’année 1848. C’est à cette époque que l’idéal démocratique européen gagna l’Europe tout entière.

Et depuis 150 ans, la Suisse fait figure de modèle, avec sa démocratie opérant de la base vers le sommet, avec l’agrégation de cultures, de traditions, de langues diverses. Un pays qui a réussi la fusion de l’élément et de l’ensemble, un pays où chacun a voix au chapitre et qui pourtant avance d’un seul et même pas.

Vous-même, Monsieur le Président, incarnez cette réussite. Tessinois, de langue italienne, ayant fait des études en langue allemande et maîtrisant parfaitement le français, vous êtes un familier de mon pays que vous connaissez intimement et où vous aimez à séjourner, dans votre maison de Corse ou ailleurs, lorsque votre charge vous en laisse le loisir.

Oui, il y a dans l’expérience suisse bien des enseignements à tirer pour l’Europe. L’Europe que nous voulons unie mais respectueuse de chacun. Une Europe qui aura trouvé l’équilibre entre la force des décisions prises ensemble et la volonté de chaque peuple d’être soi-même.

Voilà pourquoi, M. le Président, Mesdames et Messieurs, j’invite vos compatriotes à aller de l’avant, à choisir l’Europe quand ils jugeront le moment venu. Parce que la Suisse est d’Europe et qu’elle participe déjà à notre aventure. Parce que votre pays, qui a noué des liens privilégiés avec l’Union, fait déjà cause commune avec les nôtres. Parce que vous y êtes les bienvenus, comme en famille. Parce que nous aurons plaisir à vous y accueillir, et d’abord nous les Français. Si vous faites ce choix, quand vous estimerez devoir le faire, vous pouvez compter sur notre appui amical et fraternel.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je vous remercie.





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