Discours du Président de la République devant le congrès de l'union mondiale pour la nature.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant le congrès de l'union mondiale pour la nature.

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Fontainebleau, Seine-et-Marne, le mardi 3 novembre 1998

Madame la Présidente,

Merci pour votre action bien-sûr, mais merci aussi d'avoir choisi Fontainebleau pour ce 50e anniversaire. Nous y sommes très sensibles.

Majesté, merci de tout coeur de votre présence.

Je voudrais profiter de cette occasion pour vous demander également de transmettre à sa Majesté, le Roi de Jordanie, d'abord tous nos sentiments d'estime et de reconnaissance pour le rôle si important qui a été le sien dans la difficile négociation de Wye River. Grâce à lui les choses ont pu progresser et la paix retrouver ses chances. Et comme nous le savons, vous l'avez évoqué, le traitement que sa Majesté a subi est un succès, alors je vous demande au nom de cette UICN dont vous êtes l'une des marraines, de bien vouloir lui transmettre nos voeux de très rapide et très complet rétablissement.

Messieurs les Chefs d'Etat,

Mesdames, Messieurs,

Pour célébrer le 50e anniversaire de l'Union Mondiale pour la Nature, vous avez voulu revenir aux sources, en cette ville de Fontainebleau où votre fédération naquit en 1948. Je suis heureux de me trouver parmi vous aujourd'hui pour célébrer cet événement.

L'UICN peut se prévaloir à juste titre d'une place unique parmi les organisations internationales. Elle rassemble des Etats, des associations, des scientifiques. Elle s'est vue confier la responsabilité de la mise en oeuvre d'importants traités. Elle assume les missions exigeantes qui sont celles des ONG : action pédagogique, prise de conscience, alerte de l'opinion, impulsion et force de proposition.

En 50 ans, l'UICN a su élargir le champ de ses préoccupations aux grands problèmes des sociétés modernes. Votre ordre du jour, Madame la Présidente, en témoigne largement : quelle conservation pour la nature ? Que signifie la mondialisation dans le domaine de l'environnement ? Quels modes de consommation pour une croissance équitable et durable ? Autant de questions qui sont au coeur des préoccupations des hommes d'aujourd'hui.




La transition vers le développement durable sera l'une des grandes tâches du XXIe siècle. Nous le savons tous : les pressions que nous exerçons sur les ressources naturelles et l'environnement ont atteint un niveau excessif. Notre planète subit des agressions dont les conséquences sont déjà très inquiétantes.

Selon la communauté scientifique, le quadruplement depuis 50 ans des émissions de gaz carbonique a vraisemblablement enclenché un phénomène de réchauffement qui menace nos conditions de vie.

La dégradation des sols et la déforestation atteignent des proportions alarmantes. Le sixième des terres émergées est touché, au point que nous risquons d'en perdre définitivement l'usage. En 10 ans, 154 millions d'hectares de forêt tropicale ont été détruits, soit trois fois la superficie de la France.

Le quart de la population du globe n'a pas accès à l'eau potable et la moitié ne dispose pas de réseaux d'assainissement. Les ressources en eau douce diminuent. En un demi-siècle, les réserves disponibles par habitant sont passées de 17 000 à 7 000 m3. Vingt pays déjà sont confrontés à une grave pénurie. Vingt-cinq autres le seront demain.

Notre croissance anarchique a bien d'autres effets alarmants : baisse des ressources halieutiques, disparition de nombreuses espèces animales et végétales, destruction d'espaces naturels uniques. C'est la diversité de la vie, richesse de notre planète, qui est menacée.

Dans deux générations, nous devrons probablement nourrir, loger, soigner, éduquer quelque 9 milliards d'hommes et de femmes dans le monde. Garantir, améliorer leurs conditions de vie sans multiplier nos productions en proportion de l'accroissement démographique : voilà l'objectif du développement durable !

Pour l'atteindre, même si nous savons tous que c'est difficile, chacun doit s'adapter. Les pays industrialisés doivent réformer leurs modes de production et de consommation. Ils le peuvent au prix d'un effort supportable, qui ne sera en vérité qu'un investissement pour une croissance plus harmonieuse. Les pays émergents doivent inventer un nouveau mode de développement : le développement propre. Les solutions existent et il faut les appliquer avec le concours des nations les plus riches. Les pays les plus pauvres enfin, où vivent 850 millions de femmes et d'hommes qui ne mangent pas à leur faim, doivent recevoir l'aide publique internationale indispensable à leur décollage. Vaincre la pauvreté est aussi une condition essentielle de la préservation de l'environnement.

Ne pas agir aujourd'hui condamnerait nos enfants à vivre dans un monde défiguré, où les risques de confrontation pour des ressources raréfiées seraient de plus en plus grands. Il en va de l'environnement comme de l'économie : le moment est venu de civiliser la mondialisation.




Pour réussir ensemble cette transition essentielle, nous avons tous besoin d'une démarche volontaire, cohérente et globale. Je suis venu aujourd'hui vous proposer les réponses de la France.

Nous devons d'abord, me semble-t-il, abandonner trois convictions anciennes, encore ancrées dans nos esprits, mais rendues caduques par le XXe siècle. Il est faux de prétendre que la nature a la capacité de guérir toutes les blessures que l'homme lui inflige. Il est présomptueux de croire que l'intelligence de l'homme lui permettra toujours de réparer les erreurs commises au nom du progrès. Il est hasardeux d'imaginer que l'homme pourra continuer sans limite à puiser dans les ressources naturelles.

Nous devons ensuite organiser la gestion planétaire des risques globaux. Certes, la communauté internationale a mesuré l'urgence de réponses mondiales. Les grandes conventions de l'après-Rio en témoignent. Mais les impasses auxquelles nous nous heurtons dans leur mise en oeuvre ont mis en lumière des obstacles sérieux et il nous faut les traiter ensemble.

Le premier obstacle résulte de la volonté des Etats de préserver, dans ce domaine, une conception dépassée de leur souveraineté. La pollution ignore les frontières. L'interdépendance appelle des mécanismes régulateurs universels, des dispositifs impartiaux et efficaces de mise en oeuvre et de contrôle des engagements pris.

Il nous faut d'abord établir, au niveau mondial, un centre impartial et incontestable d'évaluation de notre environnement. Les premiers instruments existent déjà. Mais ils sont répartis entre plusieurs organisations internationales. Il nous faut un seul lieu où s'incarne la conscience du monde pour l'environnement. Le Programme des Nations Unies pour l'Environnement, engagé dans une réforme courageuse et prometteuse, doit en être l'artisan. Il lui revient aussi de fédérer les secrétariats, actuellement dispersés, des grandes conventions, pour créer progressivement une Autorité mondiale, s'appuyant sur une convention générale qui doterait le monde d'une doctrine homogène.

Enfin, il faut améliorer encore la prise en compte de l'environnement par les grandes organisations économiques internationales. Des progrès commencent à être accomplis à la Banque mondiale et au PNUD. Le moment est venu d'y travailler à l'Organisation Mondiale du Commerce.

Organiser la gestion planétaire des risques globaux, c'est aussi relancer la dynamique des grandes négociations qui marquent le pas. Notre prochain rendez-vous est celui de Buenos Aires. La communauté internationale doit s'entendre sur les conditions de mise en oeuvre du protocole de Kyoto. Les pays industrialisés se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Ils doivent le faire, avant tout, en consentant les efforts nationaux nécessaires. Les mécanismes de flexibilité ne pourront être qu'un complément. Ils devront être vérifiables et mesurables, équitables et contrôlés.

A Dakar, dans quelques semaines, se tiendra la deuxième conférence de la convention contre la désertification. C'est un rendez-vous très important. Il doit marquer de nouveaux progrès.

Face à la déforestation, il nous faut rapidement un accord mondial obligeant les Etats à préserver leurs espaces forestiers et les aider pour cela. Doté d'un dispositif pour aider les plus pauvres à tenir leurs engagements, ce traité devra aussi prévoir des codes de conduite pour les entreprises exploitantes.

Bien d'autres chantiers nous tiennent à coeur. Je ne mentionnerai que le programme d'action des Nations Unies pour la gestion durable de l'eau douce. Des avancées importantes ont été accomplies depuis la Conférence de Paris en mars dernier. Il faut maintenant les concrétiser.


Le second obstacle à une bonne gestion des risques globaux, c'est la confrontation Nord-Sud, qui s'accentue depuis quelques années. Il faut sortir de cet affrontement stérile où chacun renvoie l'autre à sa responsabilité.

Oui, les pays industrialisés portent la responsabilité principale des atteintes à l'environnement. Rassemblant le cinquième de la population du globe, les pays industrialisés consomment 60 % de l'énergie mondiale et 86 % de tout ce que produit la planète. En moyenne, chaque Américain émet vingt fois plus de gaz carbonique que chaque Indien. A lui seul, cet exemple démontre que les pays développés doivent être les premiers à consentir les efforts nécessaires pour maîtriser leurs modes de production et les effets de leurs pollutions.

Mais il est vrai aussi que, demain, le reste du monde devra assumer une responsabilité croissante. Les pays en transition, les pays émergents, les pays pauvres le comprennent bien. Leur grand problème c'est le coût des savoir-faire et des transferts de technologie. Comment les aider à financer l'acquisition de ces savoir-faire et de ces technologies ? Voilà un sujet essentiel sur lequel nous devons travailler en priorité. La Conférence de Buenos Aires va rechercher des solutions dans un domaine important mais limité : les gaz à effet de serre.

Eh bien, le moment est venu d'une approche plus large, qui amplifie les efforts engagés au sein de la Commission du développement durable.

Dans cet esprit, je propose d'accueillir en France, l'année prochaine, une réunion internationale. Son mandat sera d'identifier des mécanismes crédibles pour faciliter les transferts de technologies et de savoir-faire dans tous les domaines où des menaces pèsent sur l'environnement. Nous devons nous mobiliser pour réduire à la source les dégradations qui résultent du développement économique.


Mais il faut aussi multiplier les initiatives régionales, qu'elles concernent la gestion commune des fleuves transfrontières, la protection des espèces menacées, ou la lutte contre les grandes pollutions. Car c'est à l'échelle des continents ou des ensembles régionaux que se vivent les interdépendances, que s'établissent les courants d'échanges les plus denses, que peuvent le mieux jouer les solidarités.

C'est pourquoi l'Union européenne bâtit une véritable politique commune de l'environnement, marquée par des législations qui couvrent des domaines aussi variés que les émissions des véhicules automobiles, la qualité des eaux ou la protection de la nature. L'élargissement de l'Union, avec la reprise de l'acquis communautaire, étend déjà cette politique vers l'Europe centrale et orientale.

J'en suis certain : l'intégration régionale et le développement durable se renforcent mutuellement. Une gestion efficace de l'environnement peut contribuer à l'émergence d'un monde multipolaire harmonieux.




Oui, la transition vers le développement durable nous conduit à une nouvelle étape de l'aventure humaine. Elle implique, dans chaque pays, la société dans son ensemble, ses scientifiques, ses juristes, ses entreprises, ses citoyens.

Plus que jamais, nous avons besoin de l'apport des scientifiques. Ils inventent les nouveaux produits et les nouveaux modes de production grâce auxquels nous pouvons améliorer la qualité et multiplier les quantités sans accroître en proportion la pression sur les ressources.

C'est grâce aux savants et aux experts que nous pourrons mieux comprendre les équilibres de la nature afin de mieux les préserver. L'exemple du changement climatique, celui des organismes génétiquement modifiés le prouvent amplement. Nous avons peu de certitudes et nous sommes parfois contraints de décider sans pouvoir mesurer toutes les conséquences de nos découvertes et de nos actions. Il revient aux scientifiques d'éclairer les responsables politiques sur leurs choix, en soulignant la part d'incertitude qui doit être prise en compte.

Enfin, les découvertes de la science peuvent inspirer les nécessaires évolutions de nos sociétés. Les systèmes vivants, biologiques, écologiques, dans lesquels interagissent de nombreuses espèces, ont d'étonnantes propriétés : capacité d'organisation, gestion économe de l'énergie et des substances chimiques, organisation subtile des réseaux alimentaires. Ces propriétés nous aident à imaginer de nouveaux modes d'organisation et de gestion de nos systèmes complexes et interdépendants. A l'ère industrielle, les découvertes de la physique inspirèrent ceux qui pensaient la Cité. A l'ère de la société de l'information, nous devons tirer parti de ces savoirs nouveaux.


Nos concepts politiques et juridiques doivent aussi évoluer. Nous sommes encore loin d'une définition précise de la notion de développement durable. Il nous reste à déterminer le seuil de nos exigences, la référence que nous choisissons comme " état idéal de l'environnement ", la pondération des avantages et des inconvénients qui résultent de nos décisions.

L'application rigoureuse du principe de précaution implique une analyse plus systématique des risques et la mise au point de procédures nouvelles. Confrontés à l'incertitude, le scientifique, le politique, le chef d'entreprise et le citoyen doivent, ensemble, débattre et déterminer les meilleurs choix. Des institutions comme le Comité National d'Ethique, les conférences citoyennes, les commissions du développement durable sont les premières ébauches de ces institutions nouvelles. Avec elles, nous enrichirons notre vie démocratique.

Ces débats contribueront à l'évolution nécessaire de nos législations sur l'environnement, qu'il s'agisse des études d'impact, de l'application du principe pollueur-payeur, des régimes fiscaux ou de la responsabilité pour les dommages infligés à l'environnement.


Dans tous ces domaines, les citoyens doivent jouer un rôle croissant. La pression des peuples plus que la volonté des Etats a imposé l'affirmation des libertés publiques. Aujourd'hui, le souci des générations futures s'affirme dans la conscience collective et pèse heureusement sur les choix des gouvernements.

Cette évolution affectera progressivement nos modes de vie. Elle prendra du temps. Elle demandera un effort d'éducation. Car l'aspiration générale à une croissance respectueuse de l'environnement ne s'accompagne pas nécessairement d'une transformation des comportements individuels. Les citoyens exigent davantage des collectivités publiques. Ils doivent aussi apprendre à consommer différemment et votre action sera déterminante pour les y aider.


Nos entreprises, elles aussi, contribuent à cette évolution. Il n'y a pas d'antagonisme entre la croissance et la protection de l'environnement. Au siècle dernier, l'activité économique, et donc les entreprises, ont été stimulées par la mise en place progressive des lois sociales. Aujourd'hui, les exigences de l'environnement, la recherche de l'éco-efficacité ouvrent un nouvel espace à la créativité, à l'innovation, à l'esprit d'entreprise. Ce sont des centaines de milliers d'emplois qui peuvent être créés. Ils s'ajoutent à tous ceux que génère l'avènement d'une société de l'information qui pèse peu sur les ressources de la planète.

Dans l'industrie, dans le bâtiment, dans l'agriculture, le mouvement est lancé. Nos entrepreneurs, nos paysans, ont compris que des modes de production plus respectueux de l'environnement étaient préférables. Chaque fois que des technologies moins polluantes sont mises à leur disposition dans des conditions satisfaisantes, ils les adoptent. Aidons-les à mieux les connaître et à se les approprier !




Madame la Présidente, Majesté, Messieurs les Chefs d'Etat, Mesdames et Messieurs, telles sont aujourd'hui, me semble-t-il, les lignes de force de notre combat commun pour l'environnement. Il s'agit bien sûr d'un combat éthique.

Au XIXe siècle encore, l'ambition de l'homme était de dominer la nature. Aujourd'hui, il dispose de nombreux outils, mais ces outils parfois le dépassent.

La science moderne lui rappelle sa place et ses devoirs, l'indispensable mesure dans l'usage de ses nouveaux pouvoirs. La physique lui démontre l'immensité et le mystère de l'infiniment grand et de l'infiniment petit. Darwin lui a révélé ses ancêtres. La biologie et l'écologie insistent sur l'interdépendance et la délicatesse des systèmes du vivant.

Votre Congrès de Fontainebleau s'inscrit dans un vaste mouvement, qui constitue à lui seul un vrai projet politique. Je veillerai à ce que la France s'y engage toujours plus. Soyez visionnaires, soyez volontaires, soyez exigeants, pour que votre appel serve de référence et donne un nouvel élan. En 50 ans, vous avez ouvert la voie. Gardez l'esprit pionnier ! Nous en avons besoin !

Je vous remercie.





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